Bien qu'il soit mort,
depuis plus d'un an, il n'est pas trop tard
pour parler de lui après les belles
biographies que viennent tout
récemment de lui consacrer ses
élèves, les professeurs
Raymond
et Debove. Charcot Jean Martin, né
à Paris le 27 novembre 1825, fut
interne des hôpitaux en
1848.
« Il rencontra,
rapporte M. Debove,
de grandes difficultés au début
de sa carrière. Les moyens de sa
famille étant limités, Il dut,
étant interne, donner des
leçons et fut fils de ses
uvres.» Les obstacles qu'il
eut à surmonter ne furent pas,
seulement d'ordre matériel. Dans notre
pays, on arrive par le concours; or, Charcot
n'avait pas les qualité qui permettent
d'y briller et il n'avait rien fait pour les
acquérir.
Il n'était pas orateur, loin de
là, il avait une grande
difficulté de parole. Il fit (concours
de 186o) des leçons
d'agrégation qui parurent
médiocres et, cependant, il fut
justement nommé, car il fut
supérieur dans une épreuve,
l'épreuve de la thèse
aujourd'hui supprimée. La thèse
consistait en un travail dont le sujet
donné par le Jury était
tiré au sort. On avait quinze jours
pour le faire et imprimer. Il fallait ensuite
répondre publiquement aux critiques
parfois acerbes, mais ordinairenient justes
des autres compétiteurs, car rien ne
rend plus clairvoyant que la rivalité
des candidats; du premier coup, ils
distinguent le point faible d'un travail.
Charcot fit, sur la pneumonie chronique, une
thèse que nous lisons encore avec
intérêt; il la défendit
avec beaucoup d escience et d'à propos
et montra ses qualités ce critiqueen
argumentant ses compétiteurs. Un de
ses juges Rayer fit valoir aux yeux citi jury
l'intérêt de ses titres
scientifiques et, pour la plus grande gloire
de cette Faculté, il fut nommé
agrégé. S'en fût-on tenu
à la lettre du concours, nous aurions
pu être privés de Charcot comme
nous l'avons été de Claude
Bernard.
En 1802, Charcot arriva à la
Salpétrière où il devait
passer toute son existence et arriver
à la célébrité.
Ce n'était pas à cette
époque la brillante clinique et les
riches laboratoires que nous admirons aujour
d'hui : «
figurez-vous, dit M. Raymond, une toute
petite pièce assez mal
éclairée, située
à l'extrémité des salles
de cancéreuses et munie de
quelques microscopes, instruments
indispensables pour les recherches
anatomo-pathologiques, c'est une
banalité de le dire à l'heure
présente, mais qui, à
l'époque dont je vous parle,
attiraient fortement les plaisanteries de
quelques-uns des professeurs les plus en vue.
Bientôt cet étroit local se
trouva encombré de bocaux
destinés à la conservation des
pièces histologiques. Que
dedécouvertes, capitales pour la
science, en sont sorties ! »
Charcot y travaillait alors avec Vulpian
qui le quitta en 1869 pour aller à la
Pitié. Ce ne fut que longtemps
après et quand sa réputation
était consacrée, en 1882,
qu'une chaire de clinique des maladies du
système nerveux fut créé
à La Salpétrière pour
être occupée par Charcot. Ce
n'était que la consécration
officielle d'un enseignement dont les
débuts remontaient bien des
années en arrière.
Que de chemin parcouru depuis lors ! Que
d'améliorations et de
perfectionnements apportés à
l'organisation de cet enseignement ! Dans la
leçon qu'il fit en prenant possession
de sa nouvelle chaire, Charcot s'est complu
à énumérer ces
améliorations et ces
perfectionnements: une consultation externe
avec délivrance des
médicaments, avait été
instiiuée; On avait ainsi la
possibilité de rencontrer des malades
réalisant les formes
légères,
atténuées, frustes, des
affections qu'on observe à la
Salpêtrière que lorsqu'elles
sont parvenues à une période
avancée. On y avait annexé,
dans l'enceinte même de l'hospice, un
service destiné à recevoir,
temporairement, quelques-uns des malades qui
se présentaient à la
consultation. D'autres innovations avaient
précédé celle-ci. «
Nous possédons, disait Charcot, un
musée anatomopathologique auquel sont
annexés un atelier de moulage et de
photographie, un laboratoire d'anatomie et de
physiologie pathologogique bien
aménagé qui contraste
singulièrement avec la salle
étroite, mal éclairée,
seul refuge que nous ayons eu notre
disposition, mes élèves et moi,
pendant près de 15 années, et
que nous appelions pompeusement le
laboratoire, un cabinet d'ophtalmologie,
complément obligatoire d'un instititut
neuro-pathologique ;
l'amphithéàtre d'enseignement
qui est pourvu, vous le voyez des appareils
modernes de démonstration. Enfin nous
possédons un service richement
doté de tous les appareils
nécessaires à la pratique de
l'électrodiagnostic et
d'électrothérapie, et où
de nombreux malades viennent, trois fois la
semaine, recevoir des soins appropriés
à leur état. »
Dans cet hôpital, comme professeur
libre, Charcot enseigna d'abord l'anatomie
pathologique, puis les maladies nerveuses.
Doué d'une faculté
d'assimilation prodigieuse, toujours au
travail, il connaissait les langues
étrangères et s'en servait pour
présenter à ses
élèves, sous une forme
personnelle, les travaux des professeurs les
plus en renom de l'étranger. Bien
qu'il ne fut pas un brillant de la parole,
l'habitude lui donna une certaine
sûreté d'élocution, qui
lui permit de révéler ses
profondes qualités d'observateur et
d'analyste. « Il parlait lentement,
n'hésitai jamais, trouvait
l'expression toujours juste, souvent
pittoresque. Il parlait sans aucune note,
cependant il n'inprovisait pas, toutes ses
leçons étaient écrites
à l'avance. Autrement dit, il avait
soin de penser avant de parler, de
préciser sa pensée en lui
donnant une forme. Enfin, il avait compris
que la parole ne suffisait pas à
l'enseignement, qu'il fallait donner à
la mémoire de l'étudiant un
appui plus ferme en montrant ce qu'il
décrivait, qu'il fallait
pénétrer dans le cerveau de ses
auditeurs à la fois par les oreilles
et par les yeux. Aussi présentait-il
des malades à ses élèves
et comme la plupart des maladies nerveuses
s'accusent par des signes extérieurs,
il pouvait faire des démonstrations
impossibles dans d'autres domaines de la
pathologie. »
Après le professeur, le savant. On
sait de quelle importance furent ses
recherches sur le système nerveux.
L'atrophie musculaire progressive, la
sclérose en plaques, la paralysie
agitante, les
dégénérescences
secondaires de la moelle, le rôle des
anévrismes miliaires dans la
patogénie de l'hémorragie
cérébrale, la paralysie
infantile, la paralysie
labio-glosso-laryngée, etc., etc.,
attirèrent successivement son
attention.
La philosophie lui doit beaucoup, et ses
études sur les localisations
cérébrales, ses leçons
sur l'hystérie devaient ouvrir
à la psychologie expérimentale
une voie nouvelle.
Ce fut, pour Charcot un grand courage
d'aborder cette dernière question.
L'hypnotisme avait alors fort mauvaise
réputation. « Depuis fort
longtemps des charlatans exploitaient cette
branche de la science, qui dans leurs mains
étaient devenue une branche lucrative
d'industrie. Lorsque Charcot aborda ces
questions, ce fut un grand émoi. On
lui représenta qu'il se faisait le
plus grand tort, qu'il compromettait notre
Faculté, que jamais, s'il persisiait,
les portes de l'Institut ne
s'oùvriraient devant lui. Les
personnes qui lui firent ces objections
n'etaient pas les premiéres venues,
c'étaient des amis intimes, des hommes
éminents. Heureusement il ne se laissa
pas suggestionner, il poursuivit ses
études ; elles eurent le
retentissement et le succès que vous
savez.»
Malgré sa prodigieuse
activité; Charcot n'aurait pu suffire
à toutes ses recherches, s'il n'avait
su grouper autour de lui un grand nombre
d'élèves, des maîtres
aujourd'hui. Comme l'aimant attire le fer, on
peut dire que toute la jeunesse studieuse et
intelligente, graine des savants de l'avenir,
a passé par la
Salpétrière pendant ce dernier
quart de siècle. Charcot les excitait
au travail, développait leur
originalité sans chercher à
faire des élèves qui fussent
à son image. A l'inverse de bien
d'autres notoriétés dont les
noms sont aujourd'hui trop connus, il ne
pillait pas ses élèves,
troquant son influence contre leur
travail.
Jamais recherche d'un élève
ne fut signée du seul nom du
maître. Mais c'était la
collaboration, et un grand nombre des travaux
les plus importants montre à
côté du nom de Charcot ceux de
Cornil, Joffroy, Raymond, Lépine,
Pierret, Pitres, Bouchard, Gombault, Marie,
Babinski, Richer, Blocq, etc., etc.
Ainsi, grâce à ces
qualités exceptionnelles de
ténacité, de volonté
unie à une grande intelligence,
Charcot a pu créer en France un
enseignement, avoir une école, faire
des élèves. Les qualités
nécessaires à une pareille
uvre se reflétaient sur son
visage : c'était une face
énorme comme ces masques antiques,
à traits accentués, trop. gros
pour le corps. Un front puissant, un regard
scrutateur, les lèvres fermées
et froides. La volonté s'exprimait sur
sa figure, qu'on a rapprochée de celle
de Napoléon. Avec lui, point de
paroles vaines, il parlait peu, ne paraissait
point aimer le rire. Il gardait la douce
causerie et les propos faciles pour
l'intimité, comme nous le rapporient
ceux de ses élèves qui y furent
admis.
Je l'ai vu dans son enseignement,
à son cabinet de travail où les
internes lui amenaient les malades, au lit de
ces derniers, à
l'amphithéâtre, à la
salle de conférences enfin. Je n'ai
jamais perçu un sourire, une parole
plus vive que les autres. Il procédait
lentement et sûrement dans son
interrogatoire, qui durait souvent une heure.
Deux malades suffisaient à occuper sa
matinée, mais ils étaient
étudiés à fond,
vidés.
On se tromperait étrangement si on
ne voyait en Charcot qu'un savant sec et
dépourvu de toute autre
qualité. C'était un artiste. Il
prisait fort les chefs-d'uvre, y
recherchant: la copie fidèle des
manifestations morbides qu'il
décrivait. Ses livres sur les
difformes et les malades dans l'Art, faits
avec Paul Richer, seront toujours utilement
consultés des artistes. Son cabinet de
la Salpétrière était
rempli de dessins et de photographies
artistiques.
Doué d'une organisation
exceptionnelle, Charcot fut une des
manifestations les plus brillantes de son
milieu et de son siècle. Il fut
comblé d'honneurs, membre de
l'Académie et de l'Institut, d'un
grand nombre de Sociétés
étrangères.
Il est mort chargé de gloire ; et,
pourtant il nous est mort trop tôt.
Quel immense champ s'ouvrait à son
activité avec les nouvelles
découvertes histologiques de Golgi et
de Ramon y Cajal. Souhaitons que ses
successeurs deviennent ses dignes
continuateurs.
Jean-Martin
Charcot was born in Paris, France, late in
1825. Although he was a nineteenth century
scientist, his influence carried on into the
next century, especially in the work of some
of his well-known students.
He was a professor at the University of
Paris for 33 years, and in 1862 he began an
association with Paris's
Salpêtrière Hospital that lasted
throughout his life, ultimately becoming
director of the hospital. Charcot was known
as an excellent medical teacher, and he
attracted students from all over Europe. His
focus turned to neurology, and he is called
by some the founder of modern neurology. In
1882, he established a neurological clinic at
the Salpêtrière that was unique
in Europe.
Charcot took an interest in the malady
then called hysteria.
It seemed to be a mental disorder with
physical manifestations, of immediate
interest to a neurologist. He believed that
hysteria was the result of a weak
neurological system which was hereditary. It
could be set off by a traumatic event like an
accident, but was then progressive and
irreversible. To study the hysterics under
his care, he learned the technique of
hypnosis and soon became a master of the
relatively new "science." Charcot believed
that a hypnotized state was very similar to a
bout of hysteria,
and so he hypnotized his patients in order to
induce and study their symptoms. He did not
plan to cure them by hypnosis -- in fact, he
felt that only hysterics could be hypnotized.
He would hypnotize patients for groups of
students and others, gaining the nickname
"the Napoleon of the neuroses."
Among Charcot's students were Alfred
Binet, Pierre Janet, and Sigmund Freud. They
were impressed with Charcot and went on to
use hypnosis in their own way, but disagreed
with their teacher that it was a neurological
phenomenon. They considered the hypnotic
state a psychological one.
Charcot's work encompassed other aspects
of neurology as well. He was first to
describe the degeneration of ligaments and
joint surfaces due to lack of use or control,
now called Charcot's joint. He did research
to determine the parts of the brain
responsible for specific nerve functions and
discovered the importance of small arteries
in cerebral hemorrhage.
Jean-Martin Charcot died on August 16th,
1893 and was buried in a Family Tomb in the
Montmartre Cemetery (Division 29; Chemin
Troyon), in Paris, after receiving the
tribute of personnel and patients in the
Chapel of the Salpetriere. His body was
joined in 1936 by that of his son Jean,
physician and explorer.
JM. Charcot est
décédé le 16
août1893 et est enterré dans le
caveau familial au cimetère de
Montmartre à Paris (Division 29;
Chemin Troyon). Son fils neurologue et
explorateur l'a rejoint en 1936.