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Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
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mise à jour du
18 juillet 2010
Sciences Religieuses
2009;38(3-4):411-425
Des Dieux qui bâillent et qui font bâiller
dans la mythologie épique de l'Inde
André Couture
 
Faculté de théologie et de sciences religieuses,
Université Laval, Québec, Canada,

Chat-logomini

 
 Résumé : Souvent relié au sommeil, le bâillement s'est prêté en Inde ancienne aux interprétations les plus diverses. Mais, dans un contexte mythologique où le sommeil de la divinité implique la destruction des mondes, le bâillement annonce souvent un tel bouleversement. Il arrive également qu'on l'utilise en dernier recours comme une arme redoutable pour vaincre un adversaire coriace. Des mythes expliquent l'origine du bâillement soit comme une invention des dieux pour venir à bout du terrible V / rtra, soit comme une force de destruction liée à la fièvre et au dieu Rudra, soit encore comme une force relevant de la déesse Yoganidrä. Même s'il apparaît relativement souvent dans les récits de mythologie hindoue, le bâillement n'a pourtant jamais à ma connaissance été étudié pour lui-même et c'est la tâche que se propose le présent article.
 
Summary: Often related to sleep, yawn has been interpreted in a variety of ways in ancient India. But in the mythological context of the epics, yawn often presages the ensuing destruction of worlds which occurs when god Näräyaëa falls asleep. Yawn is also employed as a weapon of destruction used by the highest gods and asuras against particularly difficult adversaries. One myth explains the existence of yawn as a creation of the gods used to destroy the terrible V / rtra; a second myth describes yawn as a destructive power linked to the presence of Fever (jvara) and to the god Rudra; a third myth links its power to the goddess Yoganidrä. Despite the fact that it occurs with some frequency in Hindu mythological narratives, yawn has never been studied in its own right, a situation which this paper intends to correct.
 
 
Nidrä (ou Yoganidrä) est une déesse terrible, bien connue du supplément au Mahäbhärata [MBh] qu'est le Harivam. ça [HV] en tant que parèdre du dieu cosmique Viñëu-Näräyaëa. Son nom réfère au mystérieux sommeil (nidrä) dont dort ce dieu alors qu'il est couché sur l'océan unique (ekärëava) recouvrant l'univers à la fin d'un période cosmique (kalpa). Cette déesse naît dans le campement de bouviers des environs de Mathurä pour faciliter la naissance de K /rñëa et préparer la destruction du méchant roi Kam. sa et reçoit alors le nom d'Ekänam.çä (« une et sans parties »).
 
Dans le Bälacarita, une pièce de théâtre attribuée à Bhäsa et mettant en scène l'enfance de Krsna, le roi Kamsa lui-même compare à Kälarätri, « la nuit du temps », cette déesse qui est apparue devant lui en train de bâiller. On sait que le frère aîné de Krsna se nomme Samkarsna et qu'il est l'incarnation du cobra Ananta-Sesa qui supporte la terre de ses chaperons et avale l'univers à la fin du kalpa. Le Visnu-Puräëa décrit ainsi ce terrible serpent : « Lorsqu'Ananta bâille, les yeux roulant sous l'ivresse, la terre tremble avec ses montagnes, ses eaux douces, ses océans et ses forêts ». Dans la vie de tous les jours, l'ouverture involontaire de la bouche qu'est le bâillement annonce souvent le sommeil.
 
Mais dans un contexte mythologique où le sommeil de la divinité implique la destruction des mondes, le bâillement peut annoncer un tel bouleversement. Il arrive aussi que l'on utilise en dernier recours le bâillement comme une arme redoutable pour vaincre un adversaire coriace. Même s'il apparaît relativement souvent dans les récits de mythologie hindoue, le bâillement n'a pourtant jamais à ma connaissance été étudié pour lui-même. C'est une telle étude que le présent article voudrait amorcer.
  
Explications générales du bâillement
 
Selon l'Amarakosa sont deux termes signifiant 'bâillement'. Liìgayasürin en propose le commentaire suivant : « La racine j / rmbh signifie "s'étirer les membres". J / rmbha et j / rmbhaëa sont les noms de l'ouverture spécifique de la bouche à la fin ou au début du sommeil ».
 
Selon le dictionnaire de Monier-Williams (1970), le sens premier de la racine j / rmbh / j / rbh est « to open the mouth, yawn; to gape open, open (as a flower) ». Sous j / rmbhate, le Concise Etymological Sanskrit Dictionary de Mayrhofer (1956) donne : « yawns, opens, expands ». Inutile de multiplier les citations, le sens fondamental de la racine j / rmbh paraît clair. Pourtant, l'interprétation que les textes hindous donnent du bâillement présente de curieuses variantes.
 
Il est probable que le réflexe qu'est le bâillement a toujours dû prêter en Inde aux interprétations les plus diverses. À propos du cheval utilisé lors du sacrifice de cheval, la B / rhadäraëyaka Upaniñad note : « Quand il bâille, c'est qu'il éclaire ». Et Çaìkaräcärya glose ce passage de la façon suivante : « Son bâillement ou le fait qu'il s'étire ou lance les membres, c'est l'éclair; si, dans un cas, il y a ouverture de la bouche, dans l'autre cas, il y a fissure du nuage ».
 
Dans un tout autre ordre d'idées, le bâillement figure parmi les mouvements ou sensations considérés comme néfastes et contre lesquels il y a lieu de se protéger par la récitation de formules spécifiques. « Lors d'un éternuement, d'un bâillement, quand on voit un spectacle déplaisant, quand on sent une odeur désagréable, à l'occasion d'un cillement d'yeux ou de bruits dans les oreilles, que l'on récite la formule suivante : 'Puissé-je bien voir avec mes yeux, être radieux de mon visage, bien entendre de mes oreilles! Puissent la capacité de réaliser des projets et celle de les concevoir demeurer en moi! ».
 
On peut supposer qu'un être maléfique (bhüta) risque toujours de se glisser dans une bouche béante et d'en profiter pour prendre possession de cet individu. Il faut donc se prémunir contre cette éventualité. Sans doute pour la même raison, le Matsya Puräëa raconte que Diti devait s'abstenir de bâiller pendant qu'elle était enceint. Le Kürma Puräëa recommande même d'éviter de regarder sa propre femme pendant qu'elle mange, qu'elle éternue ou qu'elle bâille. Ces quelques exemples montrent bien que le bâillement est tenu pour un phénomène physiologique qui comporte des risques et dont il faut se protéger.
 
Le Harivamsa [HV] donne le point de vue de certains médecins sur la question. Usa la fille de Bana, était secrètement devenue amoureuse d'Aniruddha, le fils de Krisna et de Rukmiëé. Elle bâillait de plus en plus et dormait plus que d'habitude, ce qui ne manqua pas d'alerter l'entourage.
 
Des médecins sont dépêchés à son chevet et posent le diagnostic suivant: « Ou bien la princesse est allée jouer dans l'eau avec ses amies; ou bien il s'agit du jeu de Pärvaté (i.e., l'amour). Nous savons que cela aussi est source de fatigue, que la fatigue est cause de l'état d'épuisement, ce qui finit par provoquer des bâillements répétés, puis le sommeil. De toutes façons, il n'y a rien à craindre! ».
 
La Susruta Samhita, un ancien traité de médecine, compte le bâillement au nombre des phénomènes divers qui entourent le sommeil. Elle le définit de la façon suivante: « Lorsqu'on avale de l'air en inspirant et que, la bouche ouverte, on le relâche avec des larmes dans les yeux, il y a ce qu'on appelle le bâillement ».
 
Le Sabdakalpadruma, une compilation lexicale datant du 19e siècle, après avoir, à l'entrée jrmbhah, cité la Susruta Samhita, ajoute que, « selon la médecine, c'est le souffle qui cause l'excès de bâillements ». Pour autant qu'il conduit au sommeil, le bâillement apparaît donc du point de vue médical comme une réaction normale de l'organisme. Il n'y a que les bâillements à répétition qui proviennent d'un déséquilibre dans les trois éléments organiques de base, plus précisément d'une prépondérance du souffle sur le phlegme et la bile.
 
 
Le bâillement comme signe de mort imminente
`
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l'ancienne littérature épique de l'Inde présente de grands guerriers en train de bâiller en pleine bataille. Ils ne bâillent pas parce qu'ils ont sommeil. Leur bâillement a plutôt l'air d'une menace. En faisant voir une bouche béante, ils reproduisent l'image de Yama (ou Antaka), un dieu de la mort, souvent décrit avec la bouche béante et capable d'avaler toutes les créatures. De tels guerriers doivent donc être craints tout autant que la Mort. En voici quelques exemples ....
 
 
Le bâillement utilisé comme une arme
 
Dans un passage énigmatique du Veda, le sommeil apparaît comme un moyen de soumettre des ennemis. Dans le HV , la déesse Yoganidra, personnification du sommeil, devient un moyen utilisé par Visnu pour confondre les mondes. Dans le même texte, le bâillement paraît constituer non seulement une menace de mort imminente, mais également une arme tout aussi terrifiante que n'importe quelle autre arme de mort. À l'occasion du combat opposant les dieux au terrible Kälanemi, quelques versions méridionales du HV racontent à propos d'Indra un court épisode inconnu par ailleurs. Kälanemi a déjà détruit la majorité de dieux. Après avoir par deux fois échappé au foudre de son puissant adversaire, Kälanemi l'avale d'un bâillement. Indra plonge tête première dans son ventre. Il aurait dû normalement périr. Il portait heureusement un mantra au nom de Narayana qui allait le protéger d'une telle mésaventure. Indra se fora un passage à travers le flanc de Kälanemi et en sortit sain et sauf.....
 
L'origine mythique du bâillement
 
Nous avons vu que les anciens médecins considéraient le bâillement comme un éventuel sympôme de maladie. En contexte épique, le bâillement est non seulement un signe de mort imminente mais peut également devenir une arme terrifiante. Le bâillement apparaît donc comme une réaction physiologique digne d'attention et qui requiert des explications. Dans l'ensemble du MBh et du HV, j'ai trouvé trois façons différentes d'expliquer l'existence du bâillement. Il s'agit d'abord d'une invention des dieux pour piéger l'éternel ennemi d'Indra qu'est Vrtra. Le bâillement apparaît également lié à la Fièvre: c'est une source de chaleur et une force de destruction relevant de Siva-Rudra. Le pouvoir nocturne de la déesse Nidrä (dont le nom signifie « sommeil ») peut également servir d'explication à l'existence du bâillement chez les humains. ...... 
 
Conclusion
 
Les trois récits étiologiques réunis dans la dernière partie de cet article, de même que la plupart des citations du MBh et du HV rassemblées dans les parties précédentes, montrent comment d'un bâillement anodin l'on passe à un symptôme de destruction cosmique. Le bâillement finit par s'avérer un des moyens que les véritables yogin utilisent pour dominer leurs ennemis. En plus de servir d'armes pendant la guerre, accompagné de la fièvre et du sommeil, le bâillement renvoie au côté terrible de la divinité. La bouche béante du bâilleur évoque un univers qui doit être détruit et recréé.
 
Présenté par le Bhägavata Purana sur un mode enfantin, ce thème peut même passer presque inaperçu. S'imaginant que le jeune K /rñëa a mangé de la terre, sa mère Yasoda lui demande un jour d'ouvrir la bouche toute grande. À sa grande stupéfaction, elle aperçoit dans cette petite bouche grande ouverte l'univers entier. Au chapitre précédent, le narrateur Suka avait heureusement présenté une autre version de la même histoire, qui s'inscrit plus explicitement sous la thématique analysée ici.
 
Alors que la belle Yasoda venait de donner le sein au petit Krsna et le couvrait de caresses maternelles, l'enfant bâilla, est-il précisé, et celle-ci découvrit dans sa bouche tout l'univers. Une telle bouche béante n'apparaît sans doute pas par hasard en contexte hindou : elle correspond en fait à une anthropologie spécifique. Les destructions dont il est question dans les mythes épiques et puraniques de l'Inde ne sont pas des annihilations, mais plutôt des absorptions dans le corps cosmique de la divinité suprême en préparation de nouvelles émissions (sarga).
 
  L'éternuement et le bâillement dans la magie, l'ethnographie et le folklore médical Saintyves P. 1921
 
Le bâillement : étude comparative des connaissances et croyances, populaires et médicales
 
Yawning Mannerism of speech and gestures in evryday life
Feldman S 1959
 
La civilité puérile Erasme D vers 1500
Yawning : popular knowledge and beliefs