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Biographies de neurologues
 
Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière
 
 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
 
 

mise à jour du
30 juillet 2006 
p 19- 31
Le bâillement
La contagion mentale
Vigouroux A, Juquelier P
1905

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 juquelier
 
 
Mécanisme général du développement de l'imitation involontaire ou contagion mentale
 
La contagion mentale, imitation involontaire, exclut toute idée de délibération de la part du sujet qui la subit: elle se produit toujours sans intervention du « Je veux», de l'idée du moi comme cause de l'acte qui s'exécute. Comment expliquer cette communication inconsciente, soudaine et irrésistible entre deux intelligences?
 
« Chez les animaux, dit M. Tarde, c'est d'abord le muscle qui imite le muscle: chez nous c'est d'abord et surtout le nerf qui imite le nerf, le cerveau, le cerveau. » Il existe chez nous, ajoute-t-il, une action intercérébrale à distance « une sorte d'électrisation psychologique par influence qui permettait aux hommes de communiquer entre eux à l'aube de la préhistoire, alors que l'art de la parole était encore inconnu », et ne pouvant expliquer cette influence mystérieuse. L'auteur la compare à la suggestion hypnotique « dont les miracles ont été si vulgarisés de nos jours».
 
Les phénomènes de la suggestion ont perdu aujourd'hui, grâce aux travaux de Charcot, Pierre Janet, Richer, Myers, Grasset et de bien d'autres, le caractère mystérieux que leur attribue M. Tarde.
 
En réalité, chez nous comme chez l'animal, c'est d'abord le muscle qui imite le muscle. Comme le dit M. Féré, toute représentation mentale, toute opération psychique a un équivalent moteur et se traduit à l'extérieur par des mouvements musculaires, des modifications de la circulation, et par conséquent de la température, des sécrétions, du teint, etc. II s'ensuit que la lecture de la pensée se réduit toujours à la constatation et à l'interprétation de modifications organiques qui souvent se produisent à l'insu du sujet. M. Stricker (cité par M. Féré) a insisté sur ce fait, facile à vérifier, qu'il est impossible à certains sujets d'avoir la représentation mentale d'un mot sans qu'il se fasse dans les muscles, qui servent à l'expression de ce mot, un mouvement correspondant. Or, la perception de ce mouvement tendra à provoquer, un mouvement semblable chez le sujet qui le perçoit, c'est le phénomène que M. Féré appelle l'induction psycho-motrice : cette reproduction automatique a lieu à l'état normal, mais surtout dans certains états extra- physiologiques ou pathologiques, et d'une manière particulièrement frappante dans la catalepsie. En outre, tout mouvement, toute attitude, suggère une émotion ou une idée correlative. C'est ainsi que s'explique le phénomène de la transmission, nous dirons de la contagion des idées, des émotions: «Je ne suis pas sûr que le somnambule ne puisse arriver à lire inconsciemment dans l'esprit par une imitation inconsciente de l'attitude et de l'expression de la personne dont il copie instinctivement et avec exactitude les contractions musculaires ».
 
Cette corrélation entre les états moteurs de la physionomie, de l'attitude, d'une part et des états émotionnels et les états intellectuels d'autre part, a été ainsi exprimée par Egdard Poe : «Quand je veux savoir jusqu'à quel point quelqu'un est circonspect ou stupide, jusqu'à quel point, il est bon ou méchant, ou quelles sont actuellement ses pensées, je compose mon visage d'après le sien, et j'attends alors pour savoir quels pensers ou quels sentiments naîtront dans mon esprit ou dans mon coeur, comme pour s'appareiller et correspondre avec ma physionomie. »
 
«La particulière action musculaire, dit encore Maudsley, n'est pas seulement l'exposant de la passion, mais bien aussi une partie essentielle d'elle-même. Exprimez par votre physionomie une émotion particulière, celle de la colère, de l'étonnement, de la malignité, et l'émotion ainsi imitée ne manquera pas de s'éveiller en vous; et pendant que les traits du visage expriment une passion déterminée, il est inutile et vain de tâcher d'en éprouver une autre. »
 
Ainsi, la réaction motrice, représentative en quelque sorte de la sensation, de la perception, de l'émotion, du sentiment, de l'idée sera le primum moyens de la reproduction.
 
La contagion se produit donc du dehors au dedans.
 
Par conséquent, nous devons étudier d'abord la contagion des mouvements, afin de pouvoir expliquer celle des états effectifs et des idées.
 
De la contagion des mouvements et des actes
 
Une contraction musculaire succédant immédiatement à une excitation périphérique, tel est le type le plus simple du mouvement réflexe complet. On le réalise expérimentalement sur la grenouille privée de son encéphale, qui réagit aux plus légères excitations. Théoriquement, le réflexe idéal est celui dans l'exécution duquel intervient un seul élément nerveux.
 
Le prolongement périphérique d'une cellule médullaire étant sollicité par une excitation cutanée minime, cette excitation se transmet au centre cellulaire puis revient à la périphérie sous forme d'une contraction localisée dans la fibre musculaire à laquelle aboutit le prolongement centrifuge, cylindraxile de la cellule.
 
Il est impossible de réaliser expérimentalement ce «réflexe élémentaire» car les cellules nerveuses ont entre elles des connexions multiples, indiscutables, bien que mal déterminées, quant à leur nature; aussi même s'il était possible (ce qui n'est pas) de n'exciter qu'une seule cellule par ses prolongements cellulipètes de la périphérie, cette excitation, parvenue à la cellule serait transise, grâce aux anastomoses, aux éléments voisins.
 
Toutefois le nombre des éléments mis en jeu est d'autant plus restreint que l'excitation est plus faible et la réaction d'autant moindre par conséquent. Celle-ci devient au contraire plus importante au fur et à mesure que l'excitation augmente d'intensité. Les expériences de Pfüger sur des grenouilles ont déterminé les lois d'après lesquelles se manifeste la réaction motrice, suivant la dose de l'excitation (loi de l'unilatéralité, loi de la symétrie, loi de l'intensité, loi de l'irradiation, loi de la généralisation).
 
Retenons pour l'instant la loi de l'irradiation. Il est inutile de distinguer, pour l'étude qui nous occupe les différents étages de l'axe cérébro-spinal, mais on conçoit qu'un grand nombre de cellules nerveuses diversement placées peuvent être mises en jeu dans l'exécution d'un acte réflexe déterminé. Une sensation quelque peu intense partie de la périphérie se traduit extérieurement par un certain nombre de contractions musculaires réflexes, indiquant que de bas en haut l'excitation s'est transmise à divers étages de la moelle ou de l'encéphale, étages susjacents à celui qui paraissait devoir être uniquement sollicité.
 
Dans le réflexe simple, l'influx nerveux cellulifuge n'a qu'une voie. Mais la combinaison des communications interneurotiques crée la possibilité de plusieurs voies d'échappement, de plusieurs réactions de natures diverses (motrices, sécrétoires, lumineuses et électriques même, chez certains animaux: pyrophore et torpille) et même de la réaction purement psychique. La réaction dans ce cas s'arrête à la perception; et l'énergie nerveuse enregistrée sous la forme d'images-souvenirs, de représentations mentales, constitue le capital psychique d'un individu. Ce capital est susceptible de se transformer et d'être extériorisé plus tard sous l'influence d'autres excitations.
 
Il en résulte que le domaine des actes réflexes est extrêmement étendu puisqu'il embrasse en définitive tous les événements de la vie psychique.
 
Tel acte tout d'abord volontaire devient rapidement réflexe : l'habitude, la mémoire ne sont autre chose que la faculté d'accomplir de façon réflexe des actes primitivement volontaires. Pour obtenir la réalisation d'un des réflexes complexes, coordonnés à l'exécution desquels concourent un grand nombre de cellules nerveuses, il n'est plus besoin d'une excitation extérieure déterminée: l'ordre peut partir de n'importe quel relai de la série. Que l'une des cellules nerveuses, intercalée dans une voie réflexe, entre en branle la première, et le réflexe s'exécutera comme s'il avait passé par le circuit complet comme si l'excitation d'origine périphérique s'était adressée d'abord à des fibres nerveuses centrifuges: or cette mise en branle d'une des stations intermédiaires peut être obtenue par le souvenir de l'excitation périphérique primitivement nécessaire à l'accomplissement du réflexe. Elle peut être obtenue par conséquent par la perception de ce mouvement réflexe exécuté pa autrui, perception qui rappelle le souvenir de l'excitation. «Nous ne pensons pas seulement avec notre cereau, dit Espinas (des sociétés animales, cité par Sighele) mais avec, tout notre système nerveux, et l'image envahissant d'emblée avec le sens qui perçoit, les organes qui correspondent d'ordinaire à, la perception y provoque inévitablement des mouvements appropriés qu'un contre-ordre énergique peut seul parvenir à suspendre». C'est que, comme nous le disions dans notre deuxième chapitre, beaucoup de nos réactions motrices sont conscientes et provoquées par une sensation, consécutive elle-même à un stimulus externe, sans être à proprement parler volontaires. Lorsque j'éloigne rapidement la main de l'épingle qui la pique, j'ai conscience non seulement de la douleur et du mouvement réactionnel, mais encore du lien qui les unit. Je sais que je retire la main pour éviter la piqûre, et pourtant je n'ai pas délibéré pour éloigner ma main ; l'effort volontaire consisterait au contraire à retenir le mouvement réactionnel et à supporter sans bouger la sensation douloureuse, à donner le contre-ordre, en un mot.
 
Grâce à l'éducation, nous parvenons à donner le contre-ordre dans un grand nombre de cas, mais il nous arrive encore souvent de nous abandonner aux conséquences de la perception visuelle ou auditive d'un mouvement réflexe ou perceptivo-moteur, et de le reproduire inconsciemment, c'est que nous sommes contagionnés. Les enfants tout jeunes sont extrêmement accessibles à la contagion. Les adultes le sont moins, ce qui s'explique par la puissance de l'éducation d'abord, par la maturité de l'âge ensuite, deux conditions qui contribuent à nous rendre maUres dans une certaine mesure de nos réflexes.
 
Prenons des exemples, en allant du simple au complexe, soit d'abord celui du bâillement. Le bâillement, inspiration grande, forte, et longue, suivie d'une expiration prolongée, accompagnée d'une contraction spasmodique de tous les muscles inspirateurs, y compris les muscles abaisseurs de la mâchoire, peut être provoqué par des causes organiques et des causes psychiques. Au point de vue organique, le bâillement répond à un besoin d'oxygène, toutes les causes ralentissant la circulation et l'hématose peuvent le provoquer.
 
Parmi les causes psychiques du bâillement, Ch Richet (Dictionnaire de Physiologie) invoque la monotonie d'un phénomène extérieur et l'ennui qui en résulte puis la contagion enfin, penser au bâillement fait bâiller. La vue d'un individu qui bâille fait bâiller ceux qui sont autour de lui. Autrement dit, l'image mentale du bâillement fera naître sa réalisation organique par suite des liens existant entre les cellules cérébrales où se crée l'image et le bulbe respiratoire qui commande l'acte lui-même».
 
Le bâillement est donc un acte réflexe dont le centre est au niveau du bulbe, dont la cause incitatrice physiologique est l'excitation de ce centre par du sang pauvre en oxygène. Mais cette incitation physiologique n'est pas seule capable de produire le bâillement.
 
Telle personne dont le centre bulbaire est plus facilement excitable se livrera d'elle-même et seule au bâillement dans un air confiné, d'autres personnes moins sensibles et qui seules n'auraient pas bâillé, bâilleront à sa vue; bien plus, faisons abstraction des conditions favorables à la production du bâillement, la contagion se produira encore. Enfin, penser au bâillement fait bâiller; dans le cas où la perception seule d'un bâillement produit chez une autre personne ce même mouvement, nous assistons au phénomène de la contagion motrice le plus simple.
 
La représentation d'un mouvement, dit Ribot, est un mouvement qui commence, un mouvement à l'état naissant. Que cette représentation mentale, soit présente (perception directe) ou qu'elle ne soit qu'une représentation-souvenir, le centre bulbaire est excité et le mouvement se produit.
 
L'exemple du bâillement est un des plus frappants; c'est peut-être le réflexe le plus contagieux, le plus rebelle au contre-ordre de l'éducation. Nous avons tous présent à l'esprit le souvenir de véritables épidémies de bâillements, provoquées dans un omnibus par exemple à la vue d'un premier bâilleur.
 
Sont également contagieux, le rire et les larmes.
 
Ces phénomènes sont contagieux par eux-mêmes, indépendamment des états émotifs qu'ils manifestent, et d'ailleurs ceux-ci ne le sont sans doute que par l'intermédiaire de leurs manifestations. Certains sujets sont pris de fou rire à la vue d'une autre personne riant, et s'abandonnent à ce fou rire, sans connaître la cause provocatrice de l'hilarité du premier rieur. N'est-ce pas là encore de la contagion réflexe au premier chef ?
 
La toux est également contagieuse: «Un tousseur continuel, dit Montaigne, irrite mon poumon et mon gosier. )
 
Sarah Bernhardt jouait un soir à Moscou la Dame aux Camélias, lorsqu'au dernier acte elle se mit à tousser, suivant le rôle, comme une phtisique, parvenue à la dernière période; un grand nombre de personnes dans la salle furent prises d'une toux réflexe absolument caractéristique. Dans ces cas, la contagion du mouvement réflexe au mouvement réflexe identique est simple.
 
Sont encore contagieux, les gestes habituels d'un sujet, vulgairement et improprement appelés tics, qu'adopte souvent, aussi, inconsciemment qu'ils sont exécutés, un second sujet qui vit en contact journalier avec le premier.
 
Nous nous occuperons plus loin des tics pathologiques proprement dits. Ils seront signalés avec toute la série des phénomènes morbides dont nous étudierons la contagion.
 
Citons, enfin, la contagion de l'accent d'autant plus rapide et plus profonde que le sujet contagionné est plus jeune. Il y a dans la contagion de l'accent par l'éducation quelque chose d'analogue à ce qu'on observe expérimentalement chez certains oiseaux: Une mésange mise toute jeune avec les fauvettes chante comme les fauvettes (Le Dantec).
 
D'autres phénomènes sont un peu plus complexes: la vue d'une personne qui se gratte, parce qu'elle éprouve la sensation de démangeaison, provoque le même réflexe chez un témoin; mais ce témoin a éprouvé lui-même, avant de se gratter, la sensation prurigineuse; ici, l'arc réflexe est reconstitué dans son entier, avec la sensation provocatrice et le mouvement réflexe proprement dit. Pourtant, l'excitation périphérique a manqué.
 
Dans d'autres cas, la contagion s'exerce d'une facon imparfaite, mais réelle : la vue d'actions coordonnées, rythmiques et devenues réflexes chez ceux qui les exécutent, provoquent chez les spectateurs des réactions motrices, parfaitement inconscientes, mais également rythmiques, qui sont pour ainsi dire une ébauche de la reproduction, des actes perçus. La vue de gens qui dansent, de gens qui marchent au pas, est particulièrement propice à l'établissement de cette contagion imparfaite, contagion. qui se traduit par l'exécution de petits mouvements scandés, limités à un membre, à un segment de membre, à un groupe musculaire.
 
Chacun exécute plus ou moins ces mouvements réflexes limités balancement de tête, petits coups frappés sur la table avec les doigts, petits mouvements rythmés des jambes en présence de danseurs ou de soldats qui défilent, surtout lorsque la cadence est encore accentuée par une musique entraînante, facilitant d'autant mieux la contagion.
 
Cette contagion imparfaite, surtout facile quand l'esprit est occupé ailleurs, est à rapprocher des cas où la vue d'un acte volontaire entraîne, chez un sujet distrait, la répétition réflexe de cet acte (contagion unilatérale).
 
Lorsque je me promène, l'esprit occupé à quelques, réflexions, j'accomplis instinctivement, sans en délibérer avec moi-même, et sans que le souvenir en persiste en moi (à conscience perdue, pour ainsi dire), un certain nombre d'actions appropriées à l'acte de me promener, j'évite les voitures, les passants qui viennent à ma rencontre, les obstacles qui se présentent sous mes pas. De la même façon, si la pluie se met à tomber, j'ouvre mon parapluie avant d'avoir expressément pris la résolution de le faire, parce que j'ai vu plusieurs personnes se mettre ainsi en mesure d'être garanties. Ouvrir son parapluie est, en apparence, un acte volontaire. En fait, dans notre société, c'est la série des mouvements constituant la réaction habituelle à la perception de la pluie qui tombe, et, de même que les mouvements réflexes les plus simples, cet acte coordonné peut être imité involontairement, à la suite de la perception de l'acte identique. L'absence du contre-ordre, même dans des cas aussi complexes, permet à la contagion mentale de se produire.