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mise à jour du
13 octobre 2002
Revue d'Oto Neuro Ophtalmologie
1951;23(1)
 Provocation spinale d'un réflexe de bâillement  
M. Diego Furtado (Lisbonne)
Service de Neurologie des Hôpitaux de Lisbonne

Chat-logomini

Le bâillement est un acte réflexe dont les voies et les centres, malgré sa fréquence si grande, nous sont totalement inconnus.
Il est étonnant que le nombre des études et des références publiées sur le bâillement soit si petit. Nous pouvons dire que la question n'a pas avancé depuis la fin du siècle dernier, quand Brissaud résumait ainsi nos connaissances sur ce complexe réflexe: «Le bâillement est un de ces actes à mécanisme préétabli auquel participent les muscles innervés par le VIle, le Xe, le XIe, le XlIe et par toute une série de paires cervicales ; tantôt il est réflexe, tantôt il est psychoréflexe: on bâille d'ennui,, comme on bâille par besoin de sommeil ». A cette époque déjà, on connaissait l'accès de bâillements comme équivalent de la crise épileptique (Feré) et hystérique fréquente alors (Charcot, Gilles de la Tourette, Guinon et Huet). Brissaud lui-même avait aussi observé, à côté du rire et du pleurer, le bâillement spasmodique dans les artérioscléroses cérébrales.
 
Depuis cette époque, on a observé le bâillement pathologique dans l'encéphalite épidémique, dans laquelle tous les troubles du mécanisme du sommeil sont si fréquents, et dans les tumeurs du cerveau, surtout celles de la région du IIIe ventricule et de l'aqueduc de Sylvius ; dans les tumeurs et autres affections du lobe frontal enfin, Delmas Marsalet a mis sa fréquence en relief.
 
D'autre part on a réussi à provoquer expérimentalement le bâillement dans l'hypoglycémie de l'insulinothérapie: avant le coma on trouve très fréquemment des bâillements isolés et même des crises de bâillements.
 
Kinnier Wilson, un des rares auteurs qui s'occupent du mécanisme du bâillement pathologique, croit qu'il résulte d'une altération des centres hypnogènes du IIIe ventricule, avec extension à d'autres centres du IVe ventricule.
 
Nous avons observé un cas où le réflexe du bâillement était provoqué par une excitation de la musculature innervée par la moelle cervicale. Voici le résumé de notre observation :
 
D. G., un jeune homme de 17 ans, a été atteint d'une forme très grave, ascendante de poliomyélite. Le cinquième jour de la maladie, il est tétraplégique avec aréflexie profonde totale, le lendemain les muscles respiratoires sont paralysés. Le malade est placé dans le respirator Drinker-Collins (poumon d'acier) où il reste cinq jours en respiration artificielle. Le douzième jour de sa maladie, on peut le maintenir quelque temps en dehors du respirator, les mouvements volontaires de la jambe et du pied gauches sont ébauchés. Le quinzième jour, le malade reste en dehors du respirator, les mouvements du membre inférieur gauche sont plus amples, les réflexes achiléen et patellaire y sont déclenchables et les mouvements volontaires commencent à devenir possibles au pied et à la main droites. C'est à ce moment que nous vérifions la provocation d'un réflexe de bâillement très net à partir des mouvements passifs de l'épaule. L'abduction passive du bras des deux côtés, provoque un réflexe de bâillement tout à fait pareil au bâillement spontané du malade. L'ouverture de la bouche, le serrement des yeux et même la sensation de sommeil que le malade percevait à chaque bâillement provoqué, étaient identiques à ce qu'il éprouvait quand il bâillait de sommeil ou d'ennui. Le réflexe était provoqué par le seul mouvement de l'épaule , les mouvements de l'avant-bras et du cou restaient sans effet - aussi, la position de l'avant-bras par rapport au bras n'apportait aucun changement au bâillement réflexe. Une particularité est à noter: l'existence d'une période réfractaire après chaque bâillement provoqué. On ne pouvait pas provoquer deux bâillements de suite, il fallait attendre vingt à trente secondes pour qu'une nouvelle provocation soit efficace.
 
Ce phénomène si curieux, que nous avons pu fixer dans un petit film, fut transitoire. Il diminua progressivement d'intensité et disparut à la fin d'une semaine, tandis que la régression des paralysies poliomyélitiques se poursuivait lentement. Il nous reste à dire que le malade ne présentait aucun trouble du sommeil et aucun signe clinique d'une lésion supra-spinale.
Nous n'avons trouvé dans la bibliographie aucun cas de bâillement réflexe, provoqué par des manœuvres spinales.
Le phénomène que nous venons de décrire appartient à ceux que Fœrster décrit comme manifestations d'hyperirritabilité réflexe suslésionel, à partir des syndromes transverses de la moelle cervicale. Dans certains cas de lésions au niveau de C4, C5 et C6, on trouve une hyperexcitabilité du sterno cleïdo mastoïdien et du trapèze, qui se traduit par des secousses réflexes de ces muscles, quand on percute la mastoïde, l'occiput, l'apophyse épineuse de la 7e cervicale et même le sternum et la clavicule (Pupouy, Foerster).
 
Cette réflectivité exagérée au-dessus de la lésion est comparable à ce qui se passait dans notre cas, où le bâillement a pu être déclenché par une manœuvre mécanique à point de départ spinal.
 
Le réflexe du bâillement comprend, du reste, une composante spinale: en même temps qu'on ouvre la bouche, ferme les yeux, rejette la tête en arrière et a la sensation de sommeil, on a aussi la tendance à ouvrir les bras. C'est la, reproduction passive de ce mouvement, jointe à une hyperexcitabilité supralésionnelle probable, qui provoquait dans notre cas de poliomyélite cervicale le réflexe au bâillement.
furtado
 
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