Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
http://www.baillement.com

 

 

 

 

 

 

mise à jour du
18 octobre 2010
 
 Georges Albert Brutus Édouard
Gilles de la Tourette
1857 - 1904
 
 O. Walusinski
 
Les internes de JM. Charcot
 
 Les biographies de neurologues
 
La lettre d'information du site 
 
L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrièr
J Poirier  
 
logo
La maladie de Gilles de la Tourette
GE Gilles de la Tourette La maladie des tics convulsifs (pdf)
Contribution à l'étude des bâillements hystériques Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière 1890
Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie d'après l'enseignement de La Salpêtrière 1895
Gilles de la Tourette par P. Legendre pdf
Attentat contre Gilles de la Tourette 07/12/1893
La nécrologie La Presse Médicale 4 juin 1904
La nécrologie Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière 1904
The forgotten face of Gilles de la Tourette: practitioner, expert, and victim of criminal hypnotism at the Belle Époque Bogousslavsky J Walusinski O
Criminal hypnotism at the Belle Époque : The path traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la Tourette Bogousslavsky J Walusinski O Veyrunes D
Correspondance inédite de G. Gilles de la Tourette, sa maladie fatale Walusinski O. Duncan G
Correspondance inédite de G. Gilles de la Tourette avec JM. Charcot et G. Montorgueil Walusinski O. Duncan G
Vivre ses écrits, l'exemple de G. Gilles de la Tourette Walusinski O. Duncan G
G. Gilles de la Tourette 1857-1904 in english
L'état mental de Froufrou G. Gilles de la Tourette1892
 
Formation et carrière
Georges Gilles de la Tourette naît en le 30 octobre 1857, près de Loudun dans le département de la Vienne au centre de la France. Son père, Léon Gilles de la Tourette (1828-1882), est commerçant et son oncle, médecin praticien distingué, est un archéologue amateur et un dessinateur talentueux [3]. Georges obtient son baccalauréat à 16 ans, mais sa mère, inquiète de son instabilité caractérielle, préfère lui faire commencer ses études de médecine à Poitiers, craignant qu'il ne se dissipe à Paris comme le rapporte Paul Legendre : « Le danger pour Gilles, s'il fût venu à Paris trop jeune, n'eût pas été, je pense, l'abandon aux faciles plaisirs des brasseries du boulevard Saint-Michel; c'était un curieux et un laborieux; mais sa curiosité même eût été pour lui un danger. Avec les goûts qu'il avait pour l'histoire et la littérature, il eût pu être tenté de déserter les cours de la Faculté et les salles des hôpitaux pour les cours de la Sorbonne et du Collège de France; il se fût peut-être glissé dans les rédactions des journaux littéraires et politiques pour devenir exclusivement publiciste, au lieu de ne trouver dans le journalisme qu'un délassement de sa carrière médicale » [4]. Il s'inscrit à la faculté de médecine de Paris trois ans plus tard, en 1876, et est reçu à l'externat, à sa deuxième tentative, en 1878, 195ème sur 231 candidats. En 1881, il devient interne des Hôpitaux de Paris. Il aura pour maîtres François Damaschino, Paul Brouardel, Alfred Fournier, etc, entrera en 1884 chez JM. Charcot « qui sera vraiment son Dieu » [4]. Paul Legendre poursuit : « M. Brouardel aimait beaucoup cet élève si bien doué et si ardent au travail, ayant des aptitudes à la fois médicales et littéraires; en 1885, il le nomma préparateur de son cours de médecine légale » [4].
 
gilles de la tourette
interne de JM. Charcot en 1884
 © Extrait de l'Album de l'internat de La Salpêtrière conservé à la Bibliothèque Charcot à l'hôpital de la Salpêtrière
(Université Pierre et Marie Curie, Paris)  
gilles.de.la.tourette
 
En 1887, G. Gilles de la Tourette succède à Joseph Babinski au poste de chef de clinique de JM. Charcot. P. Legendre commente : « Préparer les leçons d'un professeur comme celui de La Salpêtrière, concilier à la fois obéissance et l'initiative, veiller à tous les détails d'un immense service était une tâche délicate et fatigante ». C'est dans cette période qu'il mettra en pratique les tentatives thérapeutiques des douleurs du tabès par « les suspensions » dont Fulgence Raymond avait entretenu JM. Charcot au retour d'un voyage en Russie auprès de Motchoukowsky. Le maître restait septique mais ne voulait pas ignorer un éventuel bénéfice pour les patients auxquels seule l'hydrothérapie à Lamalou Les Bains était proposée. G. Gilles de la Tourette montra l'absence d'élongation réelle de la moelle. La curiosité de son maître l'amena à étudier une chaise trépidante pour améliorer les parkinsoniens and he invents a vibratory helmet using batteries which must treat facial neuralgia and vertigo [5,6]. Nous avons trouvé une lettre [7], gardée par G. Georges de la Tourette qui y a porté cette annotation : « Monsieur Charcot partant pour aller à Nice ou à Cannes ou à Marseille pour une consultation à Don Pedro d'Alcantara, empereur du Brésil.
 
« Dimanche
Mon cher Gilles de la Tourette,
Je suis obligé de partir ce soir même. Je ne serai pas de retour pour la leçon du mardi matin. Renvoyez les malades à vendredi, je serai revenu pour ce jour là et comme je n'avais pas eu le temps de m'être préparé, je montrerai la dormeuse. En mon absence, faites la consultation mardi devant le public et si vous rencontrez de bons malades, renvoyez les à vendredi. Je les interrogerai de nouveau. Avec la dormeuse, cela suffira pour la leçon. Dites au public que j'ai été appelé subitement et qu'à mon grand regret, j'ai été obligé de partir.
Très à vous, Charcot le 27 novembre 1887 ».
 
Charcot était obligé de partir pour une consultation urgente auprès de l'Empereur du Brésil. Médecin des grands du monde de l'époque, il ne craint pas de laisser, confiant, le contrôle de son service et de sa célèbre consultation publique du mardi, à son chef de clinique. Exclusif et rigoureux, il veut réinterroger les malades, dignes d'un intérêt pédagogique, que G. Gilles de la Tourette aurait vus à la consultation. Ces propos indiquent une forme de familiarité telle que JM. Charcot ne l'exprimait pas en public, bien différente de la réputation d'autorité intransigeante qu'il « s'exerçait vis-à-vis de ces élèves dont aucun n'aurait osé la braver » [4]. Cabotin néanmoins, il ne veut pas décevoir « le public ».
 
 
G. Gilles de la Tourette participe, en 1892, au même concours d'agrégation que J. Babinski. Victimes de la dissension qui oppose Charles Bouchard, président du jury, et JM. Charcot, ni l'un ni l'autre ne sera reçu. Mais à l'inverse de J. Babinski, il persévéra et sera nommé agrégé de médecine légale en 1895 [5]. Nommé au Bureau Central en 1893, c'est à dire médecin des hôpitaux de Paris, il sera chef de service à l'hôpital Hérold en 1896 puis de Saint-Antoine en 1898. La seule fois où il enseignera la neurologie sera liée à la maladie de Fulgence Raymond, successeur de JM. Charcot à la chaire de clinique des maladies du système nerveux, lorsqu'il assurera sa suppléance pendant un semestre de l'année 1899 [8].
 
 gilles de la tourette
extrait de
Une leçon de Charcot à La Salpêtrière
tableau de André Brouillet 1887
 
Le littérateur
En janvier 1888, paraît le premier numéro de la Nouvelle Iconographie de la Salpêtrière, sous la direction officielle de JM. Charcot mais, dans les faits, dirigée par Paul Richer, Georges Gilles de la Tourette et Albert Londe. L'avertissement, écrit par G. Gilles de la Tourette [9], ne manque pas de l'emphase dont il est coutumier : « Nul n'ignore aujourd'hui que la Clinique dont cet hôpital est le siège, constitue le plus grand centre scientifique pour l'étude des maladies nerveuses. Il n'est guère de médecins français, de Paris ou des départements, qui n'y aient envoyé de malades; la diversité des langues qu'on y entend parler prouve en outre que tous les pays du monde en sont plus ou moins tributaires. Dans ce grand nombre de patients, il en est certainement beaucoup qui sont venus chercher spontanément un remède à des maladies rebelles, mais il en est plus encore qui ont été adressés par leur médecin soucieux de permettre à un diagnostic hésitant de s'établir sur des bases solides ». A côté des Archives de Neurologie fondées, en 1880, par JM. Charcot et dirigées par Désiré Magloire Bourneville et Charles Féré, l'ambition de ses concepteurs est : « lorsqu'un malade présente objectivement quelque intérêt, il est immédiatement dessiné ou photographié [...] Ces clichés forment aujourd'hui, à la Salpêtrière, une collection de grande importance ». La création par JM. Charcot d'un laboratoire photographique dans son propre service, à côté d'un laboratoire d'anatomo-pathologie, était une innovation unique. Il se sert des talents de ses assistants pour diffuser les observations et découvertes qu'il peut faire. Paraissant tous les deux mois, au début, il sera exceptionnel de ne pas trouver un texte de G. Gilles de la Tourette dans chaque livraison, témoignant, par là, de son goût pour le journalisme. Revenant à des considérations très pratiques, il écrit : « Placés par notre maître à la tête des branches les plus importantes de son service, nous avons en main tous les éléments pour mener à bien notre entreprise. Nous pouvons nous passer de faire appel à des tiers pour le dessin, la gravure, la reproduction photographique des cas à représenter ». Gilles de la Tourette sera rédacteur, P. Richer le dessinateur et graveur, parfois rédacteur, et A. Londe le photographe attitré. Et de commenter : « on sait qu'aujourd'hui, en traitant sans intermédiaires, on peut avoir beaucoup et à peu de frais » [9].
 
gilles e la tourette
G. Gilles de la Tourette fut le médecin chef de l'Exposition Iniverselle à Paris en 1900
 
La description de la maladie
Dès 1881, l'année de son admission à l'internat, il avait traduit, sans le commenter, dans Les Archives de Neurologie, l'article de Beard paru en 1880, dans The Journal of Nervous and Mental Diseases, intitulé « Les sauteurs du Maine » [10,11]. C'est JM. Charcot qui incita G. Gilles de la Tourette à persévérer dans cette étude : « Nous avons nous-même, sur les conseils de notre maître, M. le professeur Charcot, analysé les travaux des trois précédents auteurs (cf Beard, O'Brien, Hammond) et montré, en juillet 1884, que le Jumping du Maine, La Latah de Malaisie, et le Myriachit observé par les officiers américains en Sibérie n'étaient qu'une seule et même affection » [12]. Son travail princeps, décrivant la maladie qui porte son nom, parait en 1885 dans les Archives de Neurologie: « Etude sur une affection nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompagnée d'écholalie et de coprolalie » [13]. Il faut bien préciser qu'il ne soutiendra sa thèse de doctorat en médecine qu'un an plus tard en 1886. En dehors d'une seule fois en 1899, à l'occasion de la description d'un autre cas clinique, parue dans La Semaine Médicale, G. Gilles de la Tourette ne s'intéressera plus à « la maladie des tics convulsifs » [14]. Ce travail de jeunesse n'eut pas grand écho à l'époque de sa publication mais c'est JM. Charcot qui proposa son intitulé : « maladie de Gilles de la Tourette » [5]. De 1884 à 1965, seuls 50 cas seront décrits dans la littérature et le nom de Gilles de la Tourette aurait pu disparaître dans l'oubli. Mais l'équipe de A. Shapiro et A. Shapiro publieront en 1969 une étude de 114 cas consécutifs qu'ils avaient observés, puis estimeront la prévalence de la maladie à 0,5% d'une tranche d'âge de la population américaine. Cette légitimation de la description et de la caractérisation de ce tableau clinique par G. Gilles de la Tourette, antérieurement contesté, était définitivement validée. La création d'une association de malades, en 1971 aux USA, fit briller à nouveau le nom de Gilles de la Tourette et a assuré sa célébrité. MacDonald Critchley writes « The Malady of Gilles de la Tourette: what a compelling and grandiloquent choice of words ! A a matter of fact, it is a fragment of poetry with its iambus following a dactyl. More than that, it is a musical theme which reverberates in one's imagery. Little wonder that the eponym fixates itself in the mind of every student at the ouset of his career in neurology, there to remain throughout his life like a limpet ». Son nom a été, hélas, simplifié en Tourette syndrome, seul éponyme du DSM III puis IV [15,16].
 
 
 
L'hystérie
Le grand sujet qui occupa G. Gilles de la Tourette de 1884 à 1897 et le passionna, est l'hystérie, a term used as « a dustbin where everything was placed which could not be classified » [5]. Il devient le zélé rédacteur des expériences et des théories en devenir de son maître JM. Charcot qui s'y consacrait depuis 1870. Celui-ci appréciait le dévouement et la capacité de travail de G. Gilles de la Tourette. Il en fit son secrétaire particulier après l'éloignement à Bicêtre de Ch Féré. Le service de JM. Charcot comprenait une salle affectée aux hystériques et épileptiques. La présence « d'un certain nombre de cas très remarquables d'hystérie » l'encourage à tenter de lever le mystère de deux pathologies, souvent confondues, qui mettent en échec sa méthode anatomo-clinique à l'origine de ses grandes découvertes : tableau à la symptomatologie clinique riche en l'absence de lésion individualisée du système nerveux. La première publication de G. Gilles de la Tourette date de 1886. Alliant son intérêt pour l'histoire et le journalisme, c'est à nouveau à Loudun qu'il va puiser son inspiration en explorant le cas de « Soeur Jeanne des Anges, supérieure des Ursulines de Loudun XVIIè siècle, autobiographie d'une hystérique possédée », préfacée pour la première fois par JM. Charcot [17]. Lui et G. Legué ont trouvé, à la bibliothèque de Tours, un récit autobiographique inédit dans lequel « nous nous trouvons tout simplement mis en rapport direct avec une malade d'une certaine culture, quoiqu'illettrée, qui s'est minutieusement et intelligemment observée, et qui nous livre d'elle-même la confession de ses souffrances avec autant de sincérité que de naïveté et j'ajoute avec un luxe de détails instructifs que l'on chercherait souvent en vain dans les observations médicales les plus modernes ».
 
Dès son adolescence, Gilles de la Tourette s'est intéressé à l'histoire. Sa curiosité le porta à étudier la vie de Théophraste Renaudot (1586-1653) (voir statue ci-dessous), originaire de la ville de Loudun, toute proche de son propre lieu de naissance. Cet illustre compatriote, lui-même médecin, accompagna le Cardinal de Richelieu à Paris. Important l'institution des « monts de piété » en France, il est également l'instigateur des consultations charitables et gratuites dans un but humanitaire, des bureaux de placement, ancêtre des agences pour l'emploi. G. Gilles de la Tourette, positiviste et progressiste convaincu, ne pouvait qu'être fasciné par le personnage. Le 30 mai 1631, Théophraste Renaudot lançait sa célèbre Gazette, premier quotidien français, organe de propagande au service de Richelieu, qui lui accorda, en 1635, le monopole de la presse, au détriment de ses concurrents parisiens. G. Gilles de la Tourette, encore interne, lui consacrera une biographie parue en 1884 [18]. Comment ne pas voir là, la fascination pour l'écrit qui rendit Gilles de la Tourette si prolixe. En 1882, il fait la connaissance d'un journaliste qui tient la rubrique actualité dans le journal « L'Eclair » [19], Georges Montorgueil, né comme lui en 1857. Une profonde amitié va naître et perdurer jusqu'à la mort de G. Gilles de la Tourette. Semblant s'inspirer de Th. Renaudot, G. Gilles de la Tourette fera publier par son ami non seulement des actualités médicales issues des travaux de La Salpêtrière dont il assure ainsi la notoriété, mais aussi des notes de vie quotidienne très variées. Si G. Gilles de la Tourette utilisa la presse grand public pour diffuser les travaux de JM. Charcot, popularisant les recherches du maître, il favorisa, par là même aussi, sa célébrité personnelle. A partir de 1892, sous le pseudonyme de Paracelse, il rédige, là en tant que chroniqueur scientifique, des commentaires sur la folie et sa représentation au théâtre ou encore des crimes passionnels : l'Etat mental de Froufrou [20], La folie de la Reine Juana [21], A propos du procès Cauvin : l'état mental de Marie Michel [22], L'état mental du feu Ravachol [23], L'épilogue de l'affaire Eyraud - Bompard [24].
 
georges gilles de la tourette
photo de G. Gilles de la Tourette en famille vers 1892 (son fils Jean à droite qui mourut en1893)
 
L'affaire Eyraud - Bompard
En 1889-1890, une affaire criminelle passionna le public, l'affaire Gouffé du nom d'un huissier, victime d'un assassinat par strangulation. Après qu'il ait été invité à s'allonger sur un sofa par Gabrielle Bompard, la galante complice, qui l'a attiré dans ce traquenard, lui passe délicatement une cordelette autour du cou pendant de supposés préliminaires. Son meurtrier, Michel Eyraud, caché derrière un rideau, étranglera l'infortuné en tirant la corde. Les meurtriers ne trouvèrent pas les économies escomptées et abandonnèrent le corps dans une malle près de Lyon. Gabriele Bompard se constitua prisonnière quelques mois plus tard. Ses avocats bâtirent sa défense en expliquant qu'elle avait agi sous l'emprise d'un état hypnotique dans lequel M. Eyraud l'avait plongée. Jules Liégeois, représentant Henri Bernheim et l'école de Nancy vint rapporter devant la cour ses propres expériences, sensées démontrer qu'un crime était réalisable par suggestion. Mais Paul Brouardel et Gilbert Ballet, nommés à titre d'experts, ridiculisèrent sa déposition. Michel Eyraud fut condamné à mort et Gabriel Bompard à 20 ans d'emprisonnement [25]. A cette occasion, Gilles de la Tourette rédigea un mémorable « Épilogue d'un procès célèbre » proclamant la victoire des théories de La Salpêtrière qui niait toute possibilité d'action violente réalisée sous hypnose et par suggestion [24]. Une lettre inédite de JM. Charcot à G. Gilles de la Tourette éclaire leur complicité à cette occasion :
 
« Mon Cher Gilles de la Tourette,
Je suis fort inquiet. Bernheim ne savait pas et j'ai les épreuves de votre épilogue. Avait-il changé d'idée et que faire alors il ne faudrait plus parler du «Temps« ? Ne pourriez-vous pas savoir auprès de Taleur ce qu'il en est ?
A vous Charcot
Mardi soir ».
 
Ce courrier laisse entrevoir un JM. Charcot plus empathique qu'à l'ordinaire, mais inquiet, laissant percevoir, de façon inaccoutumée, le doute. Malheureusement non datée, on comprend qu'il s'agit de l'épisode de la querelle qui opposa l'école de Nancy à celle de la Salpêtrière à l'occasion du procès Eyraud - Bompard. Gilles de la Tourette avait probablement soumis à son maître les épreuves de son article, paru dans Le Progrès Médical en 1891. Mais entre l'écriture de cet article, glorifiant la position de La Salpêtrière, et sa publication s'écoula quelques semaines. Dans cet intervalle, Bernheim avait, lui, publié une tribune dans le journal « Le Temps » justifiant son point de vue sur la suggestion et la criminalité. Par la présence d'un renvoi, au bas de la page 93 de l'article du Progrès, on s'aperçoit qu'après cet échange avec JM. Charcot, Gilles de la Tourette a ajouté : « Dans son article du « Temps » (29 janvier 1891), paru depuis la préparation du présent Bulletin, H. Bernheim, appréciant les opinions de la Salpêtrière en matière d'hypnotisme, dit un peu dédaigneusement : « C'est un ensemble de faits expérimentaux plutôt qu'une doctrine, car les faits sont exposés sans interprétation théorique » [24,26].
Pourtant, dans son livre, « L'hypnotisme et les états analogues du point de vue médico-légal », Gilles de la Tourette donne, en 1887, deux exemples d'hystériques (la célèbre Blanche Wittman et Mlle H.E.) incitées à commettre un crime en état d'hypnose et qui déclarèrent avoir réellement commis leur acte avant leur éveil [27]. On voit là une première contradiction à la position prise lors du procès. L'année 1893 en amènera une seconde.
 
En 1893, G. Gilles de la Tourette connaît plusieurs drames, véritable année noire pour lui. D'abord en janvier, la mort frappe son fils victime d'une méningite. En août, JM. Charcot meurt subitement. Enfin le 6 décembre 1893, une femme, Rose Kamper, se présente à son domicile afin de lui réclamer de l'argent, se disant victime d'expériences d'hypnotisme subies à La Salpêtrière. Après avoir refusé, G. Gilles de la Tourette se lève et se tourne pour l'éconduire; aussitôt, elle tire sur lui trois coups de feu qui le touche à la nuque, assez superficiellement [28]. Dès la fin des soins qu'il reçoit des mains du chirurgien Pierre Delbet (1861-1957), son premier geste est d'écrire d'une main mal assurée ce bref mot, inédit, à Montorgueil : « Je serai heureux de vous voir aujourd'hui. La balle est enlevée. Ca va mieux, mieux. Cordialement. Gilles de la Tourette. Quelle drôle d'histoire ».
 
Interrogée sur le mobile qui l'avait poussée à attenter aux jours du médecin, cette femme réitéra « qu'elle était dans la misère et que s'étant prêtée jadis soit volontairement, soit à son insu, (sic) à des expériences d'hypnotisme à la Salpêtrière, elle avait aliéné sa volonté de telle sorte qu'elle se trouvait aujourd'hui dans l'impossibilité de se remettre à travailler et que conséquemment il lui paraissait logique de venir demander de l'argent à ceux qui lui avaient ôté son pain ». G. Montorgueil publiera, dans « L'Eclair » du 8 décembre 1893, un article complet. Survenant quelques mois après la querelle publique, dans un prétoire, opposant l'Ecole de Nancy et l'Ecole de La Sapêtrière, ce fait divers suscita une couverture médiatique considérable, certains journaux allant jusqu'à insinuer un montage publicitaire orchestré par G. Gilles de la Tourette [29].
 
La fidélité et l'attachement de G. Gilles de la Tourette à JM. Charcot et à ses idées sur l'hystérie transparaissent dans ce témoignage de P. Legendre : « Dès le jour où il fut attaché à Charcot, il prit soin de recueillir jour par jour ce que le maître disait ou laissait seulement entrevoir; Charcot rendit lui-même témoignage de ce travail patient d'historiographe de la pensée d'un chef pendant huit ans, lorsqu'il écrivit dans la préface du Traité de l'hystérie : « en lisant, avant l'imprimeur, l'ouvrage de M. Gilles de la Tourette, J'ai été plusieurs fois surpris d'y trouver des idées qui m'étaient absolument personnelles, que je croyais n'avoir jamais émises, qui, en tous cas, étaient restées inédites ». Le maître accordait ainsi à son élève, une troisième préface à un de ses livres, privilège qu'aucun autre disciple ne connut. Le troisième tome du « Traité de l'hystérie », relu quelques jours avant sa mort par JM. Charcot, parut en 1895. Gilles de la Tourette n'écrivit plus qu'un texte sur l'hystérie, par la suite, en 1900 [30].
 
georges gilles de la tourette
 
Une pénible fin de vie
 
Gilles de la Tourette avait été l'interne de Alfred Fournier. S'il acceptait l'idée que le tabès avait une origine syphilitique, il ne s'accorda jamais avec son ancien maître sur l'origine syphilitique de la démence de la paralysie générale [31]. Dans « Paris vécu », Léon Daudet relate comment, selon lui, la maladie de Gilles de la Tourette se révéla publiquement. « Pierre Marie, qui devait faire beaucoup plus tard un abattage si remarquable de la localisation du langage articulé, était alors très discipliné, très modeste, très en retrait : « Oui Monsieur, non monsieur, parfaitement Monsieur ». II était bien de sa personne, fort aimable, plus semblable à un avocat timide qu'à un médecin. Il tranchait avec ce pauvre Gilles de la Tourette, hirsute, bavard catégorique, absurde, et qui mourut fou. Le délire de Gilles de la Tourette, consécutif à un tréponème négligé, se révéla publiquement de la façon la plus cocasse. Faisant passer un examen, il demanda au candidat : « quels sont Monsieur, les trois plus grands médecins français du XIXème siècle ? » L'élève réfléchit et répondit : « Laennec, Duchenne de Boulogne et Charcot », car il savait que Gilles de la Tourette avait été l'élève du troisième. - Non, Monsieur, vous n'y êtes pas: il y a eu mon grand-père, mon père et moi, Coco. Ici l'examinateur coiffa le jeune homme interdit de sa propre toque d'agrégé, c'est pourquoi on va m'élever une statue en bromure de potassium ! » [5].
 
Les archives de l'Assistance Publique présentent Gilles de la Tourette en congé pour raisons de santé à partir du 1er novembre 1901 [32]. Après qu'en 1900 Edouard Brisssaud (1852-1909) ait laissé la chaire d'histoire de la médecine pour celle de Pathologie Médicale, Gilles de la Tourette envisagea de postuler à sa succession. L'analyse du manuscrit de 38 pages qu'il rédigea dans ce but et ne fut jamais déposé comprend certains passages pathétiques indiquant la fuite des idées, la mégalomanie, la perte de l'autocritique: « C'est nous le croyons, un service magnifique que nous avons rendu à l'histoire de la médecine en représentant et en faisant aussi aimer ces vieux trésors de nos musées, ces documents si précis et si représentatifs dans leur figuration .... et qui étaient jusqu'alors restés presque complètement ignorés et méconnus de la masse du public et aussi des médecins les plus experts en choses posthumes de la médecine. Nous avons aussi publié en les joignant, mémoires originaux aux découvertes les plus belles en art ancien et moderne, 3 à 400 planches ou dessins au minimum qui pourraient aussi fournir un volume superbe élevé à la gloire de la médecine française. On devrait toujours le consulter afin d'avoir constamment présente à la pensée et à l'esprit cette évolution historique parallèle et admirable de l'histoire de la médecine et de l'art de la peinture de la sculpture, et de la parure en France et à l'étranger avec des documents figurés qui n'ont pas leurs équivalents dans le monde. Ils figurent très rarement en effet dans les livres habituels si ce n'est peut-être dans le grand ouvrage de l'honnête Ambroise Paré qui devait être un excellent dessinateur car son livre est orné de merveilles ». Il fut hospitalisé à son insu, à la Maison de santé du Bois de Céry, près de Lausanne, accompagné de Jean-Baptiste. Charcot, fils de son maître et condisciple, qui argua d'une demande d'un avis médical sur un patient célèbre de la clinique. Il devint dément et mourut le 22 mai 1904 d'un état de mal épileptique [5,7].
 
1°) Goetz CG, Bonduelle M, Gelfand T. Charcot : Constructing Neurology. Oxford University Press. 1995.
 
2°) Goetz CG. The prefaces by Charcot. Leitmotifs of an international career. Neurology. 2003;60:1333-1340.
 
3°) Le Progrès médical, 1882, T.X, n°27 (8 juillet), p.535).
 
4°) Legendre P. Gilles de la Tourette 1857 - 1904. Bulletins et Mémoires de la Société Médicale des Hôpitaux de Paris. 1905;21:1298-1311.
 
5°) Lees AJ. Georges Gilles de la Tourette, the man and his times. Rev Neurol (Pais). 1986;142(11):808-816.
 
6°) Guilly P. Gilles de la Tourette. in Historical Aspects of Neurosciences, edited by F. Clifford Rose and W.F. Bynum. Raven Press, New York. 1982:397-413.
 
7°) Duncan G. Gilles de la Tourette : aspects connus et méconnus de sa vie et de son oeuvre. Thèse pour le doctorat en médecine. Poitiers. 1995. 166p.
 
8°) Le Progrès médical, 1899, T.X, n°48 (2 décembre), p.43).
 
9°) Charcot JM. Richer P. Gilles de la Tourette G. Londe A. Paris. Lecrosnier et Babé Ed. 1888;1:1-4.
 
10°) Beard G. Experiments with the "jumpers" or "jumping Frenchmen" of Maine. Journal of Nervous and Mental Disease. 1880;7:487-490.
 
11°) Gilles de la Tourette G. Les "Sauteurs" du Maine (États-Unis), traduit de G. Beard. Arch Neurol (Paris). 1881;2:146-160.
 
12°) Gilles de la Tourette G. Jumping, Latah, Myriachit. Arch. Neurol (Paris). 1884;8:68-74.
 
13°) Gilles de la Tourette G. Etude sur une affection nerveuse caractérisée par de l'incoordination motrice accompagnée de l'écholalie et de la coprolalie. Arch Neurol (Paris). 1885;9:19-42 et 158-200.
14°) Gilles de la Tourette G. La maladies des tics convulsifs. La Semaine Médicale. 1899;19:153-156.
 
15°) Shapiro AK, Shapiro E, Bruun RD, Sweet RD. Gilles de la Tourette Syndrome. New York. Raven Press. 1978.
 
16°) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders. American Psychiatric Association. 1994. 792p.
 
17°) Gilles de la Tourette G. Soeur Jeanne des Anges supérieure des ursulines de Loudun au XVIIè s, autobiographie d'une hystérique possédée, d'après le manuscrit inédit de la bibliothèque de Tours. Le Progrès Médical. Paris; 1886. 321p.
 
18°) Gilles de la Tourette G. Théophraste Renaudot, d'après des documents inédits, un essai de Faculté libre au XVIIè siècle, les consultations charitables, La Gazette. Plon éd. Paris 1884.
 
19°) Montorgueil G. La correspondance privée de Gilles de la Tourette à G. Montorgueil (1892-1904). Archives Nationales. 428 AP/2.
 
20°) Gilles de la Tourette G. L'état mental de Froufrou. La Revue Hebdomadaire. 1892;27:624-629.
 
21°) Gilles de la Tourette G. La folie de la Reine Juana. La Revue Hebdomadaire. 1893;63:461-470.
 
22°) Gilles de la Tourette G. A propos du procès Cauvin: l'état mental de Marie Michel. La Revue Hebdomadaire. 1896;202:118-131.
 
23°) Gilles de la Tourette G. L'état mental de feu Ravachol. La Revue Hebdomadaire. 1892;29:62-629.
 
24°) Gilles de la Tourette G. L'épilogue d'un procès célèbre (affaire Eyraud-Bompard). Progrès Médical. Lecrosnier et Babé Ed. Paris. 1891. 16p.
 
25°) Charcot JM. Magnetism and Hypnotism. Forum of New York. 1889;8:566-577.
 
26°) Bouchardon P. La malle mystérieuse, affaire Eyraud - Garielle Bompard. Paris. Albin Michel Ed. 1933; 319p.
 
27°) Gilles de la Tourette G. L'hypnotisme et les états analogues du point de vue médico-légal. Libraire Plon-Nourrit. Paris 1887. 534p.
28°) Guinon G. Attentat contre le Docteur Gilles de la Tourette. Le Progrès Médical. 1893;2:446.
 
29°) Bogousslavsky J, Walusinski O. Criminal Hypnotism at the Belle Epoque: The path traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles de la Tourette. Eur Neurol. 2009;62:193-199.
 
30°) Gilles de la Tourette G. Traité clinique et thérapeutique de l'hystérie d'après l'enseignement de La Salpêtrière. Paris. Plon Ed. 1895. 3 tomes.
 
31°) Gilles de la Tourette G. Formes cliniques et traitement des myélites syphilitiques. JB Baillière et fils. Paris 1899. 90p.
 
32°) Archives de l'Assistance Publique. Etat du personnel médical des hôpitaux et hospices, janvier 1903, D617.
 

Journaliste français, par Boucher (1869-1910)
Autrefois située rue de Lutèce (Paris, IV ème)
Bronze, fondue lors de la guerre 1939-1945
theophraste renaudot
 
jean chauvreau tics
georges gilles de la tourette