Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
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mystery of yawning 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mise à jour du
29 avril 2024
 
 
 
Le bâillement en 2024
O. Walusinski
 

Médecine du Sommeil juin 2024 - PDF

Chat-logomini

 
Résumé
Le bâillement est une stéréotypie comportementale observée chez tous les vertébrés, qu'ils vivent dans les airs, sur terre ou sous l'eau, qu'ils soient homéothermes ou poïkilothermes. Cet article propose une mise au point de la physiologie du bâillement et des différentes pathologies qui lui sont associées. L'évolution du bâillement au cours de la vie fœtale, la place qu'il occupe dans la physiologie de l'intéroception complète cette revue. Enfin, une théorie de sa finalité physiologique est proposée abordant les échelons comportementaux et cliniques, l'échelon des réseaux neuronaux et l'échelon moléculaire qui le sous-tendent.
 
Abstract
Yawning is a behavioral stereotypy observed in all vertebrates, whether they live in the air, on land or underwater, and whether they are homeotherms or poikilotherms. This article reviews the physiology of yawning and the various pathologies associated with it. The evolution of yawning during fetal life and its place in the physiology of interoception complete this review. Finally, a theory of its physiological purpose is proposed, addressing the behavioral and clinical, neural network and molecular levels that underlie it.

Le bâillement est une stéréotypie comportementale observée chez tous les vertébrés, qu'ils vivent dans les airs, sur terre ou sous l'eau, qu'ils soient homéothermes ou poïkilothermes. Ces caractéristiques attestent de son ancienneté phylogénétique qui est corrélée à sa précocité ontogénique. Malgré son apparition quotidienne associée aux rythmes veille-sommeil et fin-satiété chez tous les vertébrés, le bâillement demeure un objet de très peu d'études scientifiques, sauf, peut-être parmi nos collègues éthologues [1].
 
Description d'un bâillement
Comportement involontaire, paroxystique et stéréotypé, le bâillement se caractérise par une large ouverture de la bouche accompagnée d'une profonde inspiration, suivie d'une brève acmé en apnée à thorax plein, puis d'une expiration passive. Ce grand mouvement buccal n'est qu'un élément d'un mouvement coordonné complexe associant une flexion suivie d'une extension du cou, simultanée d'une ample dilatation du pharyngo-larynx qui s'abaisse alors à son maximum. La puissante contraction diaphragmatique associée permet l'ample inspiration, celle-ci contribuant à une redistribution du surfactant alvéolaire améliorant la compliance pulmonaire. Les muscles faciaux se contractent. Les mouvements de la tête font partie intégrante du cycle ouverture/fermeture de la bouche nécessaire à la mastication, à la déglutition, à l'élocution, au chant comme au bâillement [2]. D'un point de vue phylogénétique, chez toutes les espèces, ce couplage fonctionnel a une valeur adaptative, sélectionnée, car elle assure une meilleure capacité à saisir des proies mais aussi à se défendre et à combattre. La contraction de l'orbiculaire de l'œil explique l'épiphora temporaire, résultant de la compression du canal lacrymo-nasal. L'ouverture de la trompe d'Eustache contemporaine aboutit à une baisse de l'audition et un sentiment d'isolement du monde environnant [3,4]. Notamment après l'éveil, la puissante contraction de tous les muscles du corps luttant contre la pesanteur enclenche un étirement des quatre membres et une hyperlordose qui, associés au bâillement, se nomme une pandiculation. Ce phénomène est fréquemment observé chez les mammifères carnivores au sortir du sommeil post-prandial.
Un bâillement dure 5 à 10 secondes. Cinq à dix bâillements quotidiens sont une moyenne. Il existe des petits bâilleurs et des grands bâilleurs à l'image des petits et des grands dormeurs [5,6]. Les bâillements surviennent surtout après l'éveil et dans la période précédant le sommeil, lorsque la faim se fait sentir ou en période post-prandiale [7]. Bâiller est le plus souvent associé à une brève sensation de bien-être. Très stéréotypé lors de son déclenchement involontaire, le bâillement, chez l'Homme, peut être volontairement limité dans l'amplitude de son extériorisation mais pas inhibé totalement [8].
 
Différents bâillements
Une des caractéristiques de ce comportement est d'être transitionnel entre deux états [8]. Les organismes vivants, en particulier les vertébrés, exhibent des comportements variés, essentiels à leur survie, caractérisés par leurs récurrences cycliques [9]. Ont cette caractéristique deux comportements fondamentaux de la vie : la vigilance (être apte à survivre face aux prédateurs alors que le sommeil est indispensable à l'homéostasie du cerveau) et l'alimentation (capter de l'énergie). Les bâillements et les pandiculations, en restant morphologiquement identiques, apparaissent associés à tous les états transitionnels des rythmes infradiens et circadiens qui caractérisent ces comportements. Les transitions comportementales des animaux ne résultent pas d'une adaptation passive aux conditions d'environnement mais obéissent à des stimuli internes caractérisant les adaptations homéostasiques générées par l'hypothalamus (noyaux suprachiasmatiques, noyaux paraventriculaires). Les horloges biologiques internes autorisent une adéquation précise entre besoins métaboliques (faim / satiété), les rythmes veille / sommeil (fonction de l'alternance lumière / obscurité) et les conditions d'environnement (avec entre autres, une adaptation musculaire tonique à la pesanteur) [10].
 
La reprise de la capacité motrice des reptiles, poïkilothermes et ectothermes, une fois atteinte la température corporelle adéquate grâce au réchauffement solaire, s'extériorise par un bâillement avant d'entamer leur locomotion [1].
Seulement reconnaissables chez les mammifères et certains oiseaux, des bâillements apparaissent après un épisode de stress, témoignant de l'effet apaisant qu'ils procurent. L'éthologie qualifie de « displacement activity » ce type de comportement [11]. Observés, par exemple, chez les chiens dans une salle d'attente de vétérinaires, chez des chimpanzés trop nombreux dans un enclos de captivité, ces bâillements, contrebalançant le stress, sont aussi exprimés par des sportifs avant une compétition ou les gens du spectacle avant d'entrer en scène [12]. Générés par l'hypothalamus et régulés par le système limbique [13], ces types de bâillements peuvent être rapprochés de ceux associés à la sexualité dans certaines espèces telles certains rats ou des macaques. Le mâle dominant bâille avant le bref accouplement comme pour afficher son statut au sein d'un groupe hiérarchisé. Le caractère testostérone dépendant de ce type de bâillements a pu être démontré [14].
 
Enfin, certaines rares espèces sont capables d'une réplication comportementale ou échokinésie du bâillement, alias contagion (terme inadéquat puisqu'il n'y a pas de transmission de pathogènes) [15,16].
Les grands singes dont l'Homme, les éléphants, peut-être certaines espèces de rats, sont doués de cette capacité. Dans certaines conditions de dressage et de vie commune prolongée, certains chiens et certains perroquets semblent sensibles aux bâillements de leur maître mais pas à ceux de leurs congénères. Notons, néanmoins, que certains rares auteurs contestent le rôle de l'empathie comme mécanisme neuropsychologique nécessaire à la réplication du bâillement. [17]. Ils proposent de ne voir dans ce phénomène qu'un mécanisme de mimétisme moteur automatique de bas niveau, sans lien avec la théorie de l'esprit, c'est-à-dire la capacité cognitive d'inférer l'état mental de l'autre. Mais, dans ce cas, comment comprendre l'absence de généralisation de ce phénomène à de nombreuses espèces ? En effet, seules les espèces en capacité de se reconnaître dans un miroir, c'est à dire d'avoir une certaine capacité de raisonner sur elles-mêmes, sont aussi sensibles à la réplication du bâillement de l'autre, phénomène apparaissant au sein d'une vie d'interactions sociales élaborées et hiérarchisées (et lire ci-après) [18].
 
Les modalités de cette réplication sont visuelles, auditives ou olfactives [19]. Les animaux vivant en groupe sociaux ont des rythmes d'activité plus ou moins synchrone. Leurs éveils simultanés, accompagnés de bâillements, peuvent être interprétés à tort comme des réplications alors qu'il ne s'agit que de synchronies d'états physiques.
 
Chez l'Homme seulement 70% de la population est sensible au bâillement d'autrui. Les traits de personnalité empathique versus personnalité alexithymique expliqueraient cette proportion [20,21]. Il n'existe pas de différence en fonction du sexe biologique chez l'Homme alors qu'une telle différence existe chez les chimpanzés et les bonobos. Le dominant déclenche plus de bâillements chez ses congénères de sa troupe que les autres membres [22].
 
Cette capacité mimétique n'apparaît chez l'enfant qu'après l'âge de trois ans. Cette maturation neuropsychologique nécessaire témoigne de l'acquisition de la capacité d'inférer l'état mental d'autrui, de façon automatique et involontaire, c'est-à-dire d'activer les circuits corticaux et sous corticaux sous-tendant la théorie de l'esprit [23,24].
 
Ces bâillements répliqués sont un mode de communication non verbal adapté à une vie sociale en groupe des grands singes et des éléphants. Dans ces deux cas, le bâillement d'un gardien ou d'un cornac peut enclencher le bâillement d'un chimpanzé captif ou de l'éléphant cornaqué [25]. Le bâillement illustre ainsi comment l'Évolution a pu recycler un comportement, conservé morphologiquement à l'identique, dans des fonctions différentes.
 
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