- Résumé
-
- Octave Landry appartient à la longue
liste de fins cliniciens du XIXè
siècle, morts très jeunes, qui ont
contribué, par leurs découvertes
en physiologie et leurs descriptions de nouveaux
tableaux cliniques, à bâtir la
neurologie d'aujourd'hui. Ainsi Landry propose
une physiologie rénovée de la
sensibilité à l'origine des
concepts de proprioception et de
stéréognosie en 1852 et
décrit le tableau d'une paralysie
ascendante à marche rapide,
prédisant en 1859 le syndrome de Guillain
et Barré. Evoquer sa vie
trépidante est l'occasion de montrer les
soins hydrothérapiques en vogue à
l'époque, les plaisirs de la vie
parisienne traversée de terribles
épidémies de choléra,
maladie qui emportera Landry en pleine
activité de soignant dévoué
à 39 ans.
-
- Les
biographies de
neurologues
-
-
L'usage des éponymes en médecine
disparaît peu à peu (Guillevin,
2011). Qui use encore du terme ou connaît
encore le syndrome de Landry ? Pourtant nos
connaissances actuelles reposent sur des
découvertes scientifiques
accumulées, peu à peu, depuis au
moins deux siècles. Octave Landry fait
partie de ces fins cliniciens du XIXè
siècle qui ont bâti la neurologie
et la psychiatrie. Après avoir
retracé sa biographie, nous
présentons ses principales contributions,
notamment, en 1852, l'introduction du concept de
sensibilité musculaire à l'origine
de celui de proprioception et de
stéréognosie et, en 1859, sa
publication de cas de « paralysie
ascendante aiguë », à laquelle
Georges Guillain (1876-1961), Jean-Alexandre
Barré (1880-1967) et André Strohl
(1887-1977) ajouteront « l'hyperalbuminose
du liquide céphalo-rachidien sans
réaction cellulaire et des remarques
sur les caractères cliniques et
graphiques des réflexes
tendineux » en faisant un «
syndrome de radiculonévrite »
(Guillain et al., 1916).
-
- Les études.
- Jean-Baptiste Octave Landry naît le 10
octobre 1826, rue du Portail-Imbert, à
Limoges. Jean-Martin Charcot (1825-1893) avait
alors un an. Michel Landry, son père est
un bourgeois aisé, propriétaire
foncier. La famille de sa mère
Catherine-Louis de Thézillat est
originaire de Catalogne. Son véritable
nom est donc bien tout simplement Landry, tel
qu'il apparaît sur sa thèse, et non
Landry de Thézillat comme rapporté
par les biographes anglo-saxons (Haymaker and
Schiller, 1970; Pearce, 1997). Après ses
études à Limoges, il suit les
cours de la Faculté de Médecine de
Paris de 1845 à 1850.
L'épidémie de choléra qui a
débuté à Dunkerque, en
octobre 1848, touche Paris en mars 1849 alors
qu'il est externe des hôpitaux. Landry se
porte volontaire pour soigner la population
décimée et part dans l'Oise
où il se dépense sans compter
acquérant rapidement une forte
notoriété, mal vue des ses
confrères locaux... Une médaille
récompense son dévouement. Il est
reçu en 1849 à l'internat des
hôpitaux de Paris, condisciple d'Alexandre
Laboulbène (1825-1898). Pendant sa
première année d'internat, il
rédige un mémoire sur
l'épidémie de choléra qu'il
vient de connaître. Son magnifique
manuscrit subsiste à la
bibliothèque de la Faculté de
Médecine de Paris (Landry, 1850).
-
- En 220 pages, Landry brosse un tableau
épidémiologique, traçant
les trajets évolutifs de
l'épidémie à travers la
France, suivant les conditions
socio-économiques, détaillant la
mortalité par quartier dans Paris et
donnant une description détaillée
de la clinique, des travaux
anatomo-pathologiques qu'il a pu pratiquer, du
pronostic et des traitements proposés,
agrémenté d'observations de cas
à l'évolution favorable.
Véritable thèse avant l'heure, cet
exposé laisse admiratif sachant qu'il n'a
que 23 ans ! Il décrit le collapsus
engendrée par « des selles
absolument séreuses. La langue est
blanche, la bouche pâteuse, la soif
inextinguible mettant ses malheureux
cholériques au supplice ». Puis s'y
ajoutent des crampes, une prostration, « un
regard perdu », « une
algidité ou de la cyanose ».
Landry est un thérapeute convaincu de la
nécessité « d'une
diète absolue, du repos couché,
d'un vin chaud additionné d'eau de vie,
de lavements astringents
répétés ». Il
signale que « quelques médecins
appréciant toute l'altération du
sang ont imaginé d'injecter de l'eau. On
a injecté dans ce but divers liquides
aqueux dans les veines mais presque toujours
sans le moindre succès. Voulant mettre
à profit le pouvoir d'absorption de la
peau et des surfaces autres que les muqueuses
gastro-intestinales, d'autres ont fait mettre
les cholériques dans des bains. M. Piorry
a même injecté de l'eau dans la
vessie espérant qu'elle serait
absorbée; malheureusement ces tentatives
n'ont pas été couronnées de
succès ». Il concourt, en
présentant ce mémoire, pour le
Prix Monthyon de l'Académie de
Médecine de 1850 mais sans être
distingué (fig ).
-
-
- Pendant son internat, Landry alterne
médecine et chirurgie, se formant au
contact d'Alphonse Devergie (1798-1879),
Stanislas Laugier (1799-1872), René
Marjolin (1812-1895), Louis Michon (1802-1866).
Mais c'est surtout auprès de
Claude-Stanislas Sandras (1802-1856) à
l'Hôtel Dieu et d'Adolphe-Michel Gubler
(1821-1879) à Beaujon que va naître
son intérêt pour « la
pathologie nerveuse », suivant
l'orientation que lui avait conseillée
son oncle Thézillat, médecin
directeur de « l'Hospice des
aliénés » de Limoges. Il
soutient sa thèse le 29 décembre
1854, présidée par Armand
Trousseau (1801-1867) et intitulée:
« Considérations
générales sur la pathogénie
et les indications curatives des maladies
nerveuses ». Il précise que sa
thèse n'est que « le
résumé rapide d'un travail plus
considérable sur les causes et les
indications curatives des maladies nerveuses,
actuellement en voie de publication dans le
Moniteur des Hôpitaux ». En
réalité, en trois livraisons de
mars à avril 1855, ce journal publie
seulement des extraits de son ouvrage paru la
même année « Recherches sur
les causes et les indications curatives des
maladies nerveuses », qui
représente sa thèse enrichie de
nouvelles observations (Landry, 1855). A
l'issue, le jury le questionne, entre autres,
sur « l'anatomie pathologique de
l'apoplexie de la protubérance et de la
moelle épinière », et en
médecine légale sur
« Des lésions mentales
dépendantes d'un des besoins physiques de
l'homme, comme la faim, la soif, l'acte
génital, etc.. tenant à la non
satisfaction d'un de ces besoins, ou consistant
en une exaltation, une dépravation de ces
besoins ». Quel dommage qu'il n'existe
aucune archive de ses réponses !
-
- L'exercice de la
médecine.
- Landry s'installe peu après et exerce
au 5 rue de l'Université à Paris
où une vaste patientèle consacre
son talent. Depuis 1852, il est
secrétaire de La Société
Médicale de Paris et membre de la
Société Anatomique. Sa
mère, restée veuve en 1854, a
encore deux jeunes enfants à charge,
l'obligeant, lui l'aîné, à
subvenir à leurs besoins. Sans doute
faut-il voir là une explication au
renoncement de Landry à passer les
concours d'une carrière universitaire et
hospitalière qui semblait toute
tracée. Formé à la musique
par son père violoniste, il excelle au
violoncelle. Sportif accompli, chose rare
à l'époque, il s'adonne à
l'alpinisme et à l'équitation.
Aimant chanter et danseur élégant,
sa présence est recherchée dans
les soirées parisiennes. Il y est
séduit, un soir, par une jeune femme
d'une grande beauté, Claire-Marie
Giustiniani, originaire de Zigliara en Corse,
qu'il épouse le 25 juillet 1857. La
naissance de leur fils, le 22 avril 1858, les
amène à emménager au 184
rue du Faubourg Saint-Honoré. Son intense
activité médicale auprès
d'une clientèle plus huppée ne le
détourne pas de ses objectifs de
recherche comme en témoignent ses
publications à la même
époque. Sa vie mondaine lui fait
connaître Thomas Brière Desisles
(ou Desisles Brière 1806-1872),
originaire de La Martinique, éditeur du
Journal de Rouen, qui imprime et édite
ses premiers travaux, en particulier la version
commerciale de sa thèse en 1855 (Laharie,
2003). Bien que la notion de
spécialité médicale
n'existât pas à l'époque,
son exercice se concentre peu à peu vers
« les maladies nerveuses »
pour lesquelles il est un fervent promoteur de
l'hydrothérapie. Le décès
subi en août 1859 de Charles-Victor
Boullay, médecin de
l'établissement hydrothérapique,
situé dans le village d'Auteuil à
l'ouest de Paris, lui permet de s'y installer
avec toute sa famille le 15 octobre 1859
(Boullay, 1853). Fondé en 1820, cet
établissement était
réputé pour la qualité de
ses eaux. Landry le rénove, l'agrandit et
en fait l'établissement le plus vaste et
complet existant à l'époque,
encouragé aussi par le rattachement du
village d'Auteuil à la ville de Paris en
1860 (Fig 2). Installé dans un magnifique
parc boisé de 7 hectares,
agrémenté de salles de spectacle
et de billards, le 12 rue Boileau voit
bientôt défiler de riches
français et étrangers aussi bien
affectés d'épilepsie, de
paralysies, d'hystérie que «
d'autres névroses originelles ou
acquises » (Fayol, 1907). Illustrant
la notoriété du lieu, une
fête agrémentée d'un feu
d'artifice y est donnée à
l'occasion de la naissance de leur fille Berthe
le 5 août 1860 (1860-1922).
Peut-être victime de surmenage, il
souffre, peu après, de maux de tête
récurrents et violents qui lui font
apprécier l'emploi de la morphine dont il
n'arrivera à se sevrer
complètement que 5 ans plus tard.
-
-
- Le 1 juin 1865, le paquebot « Le Stella
» accoste à Marseille, en provenance
d'Alexandrie en Egypte. Ses passagers
disséminent en quelques semaines une
nouvelle épidémie de
choléra. En octobre, des ouvriers de
Boulogne et d'Auteuil sont touchés.
Landry, fort de son expérience, va leur
donner des soins. Presque aussitôt, il se
reconnaît contaminé, s'isole loin
de sa femme et de ses enfants (Remlinger, 1933).
Ses confrères et amis, Charcot et
Noël Gueneau de Mussy (1813-1885) accourent
à son chevet mais, malgré leurs
soins, Landry succombe après deux jours
d'agonie, à 39 ans, le 1 novembre 1865.
La mort d'un médecin était devenue
banale au cours des
épidémies (4602 parisiens
décèdent du choléra en
octobre 1865); seuls quelques entrefilets dans
l'Union Médicale et dans la Gazette
Médicale de Paris signalent sa
disparition (Anonyme, 1865). Le peintre Gustave
Courbet (1819-1877) nous a laissé un
portrait de Landry, peint en 1863 (Fig. 3), dont
la localisation est actuellement perdue,
probablement propriété d'un
collectionneur privé (autrefois
conservé au domicile de la veuve de
Landry qui décéda, en
décembre 1901, en l'Hôtel Martin de
Thézillat à Neuilly sur
Seine).
-
-
- Les sensations tactiles (1852), la
paralysie du sentiment d'activité
musculaire (1855).
- En 1852, alors qu'il est interne chez
Sandras, Landry publie ses
« Recherches physiologiques et
pathologiques sur les sensations
tactiles », précisant
« les questions infiniment complexes
qui se rapportent au sens du toucher ont
été analysée par un ou deux
auteurs, et, je ne crains pas de le dire, ces
analyses ont été faites sans
données suffisantes ou capables de jeter
du jour sur le sujet » (Landry, 1852). Il
reproche notamment à Henry
Belfield-Lefèvre, dans sa thèse
soutenue en 1837, et à Pierre-Nicolas
Gerdie (1797-1856) des conceptions confuses,
directement transposées du Traité
des Sensations du philosophe Étienne
Bonnot de Condillac (1715-1780): « le
nombre des idées qui peuvent venir par le
tact est infini, car il comprend tous les
rapports des grandeurs »
(Belfield-Lefèvre, 1837;Condillac, 1754).
Gerdi expose en effet que « les
sensations de température, de la
sécheresse et de l'humidité, de la
pesanteur, de la consistance et du mouvement du
corps nous arrivent immédiatement
à l'esprit et nous donnent la
connaissance des causes qui les excitent sans
travail sensible de la pensée »
(Gerdie, 1846). Landry conteste aussi la
proposition du physiologiste allemand Johannes
Müller (1801-1858) « que
l'idée de poids et de la pression fut non
pas une sensation dans le muscle, mais une
notion de la quantité d'action nerveuse
que le cerveau est excité à mettre
en jeu », car pour Landry « la
sensation d'activité musculaire est bien
véritablement produite par les
modifications spéciales que les divers
organes de mouvement impriment aux
extrémités nerveuses qui s'y
répandent ». Il s'inspire ainsi
d'Erasmus Darwin (1731-1802): « the
muscular fibres themselves constitue the organe
of sense, that feels extension... hence the
whole muscular system may be considered as one
organ of sense, and the various attitude of the
body, as ideas elonging to this organ, of many
of which we have hourly conscious, while many
others, like the irritative ideas of the other
senses, are performed without our
attention » (Darwin, 1796).
-
- Fayol A. Un grand
sanatorium. L'établissement
hydrothérapique d'Auteuil. Bulletin
mensuel de l'Association des anciens
élèves de l'Ecole Centrale
Lyonnaise. 1907;4(42):5-34. (Technica
actuellement)
- Numérisée
par la Bibliothèque Michel Serres de
l'École Centrale de
Lyon
-
- Landry, après avoir discuté et
trouvé incomplètes, elles aussi,
les recherches, publiées en 1848, sur
tact et douleur par Joseph-Henri Beau
(1806-1865) propose explicitement qu'on peut
distinguer « les sensations de
température essentiellement distinctes et
indépendantes du tact et de la
douleur » (Beau, 1848). Landry, alors
seulement âgé de 26 ans, formule,
en conclusion, des concepts précis de la
physiologie « du
sentiment »: « il n'existe
réellement qu'un petit nombre de
sensations cutanées, auxquelles on peut
donner le nom de primitives ou spéciales,
et d'où résultent toutes les
autres que l'on peut appeler
dérivées; ces sensations sont
celles de température, de douleur et de
contact. Il existe aussi une sensation primitive
ou spéciale d'activité musculaire
qui donne naissance à un certain nombre
de sensations secondaires ou
dérivées. Cette sensation
réside bien réellement dans le
tissu musculaire lui-même, c'est à
dire est bien une perception par
l'encéphale de l'état des
extrémités nerveuses, sensitives
qui se distribuent aux muscles ». Landry a
bâti cette théorie novatrice en
examinant soigneusement des malades avec son
maître Sandras qui venait de publier son
Traité pratique des maladies nerveuses
(Sandras, 1851).
-
-
- Il cite notamment des observations assez
semblables à celles que produira
Guillaume Duchenne de Boulogne (1806-1875) pour
présenter ses recherches sur
« l'aptitude motrice
indépendante de la vue, appelée
par l'auteur conscience musculaire »
en 1853, et « l'ataxie locomotrice
progressive » en
1858: « Aujourd'hui, 20 novembre
1851, à la visite, ce malade dit à
M. Sandras que lorsqu'il essaye de marcher,
dès qu'il ne voit plus ses pieds, il ne
sait où il les pose et ne peut mesurer
leurs mouvements, ce qui est manifeste pour
toutes les personnes présentes. Averti
par ces paroles, j'ai examiné de nouveau
le malade, et constaté ce qui suit: le
malade ne regardant pas, je soulève l'un
des membres inférieurs, je l'incline
à droite à gauche; je
l'élève, je l'abaisse, soit en
totalité soit en partie. Il n'a
absolument conscience d'aucun de ces mouvements.
Je le fais marcher, soutenu par deux personnes;
quand ils regardent à ses pieds, il les
pose assez facilement où il veut. Je le
fais coucher, et je lui indique des points
où je lui ordonne de porter le pied. Il y
arrive avec la plus grande précision en
regardant; au contraire, s'il cesse de voir
aller ses jambes, le mouvement qu'il fait est
bien dans le même sens mais tellement
démesuré qu'il dépasse de
fort loin le but proposé et le malade dit
très bien qu'il n'a pas conscience de
l'ampleur du mouvement
exécuté ». Landry
conclut: « la coordination des mouvements
nécessite la sensation d'activité
musculaire ».
-
- Il ne pouvait ignorer que Charles Bell
(1774-1842), alors président de la Royal
Society, « The Harvey of our
century » (Romberg, 1853), avait
présenté le 25 janvier 1826 son
essai sur la physiologie de la commande
motrice: « between the brain and the
muscles there is a circle of nerves; one nerve
conveys the influence from the brain to the
muscle, another gives the sense of the condition
of the muscle to the brain » (Bell, 1826),
complété dans son livre de
physiologie de la main en 1833: « when a
blind man, or man with the eyes shut, stands
upright... by what means is that he maintains
the erect positio ? he touches nothing, he sees
nothing, it can only be by the adjustment of
muscles. It must be a property internal to the
frame by which we thus know the position of the
members of our body » (Bell, 1833).
Mais, Landry ignore probablement, qu'en
Allemagne, Friedrich-August Benjamin Puchelt
(1784-1856) a publié cinq observations de
malades incapables, les yeux fermés de
reconnaître ce qu'ils avaient dans la main
alors qu'ils n'y ont pas de trouble de la
sensibilité (Puchelt, 1845).
-
- Fayol A. Un grand
sanatorium. L'établissement
hydrothérapique d'Auteuil. Bulletin
mensuel de l'Association des anciens
élèves de l'Ecole Centrale
Lyonnaise. 1907;4(42):5-34.
(Technica
actuellement)
- Numérisée
par la Bibliothèque Michel Serres de
l'École Centrale de
Lyon
-
- Pourtant il suggère une
interprétation à ces troubles:
« Les qualités des corps ne
sauraient être appréciées
dans tous leurs détails que par des
appareils de préhension, et seulement, je
le répète, lorsqu'ils sont mis en
activité, de concours avec l'attention et
les autres facultés intellectuelles.
[...] C'est cette association intime de
l'action musculaire et des facultés
intellectuelles avec les quatre sensations
primitives tactiles qui doit spécialement
désigner l'expression
toucher ». On peut donc
créditer Landry d'être le
concepteur de la physiologie de la
stéréognosie. Les idées de
Landry sont reprises et confirmées
dès l'année suivante dans une
thèse, soutenue le 20 mai 1853, par
Julien-Benjamin Bellion, interne de
François-Amilcar Aran (1817-1861), et
présidée par Jean-Baptiste
Bouillaud (1796-1881) (Bellion, 1853).
-
- En 1855, il complète ce travail en
publiant des observations où
« le sentiment d'activité
musculaire est diminué ou
perdu », « l'incitation
motrice est privée de son
dynamomètre ». Il rend hommage
à Duchenne de Boulogne d'avoir
précisé, comme lui, le rôle
essentiel de la suppléance visuelle mais,
curieusement, n'assimile pas « la
conscience musculaire » de Duchenne
à son « sentiment
d'activité musculaire ».
L'étiologie de la « paralysie du
sentiment musculaire » reste
mystérieuse mais lui paraît sans
lien avec la « paralysie des
aliénés », anticipant la
réticence de Charcot, par "chauvinisme
national-scientifique", à voir une
origine commune à l'ataxie locomotrice,
au tabès, et à la paralysie
générale (Landry, 1855). Son ami
d'internat Louis Victor Marcé (1828-1864)
le cite élogieusement dans sa
thèse d'agrégation: «
j'avoue que les recherches de M. Duchenne, de
plusieurs années postérieures aux
travaux de M. Landry, me paraissent reproduire
avec une parfaite exactitude tout ce que les
physiologistes ont écrit sur le sentiment
d'activité musculaire; quant à
l'ataxie locomotrice progressive que le
même auteur a présenté comme
une espèce nosologique distincte, ce
n'est pour moi autre chose que l'état
morbide consécutif à la perte du
sentiment d'activité, état morbide
sur lequel M. Landry avait attiré
l'attention dès 1855 ».
(Marcé,1860). Aliéniste des plus
productifs de sa génération,
Marcé se suicidera, hélas, dans
l'établissement d'Auteuil où
Landry l'avait pris en charge pour un
état mélancolique (Luauté
et Lempérière, 2012) .s
-
- La thèse:
« Considérations
générales sur la pathogénie
et les indications curatives des maladies
nerveuses » (1854).
- « Malgré les tendances
philosophiques de quelques médecins
modernes, le traitement des névroses se
trouve presque entièrement soumis
à un regrettable empirisme; et il faut
bien l'avouer, cet état de choses
reflète malheureusement notre
manière de comprendre ces
affections ». Afin de lutter contre
cet empirisme, Landry explique que sa
thèse a pour ambition de proposer une
classification des pathologies du système
nerveux, inspirée par Samuel Tissot
(1728-1797), Laurent-Philibert Cerise
(1807-1869) et François Broussais
(1772-1838). D'une façon qui nous
apparaît très confuse, il
« croit pouvoir classer toute cette
catégorie de causes sous les chefs
suivants: altérations du sang,
épuisement physique, cachexies, maladies
aiguës et chroniques, diathèses,
action du froid et de l'humidité,
intoxications, influence de certaines
névroses sur d'autres névroses,
névroses sympathiques, causes qui
agissent directement sur le système
nerveux ». Comme il l'indique en
conclusion « je n'ai guère
outrepassé le rôle de compilateur
que je m'étais imposé ».
Landry n'apporte aucune idée nouvelle ni
de description originale comme le fera peu
après Charcot. Travail banal, sa
thèse laisse une déception notable
en la comparant à l'originalité de
son mémoire sur le choléra et de
ses publications sur les sensations tactiles et
le sentiment d'activité musculaire (Fig.
5).
-
-
- De l'emploi du chloroforme et des agents
narcotiques comme agents thérapeutiques
et comme moyens de diagnostic dans certaines
paralysies (1857).
- Landry donne une observation d'une malade
atteinte d'aphonie, de dyspnée et
incapable de se mobiliser, sans paralysie vraie
des membres, qu'il rapporte à une
paralysie du diaphragme et des muscles
abdominaux secondaire à une cause
gynécologique, « une paralysie
sympathique ». Ces troubles lui
paraissaient disparaître pendant le
sommeil naturel ou induit par de l'éther
ou du chloroforme. S'agissait-il d'une
myasthénie ? Dans cette publication de
peu d'intérêt, Landry analyse six
autres observations de paralysie
« améliorées par les
narcotiques », tout cela paraissant
bien confus pour notre époque.
-
- La paralysie ascendante aiguë
(1859).
- Bien qu'il n'y soit plus interne depuis 4
ans, Landry continue de recueillir des
observations dans le service de Gubler.
Après l'observation
détaillée qu'il propose dans La
Gazette hebdomadaire de Médecine et de
Chirurgie de juillet 1859, il résume
ainsi ses constations:
-
- « Dans l'espèce de paralysie sur
laquelle je désire appeler l'attention,
la sensibilité et la motilité
peuvent être également compromises;
cependant, en général, les
troubles fonctionnels portent surtout sur le
mouvement et sont alors
caractérisés par la diminution
graduelle de la force musculaire, avec
flaccidité des membres, et sans
tremblement, sans contracture, sans convulsions
partielles ou générales ni
mouvements réflexes; dans la presque
totalité des cas, la miction et la
défécation restent normales; on
n'observe aucun symptôme immédiat
du côté des centres nerveux, pas de
rachialgie spontanée ou
développée par la pression, pas de
céphalalgie ni de délire;
jusqu'à la fin les facultés
intellectuelles sont complètement
conservées [...]. La paralysie se
propage rapidement des parties
inférieures vers les supérieures,
avec une tendance constante à se
généraliser. Toujours les premiers
phénomènes se manifestent aux
extrémités des membres, et, le
plus souvent, des membres inférieurs
[...]. Quand la paralysie est parvenue
à son summum d'intensité, la mort
par asphyxie est toujours imminente, et
cependant, huit fois sur dix, cette fatale
terminaison a été
évitée, soit par l'intervention de
l'art, soit par un temps d'arrêt
spontané dans la marche du mal. Deux fois
seulement la mort a été
observée à cette époque de
l'affection [...]. Une maladie mortelle
pour un cinquième des sujets est sans
contredit une maladie grave; et malgré
les résultats relativement favorables de
cette statistique élémentaire,
chacun doit comprendre qu'au milieu de pareils
accidents, le danger est toujours extrême
et le pronostic au moins incertain
[...]. Lorsque la paralysie
rétrograde, elle présente dans sa
période de décroissance des
phénomènes inverses de ceux que
j'ai signalés à sa période
de progrès. Les parties
supérieures, les dernières
envahies, sont les premières à
recouvrer leur mobilité qui
reparaît ensuite successivement de haut en
bas. Tantôt alors les malades
guérissent très promptement;
tantôt l'affection passe à
l'état chronique, et
l'amélioration se fait avec lenteur
[...]. Les causes, si l'on peut
réellement appeler ainsi les
circonstances que je viens
d'énumérer, seraient donc
très variables. Dans tous les cas, ces
influences ne peuvent être
considérées que comme causes
éloignées, et il reste à
déterminer la cause prochaine des
désordres fonctionnels. Les deux seules
autopsies pratiquées jusqu'à ce
jour n'ont fourni que des résultats
absolument négatifs au point de vue
anatomopathologique [...]. On doit donc
placer cette forme morbide dans la nombreuse
classe des paralysies dites essentielles,
c'est-à-dire sans lésion
saisissable du système
nerveux ». Dans une note additionnelle
Gubler s'interroge: « en me
plaçant à un autre point de vue,
je cherche encore s'il n'existe pas des liens
étroits entre notre cas de paralysie
extenso-progressive et ces paralysies
consécutives aux angines
diphthériques décrites
spécialement par MM. Bretonneau,
Trousseau, Lasègue, Maingault, etc., et
dont la science enregistre tous les jours de
nouveaux exemples » (Landry,
1859).(Fig. 6).
-
- Il est parfois proposé de
considérer que la première
description de ce tableau clinique revient
à l'Irlandais Robert-James Graves
(1796-1853), plus connu pour sa description du
goitre exophtalmique (Pearce, 1997). Que
relate-t-il ? « One of the most remarkable
examples of disease of the nervous system
commencing in the extremities, and having no
connection with lesions of the brain or spinal
marrow, was the curious epidémie de
Paris, which occurred in the spring of 1828.
Chomel has described this epidemic in the 9th
number of the Journal Hebdomadaire, and having
witnessed it myself in the months of July and
August of the same year, I can bear testimony to
the ability and accuracy of his description
» (Grave, 1848; Lyons, 1996).
Auguste-François Chomel (1788-1858)
décrit, en effet, une
épidémie apparue au printemps 1828
à Paris. Les malades se plaignent «
d'un engourdissement et un obscurcissement du
tact qui vont quelquefois très loin. Chez
plusieurs malades il y a inaptitude à
distinguer par le toucher un corps d'un autre,
une clé, par exemple d'une paire de
ciseaux: ils s'y trompent tout à fait
[...]. La marche en contracte un
caractère particulier; le pied
appliqué sur le sol, à plat, ne
s'y cramponne pas; il faut le relever comme une
masse inerte et sa pointe traîne
constamment [...]. Plusieurs malades
sont entièrement privés de la
faculté de se mouvoir »
(Chomel, 1828).
-
- Jules Dejerine (1849-1917) écrit
clairement dans sa thèse «
Recherches sur les lésions du
système nerveux dans la paralysie
ascendante aiguë »: « C'est
Landry, qui le premier attira l'attention sur
une forme particulière de paralysie,
offrant avec la myélite aiguë
beaucoup de ressemblance, il désigna
cette affection sous le nom de paralysie
ascendante aiguë. On peut dire que c'est
à cet auteur que revient
entièrement le mérite de la
découverte [...]. Landry avait
parfaitement remarqué que, parmi les
paralysies qu'il appelle extenso-progressives,
il y en est quelques-unes dont le début
insolite et la marche foudroyante
éveillent l'attention d'une façon
toute spéciale; en s'appuyant sur
certaines particularités symptomatiques,
entr'autres sur le peu d'atteinte de la
sensibilité, il proposa de
désigner ces paralysies sous le nom
générique de paralysie ascendante
ou centripète aiguë. Le principal
argument invoqué par Landry pour
séparer cette affection de la
myélite, telle qu'on la concevait
à cette époque, était
l'absence de lésions appréciables
du côté du système nerveux
» (Dejerine, 1879).
-
- Ne citant jamais Landry, mais les travaux de
Charcot et Alfred Vulpian (1826-1887) sur la
paralysie diphtérique du voile du palais
(Charcot et Vulpian, 1862), et Duchenne de
Boulogne, Louis-Stanilas Duménil
(1823-1890), chirurgien de l'Hôtel-Dieu de
Rouen, présente le 22 janvier 1862
à la Société
médicale des hôpitaux, tel que le
rapporte Hippolyte Bourdon (1814-1892) et
publie, en 1864, la première observation,
accompagnée « d'une exploration
électrique à l'aide de l'appareil
de Duchenne de Boulogne » et d'un
examen anatomo-pathologique
réalisé par Georges Pouchet
(1833-1894): « Il semble qu'on a
affaire ici à une véritable
atrophie de la substance médullaire des
tubes nerveux
périphériques » formant
une radiculo-névrite (Bourdon, 1862;
Duménil, 1864). Ceci deviendra
« des foyers de
démyélinisation
segmentaire ». Dans sa thèse
« Contribution à l'étude des
polynévrites en général et
des paralysies et atrophies saturnines en
particulier », Anna Dejerine-Klumpke
(1859-1937) néglige Landry et valorise
Duménil: « C'est à
Duménil de Rouen que revient le grand
mérite d'avoir montré, il y a plus
de 20 ans, que les nerfs pouvaient
s'altérer primitivement, sans
modification antérieure de leurs centres
trophiques [...]. Nous tenons à
reproduire encore, les conclusions émises
par cet auteur dans ce travail si remarquable:
"Ce n'est pas un des points les moins importants
et les moins curieux, de l'histoire de ces
paralysies périphériques, que la
possibilité de leur extension à
une grande partie du système nerveux,on
pourrait presque dire de leur
généralisation, au point de
compromettre l'existence, par l'envahissement
des nerfs les plus essentiels à
l'entretien de la vie, tels que le
pneumogastrique. Nous voyons la maladie aboutir
à une véritable paralysie
glossolaryngée
hémiplégique,
précédée et
accompagnée d'altération de la
sensibilité, qui n'est évidemment
que la répétition, sur des organes
plus importants, du processus morbide qui a
envahi tant de points différents"
(Duménil, 1866; Dejerine-Klumpke,
1889).
-
- Alfred Petitfils, dans sa thèse
inspirée par et soutenue devant Charcot
en 1873, ne voit dans la "maladie de Landry"
qu'une forme intermédiaire entre la
poliomyélite antérieure aiguë
et l'atrophie musculaire progressive (Petitfils,
1873).
-
- Peu à peu, plusieurs causes sont
envisagées: toxiques (plomb, arsenic,
alcool), infectieuse (diphtérie,
poliomyélite, rage), ou idiopathique.
Maurice Briffaut expose, dans sa thèse
présentée à Lyon en 1906,
sa: « Contribution à l'étude
des polynévrites tuberculeuses (maladie
de Landry) ». François Muzard
soutient, lui, une origine constamment
infectieuse (Muzard, 1899). Guillain,
Barré et Strohl établiront, eux,
en 1916, les différentes variantes
étiologiques, cliniques et
évolutives et, surtout,
préciseront le tableau biologique de la
« dissociation albumino-cytologique du
liquide céphalo-rachidien »
(Guillain et al., 1916; Spillane, 1982).
-
- Le tristement célèbre Marcel
Petiot (1897-1946), un des plus grands 'serial
killer' du XXè siècle,
guillotiné en 1946, soutient sa
thèse (achetée ?), en 1921
après de très brèves
études de médecine, dans laquelle
il rapporte, remarquablement, une observation de
'maladie de Landry' fatale en moins d'une
semaine par atteinte bulbaire. Il ne cite jamais
Guillain et Barré mais tente un amalgame,
mal argumenté, afin de proposer une
étiologie commune à 'la maladie de
Landry' et à l'encéphalite
léthargique de von Economo (1876-1931),
épidémie alors en pleine essort
(Petiot, 1921).
-
- Traité complet des paralysies
(1859).
- Dans sa préface, Landry évoque
le but qu'il se donne en écrivant un
traité des paralysies dont seul le
premier tome paraît en 1859. «
L'insuffisance des notions acquises,
l'obscurité persistante qui enveloppe ce
vaste sujet, les incertitudes du diagnostic,
malgré les progrès accomplis,
inspirent aux médecins un
véritable
découragement ».
« Conçu dans cet esprit et
exécuté en vue de la pratique
ordinaire, destiné à vulgariser
des connaissances réellement complexes et
à rendre accessible pour tous une partie
de l'art médical trop facilement
abandonnée aux spécialistes, je
veux essayer de combler la fâcheuse
lacune ». Son livre ne comporte que
l'exposé de la physiologie de la moelle
puis du cerveau, la pathologie étant
prévue pour le deuxième tome dont
sa mort prématurée nous a
privé.
-
- Il s'appuie sur les travaux d'Ollivier
d'Angers (1796-1845), Bell, Müller, Julien
Legallois (1771-1814), Georges Prochaska
(1749-1820), Marshall Hall (1790-1857), Achille
Longet (1811-1871), Charles Brown-Sequard
(1817-1894) etc... Il évoque les
découvertes récentes de Jean-Marie
Philipeaux (1809-1892) et Vulpian sur l'origine
de plusieurs nerfs crâniens, rend hommage
à Gubler ayant confirmé la
décussation des nerfs crâniens
« De l'hémiplégie
alterne envisagée comme signe de
lésion de la protubérance
annulaire et comme preuve de la
décussation des nerfs faciaux »
(Philipeaux et Vulpian, 1853; Gubler, 1856).
Faisant table rase des notions de fluide animal
et d'irritabilité, il propose que
« la transmission des excitations
s'opère non au moyen d'un agent
spécial, mais par propagation de
l'excitation de molécule à
molécule, et à la faveur d'une
propriété de tissu, la
conductibilité organique ». Il
réexpose tous ses travaux sur la
sensibilité et y ajoute un chapitre sur
la motricité, compilation des notions
acquises à l'époque (Fig. 7).
-
-
- Note sur un état nerveux
très commun attribué à tort
à la congestion cérébrale
(1861).
- Landry conte ici quelques observations
recueillies avec son collaborateur Nicolas
Samazeuilh, dans son établissement
d'hydrothérapie d'Auteuil, nous donnant
un aperçu des soins qu'ils y prodiguent.
Ils réfutent des diagnostics de «
congestion cérébrale »
devant des instabilités à la
marche, des états vertigineux ou
hypochondriaques qu'ils attribuent à une
mauvaise hygiène de vie, combattue par
une alimentation riche, des douches d'eau froide
et de l'électrothérapie. «
Certains phénomènes de cet
état morbide présentent de
lointaines analogies avec ceux de la paralysie
du sens musculaire » [...] La
place nosographique de cette forme nous
paraît être parmi les
névroses, et plus près des
maladies vertigineuses que de toutes autres
espèces morbides » (Landry et
Samazeuilh, 1861).
-
- Conclusion
- Si Jean Delay (1907-1987) ne rend qu'un
modeste hommage à Landry dans sa
monumentale thèse « Les
astéréognosies » soutenue en
1935, si Guillain fut un ardent défenseur
de l'éponyme de son syndrome et refusa
celui de syndrome de Landry, Guillain et
Barré en 1953, il ne faut voir là
qu'une ingratitude envers un devancier
émérite auquel l'histoire de la
neurologie doit maintenant rendre l'hommage
qu'il mérite (Delay, 1935; Schott,
1982).
-
- Webb Edward Haymaker (1902-1984)
prépare un livre d'histoire de la
neurologie pour le 14ème 'International
Neurological Congress', tenu à Paris en
1949, 'The founders of neurology: one hundred
and thirty-three biographical sketches'. Il
rend, lui, une juste place à Landry en le
tenant parmi les 133 pères fondateurs de
la neurologie, reconnaissance
méritée au milieu de ses paires
plus célèbres (Haymaker, 1953;
1970).
-
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