- Charles Bouchard (1837-1915) succède
à Cornil et sera interne pendant deux
années, séparées par
l'année d'internat de Jules Cotard
(1864 et 1866). En mars 1866, Bouchard lit
à la Société de Biologie
« une note sur une altération des
petites artères de l'encéphale qui
peut être considérée comme
la cause la plus fréquente de
l'hémorragie cérébrale
». Ce travail réalisé avec
Charcot décrit les anévrysmes,
baptisés depuis lors, anévrysmes
de Charcot-Bouchard. A côté des
études sur la sclérose
combinée des cordons postérieurs
de la moelle, c'est l'époque au cours de
laquelle Charcot est plongé dans
l'étude « de l'apoplexie et du
ramollissement cérébral ». Il
préside, en 1866, la thèse de Ivan
Poumeau « du rôle de l'inflammation
dans le ramollissement cérébral
».
-
- Jules Cotard en 1879
- © Extrait
de l'Album de l'internat de La
Salpêtrière conservé
à la Bibliothèque Charcot à
l'hôpital de la
Salpêtrière
- (Université
Pierre et Marie Curie, Paris)
-
- Jules Cotard (1840-1889) va continuer ces
recherches. Cotard est célèbre
pour le syndrome éponyme. Reçu
à l'internat de 1863, comme Valentin
Magnan (1835-1916), il s'oriente pendant la
première année vers la chirurgie.
Très imprégné des
idées de la philosophie positiviste
d'Auguste Comte, la méthode
anatomo-clinique élaborée par
Charcot et Vulpian comble son esprit
cartésien . Dans son éloge, en
1894, Antoine Ritti dira : « Il fut un des
ouvriers de la première heure de cette
Ecole qui, depuis, sous la haute direction et
grâce aux remarquables travaux de son
illustre chef, eut des destinés si
brillantes. Il s'y passionna pour les recherches
sur la pathologie du système nerveux,
qui, déjà, y étaient en
honneur, avec la conviction qu'elles pourraient
donner un jour la solution de ces
problèmes délicats de la nature
humaine que la philosophie cherche en vain
depuis des siècles, en dehors de la
méthode scientifique ».
-
- Sa première publication,
cosignée de Charcot, paraît en 1865
dans Les Mémoires et Comptes-rendus de la
Société de Biologie: « Sur un
cas de zona du cou avec altération des
nerfs du plexus cervical et des ganglions
correspondants des racines spinales
postérieures ». Il y décrit
le calvaire vécu par une femme de 78 ans
atteinte d'un cancer du sein
métastasé aux vertèbres
cervicales, souffrant d'atroces douleurs
névralgiques du plexus brachial et chez
qui apparaît un zona du bras, dix jours
avant son décès. A l'autopsie, la
vertèbre C4 est totalement tassée;
la moelle et les racines sont intactes mais
l'examen macro et microscopique dévoile
à Cotard une forte inflammation des
ganglions spinaux et des troncs nerveux du
plexus. L'origine infectieuse du zona
étant inconnue à l'époque,
il conclut que l'éruption est la
conséquence de cette inflammation, que le
zona est une névrite de cause
mécanique.
-
- autographe de Lucien Cotard, son
fils
-
- C'est à cette époque qu'il
sympathise avec Jean-Louis Prévost
(1838-1927), interne depuis 1864 de Vulpian dont
le service est proche de celui de Charcot.
Genevois ayant étudié à
Zurich, Berlin et Vienne, Prévost
prépare sa thèse dont le
thème lui a été
suggéré par Vulpian : « De la
déviation conjuguée des yeux et de
la rotation de la tête dans certains cas
d'hémiplégie » (1868), signe
clinique négligé
antérieurement. Peu après, il
repartira pour Genève où il
créera un laboratoire de recherche
où travailleront deux
élèves célèbres Paul
Dubois (1848-1918) et Jules
Dejerine (1849-1917). Lorsque celui-ci
décide de parfaire sa formation à
Paris, Prévost recommandera et introduira
Dejerine auprès de Vulpian.
Prévost et Cotard mettent en commun des
observations qu'ils ont recueillies pendant leur
internat « de ramollissements
cérébraux », terme
proposé par Léon Rostan afin de
différencier l'aspect anatomopathologique
du cerveau de l'encéphalite et de
l'apoplexie (hémorragie). Ils lisent leur
travail à la Société de
Biologie, présidée par Charcot, en
décembre 1865 : « Etudes
physiologiques et pathologiques sur le
ramollissement cérébral
».
-
- Si François
Bayle (1662-1709) a donné, le
premier, une description des calcifications et
des plaques au niveau des artères
cérébrales, il a été
également un pionnier dans la conception
de l'apoplexie en son « Tractus de
apoplexia » publié en 1677. Il
fallut cependant attendre 1856 pour que Rudolf
Virchow (1821-1902) propose, en Allemagne, le
concept de thombo-embolisme. A partir
d'observations fournies par Charcot et des
travaux de Cotard et Prévost, Adrien
Proust (1834-1903) développera ces
concepts dans sa thèse
d'agrégation en 1866. Notons que Maxime
Durand-Fardel (1815-1899) les avaient
déjà suggérés
antérieurement.
-
- Prévost et Cotard vont
expérimenter, chez le lapin, l'effet de
la ligature des carotides, de l'injection de
poudres fines (sporules de lycopode) ou plus
volumineuses (graines de tabac). Ils
établissent ainsi que les paralysies
diffèrent suivant l'importance de
l'occlusion et son caractère proximal ou
périphérique. Les graines de tabac
oblitèrent l'artère
cérébrale moyenne et causent un
ramollissement rosé, non
hémorragique, comparable à celui
qu'ils avaient constaté au cours des
autopsies de leurs malades. Ils décrivent
la chronologie évolutive des
lésions, d'abord faites des signes «
anémiques » et plus tard
d'infiltrations hémorragiques. Usant de
manomètres et de tubulures en caoutchouc,
Cotard montre que la pression artérielle
est maximale au contact de l'obstruction,
générant « une fluxion
collatérale dans les petites branches
naissant au voisinage de l'oblitération
» aussitôt après l'occlusion
mais qu'elle baissera quand les
collatérales se dilateront en
compensation. Enfin, plus tard, une inflammation
s'installe autour des régions
nécrobiosées, expliquant les
théories inflammatoires de leurs
devanciers, au début de XIX°
siècle, de François Broussais
(1772-1838) et Louis-Florentin Calmeil
(1798-1895) en passant par François
Lallemand (1790-1853) et Jean Cruveilhier
(1791-1874). En dernier lieu, ils constatent une
cicatrisation, d'aspect graisseux, de la zone
infarcie. Cette magistrale description
anatomopathologiques des conséquences de
l'obstruction aigue d'une artère
cérébrale vaudra à Cotard
et Prévost le Prix Godard,
décerné par l'Académie de
Médecine, et leur titularisation de
membres de La Société de Biologie
présidée par Charcot.
-
- Cotard soutient sa thèse en 1868,
dirigée par Charcot et consacrée
à « L'étude sur l'atrophie
partielle du cerveau ». Il traite du point
de vue clinique et anatomopathologique des
atrophies partielles du cerveau compatibles avec
la vie, à partir de 52 observations dont
6 qu'il a recueillies dans les dossiers
accumulés par Charcot. Il en
déduit que ces atrophies sont l'ultime
évolution de processus antérieurs
à la naissance ou apparus dans la toute
petite enfance, d'origine hémorragique,
infectieuse, malformative ou de cause obscure.
Chose originale, il souligne que l'état
de l'intelligence ou des capacités
motrices et sensorielles ne permet pas de
prédire l'importance ou la localisation
de l'atrophie découverte à
l'autopsie. A l'heure (1861) où la
localisation frontale gauche du langage est
proposée par Paul Broca (1824-1880),
Cotard montre que des enfants
hémiplégiques droits, dès
la petite enfance, n'ont pas d'aphasie : «
Il est extrêmement remarquable que, quel
que soit le côté de la
lésion cérébrale, les
individus hémiplégiques depuis
leur enfance ne présentent jamais
d'aphasie, c'est à dire d'abolition de la
faculté du langage avec conservation plus
où moins complète de
l'intelligence. Dans nos observations
d'atrophie, remontant à la
première l'enfance, l'intelligence n'est
jamais mieux développée que la
faculté du langage, on n'observe jamais
cette impossibilité d'exprimer les
idées, ce contraste singulier entre les
facultés intellectuelles et les
facultés d'expression qui donnent aux
aphasiques une physionomie si originale. (...)
De ces propositions qui résument les
faits décrits dans nos observations, nous
sommes en droit de conclure tout d'abord que,
lorsqu'un hémisphère
cérébral a été
détruit pendant la première
enfance, l'autre hémisphère peut
le suppléer dans ses fonctions et qu'il
suffit de l'un quelconque des deux
hémisphères pour l'exercice
sensiblement normal des facultés
intellectuelles. Il n'y a donc pas de
différence fondamentale entre les
propriétés des deux
hémisphères. Ce fait avait
déjà été
établi par Gall et après lui par
d'autres observateurs. Dans ces derniers temps,
les cas si curieux d'aphasie avec lésion
de l'hémisphère gauche seulement,
sur lesquels M. Broca a appelé
l'attention, sont venus mettre en doute la
symétrie fonctionnelle des deux
hémisphères. Il semblait qu'on
fût obligé, ou bien d'admettre des
fonctions différentes pour les
régions symétriques des deux
hémisphères, ce qui renversait
toute la physiologie cérébrale, ou
bien de supposer que certaines facultés
ne peuvent s'exercer sans le concours synergique
des deux hémisphères. (...)
Lorsque les faits semblent se contredire, c'est
à coup sûr qu'ils sont mal
interprétés ». On ne peut
qu'admirer la hardiesse de Cotard
d'établir, en sa thèse de
doctorat, face à un jury de professeurs
distingués, des conclusions si
tranchées et justes.
-
- Après la guerre de 1870, Cotard
s'installera en clientèle toute en
fréquentant les consultations de Charles
Lasègue (1816-1883) à la
Préfecture de Police. C'est là
qu'en 1874, Lasègue le présente
à Jules Falret (1824-1902) qui recherche
un médecin adjoint pour sa Maison de
Santé de Vanves. Il y exercera 15 ans,
emporté à 49 ans par une
diphtérie contractée en soignant
celle de sa fille. Après avoir
publié, en 1877, l'article « Folies
», dans le Dictionnaire
Encyclopédique des Sciences
Médicales d'Amédée
Dechambre (1812-1886), c'est le 28 juin 1880 que
Cotard présente, devant la
Société
Médico-Psychologique, son mémoire
intitulé « Du délire
hypochondriaque dans une forme grave de la
mélancolie anxieuse »,
considéré comme l'acte de
naissance du syndrome de Cotard. En 1882, une
étude plus structurée
l'amènera à l'appeler,
lui-même, « le délire des
négations ». En 1892, Emmanuel
Régis (1855-1918) proposera de donner le
nom de syndrome de Cotard au Délire
systématisé chronique ».
-
- Pourtant, la description clinique originale
n'a pas, à elle seule, assuré une
célébrité posthume à
Cotard. Interne d'Adrien Proust (1834-1903), il
a été invité à
plusieurs reprises à des dîners
auxquels assistait Marcel Proust. Celui-ci a
grandement favorisé sa
notoriété en baptisant un de ses
personnages Professeur Cottard, dans « A la
recherche du temps perdu ». Un des
biographes de Marcel Proust, George Painter
explique : « Dr Cottard est un amalgame, en
réalité, du Dr Pozzi, avec son
pince-nez, et le clignement d'yeux involontaire
est celui du professeur de Marcel Proust, Albert
Vandal. Quant à son nom, il
résulte de la conjonction de celui d'un
des élèves d'Adrien Proust, Jules
Cotard, et de celui du Dr Cottet d'Evian. Marcel
Proust décrit le professeur Cottard comme
un professionnel intègre et note
l'acuité de son rapide coup d'oeil,
assurant un diagnostic sans faille ». C'est
tout le portrait, dans la vraie vie, de Jules
Cotard.
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