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 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
 
 

mise à jour du
21 mars 210
Archives Suisse de neurologie et de psychiatrie
1923;12:292-317
Discussion sur l'étiologie d'un tic survenu quinze mois après une encéphalite léthargique atypique
Raymond de Saussure
1884-1971
Asile de Cery - Lausanne
 
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L'encéphalite léthargique

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Observation
1. Anamnèse.
 
Blanche K. est née le 6 juillet 1899, d'un père inconnu et d'une mère très nerveuse. Nous n'avons sur sa famille aucun autre renseignement. Sa mère l'a placée chez des paysans à l'âge de 18 mois. Ceux-ci l'ont tout-à-fait adoptée. Depuis, Blanche n'a revu sa mère que deux fois, et n'a éprouvé aucune sympathie pour elle.
 
Ses antécédents personnels sont peu chargés. A l'âge de 6 ans, elle a fait une chute sur la tête, dans une fenêtre. A ce moment, elle eut une hémorragie par les oreilles, et a gardé depuis lors une surdité presque complète du côté droit. Actuellement l'examen du tympan droit ne présente rien d'anormal. Vers l'âge de 12 ans, elle eut une rougeole et une poussée de fièvre urticaire(?), dit-elle. Elle n'était pas sujette aux bronchites. Elle n'a jamais consulté de médecin avant sa grippe, en 1920. Réglée à 14 ans, elle a présenté de l'insomnie pendant les trois semaines qui ont précédé ses premières règles, et durant ce temps, elle était devenue assez irritable. Ses règles étaient régulières et duraient 5 jours environ. Elles étaient indolores mais chaque fois qu'elles arrivaient, Blanche se montrait plus nerveuse qu'à l'ordinaire. Notre malade n'a cependant jamais présenté de stigmates hystériques. Voici ce que nous savons de son caractère comme enfant, elle était assez prompte, et se mettait rapidement en colère, mais elle n'a jamais été boudeuse. Très franche, s'il lui arrivait parfois de voler un peu de sucre ou de confitures dans l'armoire, elle allait l'avouer de suite après. Elle avait assez de facilité à l'école. Son régent nous écrit qu'elle avait bonne mémoire, et qu'elle a toujours été assez bonne élève. A la maison, elle se montre affectueuse et travailleuse. Elle n'eut jamais, dans son enfance, de terreurs nocturnes, et n'était pas peureuse en général.
 
Sa famille adoptive se composait d'une grand'mère, d'un père, d'une mère et de trois filles qui toutes étaient passablement plus jeunes qu'elle. La grand-mère était assez sévère avec Blanche. Elle l'obligeait d'aller à l'église tous les dimanches, été comme hiver, quoique leur demeure fût éloignée d'environ 7 à 8 kilometres du temple. Quelquefois, lorsqu'il pleuvait très fort, les enfants n'allaient pas au culte, mais alors on leur interdisait de sortir pendant le reste du dimanche. La grand-mère était autoritaire et têtue, et il fallait exécuter ses 36 000 volontés. Blanche l'aimait bien, mais trouvait son joug un peu difficile. Par contre elle affectionnait beaucoup ses parents adoptifs, avec qui elle s'entendait très bien. Ceux-ci ne faisaient pas de différence entre leurs propres enfants et Blanche qui, jusqu'à l'âge de 10 ans, a été élevée dans l'idée qu'ils étaient ses parents. Elle n'éprouva pas de chagrin lorsqu'on lui dit qu'elle était une fille adoptée. Jusqu'à sa maladie actuelle, elle s'entendait aussi très bien avec les trois filles de la maison. Depuis, l'aînée lui fit sentir qu'elle n'était pas de la famille, et la traita souvent de folle.
 
Blanche a terminé l'école à 15 ans. Elle est restée cinq ans à travailler chez ses parents adoptifs. Ceux-ci appréciaient hautement son zèle au travail, sa propreté, sa conscience, et ne s'attardaient guère aux brèves colères qu'elle manifestait de temps à autre lorsqu'on la contrariait, surtout à l'époque de ses règles.
 
À 20 ans, elle se place chez une dame M… , très nerveuse, habitant une petite ville du canton de Vaud. Elle se montre très travailleuse, et elle-même se sent heureuse. Ses maîtres ne notent rien de pathologique, à ce moment-là, dans son caractère.
 
2. Affection actuelle
 
Au commencement du mois de février 1920, Blanche s'alite dans une grippe assez sévère, bien qu'elle ait eu 39° de fièvre le premier jour, pendant cette grippe, elle conserve un sommeil normal. Sa patronne montait souvent dans sa chambre, et les derniers jours, lui disait : " mais vous n'êtes pas malade ! ". Blanche s'énervait de ses propos, car malgré sa température normale, elle se sentait très asthénique. En se relevant de sa grippe, elle passe huit jours chez ses parents adoptifs. Là, rien d'anormal: elle travaille au ménage et dort bien. Comme auparavant, elle se sent « at home », et ne remarque rien de changé, dans l'attitude des siens à son égard. Tout au plus, maintenant qu'elle est habituée à plus de liberté, trouve-t-elle le jong de la grand-mère un peu pénible.
 
Huit jours après, elle rentre chez Mme M…, et reprend son travail de façon tout à fait normale, mais, le soir, n'arrive pas à s'endormir. Elle passe la nuit éveillée, et calme, dans son lit.
 
Le lendemain, elle fait bien son ouvrage, sans se sentir trop fatiguée. Le soir, elle se couche à 10 heures, comme à l'ordinaire, et n'éprouve rien d'anormal. Entre 11 heures et minuit, elle a un cauchemar qui la réveille, et la poursuit à l'état de veille. L'image onirique était la suivante: elle voyait une vieille femme morte, portant un bonnet de nuit. Celle-ci, malgré ses yeux clos, regardait Blanche au travers de la fenêtre.
 
De suite après ce cauchemar, Blanche, très effrayée, commence une agitation psychomotrice. Elle présente des convulsions dans les quatre membres et dans le tronc. À la face, on ne remarque rien d'anormal. Elle hallucine, voit des têtes d'hommes autour d'elle. Elle parle de gens qui la poursuivent, babille, et s'agite ainsi toute la nuit. Le matin, on appelle un médecin, qui l'envoie à la campagne, chez ses parents adoptifs.
 
Arrivée chez elle, elle n'hallucine plus, mais l'excitation motrice persiste trois jours durant. La nuit, elle se sent agitée et ne peut dormir, tandis que de jour elle dort quelques heures d'un sommeil de plomb. Elle reste trois semaines chez ses parents adoptifs, les convulsions cessent, mais le rythme onirique reste inverti. Les derniers jours qu'elle passe à la campagne, elle se remet au travail. À ce moment-là, elle ne présente ni spasme de la face ni polypnée.
 
Chez Mme M…, elle reprend son travail qu'elle poursuit sans interruption jusqu'en mai 1921. Pendant ce temps, l'insomnie persiste, elle dort une nuit sur deux, quand elle prend son calmant. De plus : aménorrhée pendant toute cette période. L'insomnie amène une altération du caractère qui se manifeste surtout par de l'irritabilité, et une diminution de la mémoire.
 
Au début de mai, Blanche a une vive émotion. Le fils de sa patronne se casse la jambe dans un accident de motocyclette. Quand M. M… lui annonce la chose, elle se met à trembler comme une feuille, et toute la journée continue à trembler. À cette occasion sa patronne se montre très nerveuse.
 
Peu de jours après, s'installe chez Blanche des bâillements très fréquents, se répétant environ toutes les trois minutes, jusqu'à certains moments plus espacés ou plus nombreux. Ils s'accompagnent d'un besoin intense de sommeil, surtout pendant le jour, mais Blanche, qui ne veut pas perdre sa place, ne se couche pas.
 
Les bâillements sont précédés d'un sentiment de constriction dans la glotte et dans la poitrine. Ils sont très lents et finissent par produire une très forte douleur dans l'articulation de la mâchoire. Ces bâillements durèrent environ 15 jours, et ne cessèrent qu'à l'apparition des symptômes suivants: la malade présente une douleur intense qui commence deux centimètres en avant de chaque oreille et qui descende légèrement en oblique. Cette douleur remonte aussi jusqu'à l'os malaire, et s'accompagne d'un spasme du faciale inférieur, intéressant la musculature de la joue, le peaucier du cou, et parfois le sterno-cleïdo mastoïdien. La malade tire les deux coins de la bouche en arrière. De temps à autres, un seul coin est relevé, ceci surtout à gauche. Ce spasme est très fréquent, il se produit plusieurs fois par minute. L'entourage ne peut me dire s'il persiste pendant la nuit. Il a débuté brusquement un soir, avec l'exacerbation de la douleur. Ce spasme plus fréquent le matin et le soir, pendant que la malade est au lit. Pendant ce spasme, Blanche arrête sa respiration, puis à une courte durée (quelques secondes) de polypnée. La respiration devient plus ample, d'abord rapide, puis lente. Le spasme a parfois l'apparence d'un mouvement de défense contre le bâillement. Il arrive souvent il exagère vers la fin de la polypnée, ce qui provoque à nouveau une respiration anormale. Il se fait ainsi un cercle vicieux dont Blanche a beaucoup de peine à sortir.
La douleur qui accompagnait le spasme était atroce, elle a duré de façon aiguë environ 15 jours, puis a persisté moins forte pendant environ deux mois.
 
Plus tard, elle est revenue à plusieurs reprises pendant plusieurs jours. Au moment du paroxysme de la douleur, Blanche a dû quitter sa place et est retournée dans sa famille adoptive (mai 1920). Pour essayer de soulager ces mots, elle soutenait souvent son menton avec sa main, ou bien se pressait l'émergence du facial ou l'insertion mastoïdienne du sterno-cleïdo mastoïdien. Les premiers temps de ce spasme, elle poussait à chaque contraction un petit gémissement. La contraction a toujours été lente, tonico-clonique, jamais clonique.
 
Blanche n'a pas eu froid sur la joue avant l'apparition de sa névralgie, mais elle avait quelques dents cariées. La douleur a cessé quoi que ces dents n'aient été ni arrachées ni soignées.
 
Grâce à la douleur, le spasme ne pouvait se produire sans que Blanche sans doutât. Cela la gênait même dans la déglutition, et surtout dans la mastication. Il lui est arrivé à plusieurs reprises, quand elle mâchait depuis un moment, d'avoir un trismus spasmodique, sorte de crampes des masticateurs, qui paralysait complètement sa mâchoire pendant quelques secondes.
Au mois d'août, le symptôme douleur avait complètement disparu, mais tout cet épisode n'avait fait qu'accroître l'irritabilité de Blanche. Elle était devenue vulgaire, ce qu'elle n'était pas auparavant, nous écrit le Dr. Gagnebin qui la soignait à ce moment. Elle jurait et disait de vilains mots, si bien que l'on aurait pu croire qu'il ne s'agissait pas d'un spasme facial, mais d'un tic accompagné de coprolalie, en un mot d'un cas de la maladie de Gilles de la Tourette. Mais Blanche n'a jamais présenté d'écholalie, ni d'échopraxie. De plus, elle dit qu'elle n'a été grossière que dans les moments de colère, et elle a toujours pu maîtriser sa parole. Sa coprolalie n'était pas impulsive et irrésistible comme son spasme. Du mois d'août au mois de septembre, elle suit un traitement hypnotique, entre autres avec le docteur Bonjour, mais sans résultat. C'est alors que ses parents se décident à l'envoyer à Cery, le 17 décembre 1920.
 
Son père adoptif nous raconte que les derniers temps elle s'emportait pour un rien, surtout lorsqu'on la grondait pour son tic. Dans ces moments de colère, non seulement elle était grossière, mais encore elle lançait à terre tous les objets qu'elle trouvait sous sa main. À la maison, elle travaillait encore, aidant au ménage.
 
3. Observation à l'asile.
 
À son arrivée on constate: vifs réflexes tendineux ou quatre membres. Clonus, surtout au pied droit. Babinski négatif. Réflexes cutanés normaux. Léri et Mayer positifs. Pupilles égales, légèrement excentriques. Tremblements de la langue et des doigts. Dentition très défectueuse. Organes internes: rien de particulier, si ce n'est un pouls rapide (100). Les bruits du coeur présentent un rythme foetal. Tic facial, et tic respiratoire tel qu'ils ont été décrits plus hauts. La polypnée s'accampagne d'une grande soif. La malade répond bien aux questions qu'on lui pose.
 
Blanche reste alitée les premières semaines. Son tic se produit souvent, quoique très régulièrement, soit un grand nombre de fois par minute, soit quelquefois par heure. Mais il n'est pas d'heure où il ne se présente au moins deux ou trois fois. Il disparaît pendant le sommeil. Il est déclenché par la moindre émotion, par le moindre changement dans son entourage.
Blanche se sent fatiguée, quoi qu'elle ait bon appétit et que son corps présente un bon état de nutrition. Le sommeil, par contre, reste mauvais, même avec des calmants. Elle n'arrive à dormir que trois ou quatre heures par nuit.
 
Après quelques semaines, légère amélioration, diminution dans la fréquence du tic. La malade se sent un peu moins fatiguée et commence à se lever. Elle se montre tout de suite très serviable et très sociable. Elle cause à ses voisines, ne se met pas en colère contre elles, ni contre les infirmières. Elle ne se signale par aucune extravagance, elle se montre active et complaisante, et, comme nous le verrons plus loin, ne présente en aucune façon le fond mental de l'hystérique.
 
Pendant son séjour à l'asile, elle n'a pas eu de nouveaux cauchemars. Elle a eu que quelques rêves insignifiants, qui se reportaient surtout à son désir de quitter Cery. Elle se prêtait du reste mal à une psychanalyse, parce qu'elle n'arrivait pas à donner ces associations spontanées.
 
Elle ne présente aucun trouble de la parole, pas même un ralentissement dans l'élocution. Elle n'a pas non plus d'autres troubles moteurs que ce que nous avons décrits. Mais on remarque que sa mémoire est très affaiblie. Elle, qui était une bonne élève, ne s'est me dire dans quel pays se trouve Copenhague, Budapest, Manchester. Elle place Liège, Bruxelles et Athènes en France, prend Bordeaux pour un port de la Méditerranée. Ses connaissances en fait de géographie suisse sont aussi rudimentaires. Elle ne sait, par exemple, dans quel canton se trouve Thoune, etc. elle ne sait plus si Napoléon était un empereur allemand ou français. Quand on lui demande l'histoire de Guillaume Tell, elle répond : « il a tué son fils », et ne sait rien ajouter d'autre. Elle ne sait pas mieux qui étaient Winkelried et le Major Davel. Elle sait qu'elle a su l'histoire de ces personnages, mais elle est aujourd'hui incapable de s'en souvenir. Le calcul laisse autant à désirer : 9 X 7 = 42. 6 X 8 = 48. 7 X 8 = 52. 63 + 36 = 99 (calcul très lent).162 + 97 = 259. Pendant toute cet interrogatoire, elle s'impatiente et tique beaucoup.
 
Comme le motif déterminant de son internement avait été ses colères et qu'elle n'en a pas présenté ici, on la laisse returner chez ses parents adoptifs, le 13 février 1922. Cinq jours après, elle rentre à Cercy, et son père adoptif nous donne les renseignements suivants: tout allait bien pendant les trois premiers jours, puis Blanche a découvert qu'on avait employé ses économies à payer son séjour à Cery. elle s'irrite, se dispute avec les gens de la maison, refuse de manger, menace d'aller se jeter au lac, tique de nouveau beaucoup, et se montre très irrascible et nerveuse.
 
Elle-même nous donne les renseignements suivants: J'étais très heureuse de rentrer à la maison, mais dès le lendemain de mon arrivée, je sentis que cela n'irait pas bien avec ma grand'mère. Elle voulait tout le temps me donner des conseils: "Tu vas bien travailler, tu ne feras pas comme avant, tu ne te mettras plus en colère, etc." Mon tic augmentait beaucoup, cela m'énervait. Le soir, je me sentis un peu grippée, et je voulus me mettre au lit, quand grand'mère m'a tout de suite dit: "Tu t'écoutes trop, ce n'est pas la peine que tu reviennes ici si c'est pour te plaindre". Blanche, énervée reste au lit le 15 et le 16 et ne se lève qu'un moment dans l'après-midi. Le 17 au matin, sa grand'mère vient lui dire: "Tu restes encore au lit aujourd'hui?" Elle répond que oui, mais se lève tout de même. La grand'mère se fâche. Blanche s'énerve, tique, refuse de manger. L'aînée des filles dit: "Je ne veux pas qu'elle reste ici, elle est folle.» Cette parole exaspère Blanche qui sent qu'on va la ramener à Cery, et elle devient plus irritable encore. Aussi entre-t-elle dans une violente colère quand, l'après-midi, sa grand'mère l'empêche d'aller se présenter chez quelqu'un qui lui offrait une place.
 
Pendant son second séjour dans notre asile, le tic existe presque uniquement à gauche. Il s'accompagne de nouveau de névralgies, mais l'examen électrique ne présente rien d'anormal. En 8 jours le tic diminue sensiblement, et ne paraît plus qu'une ou deux fois par heure. Blanche ne présente ni mauvaise humeur ni colère. Elle s'angoisse de temps à autre à l'idée de ne pas guérir. Pendant ces moments, elle tique davantage. Elle ne présente aucune idée délirante. Le 13 mars elle écrit une lettre en termes très raides à sa vraie mère, lui reprochant de l'avoir mise au monde pour l'abandonner ensuite. Au mois d'avril, elle va moins bien, et est souvent angoissée parce qu'elle sait qu'on doit la rapatrier en Suisse allemande d'où elle est originaire. Le 20 avril 1922, elle est rapatriée à Schüpfheim (canton de Lucerne).
 
Le 31 mai 1922, Blanche est ramenée à l'asile par sa propre tante. Très malheureuse à Schüpfheim, où elle se trouvait dans une population composée surtout d'idiots, qui, du reste, parlaient tous l'allemand, qu'elle ne sait pas, elle chercha à renouer connaissance avec sa vraie famille. Elle écrit des lettres désespérées, parle de se tuer, obtient enfin de pouvoir quitter Schüpfheim, et va chez sa vraie grand'mère. Elle y reste alitée et tranquille pendant 8 jours. Ensuite elle se lève mais s'énerve facilement. Sa famille lui reproche souvent de ne pas gagner sa vie. Elle reprend vite ses colères, insulte les visites, se montre capricieuse dans sa façon de manger. Refuse aux repas, et mange ensuite. Grimace beaucoup, menace les gens, mais ne les frappe pas. Tape du poing sur la table. Et, après ses colères, ne se souvient souvent pas de ce qu'elle a fait.
 
Blanche eut d'abord du plaisir à faire la connaissance de sa vraie famille, et elle s'y plaisait, mais bientôt sa grand'mère se mit à dire du mal de ses parents adoptifs, et elle ne put supporter cela. C'était le principal motif de ses colères. Elle s'occupait au ménage et au jardin, mais se sentait malheureuse et incomprise Elle s'irrite de plus en plus souvent, si bien qu'on est obligé de la ramener à Cery.
 
Pendant son troisième séjour à l'asile, elle commence par tiquer énormement, mais ce symptôme s'améliore assez rapidement. Au bout de quelques jours, elle put passer plusieurs heures sans tiquer. Mais son caractère était plus altéré. Il lui arriva à plusieurs reprises de se disputer avec des camarades. Elle s'angoisse aussi plus facilement, se sent abandonnée de tout le monde, pleure, et à ces moments là reprend ses mouvements involontaires. Elle n'a toujours pas ses règles. Elles les eut trois fois seulement, depuis février 1920. Ces derniers temps, elle présentait des vertiges et des pesanteurs gastriques après les repas. La pression de la région pylorique était douloureuse. Elle ressort de l'asile le 2 juillet, pour être placée à la campagne.
 
Discussion du cas.
 
Nous croyons, pour éclairer ce cas, qu'il vaut mieux discuter de façon indépendante les deux épisodes pathologiques de cette anamnèse. Nous commencerons donc par discuter l'agitation psychomotrice de février 1920, qui fut précédée d'un cauchemar et suivie d'une longue période d'isomnie et d'irritabilité, accompagnée de la perte des règles. Ce point résolu, nous étudierons le spasme facial et intercostal qui a fait son apparition en mai 1921.
 
1. Faut-il voir dans l'épisode de Février 1920 une simple suite de grippe?
 
Dans sa thèse (Contribution à l'étude des psychoses consécutives à la grippe, Montpellier, 1907) Victor Fougue rend compte de l'abondante littérature qui a été écrite après l'épidémie de 1889-1890 sur les complications nerveuses de la grippe. Sa conclusion est que la grippe ne nous donne pas de nouvelles formes de psychose. Ce sont surtout des démences précoces et des confusions mentales qui suivent cette maladie. Il ne cite pas de convulsions toniques et cloniques apparaissant peu de jours après la grippe, et durant sans interruption pendant des heures. Si les convulsions ont été signalées dans la grippe, ce n'est que pendant le cours aigu de la maladie, et seulement dans les formes où le méningisme était prononcé. De plus, l'insomnie post-grippale, chez les personnes non atteintes d'aliénation mentale, ne semble pas se prolonger ainsi pendant plus d'une année. Pour toutes ces raisons, il nous paraît peu probable que dans le cas de Blanche, ce premier épisode soit une simple suite de grippe.
 
2. S'agirait-il d'une psychose post-onirique?
 
On se souvient en effet que l'agitation psychomotrice de notre malade a débuté la suite d'un cauchemar. Elle avait vu, de derrière la fenêtre, une femme morte qui la regardait. En 1866 (Soc. de Biologie, 20 nov.), Féré a rapporté le cas d'une paralysie hystérique consécutive à un rêve. Depuis, quantité d'auteurs ont signalé des faits analogues. J'ai expliqué ailleurs (La méthode psychanalytique, Payot, 1922, p. 99 et suiv.) que dans ces cas, l'accident nerveux n'était pas une conséquence du rêve, mais que symptôme morbide et rêve devaient être considérés comme deux expressions différentes d'une même émotion. S'agirait-il d'un incident purement psychogène? Analysons de plus près l'image onirique de Blanche. Cette vieille femme ne lui rappelle personne. Cependant, lorsqu'on attire son attention sur le bonnet blanc, le malade dit de suite: Je ne connais qu'une personne qui en porte, c'est ma grand'mèe adoptive. Ce rêve comme tous les autres que nous avons eu l'occasion d'analyser chez Blanche, est très simple. Il est l'expression de son désir inconscient de voir mouir la grand'mère avec qui, pendant sa convalescence, elle venait de reprendre contact. Depuis qu'elle avait été en place, elle s'était habitué à une certaine liberté; elle eut donc de la peine à se faire au caractère maniaque et autoritaire de sa grand'mère. De plus, elle s'était à moitié fiancée avec un jeune homme protestant, et n'osait l'avouer à sa famille adoptive, catholique, à sa grand'mère surtout. Pour toutes ces raisons naquit eu son inconscient le désir de voir dispataître sa bienfaitrice. Mais ce désir, combattu par un sentiment d'affection, donne au rêve un caractère anxieux.
 
Le rêve est simple, mais a-t-il un rapport avec l'agitation qui lui a succédé? En tous cas, si ce rapport existe, je n'ai pu le trouver. Daus les autres cas d'accidents nerveux, suite de rêves, on trouve toujours un certain rapport psychogène entre les deux manifestations. On voit ici que ce n'est pas le cas. De plus, les antécédents hystériques n'existent pas, et d'autre part, comment expliquer, si tous ces accidents sont psychogènes, que l'insomnie persiste alors que délire et agitation motrice n'ont été que très passagers? Nous écartons donc comme peu probable l'hypothèse d'une névrose post-onirique. Nous serions assez disposés à considérer ce rêve comme un simple cauchemar précédant les troubles de l'encéphalite. On sait que cela a été souvent signalé (Jones and Raphael, "The Psychiatric featness of E.", Arch. of Neurol. and Psychiatr. T. V. p. 150, 1921). Laignel-Lavastine (Troubles psychiques de l'E., Gazette des hôpitaux civils et militaires. T. 94, p. 389 et 405, 1921) insiste sur les terreurs nocturnes et les cauchemars.
 
3. S'agirait-il d'une Encéphalite léthargique à forme typique?
 
C'est à notre avis le diagnostic, sinon certain, du moins le plus probable, et voici pourquoi:
Ces longues périodes d'insomnies, qui débutent simplement par un renversement du rythme onirique, sont très caractéristiques de l'encéphalite. Or, c'est bien ce qu'a présenté Blanche. Elle-même nous dit que les trois premières semaines, elle dormait le jour et se sentait agitée la nuit. Elle n'a cessé qu'au moment où elle a repris son travail diurne malgré l'insomnie nocturne.
 
Mais à cela on m'objectera qu'il a manqué à Blanche la période de somnolence, la période de fièvre, les troubles oculaires. Est-ce vraiment une raison pour abandonner ce diagnostic? Je ne le pense pas. Nombreux sont les cas où la période de sommeil manque. On en a cité beaucoup ces derniers temps, mais ils étaient connus déjà en 1920. J'en donnerai pour seule preuve la communication de Gallavardin et Devic sur l'encéphalite myoclonique, faite à la société médicale des Hôpitaux de Lyon le 3 mars 1920. (Voir Lyon médical du 25 mars 1920, p. 27O. Sicard et Kudelski (Encéphalite myoclonique, Bull, et Mém. de la Soc. Med des hôpitaux de Paris, p. 390, 19 mars 1920.) rapportent aussi le cas d'un malade de 33 ans qui n'a présente ni insomnie, in élevation de température.
 
L'absence des troubles oculaires dans l'encéphalite , ainsi que débuts insidieux sont connus depuis longtemps également. Pierre Marie les a signalés dès 1919. (Rev. Neurol. 1919, p. 300.) Quant à l'absence de fièvre, elle se rencontre même dans certains cas typiques de parkisonnisme. L'absence des symptômes précités ne saurait donc nous engager à exclure d'emblée le diagnostic d'encéphalite épidémique. Mais, en plus de l'insomnie et de l'interversion du rythme du sommeil, quels signes justifient notre diagnostic?
 
Il y a d'abord la myoclonie localisée aux quatre membres. Ces secourses cloniques, nous dit la malade, et son père adoptif nous confirme son témoignage, ont duré trois jours, presque sans interruption. Le visage ne présentait aucune convulsion. Elles ont cessé assez brusquement, sans séquelles, mais ont produit chez la malade une forte asthénie. C'est à leur suite que Blanche s'est mise à dormir de jour.
 
Un quatrième symptôme nous semble justifier le diagnostic de l'encéphalite épidémique. Je veux parler de l'altération du caractère. Passons en revue les changements de sa personnalité:
1) Blanche devient plus colérique, plus irritable qu'elle n'était.
2) Elle devient grossière, vulgaire même, nous écrit le Dr. Gagnebin qui était son médecin habituel.
3) Elle devient anxieuse, obsédée, par l'idée qu'elle ne guérira pas.
4) Elle devient plus émotive.
5) Elle présente de l'asthénie.
6) Son intelligence diminue. Sa mémoire, en particulier, s'affaiblit.
 
Cet ensemble de signes ne constitue pas la symptomatologie d'une psychose connue. Elle se rapproche beaucoup de l'hébéphrénie, mais il y a conservation de l'affectivité, ce qui nous permet d'exclure ce diagnostic. Par contre, cette symptomatologie rappelle tout-à-fait les altérations de caractère qui ont été décrites à la suite de l'encéphalite épidémique.
Voyons plutôt: L'irritabilité souvent accompagnée de coprolalie, est signalée par Hilgermann (Bakteriol. und Kim. Untersuchungen, Ergebnisse bei E. Zentralbl. f. Bakt. Parasitenkr. und Infektionskr., Bd 86, p. 415, 1921). Kirschbaum ("Persönlichkeitsveränderungen nach E" 96. Hauptvers. der Psych, von der Rheinprovinz, Köln, 25 VI. 1921) remarque que ces colères sont souvent accompagnées de moments de dépression, d'envie de suicide, ce qui est aussi le cas chez notre malade. Dans la même séance, Westphal fait des constatations analogues. Mouriquand, Lany et Martine (Séquelles psychiques de l'E. chez l'enfant. Journ. med. de Lyon, p. 742, 1921) rendent attentif à la brusquerie de ces colères, caractère que nous retrouvons aussi chez Blanche. Nous pourrions multiplier è l'infini ces citations, mais ce n'est point nécessaire, car à l'heure qu'il est beaucoup de médecins ont été témoins de ces scènes colériques post-encéphalitiques.
 
L'angoisse a été signalée par Cruchet ("Pronostics et Séquelles de l'E." Bull. Mém. de la soc. méd. des hôpitaux de Paris, T. XXXVII, p. 344, 1921), par Hohmann ("Enc. Its psychotic Manifestations, etc,.Arch. of Neurol. and Ps., T. VI, p. 295, 1921) et par bien d'autres.
 
L'émotivité fut également signalée par Hohmann (op. cit.), Laignel-Lava.stine (op. cit.), Rütimeyer ("Uber Post E. Störungen", Schweiz med. Wochenschrift, p. 7, 1921), etc.
 
L'asthénie a particulièrement frappé Hess ("Folgezustancle der akuten E.", Münch. Med. Wochenschr., T. 68, P. 481, 1921). Elle est mentionée par un grand nombre d'autres médecins.
 
L'affaiblissement de l'intelligence portant surtout sur la mémoire et la capacité d'attention est notée par Pecori (LE. a Roma, Ann. d'ig., T. 31, p. 32-57, 1921), Bianchi, Gino (Ipostumi mentali d'ell' E., Giorn. di clin. med., T. II, p. 401, 1921), Hesnard (Troubles psychiques de l'E., Gazette hebd. de la Soc. méd. de Bordeaux, 1920, p. 1070), Camp ("The Sequelae of E.", Journ. of the Michigan State Med. Soc., T. XX, p. 314, 1921).
 
A propos de chaque symptôme, nous avons cité quelques auteurs. Ces listes pourraient être bien plus longues, car c'est de façon tout-à-fait générale que l'on a trouvé ces séquelles psychiques dans l'encéphalite épidémique. Dans un très grand nombre de cas, on trouve ces 6 symptômes associés.
 
Nous rappelons encore que, parmi les symptômes du mois de février 1920, Blanche a présenté une perte des règles qui s'est prolongée très tardivement. Ce signe n'a rien de pathognomonique pour l'encéphalite épidémique, il pourrait tout aussi bien être une suite de grippe; Notons cependant qu'il a été signalé à plusieurs reprises à la suite de la maladie qui nous occupe ici. De même, chez l'homme, on a remarqué un affaiblissement de la libido (Voir à ce propos: Hess (op. cit.), Massé, , Séquelles motrices et psychiques de l'E., Journ. de Méd. de Bordeaux,. T. 92, p. 513, 1921, et Bianchi, M, Quino, op. cit., etc.).
 
Les considérations précédentes nous semblent justifier le diagnostic d'encéphalite épidémique.
 
Passons maintenant à. l'étude du spasme facial et des autres phénomènes qui l'ont accompagné.
 
Nous diviserons cette discussion en trois problèmes:
A) Quelle a été l'origine des bâillements qui ont précédé le spasme?
B) Quelle a été l'origine du spasme facial, et s'agit-il bien d'un spasme?
C) Quelle est l'origine des accès dyspnéiques qui accompagne le spasme facial?
 
A) On se souvient qu'entre février 1920 et mai 1921, Banche n'a présenté aucun phénomène anormal, si ce n'est: 1) de l'insomnie persistante, 2) de l'aménorrhée, 3) de l'irritabilité pathologique. Puis, brusquement, sans cause apparente, au début de mai s'est installé un besoin impérieux de bâiller. Blanche y était obligée jusqu'à 20 et 30 fois par minute.
 
Ces bâillements étaient-ils d'origine hystérique?
 
Ce phénomène est assez rare dans la symptomatologie hystérique, cependant Gilles de la Tourette, qui nous a laissé une description très minutieuse de l'hystérie, décrit quelques cas présentant des bâillements (Voir Gilles de la Tourette, Traité sur l'hystérie, T. II, p. 196-201. Gilles de la Tourette, Huet et Guinou, Contribution à l'étude des bâillements hystériques, Nouv. Icon. de la Salpétrière, 1890, p. 70. - Pitres, Leçons sur l'hystérie, T. I, p. 345. - Couserrant, Gazette des Hôpitaux, 1846, p. 375. - Charcot, Leçons du mardi, 1888-1889, p. 1 et suiv. -Féré. Nouv. Icon, de la Salpêtrière, 1888, T. I, p. 163), lesquels se succédaient à quelques secondes d'intervalle, pendant des heures. Charcot (op. cit.) base surtout le diagnostic des bâillements hystériques sur leur rythme et leur cadence. Ce symptôme paraît avoir fait défaut dans le cas de Blanche, mais Gilles de la Tourette distingue deux formes, dont l'une paroxystique où les bâillements surviennent les uns sur les autres. C'est bien ce qu'a ressenti Blanche. "Lorsque la crise va survenir", écrit Gilles de la Tourette, la malade accuse une sensation de boule qui remonte de l'épigastre; elle a des bourdonnements d'oreille, des battements dans les tempes, puis après un temps variable, éclatent les bâillements, sous forme d'accès." (Traité de l'Hys, T. II, p. 199.) Charcot écrivait aussi: "Ce qui est exagéré, c'est l'amplification de l'écartement des mâchoires porté à son maximum au ponit qu'il peut se produire une luxation des mâchoires et des phénomènes inflammatoires du côté des articulations temporo-maxillaires." (Clinique, des maladies du syst. nerveux, publiée par Guinon, T. I, p. 455.) Tous ces caractères précités, Blanche les a présentés. Elle n'a pas eu de luxation, mais il est possible que sa névralgie ait apparu à la suite d'une inflammation de l'articulation maxillaire. La pandiculation, quoique symtôme accessoire, n'a pas fait défaut chez notre malade. Peut-être est-elle en rapport avec le tic respiratoire qui lui a succédé.
 
Malgré la concordance de la description de Gilles de la Tourette avec les symptômes qu'a présentés Blanche, nous hésitons encore à taxer ses crises de bâillements de symptômes hystériques. En effet, si notre malade s'est toujours montrée émotive, et ceci surtout depuis sa maladie, elle n'a cependant pas le fond mental de l'hystérique. Pendant son séjour à l'asile de Clery, elle se montre plutôt timide, mais n'est pas maniérée. Elle ne cherche pas à attirer l'attention sur elle, elle ne se montre pas érotique, elle ne fait pas de cachotteries avec les autres malades, elle ne fait pas de farces aux infirmières, elle n'invente pas de récits, ne présente aucune extravagance, n'a pas de stigmates hystériques, ne se montre ni jalouse, ni farouche. Elle est au contraire simple et franche, mais émotive. Pour toutes ces raisons, nous éprouvons quelque scrupule à mettre purement sur le compte de l'hystérie la genèse de ses bâillements. (On pourrait en outre se demander si le bâillement se rencontre bien dans l'hystérie, et s'il n'est pas plutôt un tic au sens que Meige donne à ce terme. Nous nous proposons d'examiner cette question ailleurs).
 
Ceux-ci seraient-ils une séquelle éloignée de l'encéphalite, un symptôme analogue aux myoclonies? Dans toute la littérature que nous avons parcourue concernant l'encéphalite épidémique, nous n'avons vu citer ce symptôme du bâillement irrésistible et fréquent que dans l'article de Sicard et Paraf: "Fou-rire syncopal et bâillements au cours de l'E." (Bull. et Mém. de la Soc. des hôpitaux de Paris, p. 232, 1921), et dans l'article de Mayer (Physiol. und Pathol. über das Gähnen, Zeitschr. f. Biologie, T. 73, U. F. 55, p. 101), qui en rapporte 4 cas survenus toujours dans des encéphalites atypiques et frustes.
 
La physiologie du bâillement, qui est relativement peu étudiée ne nous renseigne guère davantage sur l'étiologie des bâillements de Blanche. Les travaux à ce sujet sont peu nombreux. Nous ne connaissons guère que ceux de Féré "Note sur le bâillement", Soc. de biologie, Séance du 1 VII 1905, et "Epilepsie et épileptiques", Alcan 1890, p. 68 et 69), puis le travail de Landauer ("Das Sich-selbststrecken", Zeitschr. f. d. ges. N. und P., T. 58), et enfin les travaux tout récents de Hauptmann "Wie, wann und wozu gahnen wir?" Südwestdeutsche Neurol. und Irrenärzteversammlung VI, 1920) et surtout de Lewy ("Uber das Gähnen, Zeitschr für die Ges. Neurol. u. Psych., T. 71, p. 161).
 
De tous ces auteurs, il résulte que les causes prédisposantes au bâillement sont:
 
I Causes organiques.
1. Certains états physiologiques.
a) Fatigue corporelle.
b) Etat hypnagogique du réveil
c) Etat de faim.
d) Immobilité prolongée.
2. Certains états pathologiques.
A) Lésions organiques du systèrne nerveux central:
a) Apoplexie.
b) Epilepsie.
c) Encéphalite.
d) Lésions du cervelet.(?)
B) Maladies organiques en général:
a) Anémie.
b) Cachexie.
c) Troubles de la circulation du cerveau
II. Causes psychiques.
1. Causes normales.
a) Sentiment de sommeil et de fatigue.
b) Sentiment d'ennui, d'attente ou de faim.
c) Volonté pure et simple de bâiller.
2. Causes pathologiques.
a) Hystérie.
b) Psychopathie.
c) Suggestion.
d) Imitation.
 
Pour Landaner, Hauptmann et Lewy, le rôle biologique du bâillement est de donner un coup de fouet à toute la musculature de la respiration. Le réflexe est probablement déclanché par un besoin d'oxygène dans les poumons. On le voit, cette physio-pathologie ne nous permet guère de trouver une étiologie précise aux crises de bâillements de Blanche. A vrai dire cette étiologie reste quelque peu obscure, et nous sommes réduits à de pures suppositions. On peut se demander si la longue insomnie de Blanche n'en est pas la cause essentielle. Cependant, le fait curieux est que, malgré la persistance de l'insomnie, les bâillements ont cessé. La courte durée de ce symptôme parlerait évidemment en faveur d'un accident hystérique, à moins que la névralgie faciale qui s'est installée au moment de la cessation de ce symptôme, soit suffisante pour expliquer sa disparition.
 
On le voit, malgré l'analyse détaillée de la symptomatologie de notre malade, il n'est guère possible de conclure de façon définitive. Trois Possibilités demeurent: il s'agit soit d'un accident psychopathique, soit d'un accident post-encéphalitique, soit d'une réaction physiologique à une insomnie trop prlongée.
 
B) Quelle est l'origine du spasme facial? S'agit-il seulement d'un tic comme on les rencontre souvent à la suite des encéphalites épidémiques? Ceux-ci ont eu effet été mentionnés par Cruchet (Pronostic et Séquelles de I'E., op. cit.), Laignel- Lavastine (op. cit.), Paterson and Spence (The after effects of E. in children), etc.
 
Comme l'a remarqué Babinski à la séance de la Société de Neurologie du 5 mai 1921, les tics débutent généralement au facial supérieur, pour se généraliser ensuite à toute la face. Chez Blanche, au contraire, c'est le facial inférieur qui est atteint. Est-ce une raison pour écarter l'hypothèse d'un trouble post-encéphalitique? Non pas: à cette même séance, Babinski présente un cas où seul le facial inférieur est atteint, et Massary remarque qu'il en a également rencontré un cas.
 
A en juger par la littérature, les mouvements involontaires dans la région buccale ne sont pas une si grande rareté. Ils ont été rapportés entre autres par Mlle Lévy et le Prof. Pierre Marie (Voir "Deux nouveaux cas de mouvements involontaires post-encéphalitiques à localisation exclusivement linguo-facio-masticatrice." Bull, et Mém. de la Soc. des Hop. de Paris, 30 avril 1920, p. 646, p. 661), par Médea. ("Sur quelques formes atypiques de l'E.", Atti della Soc. Lombarda di Sc. med. e biol., 26 mars 1920), par Roger, Aymes et Dumas ("Trismus persistant et hémiatrophie linguale au cours d'une E.", Marseille méd., p. 138-153), par Zagari de Modène (E. grippale Reforma med., 1920, p. 293) qui cite un cas assez analogue au nôtre, mais accompagné de troubles anesthésiques, par Renault ("Mouvements cloniques rythmés de l'hémi-face droite persistant dans le sommeil chez un enfant de 71/2 ans", Encéphale 1921 p. 51), Wexberg ("Uber Kau- und Schluckstörungen bei E.", Zeitschr. f. die Ges. Neurol. Psych., T. 71, p. 210-233, 1921), Fremel ("Zur Frage des subkortikalen Kau- und Schluckzentrums", Monatsschr. f. Ohrenheilkunde und Laryngorhynol., T. LV, p. ¤81, 1921), Adler ("Zuckungen im linksseitigen Mund winkel nach E.", Vers. Dtech. Arzte, Prag, Sitzung 10 mars 1922), etc.
 
Les accidents spasmodiques de cette région peuvent se classer soit parmi, les tics soit parmi les spasmes (ces deux termes sont compris ici dans le sens que leur ont donné Meige et Feindel dans leur livre sur "Les tics et leur traitement", Paris, Masson 1902). Dans le cas d" Blanche, avons-nous vraiment à faire à un accident postencépbaiitique? Si l'on entend par là qu'il s'agit d'une lésion de l'encéphale ou du mésncéphale, alors nous pouvons dire que non, car son spasme, comme nous le verrons tout-à-l'heure, rentre dans les spasmes névralgiques. Mais ce que peut dire, c'est que l'encéphalite favorise la névralgie. C'est du moins ce que nous apprend Economo ("Considérations sur 1'E. et ses différentes formesé, Arch. Suisse de Neurol. et d.c Psych., T. VI, p. 276, 1920).
 
Cette névralgie est-elle uniquement sous la dépendance de l'E.? Probablement pas. Nous pensons qu'il faut encore incriminer deux autres facteurs, à savoir l'aménorrhée et la fatigue musculaire. C'est un fait bien connu que la perte des règles provoque souvent par auto-intoxication des douleurs névralgiques. La ménopause aussi entraîne souvent après elle des troubles de ce genre, et l'on s'étonne vraiment que les auteurs modernes aient si peu utilisé l'opothérapie pour combattre ces maux. Les auteurs anciens avaient attaché plus d'importance aux corrélations de la névralgie faciale et de l'aménorrhée. Voici par exemple les constatations de Valleix ("Traité des névralgies", Paris, Baillière, 1841, p. 139-140). Il constate que dans 7 cas sur 10, la névralgie a été précédée de troubles menstruels. Dans le remarquable livre de Cruchet ("Traité des torticolis spasmodiques", Paris, Masson 1907 plus de 350 cas sont relatés, mais les indications concernant l'aménorrhée sont si rares qu'il est impossible de se baser sur eux pour élever une statistique. Quoi qu'il en soit, les auteurs modernes continuent à citer des cas où les névralgies ont suivi la perte des règles. Oppenheim (Lehrbuch der Nervenkrankh., T. J) cite la puberté, la ménopause, la grossesse et la lactation comme des facteurs favorisant la névra1gie. Wertheim Salomonson, dans son article "Neuralgie und Myalgie" (Handbuch von Lewandowsky, T. II) lait les mêmes constatations. Fernand Lévy, dans sa belle thèse sur les névralgies faciales (Paris, Librairie médicale, Rousset, 1906) confirme l'opinion de Valleix. Il cite (observ. No. 26) un cas intéressant de névralgie prémenstruelle, où la douleur disparaît avec l'apparition des règles. Il cite encore (p. 169) le cas d'une jeune fille souffrant de migraines, chez laquelle la névralgie disparut, dès que les règles s'établirent avec une périodicité régulière. L'ouvrage de Cruchet rapporte 46 cas de femmes. Dans 29 cas il n'est fait aucune allusion aux règles, dans 6 cas on a noté qu'elles n'avaient rien d'anormal, et dans 12 cas on signale que la perte des règles a précédé le spasme ou le tic.
 
Tout ceci nous justifie de considérer cette étiologie comme probable dans le cas de Blanche. Mais chez elle, la localisation de cette névralgie semble encore avoir été déterminée. par le fait du grand travail qu'ont accompli les muscles faciaux durant les 15 jours où elle n'a cessé de bâiller.
 
La névralgie établie, considérons maintenant si le spasme qui lui est associé et qui l'a suivi de très près, a bien les caractères du spasme névralgique. Pour cela il nous faut jeter un coup d'oeil sur l'évolution de ce symptôme chez Blanche.
La contraction tonico-clcnique et douloureuse a duré environ deux mois. Presque continue au début, elle s'est substituée à une douleur par accès, accompagnée de spasmes. Ces douleurs étaient provoquées par des émotions, des chocs, des bruits. Plus tard encore l'élément douleur a fait entièrement défaut, et le spasme prit de plus en plus une allure uniquement clonique.
 
Avant d'entrer plus avant dans la discussion du symptôme définissons quelques termes: le spasme, pour Cruchet, est une contraction lente, tonique - contrairement au tic qui est une contraction brusque tonique - Cette définition se base uniquement sur la nature du symptôme. Meige et Feindel, au contraire, fondent leur définition sur des caractères cliniques. Ils réservent le nom de tic à une contraction qui peut être aussi bien tonique que clonique, mais qui a les caractères suivants: "C'est un acte coordonné, ou, comme on dit encore, systématique, c'est-à-dire orienté vers un but défini (op. cit. p. 48). Et, en plus, les contractions se produisent toujours chez des individus émotifs, déséquilibrés, qui font preuve d'un certain infantilisme psychique." Ce sont des caractères cliniques qui différencient, pour Meige, le tic du spasme. Chaque fois que, dans cette discussion, nous emploierons le terme de tic, ce sera en lui donnant le sens de Meige.
Revenons maintenant à notre discussion, et demandons-nous si le spasme de Blanche dépend uniquement de sa douleur névralgique. Dès les premières fois où nous vîmes notre malade, il nous a semblé que cette contraction des commissures labiales, accompagnée d'une contraction du peaucier et parfois même du sterno-cleïdo-mastoïdien, étaient un mouvement de défense contre le bâillement. Lorsqu'on propose cette explication à Blanche, elle convient que les premières fois cela a pu jouer un rôle, mais que maintenant ce n'est plus le besoin de bâiller qui provoque cette contraction. Il y aurait, en supposant que cette étiologie soit exacte, persistance par habitude, et il ne s'agirait plus d'un spasme, mais bien d'un tic au sens de Meige.
 
Cependant la douleur très forte, et l'affirmation catégorique de Blanche qui disait contracter ses muscles sous l'empire de la douleur, sont des faits qui parlent contre cette interprétation exclusive.
 
Meige écrit: «Le diagnostic entre le spasme et le tic devient surtout d'une difficulté extrême lorsque les mouvements convulsifs siègent sur la face. C'est là, de l'aveu du professeur Erb, un des problèmes les plus délicats de la neuropathologie. (op. cit. p. 473). Brissaud disait également: "Je renonce à faire le diagnostic quand l'étiologie est muette." Ces considérations nous ont poussé à faire une étude plus approfondie de ce cas, et nous nous sommes demandé si d'autres signes militaient pour le diagnostic de tic.
 
Le tic semble avoir trois étiologies assez distinctes: 1) le tic hystérique, très rare, de l'aveu même des hommes les plus compétent tels Meige, Feindel et Cruchet. Ce tic est d'origine psychogène, i1 généralement engendré par une idée. Il est comme presque tous les autres symptômes hystériques, l'expression symbolique d'un désir ou d'une idée délirante. (Voir à ce sujet le travail récent et fort intéressant de Ferenczi "Psychanalytische Betrachtungen über den Tic", Intern. Zeitsechr. f. Psa., 1921, p. 33 à 62, et le beau travail de Westermann-Holstign, From the analysis of a patient with cramp of the spinal accessory, Intern. Journ. of Psa., T. III, p. 139). 2) Le tic peut être une habitude prise à la suite d'un mouvement de défense contre une irritation. C'est l'étiologie que nous avons discutée tout-à-l'heure à propos des mouvements de défense contre le bâillement. 3) Le tic peut survenir par simple irritation chez des individus très suggestibles. Cette troisième étiologie a-t-elle joué un rôle chez Blanche? Nous l'avons interrogée soigneusement, ainsi que son entourage. Personne ne se souvenait avoir vu quelqu'un atteint d'un spasme semblable. Cependant, le père adoptif de notre malade nous dit qu'il est mort dans le village, il y a quelques années, une aliénée qui souvent poursuivait les enfants. Cette aliénée avait fait un séjour à Cery, et l'on avait marqué dans son observation qu'elle avait "des syncopes avec des serrements de gencives". Cette constatation trop vague ne nous permet pas de voir là une cause étiologique du tic de Blanche.
 
Si nous confrontons maintenant les possibilités du tic et du spasme, nous voyons que la balance penche de ce dernier côté. Cruchet signale bien que la contraction névralgique est clonique et rapide; chez Blanche, elle dure 15 à 20 secondes. Elle semble presqu'être un intermédiaire entre le spasme névralgique et la grimace de la névralgie faciale. Zimmern écrivait ("Sur quelques particularités de la névralgie faciale, et son traitement par l'électricité", Arch. de Neurol., 1903, T. I, p. 239-240): "Dans le type léger de la névralgie faciale, les troubles moteurs n'existent pas, et il ne faudrait pas se laisser induire en erreur et prendre pour un tic (spasme au sens de Meige) la grimace que fait le malade au moment du paroxysme, grimace provoquée uniquement par la douleur." Verger ("Essai de classification de quelques névralgies faciales par les injections de cocaine loco dolenti", Rev. méd. 1904, p. 79) critique fortement cette manière de voir et admet que grimaces et tics sont des mouvements réflexes, et qu'ils présentent une infinité de formes de passage.
 
Chez Blanche, on a l'impression d'un spasme qui serait ralenti parce que la malade cherche à prolonger la contraction qui apaise sa douleur. En tous les cas, le caractère de la douleur qui va jusqu'à lui faire soutenir sa musculature avec la main pour apaiser la contraction, est bien de nature névralgique. Entre les contractions, la musculature ne présente rien d'anormal, pas même à l'examen électrique, ce qui nous fait écarter toute idée de spasme franc.
 
Une question pourtant s'impose. Le spasme douloureux au début, est-il encore un spasme aujourd'hui où il ne s'accompagne plus de douleur?. Nous ne le pensons pas. Il s'agit aujourd'hui d'un tic, au sens de Meige. La malade avait pris l'habitude de relever le coin de sa bouche, et cette habitude persiste. Cela est fréquent. Meige et Feindel nous disent: "l n'est pas douteux que, dans bien des cas, une réaction motrice franchement spasmodique puisse déterminer la forme et la localisation d'un tic" (op. cit. p. 94).
 
Nous avons vu plus haut que Blanche n'avait pas le caractère d'une hystérique, par contre elle répond bien à l'état mental du tiqueur, tel que Meige et Feindel l'ont décrit. Elle est une dégénérée. Sa mère déjà est très nerveuse, son père inconnu était probablement un individu taré.
 
Blanche a des réactions tout-à-fait enfantines. On la déplace de dortoir parce qu'on a besoin d'un lit dans la division d'observation: elle interprète cela comme une punition et pleure toute la journée. Livrée à elle-même, elle s'ennuie. Elle est émotive, elle a peu de volonté et réalise tout à fait cette constatation de Brissaud: "Les tiqueurs dont l'intervention volontaire pourrait empêcher la convulsion, sont par malheur de ceux chez lesquels la volonté est le plus débile, des cérébraux, des faible" (Communication au congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France, Limoges 1901). Elle sait que c'est son tic qui l'empêche de travailler, mais elle ne veut pas se soumettre à une gymnastique régulière parce que cela l'énerve de faire un effort suivi. Elle passe facilement du rire aux pleurs, elle a une irrascibilité prompte et fugace, une attention qu'elle n'arrive pas à concentrer, elle se laisse obséder par l'idée de sa maladie, ou par cette idée que personne ne l'aime.
D'autre part le tic lui-même peut être légèrement modifié par la volonté. Il disparaît complètement pendant le sommeil, et lorsqu'il débute, on peut le faire cesser en commandant énergiquement à Blanche certains mouvements de gymnastique respiratoire. Le fait qu'il est souvent déclanché par une émotion, par le passage du médecin, etc., ne saurait être un élément de diagnostic, car le spasme névralgique, de l'aveu même de Cruchet et d'autres auteurs encore, se déclanche souvent à la suite d'une émotion.
 
"Beaucoup d'affections des plus nettement organiques peuvent être exagérées sous l'influence des émotions morales, sans que l'état mental soit lui-même intéressé en rien." Cruchet, «Traité des torticolis spasmodiques», op. cit. p. 301).
Mais il est certain que, en dérivant l'attention de Blanche sur un sujet qui l'intéresse, on diminue ses mouvements involontaires.
 
D'autre part, la forme même de la contraction musculaire a varié. Pendant les premiers temps où notre malade a séjourné à Cery, son tic comprenait une série de mouvements, à savoir la contraction d'une ou des deux commissures des lèvres, la contraction des masséters, du peaucier du coup et parfois du sternocleïdomastoïdien, le tout accompagné de dyspnée. Aujourd'hui, il y a dissociation de ces mouvements. Il m'est arrivé fréquemment de voir Blanche tirer en haut le coin gauche de la bouche, sans qu'il y ait d'autres contractions synchrones ou déclanchées par ce premier tic. Maintenant ce n'est qu'à l'occasion de vives émotions, ou de moments de désespoir, ou de colère, qu'elle déclanche l'ensemble des mouvements involontaires.
 
Avant de passer au point suivant, disons encore quelques mots de nos tentatives de thérapeutique. Un traitement à la scopolamine accompagnée de luminal est resté presque sans effet. La malade s'énervait de la diplopie causée par la hyoscine. Le traitement électrique l'a améliorée temporairement. L'hypnose a aussi été pratiquée sans succès par le Dr. Bonjour, mais ceci n'a rien d'étonnant. Meige et Feindel écrivent: "Les tentatives hypnotiques échouent généralement. Elles ne peuvent en effet réussir que si le tiqueur est un hystérique avéré, et c'est l'extrême rareté."
 
Le traitement par la gymnastique l'énervait également et, en somme, c'est du traitement opothérapique (2 fois XV gouttes de Fluidovarine) que nous avons été le plus satisfait (Il est intéressant de rapprocher cette constatation de l'observation de Cotton: "A case of spasmodic torticolis treated with thyroid extract", British Med. Journal, 24 VII, 1897, p. 1216). Il s'agit d'un homme de 37 ans qui, après quatre attaques d'influenza, a été atteint d'un tic névralgique guéri par l'extrait de thyroïde.
Elle prend ce remède depuis quinze jours. Son tic diminue, mais n'a pas cessé. Il est juste de dire que Blanche s'énerve beaucoup à l'idée qu'elle va bientôt devoir quitter notre asile.
 
C) Le troisième symptôme à examiner est le spasme respiratoire, contraction tonico-clonique de la musculature intercostale. S'agit-il d'une séquelle d'encéphalite léthargique? Une séquelle semblable est en effet assez fréquente et souvent tardive. Nous avons soigné à l'asile de Cery un garçon âgé dé 9 ans, qui a fait une encéphalite atypique en 1920. Ii présente depuis lors une altération du caractère et garde divers tics, entr 'autres celui de souffler fortement tour à tour par la narine gauche, puis par la narine droite. En mai 1921, il devient grossier et commence une polypnée avec forte expectoration.
La polypnée, comme suite d'encéphalite, a également été signalée par Baumel (Un cas d'E., Soc. des Sc. méd. de Montpellier et du Languedoc, 12 III 1920), Economo (Uber E., Wien Med. Woch., T. LXXI, P. 1231_1328, 1921), Laignel- Lavastime (Forme neuro-végétative de l'E., Bull, et Mém. de la Soc. méd. des Hôp. de Paris, T. XXXVII, p. 1192, 1921), Krankbach (Monatssch.r. f. Ps. und Neurol., p. 189-201, 1921) et Fremel (op. cit.).
 
Dans le cas de Blanche s'agit-il bien d'une polypnée post-encéphalitique? Peut-être. Nombreux sont les cas décrits où l'encéphalite épidémique évolue en présentant de temps à autre, à plusieurs mois d'intervalle, des recrudescences. Il n'est pas impossible que chez notre. malade, les bâillements, la névralgie, la polypnée, soient une série d'accidents post-encéphalitiques survenus à l'occasion d'une de ces recrudescences. Quoique la malade ne se soit pas alitée à ce moment, il est possible qu'elle ait fait une petite poussée fébrile qui aura passé inaperçue, et nous ne croyons pas qu'il faille écarter tout-à-fait cette hypothèse.. d'autant plus que ces recrudescences paraissent survenir surtout dans des cas d'encéphalite dont le début a été insidieux.
 
Cependant une seconde explication de cette polypnée nous parait tout aussi plausible. En examinant de près le spasme de Blanche, on voit que notre malade retient sa respiration pendant les quelques secondes (15 à 20) où elle contracte sa musculature faciale. Il en résulte que, par compensation, elle présente une certaine polypnée durant laquelle il lui arrive souvent de contracter les sternocleïdo-mastoïdiens, ce qui probablement rétrécit la trachée, ralentit et amplifie le rythme respiratoire. Ce qui parlerait en faveur de cette hypothèse, c'est que la polypnée suit toujours le spasme facial. Mais maintenant que le spasme s'est transformé en tic, la contraction est probablement moins intense qu'au debut et, par suite, le tic facial se produit souvent sans être suivi de polypnée.
 
Avant de terminer, notons encore qu'avec le spasme et le tic, s'est accentuée l'altération du caractère qui avait débuté en février 1920. Rien d'étonnant à cela. Plusieurs causes ont pu y contribuer: 1. Les conséquences de l'encéphalite. 2. L'énervement que produit le tic. On sait que l'apparition d'un tic s'accompagne souvent d'un changement du caractère. Ces changements ont surtout été étudiés dans l'importante thèse de Maurice Musselli (Troubles mentaux en rapport avec les migraines faciales et céphalées.) Bordeaux 1914. Cet auteur a bien montré leur analogie avec les troubles que l'on observe dans l'épilepsie. Chez Blanche aussi, nous avons été frappés par les symptôme suivants: colères brusques, généralement suivies d'amnésies, attention très diminuée mémoire défectueuse. Je rappelle que Féré avait noté la fréquence de bâillements chez les épileptiques. Peut-être même que les vertiges que nous avons observés ces derniers temps chez Blanche sont à rapprocher d'une affection épileptique, mais en tous cas elle n'a présenté ni crises typiques ni ralentissement de la parole. Elle n'a pas non plus le langage embrouillé et entortillé de la démence épileptique. En sorte que je n'ai rappelé ces analogies de symptômes que pour leur intérêt, et non pour poser un diagnostic. 3. L'asthénie croissante, produite par l'insomnie.
 
Résumons ce cas embrouillé:
 
En Février 1921, une encéphalite suite de grippe qui laisse après elle comme séquelles: 1. de l'insomnie, 2. une altération du caractère, 3. de l'aménorrhée. En mai 1921 apparaissent des bâillements dont la nature n'a pas pu être fixée de façon définitive. Puis survient une névralgie vraisemblablement provoquée par l'aménorrhée. La névralgie à son tour provoque un spasme qui bientôt se transforme en un simple tic. Cet ensemble d'accidents nerveux ne fait qu'accroître l'altération du caractère.
 
Il nous a semblé qu'un cas aussi complexe et aussi riche méritait d'être exposé et discuté.

extrait de A Cursing Brain, the histories of Tourette Syndrome
Howard I. Kushner
Harvard University Press 1999
 
page 69-71
 
Yet, in 1923, when faced with explaining and treating convulsive tics, Saussure rejected Ferenczi's analysis in favor of an eclectic approach that combined organic (infectious) factors with the role of inherited infantile constitutions. Saussure was particularly influenced by the accumulated evidence that tics were one of the common sequels to infectious encephalitis. At the midpoint of the encephalitis pandemic, 1923, one person out of every 1,000 in Europe and North America was infected and more than 20 million had died. Often those who survived reported strange uncontrolled movements including tics.
 
Saussure's conclusions were formed by his treatment of a twentyone-year-old ticcing patient named Blanche. Born in July 1899 to an "extremely neurotic" mother and "an unknown father," Blanche, at eighteen months, was adopted by a farm family. The adoptive family included a grandmother, mother, father, and three girls who were all younger than Blanche. Although the grandmother was often overbearing, Blanche's adoptive parents were very affectionate and her stepsisters accepted Blanche as if she were a natural member of the family. Blanche was an academically good and well-behaved student; at home she was affectionate and industrious. When Blanche was twenty, she was hired as a servant in the home of Madame M. in a nearby town.
 
In February 1920 Blanche suffered from mild flu, which left her extremely fatigued. She began to have nightmares in which she saw an old dead woman wearing a nightcap, who, despite the fact that her eyes were closed, stared at Blanche through the window. After these nightmares Blanche became extremely frightened and began to display "psychomotor agitations," consisting of convulsion of her limbs and trunk. She hallucinated that she was surrounded by men's heads, which were detached from their bodies. Blanche reported that people were following her, and she also babbled throughout the night. Madame M. called a doctor who sent Blanche home to her adoptive parents.
 
Once home, Blanche's hallucinations disappeared, but her motor movements persisted. She was generally agitated and could not sleep at night. During the day, however, Blanche could not stay awake and would fall into "a leaden sleep." After three weeks, she seemed to improve and, although her insomnia persisted, Blanche returned to Madame M.'s, where she worked without interuption until May 1921. "The insomnia led to an alteration in her personality which manifested itself above all by irritability and by a diminution of her memory." During this entire time she also experienced menstrual cessation (amenorrhea). In early May, upon learning that Madame M.'s son had injured his leg in a motorcycle accident, Blanche began "to tremble like a leaf" and continued to do so for an entire day. Several days later she began to yawn about every three minutes, sometimes even more frequently. This new symptom was accompanied by an intense desire to sleep, especially during the day. The yawns were preceded by a feeling of constriction of her throat and chest, which produced a very strong pain in the joints of her jaw. Blanche soon developed other tics including increasingly frequent facial, neck, head, and mouth spasms. During some of her spasms, Blanche would cease breathing for a few seconds and then would breathe rapidly, as if in an attempt to counteract her involuntary yawning. Atrocious pain accompanied these spasms. The pain seemed to diminish by August, but she developed coprolalia and other involuntary vocalizations. Hypnotism was attempted, but it had no effect on Blanche's coprolalia or motor tics. On December 17, 1920, Blanche's parents sent her to the asylum at Cery-Lausanne where she was placed under Saussure's care.
 
Saussure first turned to psychoanalysis, but quickly ruled out hysteria. In fact, beyond her tics, Saussure was most struck by Blanche's difficulties with memory, especially because prior to her illness, Blanche had been reported to have demonstrated exceptional memory skills. Additionally, Saussure found that Blanche's symptoms seemed exacerbated by stress. For instance, when she was allowed a brief leave from the asylum to visit her adoptive family, Blanche became extremely agitated, especially after she learned that her savings had been used to pay for her stay in the asylum. After Blanche returned to the asylum, her tics had diminished, but her personality seemed permanently altered. She frequently got into arguments with other patients, became more anxious, believed she had been abandoned by everyone, and cried at the slightest provocation. Any stress increased her involuntary movements. Finally, Blanche's menstrual periods remained irregular and she reported gastric pains after eating. Blanche was released from the asylum in July 1922 and never was heard from again. If Saussure subsequently examined Blanche, he failed to report the results.
 
Saussure was convinced that Blanche's behaviors "did not constitute the symptomatology of a known psychosis,' but "to the contrary, this symptomatology recalled all at once the alterations of character which had been described following epidemic encephalitjs."ll Saussure was reluctant to attach all of Blanche's symptoms to encephalitis. Rather, he believed that Blanche's illness should be viewed in the context of cofactors set in motion by the encephalitis. He concluded that the encephalitis had provided the soil for Blanche's congenitally weak will, giving rise to her ticcing symptoms. The encephalitis accounted for fatigue and pain. Blanche's initial yawning was a reaction to both of these, especially the lower jaw pain to which yawning was a direct reaction. But after the pain abated, Blanche's yawning continued, now as a habit, as "a tic in the sense of Meige." Other tics followed because Blanche was, in Saussure's words, a "dégénérée as described by Meige and Feindel... Her mother was extremely nervous, her unknown father was probably defective." Saussure was convinced that Blanche's reactions were infantile. For instance, she cried for an entire day when her bed was moved from the observation area to a different part of the hospital. Blanche found reading boring. "She is emotive," reported Saussure, and "has little will power."
 
Neither Saussure's loyalty to psychoanalysis nor his familiarity with both Freud's and Ferenczi's views persuaded him that a psychoanalytic explanation of Blanche's behaviors was appropriate. Perhaps this explains why in his introduction to Saussure's La Méthode Psychanalytique, Freud distanced himself from Saussure's interpretations: "Since Dr. de Saussure has said in his preface that I have corrected his work, I must add a qualification; my influence has only made itself felt in a few corrections and comments and I have in no way sought to encroach upon the author's independence. In the first, the theoretical part of the work, I should have expounded a number of things differently from him ... Above all, I should have treated the Oedipus complex far more exhaustively. "