Ce sont les modifications de la conscience
qui tiennent, à juste titre, la
première place dans l'étude du
sommeil. Les manifestations motrices retiennent
moins l'attention, encore que l'hypotonie dont
le degré semble correspondre à la
profondeur du sommeil soit bien connue, encore
que les myoclonies de l'endormissement et du
réveil aient donné lieu à
des observations abondantes. Par contre, il
apparaît que le bâillement qui
devrait s'inscrire de droit dans l'étude
du sommeil qu'il précède et qu'il
suit est presque constamment
négligé. Souvent premier signe
d'une baisse de la vigilance, le
bâillement n'est cependant pas indigne
d'intérêt. Il se place, en effet,
aux confins des activités réflexes
automatiques, par son expression motrice
paroxystique et involontaire, et des
activités d'expression s'intégrant
aux côtés du langage dans une
série de mimiques qui, pour être
involontaires, n'en ont pas moins une
signification dont le sens : ennui, suspension
de l'intérêt, voire
agressivité, n'échappe à
personne.
Cette activité pourtant banale, voire
un peu incongrue, a été
négligée par les physiologistes et
les psychologues. Par contre, nombreux sont les
médecins qui, depuis l'antiquité
se sont penchés sur ce symptôme et
ont tâché d'en déceler la
valeur diagnostique et pronostique. Sa
signification a également retenu leur
attention, mais c'était pour reprendre
tout au long des siècles et avec un
minimum de variations la théorie
cathartique énoncée par Hippocrate
qui peut se résumer par la formule :
« le bâillement chasse le mauvais air
du poumon ». Ce n'est qu'au XX°
siècle que vont apparaître des
théories moins fantaisistes qui peuvent
être classées en deux groupes selon
que le bâillement est
considéré comme une
réaction contre le sommeil, ou comme une
perturbation primitive des centres
respiratoires. Nous verrons comment les
données neuro-physiologiques modernes
nous permettent de l'intégrer parmi les
mécanismes régulateurs de la
vigilance.
Description des temps du
bâillement
Le bâillement est un mouvement
respiratoire involontaire et paroxystique. Il
s'agit d'une activité motrice complexe se
déroulant dans un ordre donné,
toujours le même, et dans lequel on peut
distinguer trois phases : la première est
active, inspiratoire; la seconde correspond
à l'acmé du bâillement; la
troisième est passive, expiratoire. Leur
durée respective est de 1,5 à 4" ;
1 à 2" ; 1,5 à 4", un
bâillement durant en moyenne de 4 à
7". L'analyse des mouvements d'un sujet qui
bâille peut se faire par l'inspection
clinique, par l'examen laryngoscopique et par
l'étude des radiographies en série
prises touïes les 1/2 secondes, telles que
nous l'avons réalisée à
l'hôpital St Antoine, avec le Docteur J.
Chalut.
Lors de la première phase, on
constate l'ouverture progressive de la bouche,
la dilatation du carrefour
pharyngo-laryngé, la dilatation du thorax
et l'abaissement du diaphragme. L'ouverture de
la bouche se fait lentement; elle n'est
qu'à moitié ouverte lorsque le
temps pharyngo-laryngé est
déjà à son acmé.
L'abaissement de l'axe aérien du cou est
évident par la simple inspection qui
montre l'abaissement du cartilage thyroïde.
Les radiographies l'objectivent mieux encore,
montrant que le corps de l'os hyoïde
situé au repos en regard de C2 ou C3
descend jusqu'au niveau de C6 OU C7. Cet
abaissement de l'os hyoïde explique
l'attitude de la langue qui est attirée
en arrière et en bas, la pointe
s'éloignant beaucoup des arcades
dentaires qu'elle touche normalement. La
dilatation de la glotte et l'abduction des
cordes vocales peuvent être
constatées lors d'un examen
laryngoscopique suffisamment patient pour saisir
un bâillement spontané. Les
radiographies en série nous ont
montré qu'il existait une dilatation
énorme et insoupçonnée du
pharynx qui triple ou quadruple de volume. Le
pharynx, le larynx, la trachée et aussi
les bronches souches apparaissent sur les
clichés dilatés à
l'extrême. L'élargissement de la
cage thoracique dans tous ses axes et
l'abaissement du diaphragme ne diffèrent
en rien de ce qu'on observe lors d'une
inspiration profonde volontaire.
L'importance et les caractères de la
dilatation pharyngolaryngée nous
paraissent devoir être soulignés.
Alors que l'ouverture de la bouche et
l'inspiration profonde se produisent dans bien
des circonstances en dehors du bâillement,
l'énorme dilatation pharyngée avec
abaissement de l'os hyoïde et de la langue
ne s'observe que dans le bâillement. Il
est à noter que le bruit inspiratoire du
bâillement se produit dans le palais et
l'isthme du gosier. Il ne s'agit pas d'un bruit
glottique, la glotte étant dilatée
au maximum à cette phase.
La deuxième phase du bâillement
correspond à l'acmé des mouvements
d'ouverture de la bouche (c'est alors que les
sujets peuvent se luxer la machoire), de la
dilatation pharyngée et thoracique. C'est
alors qu'apparaissent le plus nettement les
modifications faciales qui ont
débuté à la fin de la
première phase. La contraction des
dilatateurs des lèvres exagère
l'ouverture de la bouche. Les constricteurs des
paupières entraînent une occlusion
partielle ou totale des yeux. Les narines sont
dilatées. La peau de la base du nez se
fronce. Parfois, le front se plisse et les
sourcils s'élèvent. A cette phase
on peut aussi constater un certain degré
de contraction tonique des muscles extenseurs du
cou et du tronc. Elle peut s'étendre
aussi aux membres, les bras se portant en
élévation et en abduction, les
membres inférieurs en hyperextension. Cet
étirement qui est loin d'être
constant a pour résultat d'augmenter la
capacité thoracique, ce qu'il est
aisé de vérifier en
s'étirant après avoir
bloqué son thorax en inspiration
maximale. Des phénomènes
sécrétoires peuvent aussi survenir
alors : lacrymation, et plus rarement
salivation.
La troisième phase est passive,
brusquement l'inspiration cède,
l'expiration est assez lente, bruyante,
accompagnée d'un son vocal en « aahn
» d'origine laryngée. Le pharynx
reprend son volume normal, la bouche se ferme,
le faciès retrouve son aspect
habituel.
Cet ensemble de mouvements complexes et
synergiques peut résumer tout le
bâillement. Mais celui-ci peut
s'accompagner d'autres mouvements qui l'accusent
ou le minimisent. C'est ainsi que l'on peut
exagérer un bâillement et en
quelque sorte le souligner en s'étirant,
en modulant le son expiratoire ou en
exécutant des mouvements rythmiques de
latéralité avec la mandibule. A
l'inverse, on peut tenter de masquer le
bâillement dans certaines circonstances
où il est socialement
réprouvé. Le sujet porte la main
à son visage, masquant de sa paume
l'ouverture de la bouche. Il peut aussi
réprimer le bâillement,
c'est-à dire en arrêter dans une
certaine mesure l'expression motrice en
immobilisant son faciès, en s'opposant
à l'ouverture de la bouche et en
contrôlant son mouvement expiratoire. Mais
malgré sa bonne volonté, le
bâilleur est trahi par la mimique et le
bâillement « étouffé
» n'échappe pas à
l'observateur attentif. On peut remarquer que
dans ce cas le bâillement peut être
réduit à sa composante
pharyngée, soulignant encore l'importance
de ce temps dans le complexe moteur du
bâillement.
Un certain nombre d'explorations
physiologiques ont pu être faites au cours
du bâillement. Elles apportent une maigre
récolte de faits :
accélération minime du rythme
cardiaque à la phase inspiratoire, baisse
nette de l'indice oscillométrique
capillaire au niveau des doigts,
phénomène banal puisqu'on
l'observe également lors de l'inspiration
profonde (P. Heusner). L'E.E.G. pratiqué
au cours du bâillement est
ininterprétable du fait des
mécanogrammes et des myogrammes.
Au point de vue évolutif, il est
remarquable qu'un bâillement est rarement
isolé. Le plus souvent ils surviennent
par courts accès de deux ou trois,
d'intensité inégale et souvent
croissante, séparés, chacun, par
quelques respirations normales. Parfois les
bâillements vont se répéter,
à intervalles irréguliers, pendant
plusieurs minutes.
Bâillement et
étirement
Il s'agit de deux activités
très souvent mais non toujours
associées, l'étirement se greffant
à la deuxième phase du
bâillement. Chez le nourrisson et chez
l'animal, ces deux actions s'observent
fréquemment ensemble. Chez l'homme,
l'étirement accompagne plus volontiers
les bâillements du réveil que ceux
de l'endormissement, et l'association de ces
deux activités est loin d'être
constante, et le bâillement - même
en dehors des cas où les circonstances
sociales ne permettent pas de le souligner par
un étirement - est le plus souvent
isolé. De même, l'étirement
qui se produit après une longue pause
dans la même attitude ne s'accompagne pas
forcément de bâillement. Ces faits
permettent de ne pas accorder tout à fait
la même valeur physiologique à ces
deux actes, notamment, on le verra plus loin, en
ce qui concerne leur valeur fonctionnelle.
Les causes déclenchantes du
bâillement. Elles sont nombreuses, on peut
les classer sous trois chefs.
Causes physiologiques
a) La somnolence. Elle occupe la
première place. Les hommes, les animaux
bâillent à l'approche du sommeil.
Il en est de même pour la période
du réveil qui est marquée chez
certains individus par des bâillements et
des étirements
répétés.
b) L'ennui est une cause fréquente.
Il peut naître de circonstances diverses.
Une conversation fastidieuse, une
conférence monotone, une lecture peu
captivante font bâiller.L'ennui est
intimement lié au
désintérêt dont le
rôle est primordial dans la genèse
du bâillement. Nous y reviendrons plus
loin.
c) Le fait de voir bâiller, Un bon
bâilleur en fait bâiller sept, dit
le dicton populaire. La contagion du
bâillement est facile à
vérifier en bâillant dans un groupe
averti ou non de votre intention.
d) Le fait de bâiller. Il est possible
de parvenir à se faire bâiller.
Pour cela, quatre à cinq inspirations
profondes, la bouche grande ouverte, imitant le
bâillement spontané suffisent
souvent. Une fois le bâillement
spontané survenu, il sera rarement
unique, et dans le quart d'heure suivant de
nouveaux bâillements isolés ou en
accès vont se reproduire.
e) La faim et, au contraire, la
plénitude survenant après un repas
copieux, sont couramment tenues pour
responsables de bâillements isolés
dans le premier cas, associés à
une somnolence dans le deuxième. Chez
certains sujets pléthoriques ces
bâillements post-prandiaux peuvent
constituer une gêne suffisante pour les
pousser à consulter.
f) Le bâillement enfin survient avec
une particulière fréquence dans
certains états : la fatigue physique, la
grossesse.
Causes pathologiques.
L'atteinte du tronc cérébral
s'accompagne fréquemment de
bâillements, qu,'il s'agisse d'une
lésion à l'intérieur du
tronc cérébral (hémorragie,
ramollissement, turneur), et à ce propos
rappelons que la somnolence est un signe
d'atteinte pédonculaire (J. Lhermitte),
ou d'un retentissement sur l'axe nerveux d'une
tumeur de la fasse postérieure.
Delmas-Marsalet
insiste sur le rôle des tumeurs frontales
dans le déclenchement du
bâillement. Nous ne pensons pas que cette
localisation soit spécifique car nous
avons vu très fréquemment des
bâillements survenir au cours de
lésions hémisphériques quel
que soit leur siège. Et nous nous
demandons si ces lésions expansives
n'agissent pas indirectement sur le tronc
cérébral soit par un
phénomène d'oedème ou
même d'engagement temporal. A ce titre
donc le bâillement, dans tous ces cas, a
la valeur d'un signe d'atteinte bulbaire. Il est
de mauvais pronostic.
Au cours de processus encéphalitiques
diffus, le bâillement n'est pas rare.
Des crises fréquentes ont
été observées au cours des
encéphalopathies éthyliques; de la
paralysie générale (Vergely).
Le bâillement est une des nombreuses
séquelles respiratoires observées
au cours de l'encéphalite
léthargique à
côté des soupirs et des hoquets
spasmodiques. Sicard
et Paraf, Turner et Critchley ont ainsi
rapporté des observations de
bâillement et de béement (Gaping)
spasmodiques. Rapprochons-en les
bâillements des choréiques.
Le bâillement peut s'observer aussi
dans certaines variétés
d'épilepsie. Pour Wilson, il
constituerait une aura des crises
viscérales.
Penfield et Jasper rapportent deux
observations de bâillement,
élément d'une crise
diencéphalique autonome.
Particulièrement instructive est leur
observation d'une femme de 29 ans ayant un
astrocytome occupant le lobe terriporal gauche
et la partie inférieure du corps
strié jusqu'à la paroi du Ill'
ventricule, dont les crises débutaient
brusquement par une douleur occipitale
s'accompagnant de bâillements et de
hoquet; en même temps s'engourdissaient le
bras gauche et la partie inférieure de la
bouche. La crise se terminait par un besoin
d'uriner.
Le bâillement a été
décrit avec abondance dans les
manifestations de l'hystérie (Charcot,
Déjerine,
Trautmann).
Salmon attire
l'attention sur la possibilité de crises
de bâillements dans la myasthénie
et cite à l'appui d'un cas personnel un
cas d'Albertoni.
Le bâillement est encore
observé au cours des anémies, des
hémorragies, et les réanimateurs
connaissent bien ce symptome qui leur fait
rechercher une reprise d'une
hémorragie.
Le bâillement est également
noté fréquemment au cours des
affections digestives sans que les auteurs aient
beaucoup cherché à en
préciser le mécanisme.
Le baillement induit
expérimentalement. Deux
procédés permettent de provoquer
expérimentalement le
bâillement.
1) L'administration d'hypnotiques.
La morphine, les barbituriques favorisent,
en effet, l'apparition des bâillements.
L'action de ces drogues sur les centres de la
vigilance est d'un intérêt certain
sur lequel nous reviendrons.
2) Les stimulations
cérébrales.
Nous ne connaissons pas d'étude de
stimulation intracérébrale
concernant directement le bâillement. Par
contre, des bâillements ont pu être
observés et notés dans certains
protocoles. C'est ainsi que W.R. Hess (1938),
stimulant la substance intralaminaire du
thalamus et le subthalamus postérieur a
pu provoquer chez le chat le sommeil
précédé de
bâillements.
Les expériences de Passouant,
Passouant-Fontaine et Cadilhac (1956) sur la
stimulation du rhinencéphale et en
particulier de la corne d'Ammon mentionnent
aussi le bâillement. La crise induite se
fait en trois temps : pendant la stimulation :
réaction de fuite; pendant la
post-discharge, état de malaise avec
diminution de la vigilance. A la
troisième phase : l'animal se
lève, se lèche, ronronne. Ce
comportement de bien-être se prolonge
pendant plusieurs minutes, et parfois il se
couche, s'étire, bâille et
s'endort. Le sommeil peut se produire trois
à cinq minutes après la fin de la
post-discharge. L'enregistrement de l'hippocampe
montre qu'il est précédé de
pointes brèves et survoltées.
Il est bien évident que, dans ce cas,
le bâillement n'est qu'une manifestation
tardive et indirecte de la stimulation.
Néanmoins, il faut retenir qu'il
s'intègre dans un comportement de
bien-être et d'endormissement qui s'oppose
à la réaction de fuite
contemporaine de la stimulation. Le fait que le
bâillement puisse s'observer lors des
stimulations portant sur le rhinencéphale
ou l'hypothalamus, formation en rapport
étroit avec le système
réticulé ascendant dont on
connaît le rôle dans le
mécanisme de la vigilance, est à
souligner.
Bâillements et étirements
conjugués.
Chez les sujets normaux, le bâillement
et l'étirement sont souvent
indépendants l'un de l'autre. Mais, dans
certaines conditions pathologiques, ils peuvent
être conjugués de façon
indissoluble. Dumpert (1921) et Lewi (1921)
signalent l'observation clinique
d'hémiplégiques chez lesquels le
bâillement était produit par
l'étirement du bras paralysé.
Heusner (1946)
signale, à l'inverse, un étirement
spontané du bras paralysé
provoqué par un bâillement.
Nous avons eu l'occasion d'observer chez un
malade atteint de paraplégie spasmodique
des crises de contracture douloureuse du membre
inférieur paralysé
provoquées par des
bâillements.
D'interprétation encore plus
délicate est l'observation de D.
Furtado, d'un sujet atteint d'une
poliomyélite bulbospinale chez lequel
l'élévation de l'un ou l'autre
bras provoquait des bâillements suivis
immédiatement d'une irrésistible
envie de dormir. Ces deux dernières
observations apportent la preuve que des
stimulations d'origine spinale peuvent retentir
sur les formations du tronc
cérébral responsables du
bâillement.
Physiologie du bâillement.
Si les aspects cliniques et les causes
déclenchantes du bâillement sont
bien connus, son mécanisme physiologique
est mal élucidé ainsi que sa
signification. Nous ne reviendrons pas ici sur
les théories classiques dont nous avons
plus haut esquissé les tendances,
renvoyant ceux que cela intéresse aux
articles que nous avons déjà
consacrés à ce sujet. Ces
théories, dont certaines sont fort
ingénieuses, font cependant appel
à des précisions physiologiques
qui n'ont pas été
vérifiées, elles laissent
complètement dans l'ombre certains
aspects du réflexe psychomoteur qu'est le
bâillement, et enfin,
élaborées, pour les plus
récentes, aux environs de 1920, elles ne
peuvent faire état des acquisitions
capitales sur la pathologie du sommeil dues aux
expérimentations neuro-physiologiques
contemporaines. Peut-on aujourd'hui tenter une
synthèse et, à la lueur des
connaissances psycho-physiologiques actuelles,
préciser les divers aspects du
mécanisme du bâillement, en
soulignant bien entendu les lacunes que devront
suggérer des expérimentations
ultérieures ?
Essai sur le mécanisme du
baillement.
1°) Le bâillement est un acte
respiratoire complexe, involontaire et
paroxystique. Sous l'effet d'un certain nombre
de facteurs, se déroule, toujours dans le
même ordre, une activité motrice
brève (4 à 7 secondes), mettant en
jeu un grand nombre de muscles
thoraco-cervico-faciaux. Ceci évoque une
activité critique se propageant de proche
en proche dans un circuit neuronal donné.
Connaissant les muscles qui participent au
bâillement, il est possible de
préciser que les noyaux moteurs
intéressés siègent dans le
bulbe et la moelle cervicale. On peut donc
penser que la crise motrice que
représente le bâillement, est
liée à une décharge
paroxystique intéressant un certain
nombre de noyaux moteurs situés dans le
bulbe et la moelle cervicale haute, l'extension
de cette décharge aux noyaux des muscles
du tronc et des membres entraînant
l'étirement. Il est difficile de
préciser davantage notamment s'il existe
une hiérarchie dans cette structure
neuronale qui permettrait de parler de «
centre du bâillement ». Par contre,
il y a tout lieu de supposer que cette structure
contracte des rapports étroits avec le
système réticulé ascendant
et avec le cortex cérébral.
a) Le système réticulé
ascendant est une structure neuronale
étagée dans le tronc
cérébral et l'hypothalamus.
L'électrophysiologie a permis de montrer
qu'elle règle le degré de la
vigilance (découverte que l'on doit entre
autres à Magoun, Moruzzi, Jasper).
L'état d'alerte s'affaisse dans le
sommeil et les états pathologiques
apparentés : somnolence, torpeur ne
disparaissant complètement que dans le
coma profond. Il s'exalte au contraire à
des degrés variables suivant
l'intensité des stimulations et sans
doute l'étendue des mécanismes
nerveux mis en action. Il n'est pas
nécessaire de souligner les liens entre
le bâillement et le sommeil, et nous
verrons le rôle important que l'on peut
attribuer à ce système
régulateur de la vigilance dans la
genèse du bâillement.
b) La participation du cortex
cérébral paraît
incontestable lorsque le bâillement est le
résultat d'activités psychiques
aussi complexes que l'imitation ou Vennui. Il
n'est pas sans intérêt à ce
propos de rappeler les travaux de French et
coll. (1955) qui ont prouvé que les
afférences parties du cortex
retentissaient sur le système
réticulé ascendant.
2°) Si l'on s'en tient à cette
hypothèse qu'il conviendrait de
vérifier notamment par l'en reg ist
rement de l'activité neuronale des noyaux
moteurs mis en jeu clans le bâillement par
des électrodes intra-bulbaires (VE.E.G.
simple ne pouvant donner aucun renseignement),
il faut répondre à la question
suivante : Quels sont les facteurs responsables
de cette décharge paroxystique dans cette
structure motrice bulbo-médullaire ?
Les facteurs invoqués sont nombreux,
et il convient de les classer en deux chapitres
:
1) Les facteurs circulatoires et
humoraux.
ils doivent être discutés en
premier car ce sont eux qui ont
été le plus souvent
avancés, cependant sans données
expérimentales précises. On a
invoqué le rôle possible d'une
anoxie bulbaire ou de modifications
passagères du rapport CO2/02. On manque
de données précises sur ce point,
mais l'on sait que l'apnée volontaire
prolongée, pas plus que la
polypnée même profonde ne
provoquent de bâillements. Cependant, il
faut rappeler le rôle des respirations
profondes et lentes avec une bouche grande
ouverte qui, simulant le bâillement
spontané, finissent par le
déclencher.
Ce serait également par
l'intermédiaire d'une anoxie que
joueraient les troubles circulatoires. Leur
rôle est très vraisemblable en
pathologie, non seulement au cours des accidents
vasculaires intéressant le tronc
cérébral, mais au cours des
perturbations circulatoires aiguës comme
dans les tachycardies ou les bradychardies
paroxystiques où des modifications du
rythme respiratoire et des bâillements
peuvent être occasionnellement
observées. Cependant, dans des conditions
physiologiques, ces variations sont en
général contrôlées
par le système régulateur
formé par le nerf de Hering et le sinus
carotidien qui s'oppose aux variations du
débit circulatoire cérébral
et en particulier du tronc
cérébral. On peut penser que, dans
certaines circonstances, chez les sujets
âgés,
artériosciéreux, cette
régulation se fasse moins bien, et que
des facteurs tels que l'émotion, la
digestion, l'effort puissent entraîner des
modifications de la circulation du tronc
cérébral, et partant, des
bâillements et de la somnolence.
Le rôle des modifications humorales
est aussi avancé, le bâillement et
la somnolence post-prandiale étant mis
sur le compte d'une vague d'alcalose, d'une
décharge de polypeptides ou de lipides.
Des observations récentes faites avec des
biomicroscopes à très fort
grossissement, ont permis de montrer au niveau
des vaisseaux conjonctivaux, chez des
artérioscléreux soumis à
des repas riches en graisses, de longs embols
graisseux fragmentant la colonne sanguine et
objectivant en dehors de tout rôle propre
aux lipides, l'existence d'une anoxie
circulatoire relative post-prandiale. Comme on
le voit, bien des inconnues subsistent sur ce
point, et pas plus que l'on n'a réussi
à démontrer l'existence d'un
facteur hypnotique d'origine endogène, on
n'a pu faire la preuve d'une substance
endogène provoquant le
bâillement.
La pharmacodynamie nous fournit par contre
des drogues qui facilitent l'apparition du
bâillement et de la somnolence, telles que
la morphine et les hypnotiques. On connaît
par ailleurs l'action de ces substances sur le
système réticulé ascendant
qu'elles dépriment alors que des drogues
telles que la caféine et les
amphétamines ont un effet inverse. Ainsi,
si le bâillement peut être induit
pharmacodynamiquement, on n'a pas de preuve
formelle sur le rôle des perturbations
circulatoires ou humorales dans la
genèse. On doit souligner que si de
telles perturbations existaient cependant, ce
qui demeure possible et qui doit fournir l'objet
de recherches ultérieures, elles ne
pourraient avoir qu'un rôle favorisant,
leur durée excédant nettement
celle du bâillement qui, par ailleurs
peut, par exemple comme dans le post-prandium,
apparaître ou non selon les conditions
psychologiques où se trouve le
sujet.
2°) Rôle des stimulations
psycho-sensorielles.
Il y a lieu, à; ce sujet, de,
distinguer le bâillement spontané
du bâillement par imitation. Tous les deux
étant influencés par le milieu
extérieur, mais de façon
différente. Nous insisterons peu sur le
bâillement par imitation qui n'est qu'un
exemple des multiples actes que l'on fait par
contagion, assez souvent inconsciemment :
répéter un air fredonné ou
sifflé ; baisser ou hausser
l'intensité de la voix en accord avec
celle de l'interlocuteur ; sourire à un
sourire ; répondre à une grimace
par une grimace. De même, des actes
expressifs comme le rire ou le pleurer, sont
dans certaines circonstances contagieux. Il y a
dans ces mécanismes associatifs encore
bien des inconnues. Cependant, cette
possibilité d'associer deux stimulations,
deux comportements, deux idées, est
à la base même de de nos
mécanismes d'apprentissage, et le
bâillement par imitation ne constitue
qu'un cas particulier dans cet ensemble de
gestes imitaiifs. En tout cas, qu'un.
bâillement puisse être
provoqué par la vue d'un bâillement
chez autrui apporte la preuve, dans cette
variété, de l'intervention du
cortex, notamment occipital, dans le circuit
neuronal de l'acte de bâiller.
Le bâillement spontané survient
dans des circonstances bien
particulières, lors de l'endormissement
ou lors de l'ennui, c'est-à-dire, dans
les deux cas, lors d'une baisse de la vigilance.
On ne bâille pas et, si l'on somnolait, on
se réveille quand survient brutalement un
fait nouveau, stimulation physique ou choc
affectif qui relance l'attention. A-t-on jamais
vu quelqu'un bâiller au moment où
il apprend le résultat d'un examen
important ou à la nouvelle d'un accident
grave survenu à un proche ? Le
bâillement ne survient que dans des
circonstances psychologiques
d'indifférence, de
désafférence avec l'entourage. Il
apparaît comme manifestation accompagnant
une baisse de la vigilance.
L'ensemble de ces constatations nous
amène, connaissant le rôle du
système réticulé ascendant
dans le mécanisme de la vigilance,
à formuler l'hypothèse suivante :
le bâillement est une décharge dans
une structure motrice
bulbo-cérébrale,
déclenchée par un état
d'excitabilité particulière du
système réticulé ascendant,
correspondant à une baisse de la
vigilance précédant l'état
de sommeil. Cette hypothèse qui s'accorde
avec les constatations neurophysiologiques et
pharmacodynamiques explique que le
bâillement puisse s'observer lors de
l'endormissement comme lors du
réveil.
Une dernière question reste en
suspens : quelle est la signification du
bâillement ?
Sur le plan physiologique, deux attitudes
peuvent être soutenues entre lesquelles il
est difficile de trancher, La première
consiste à penser que le bâillement
n'est qu'une manifestation physique de la baisse
de la vigilance. Il exprime un état et
non pas une réaction contre cet
état. C'est ce que semble prouver le fait
qu'un bâillement entraîne des
bâillements et non pas un regain
d'intérêt. Dans l'attitude inverse,
le bâillement est considéré
comme un mécanisme réactionnel
relançant passagèrement la
vigilance. Un rôle analogue peut
être attribué à
l'étirement dont l'action est sans doute
plus efficace. Si le mécanisme exact de
cet éveil demeure inconnu, il y a des
chances que l'hyperventilation du
bâillement d'une part, et les stimulations
proprioceptives émanées des
muscles intéressés d'autre part,
entrent en jeu.
Sur le plan psychologique, le
bâillement traduit un état de
désintérêt. Cette conception
psycho-physiologique appelle certains
développements sur la
phénoménologie et la valeur
sociale du bâillement. Dans la mesure
où, en effet, il reflète le
désintérêt et l'ennui, le
bâillement a une valeur mimique
expressive. L'intérêt, et partant
le désintérêt que nous avons
pour l'environnement, dépendent certes
des conditions immédiates de cet
environnement. L'intérêt sera
très diversement éveillé
suivant que le sujet sera dans le calme,
l'obscurité, le silence, ou qu'au
contraire il subira des stimulations sensitives
ou psychiques vivaces. Cependant,
l'intérêt va dépendre aussi
et pour une part non négligeable de la
personnalité et des acquisitions
antérieures. Un collectionneur portera un
intérêt tout particulier à
des spécimens qui lasseront vite le
profane. Il en est clé même d'une
conversation sur un sujet
spécialisé peu connu, ou à
propos d'un tiers que l'on ne connaît pas.
L'intérêt est conditionné
par notre formation familiale, scolaire,
professionnelle, sociale, linguistique (le fait
de ne pas comprendre une conversation
étrangère amène à
s'en désintéresser), affective,
etc. L'on peut prévoir dans une certaine
mesure ce qui plaira ou ennuiera tel sujet, ses
goûts représentant
précisément la gamme de ses
intérêts. Ces liens intimes entre
l'intérêt et la personnalité
expliquent la valeur expressive du
bâillement marquant le détachement
et l'ennui. Le bâillement est à
l'ennui ce que l'expression motrice du rire et
du pleurer est à la joie et au chagrin.
L'on peut du reste moduler la valeur expressive
du bâillement. En le réprimant, ne
traduit-on pas notre désir souvent
à moitié conscient de cacher notre
ennui ? En l'exagérant dans certaines
circonstances, en le rendant
particulièrement bruyant ou
prolongé, ne lui confère-t-on pas
également une valeur démonstrative
et ne traduit-il pas sous cette forme non
équivoque, notre refus, voire notre
agressivité envers la situation qui a
cessé de nous attirer ou envers un
interlocuteur qui nous lasse ? Le fait qu'il
soit séant de mettre la main devant la
bouche quand on bâille,
c'est-à-dire de dissimuler le
bâillement, appris dès l'enfance et
qui devient automatique au point de
s'intégrer dans le complexe moteur du
bâillement, apparaît ainsi comme une
reconnciissance implicite de la signification
sociale de cette mirrique exprimant l'ennui, le
refus, et qu'il convient de masquer.
Résumé
Le bâillement est un mouvement
respiratoire involontaire et paroxystique. A
mi-chemin entre le réflexe automatique et
le mouvement expressif, le bâillement se
rattache aussi au sommeil qu'il
précède et qu'il suit, ce qui
explique ses liens avec le mécanisme
régulateur de la vigilance.
Revue des causes déclenchantes
physiologiques et pathologiques. Physiologie du
bâillement. 1) Rappel des théories
classiques. 2) Interprétation
personnelle.
Le bâillement, acte respiratoire
complexe et involontaire, serait lié
à une décharge paroxystique dans
une structure motrice bulbo-cervicale,
apparaissant pour un état
d'excitabilité donné du
système régulateur de la vigilance
(système réticulé
ascendant) correspondant à une baisse de
la vigilance précédant le
sommeil.
Cet état particulier du
système de vigilance serait sous la
dépendance : 1) Des stimulations
sensitives et psychiques que nous recevons de
l'environnement. 2) il peut être aussi
provoqué expérimentalement par des
stimulations électriques portant sur
l'hypoihalamus, et par des substances
pharmacodynamiques (hypnotiques). 3) Le
rôle des facteurs endogènes
(humoraux, circulatoires, digestifs) souvent
invoqué est discuté
Le rôle physiologique du
bâillement est aussi sujet à
discussion : simple manifestation motrice baisse
de la vigilance, ou bien réaction
provoquant par des mécanismes
d'hyperventilation et des stimulations
propriocepiives une relance passagère des
mécanismes clé vigilance.
Sur le plan psychologique, le
bâillement imitatif n'est qu'un cas
particulier dans l'ensemble des gestes
imitatifs. Le bâillement spontané,
par contre, s'intègre parmi les mimiques
expressives. En effet, nos goûts,
c'est-à-dire nos sujets
d'intérêt, et partant de
désintérêt, sont intimement
liés à nos accluisitions
passées et font partie intégrante
de notre personnalité. Le
bâillement, qui marque notre
désafférence, notre
désintérêt à une
situation donnée, aurait donc de ce fait
la valeur d'un refus et même, dans
certains cas, d'une agressivité
inconsciente.