resolutionmini

mise à jour du
13 novembre 2005
Bull Group Int
Rech Sci Stomatol Odontol
1982;25:251-290
Remarques sur la signification
physiologique du bâillement
(Une tentative d'interprétation)
Lepp FH
La trompe d'Eustache

Chat-logomini

 
Dans les manuels de Physiologie Humaine et Vétérinaire les plus importants, la question « BAILLEMENT » est à peine effleurée (cf. LUTTENBERGER, 1975). Sur sa signification, il est vrai que - comme nous l'ont personnellement communiqué deux Physiologistes connus - on a, de temps à autre, « ohne wirklich Befunde beizubringen, allerhand phantasiert » (M. SCHNEIDER, 1950), « doch weiss im Grunde eigentlich niemand, welche Aufgabe es zu erfüllen hat » (OPITZ, 1950). Le neurologiste français J. BARBIZET (1958 a, b) a eu donc raison, lorsqu'il a exprimé sur le bâillement l'opinion suivante: - d'ailleurs partagée par URBA-HOLMGREN et al. (1977):
 
• Qui ne bâille enfant, homme ou vieillard ? Et pourtant, celui qui, curieux d'en savoir plus que la définition donnée par les dictionnaires : « profonde inspiration involontaire avec la bouche largement ouverte », feuilletera les manuels de physiologie ou de psychologie contemporains à la recherche d'une étude complète de cette activité psychomotrice si courante, le fera en vain (1958 a, p. 537).
 
Encore plus sceptique paraît être le chirurgien parisien Léon DUFOURMENTEL (1946). Il écrit dans son remarquable «Essai sur l'Art et la Chirurgie »
 
• On en pourrait dire autant sur l'interprétation de beaucoup de troubles: quel malaise, quel besoin de l'organisme exprime le bâillement ? Essayer de comprendre ce réflexe ne suffit-il pas pour mettre l'esprit en face des plus redoutables problèmes de finalité, de causalité ?... Précisons, car c'est peu connu. » (pp. 215, 217),
 
En fait, le problème ne parait pas encore être résolu. Même PEIPER (1956), un des chercheurs les plus éminents sur le bâillement, n'aboutit qu'à cette réflexion lapidaire : « Der Zweck des Gähnens ist bis heute zweifelhaft » (p. 346),
 
Malgré toutes ces opinions négatives et même décourageantes, nous voulons penser que l'obscurité qui entoure ce phénomène est déjà un peu éclaircie par les observations anatomo-physiologiques qui précèdent. Si l'on veut le comprendre réellement, il ne faut pas le considérer comme un processus partiel, limité à la seule « bouche ouverte », mais il faut au contraire inclure dans ce phénomène tous les autres processus qui accompagnent si fréquemment le bâillement.
 
A cet égard, c'est surtout aux neurologistes et psychiatres que nous devons de nouvelles et importantes connaissances. HAUPTMANN (1920), MAYER (1921) et tout particulièrement DUMPERT (1921) ont clairement reconnu que l'étirement de la musculature corporelle volontaire fait partie intégralement du tableau physiologique.
 
Dans maints travaux physiologiques, l'attention est attirée sur la parenté de ces deux phénomènes distincts. Ainsi, LEWY (1921) nous indique qu'il a trouvé la description la plus exhaustive du bâillement dans le Manuel de Physiologie de LANDOIS et ROSEMANN, où se trouve mentionnée déjà sa parenté avec l'étirement (cf. p. 162). De même, le physiologiste suisse ABDERHALDEN (1946) fait remarquer: «Der Gähnakt und das damit haufig verbundene Räkeln... » (p. 146) (cf. ENGELHARDT, 1941; WALDYOGEL, 1945). Et finalement encore une grande voix américaine : « The externe extension of the muscles of the jaw is akin to the stretching of the extremities.., bodystretching is often accompanied or followed by yawning » (Ashley MONTAGU, 1962, p. 732).
 
Bâillement et étirement se trouvent étroitement associés et ne doivent donc pas être traités séparément. Les deux phénomènes ont d'ailleurs, dans la vie de l'individu, formé originellement une unité qui s'est dissociée seulement chez l'adulte en ses deux composants principaux. Le couple étirement bâillement se manifeste en effet très clairement surtout chez les nourrissons et les très petits enfants (= « sich dehnen, sich rekeln, sich rikeln »). Dans les premiers mois et années de la vie, la totalité du réflexe bâillement-étirement est conservée et déjà observable chez les prématurés (DUMPERT, 1921; PEIPER, 1932, 1956), « at birth » (BLANTON, 1917; LEWY, 1921; CRAMER, 1924; MOORE, 1942), et selon CHRISTOFFEL (1951) déjà in utero. Il est d'ailleurs instructif d'observer, un peu avant ou pendant le réveil, les mouvements musculaires et articulaires qui commencent lentement, et intéressent successivement les bras et les jambes, pour finalement englober tout le corps jusqu'aux bouts des doigts et des orteils dans ce bio-phénomène complexe.
 
GAMPER (1926) a fixé dans un film tout ce jeu musculaire chez un enfant arhinencéphalique, et l'a désigné comme « Rekel-Bewegungen ». Plus tard, C. et H. SELBACH (1953) parlent d'un « Rekel-Syndrom ». LANDAUER (1920), LEWY (1921), Orro (1935) et SEELIGMULLER (1940) ont aussi consacré des études au « sich rekeln » ou au « sich rakeln ». OTTO remarque avec raison que « sich Kinder nicht rekeln, sondern sich durchspannen... » (p. 305). L'accent est mis par Otto sur le mot « Durchspannung » (cf. HEINROTH, 1929, P. 336). Plus tard, le psychiatre bâlois CHRISTOFFEL (1951) s'intéresse extensivement au sujet « Gähnen und Sich-Dehnen (Räkeln) »... « Em Gähnen und Räkeln (wortverwandt mit recken) von Brustkorb, Nacken und Armen », dit CHRISTOFFEL, « bilden eine unwillkurliche Bewegungseinheir! » (p. 514). Dans le « Schweizerischen Idiotikon », nous trouvons pour « räkeln » les mots « rangen, ranggen, ranken » et d'autres synonymes, qui ont trait tous au « Sichrecken-und-Strecken » qui accompagne le bâillement. Dans le Tome VI (1909), on lit: « Geinen und ranggen. Er geinet lut und rangget (ranket) sich » (p. 1115).
 
Déjà bien avant, MUMFORD (1897) parlait à ce sujet de « mouvements de pagaie » The whole of this movement (of a paddle) persists throughout life associated with the act of yawning, which act is thus found to be one of the most fundamental limb movements in the human being (p. 298) (cf. aussi PREYER, 1912; CHRISTOFFEL, 1951; PEIPER, 1956).
 
Nous sommes par ailleurs tous les jours témoins de ce phénomène physiologique chez nos animaux domestiques, par exmple le chien et le chat. On peut y suivre tout le déroulement de la série de mouvements, dont nous trouvons l'observation détaillée dans LEWY, OTTO et TEMBROCK (1964). On observe le bâillement et l'étirement chez tous les Vertébrés, et cela du Poisson jusqu'à l'Homme (HEDIGER, 1955), comme l'indiquent déjà entre autres TRAUTMANN (1901) et DUMPERT, mais surtout les recherches de HEMPELMANN (1926), HEINROTH (1924, 1929), HEDIGER, TEMBROCK, GUNDLACH (1968) et LUTTENBERGER.
 
De toutes façons, il est toujours impressionnant d'observer comment par exemple les petits poulets et les oiseaux ouvrent largement le bec, combinant cet acte avec des mouvements des pattes et des ailes. C'est probablement par un besoin analogue que l'on doit comprendre le chant du coq avec agitation de ses ailes. Tous ces mouvements musculaires semblent obéir à la même nécessité physiologique (cf. TRAUTMANN) que HEINROTH (1929) a caractérisée par le mot de «Sichflugeln» (oies, canards) et GUNDLACH par celui de « Sichschütteln » (sanglier). Il paraît donc très vraisemblable que dans la série animale l'acte de bâillement et d'étirement s'effectue dans les mêmes conditions et sous les mêmes influences que chez l'Homme. Tout comme C. et H. SELBACH, le spécialiste de psychologie animale TEMBROCK croit pouvoir réunir « die Streck-und-Gähnbewegungen vielleicht als Räkelsyndrom » (p. 170) (cf. LUTTENBERGER). Nous trouvons de même d'autres détails dans l'excellente thèse de TRAUTMANN, soutenue à Bordeaux (1901), qui nous fournit une représentation et un historique très documentés de tout le complexe du bâillement et de l'étirement chez l'Homme et les animaux en remontant même jusqu'à l'époque d'HIPPOCRATE.
 
Il est donc conforme à la réalité physiologique de parler de «GAHNRECK-REFLEX » (DUMPERT, GAMPER), de « GAHN-STRECK-AKT » (LEWY), de « GÄHNEN und SICHRÄKELN » (SEELIGMULLER), de « YAWN-STRETCH-ACT » (HEUSNER, 1946), de « GÄHN-RAKELSYNKINESE » ou de « SYNKINETISCHE EINHEIT DES GÄHN-RäKELAUTOMATISMUS » (CHRISTOFFEL), de « STRETCHING YAWNING SYNDROM » (GESSA et al., 1967), ou simplement d'un « REKEL- ou RÄKEL-SYNDROM » (C. et H. SELBACH, 1953; TEMBROCK13). Même quand ce geste banal n'est pas complètement développé et tendrait ainsi à avorter, il faut le considérer quand même comme une entité physiologique.
 
Puisqu'il n'existe pas un terme adéquat, ambivalent, dans les langues vivantes actuelles, nous ferons volontiers appel à une remarque du Pr. G. BELTRAMI, car, selon l'éminent maître marseillais, il doit exister une expression qui en un seul mot comprend tout le déroulement du grand réflexe bâillement étirement: c'est le mot « Pandiculation » (aujourd'hui connu seulement d'une faible élite). Cette expression, rappelée par G. BELTRAMI, a été pour nous un mot-clef révélateur. Tout d'abord, citons ce passage d'un auteur italien, INSABATO (1928), que nous donnons ici littéralement:
 
La lingua Italiana non ha un vocabolo proprio per significare quello stendimento delle membra che si verifica spesso dopo il risveglio. I latini hanno pandiculatio e pandiculari, i quali vocaboli, come quello greco scofdinasmai, significano propriamente extendere mcm bra cum oscitatio'ae, ut faciunt qui e .romno surgunt la quale definizione dinota che già losservazione profana aveva abbinato due fenomeni realmente associati dopo il risveglio, e cioè to sbadiglio e gli stiramenti (p. 125).
 
Il résulte de cette remarque du neurologue de Bari, que la langue italienne, elle aussi, se prive d'une expression qui englobe en un seul mot bâillement et étirement. Il est intéressant de noter avec INSABATO qu'outre le mot latin « pandiculatio », existe encore un vocable grec qui, lui aussi, réunit bâillement et étirement. Nous nous occuperons d'abord du concept «pandiculatio », ensuite du terme « axoptva'o/ust » et ajouterons pour finir quelques remarques d'ordre artistique.
 
 
PANDICULATIO (Pandiculation) : Le mot pandiculation ou pendiculation figure dans la langue française déjà dans les écrits d'Ambroise PARE (1560) (voir MALGAIGNE, 1841, III, Chap. XVII, p. 115) et de Laurent J0UBERT (1587, Chap. II, p. 12). « L'Encyclopédie ou Dictionnaire Raisonné des Sciences etc. (T. 11, Neufchâtel, 1765) donne la définition suivante : Pandiculation... c'est un violent mouvement des solides qui accompagne ordinairement l'action du bâillement, & qu'on appelle aussi autrement extension ». De même, dans la première édition du Petit Larousse (1856) se trouve mentionné ce mot et précisément avec une explication similaire Pandiculation : Action d'étendre les bras en haut et d'allonger les jambes en bâillant ».
 
On rencontre d'ailleurs une formulation semblable dans presque tous les ouvrages encyclopédiques et dans les grands dictionnaires de la langue française jusqu'aux éditions les plus modernes de LITTRE (1957, T. V) ou du Grand Larousse (1976, T. 5).
 
Nous avons évidemment consulté aussi des dictionnaires anglais et espagnols (EMERY et BREWSTER, 1927, DORLAND, 1965, CARDENAL, 1952 et le Compact Edition of the Oxford English Dictionary , 1971).
 
A titre d'exemples, voici les interprétations du DORLAND ( pandiculation The act of stretching and yawning et celle de l' OXFORD DICTIONARY Pandiculation : An instinctive movement, consisting in the extension of the legs, the raising and stretching of the arms, and the throwing back of the head and trunk, accompanied by yawning... sometimes loosely used for yawning).
 
Des informations intéressantes sont fournies également par les grands glossaires latins. L'expression pandiculatio y est invariablement conçue dans le sens d'une association quasi- symbiotique du bâillement et de l'étirement.
 
Nous citerons quelques paradigmes
 
- BALBUS DE JANUA (1506, 1re éd., Mayence, 1460, créé vers 1286) cf. Du CANOE, 1734, T. V, p. 91) : «PANDICULARIUS, Joanni de Janua, Homo hians & toto corpore oscitans, a pando is»
- HOLSTENIUS (1759, Regula Isaiae Abbatis § XXI) : «Ne pandicoleris inter homines, & si acciderit tibi pandiculatio. ne hies ore tuo, & deseret te»
- FESTUS (1880, p. 220, 1re éd. Milan, 1471) : «Pandiculari dicuntur, qui toto corpore oscitantes extenduntur, eo quod pandi fiunt »
- FORCELLINI et al. (1940, T. III, p. 557, 1re éd., Padoue l77l : «PANDICULARIO, brachiorum extensio cum oscitatione»
- WALDE et HOFMANN (1954, T. 11, p 244, 1re éd. Heidelberg, 1938) «PANDICULOR. dehne, recke mich beim Gähnen»
 
On trouve encore dans des publications plus anciennes, mais parfois dans de plus récentes, des définitions sur le terme « pandiculatio »
 
Ainsi par exemple chez AVICENNE (980-1037) (cf. dans l'ordre chronologique: BULWER (1649, II, IX, p 225); SYLVIUS (de le Boé), 1671, pp. 495, 601); BEUTLER (1685); HERMANN (1720); DE G0RTER (1736, LXXIV, pp. 291/292); GUNZIUS (1738, p. 37); BOERHAAVE (1744, 1746, § 638); v. HALLER (1755); BUGGE (1872): BERTOLOTTI (1905) ; MOORE (1942); HEUSNER (1946); CHRISTOFEL(1951).
 
DE BOERHAAVE (1744, T. V/1, DCXXXVIII (Oscitatio), p. 243, ligne 7 et e) une phrase mérite certainement d'être citée : «In altero stadio omnes fere totius corporis musculi successive expanduntur... pandiculatio fere semper coum oscitatione conjungitur»
 
Finalement, il est probable que la référence la plus ancienne où apparait le mot pandiculatio pour la première fois est une des comédies les plus connues de PLAUTE (vers 254 - 184 av. J.C.), LES MENECHMES, où ce poète comique latin s'exprime ainsi: MA. Ut pandiculans oscitatur (voir: PLANTUS, 1899, Menaechmi, V, 2, 80).
 
SKORDINEMA (xopSivsiga ou >Xop&vLag0s) : Alors que le terme pandiculatio apparaît assez fréquemment dans la littérature, on ne peut certes en dire autant de son homologue grec axopéiv'igcs. On ne rencontre ce mot que dans les travaux modernes d'lNSABATO (1928) et de CHRISTOFFEL (1951);mais ce dernier admet qu'il ignorait ce mot.
 
Malgré cela nos recherches bibliographiques ont été fructueuses. Le mot axopI,'siuo se trouve déjà dans HIPPOCRATE et dans GALIEN. Un document de Fosius (1588) nous éclaire à ce sujet axopIvn/La est paridiculatio totius corpores & cum oscitatione extensio. Sic enim axopIi's1pcs exponitur, ,SLO'.raaLs tLrTrx'Xaa,L7lS magna corporis cum oscitatione extensio, pandiculationem Latini dicunt. Et Galenus in Exeg. axoptra'aL apud Hippocratem exponit sarelvreéaL Xe1 ,za'Aur0, fLera xagfl, hoc est extendi praecipueque cum oscitatione ... Ubi scribit Galenus csxopéoi'ca/Aóv tale quoddam esse symptoma in omnibus musculis, quale in oscitatione musculis inferioris maxillae contingit... (p- 574).
 
Les grandes traductions de KÜHN (GALIEN, grec-latin) et LITTRE (HIPPOCRATE, grec-français) appellent les remarques suivantes: chez KUHN (1829) apparaissent les deux vocables axopSii'nua et pandiculatio (n) dans le T. 17/2, pp. 244-245; chez LITTRE dans le T. 5, pp. 100-101 et 314-315 (1846) et dans le T. 8, pp. 486487 (1853).
 
Cela montre que le terme grec et le terme latin doivent être pris comme synonymes : voir à ce sujet en plus: DIETERICHIUS (1661, p. 1395); LABBE (1679, p. 129); SCHREVELIUS (1782, pp. 127 et 766, 1re éd. Leyde, 1654); PHOTIUS (1823, p. 453, 1re éd. Leipzig, 1808); P0LLUX (1846. V, p. 229/168 et 1900, V. p. 305/ 168, 1re éd. Venise, 1502) : PAPE (1875, T. II, p. 887); STEPHANUS (1954, T. VIII, p. 434, 1re éd. Paris, 1572); HESYCHIUS (1965, T. IV, p. 49, 1re éd. Venise, 1514).
 
Dans BOISACQ (1916), nous trouvons la remarque axopSu'aaeas » = s'étirer en bâillant (p. 878). Et pour terminer, voici une définition tirée du remarquable Greek-English-Lexicon de LIDDELL et SCOTT (1973) : axopi'e'caal, stretch one's limbs, yawn, gape, properly of men or dogs half roused from sleep » (p. 1614).
 
pandiculation daumier
REMARQUES D'ORDRE ARTISTIQUE
 
a) Dans le domaine artistique plastique, on trouve représentées le plus souvent des phases partielles de notre grand réflexe bâillement-étirement, et surtout le bâillement proprement dit.
 
Ainsi BARBIZET (1958 a) met en épigraphe l'image d'un homme bâillant au maximum, « le Bâilleur » de Pieter BREUGHEL (vers 1525/30 - 1569).
 
Dans une oeuvre de Carl SPITZWEG (1808-1885), on voit le bâillement, mais aussi une phase d'étirement des bras en trois images différentes (= « Stallknecht », « Schildwache », « Einsiedler »). Egalement chez Edgar DEGAS (1834-1917), une de ses « Repasseuses » bâille, avec le bras gauche étiré.
 
Cependant, les représentations artistiques de l'ensemble Bâillement- Etirement nous semblent très rares. Inspiré par le travail de C. et H. SELBACH (1953), nous avons pu tout de même trouver deux tableaux où en fait apparaît l'ensemble classique du phénomène. Les artistes y montrent chacun un personnage en train de bâiller, dans une position d'extension considérable, l'un sur les orteils, l'autre en position assise, avec hyperextension du dos, les bras étant largement étendus en général, les poings fermés ou ouverts et les orteils écartés. Voir: Honoré DAUMIER (1808-1879), planche 304, « Sire! Lisbonne est prise... », in : « La Caricature », N° 145, éd. du 15 août 1833); voir aussi Wilhelm BUSCH (1832-1908), « Die Fromme Helene », Chap. III, « Vetter Franz », Fig. 4, 1872. Ces images sont reproduites ici.
 wilhelm busch
b) D'autre part, le mime bien connu Marcel MARCEAU (1923-2007), au cours de ses tournées, a toujours l'habitude de figurer tout le phénomène physiologique du bâillement et de l'étirement. Il le fait pour ainsi dire par instinct, et notamment dans sa représentation théâtrale « Les Porteurs d'Eau » (avec Gilles SEGAL) (Observation et interview personnelles, Hambourg, 1954).
 
En résumé, nous espérons que les considérations qui précèdent pourront contribuer à faire mieux comprendre l'ensemble du réflexe, et notamment les corrélations « symbiotiques » de ses phases. Il s'agit en effet indubitablement de deux activités physiologiques associées, comme le prouvent aussi les observations de nos Anciens depuis l'Antiquité, qui, eux, avaient l'avantage de se servir d'un mot unique, en grec ou en latin, pour exprimer l'ensemble du phénomène; tandis que nous, aujourd'hui, en général, avons besoin pour cela de deux expressions distinctes, le bâillement et l'étirement. On ne peut que regretter que les deux mots « ffxopIvnrn » et « pandiculatio » paraissent définitivement tombés en désuétude.
 
En fait, et pire encore, nous sommes aujourd'hui privés de l'observation «clinique » de l'ensemble du réflexe, par suite des interdits de la bienséance que nous impose la civilisation moderne.
 
Il s'agit pourtant là d'un phénomène physiologique répondant certainement à une utilité, et le fait d'avoir à le « contrôler » - c'est-à-dire à le contrarier - est très probablement nuisible à la santé de l'individu. N.B. : Tout comme le sont, chez le Chien ou le Chat, les « interdictions » expérimentales des réflexes conditionnés de PAVLOV... Le bâillement est en effet aujourd'hui permis seulement dans le « stillen Kammerlein » (SEELIGMULLER, 1940) (cf. aussi DUMPERT, 1921, p. 94; OTTO, 1935; BURGER, 1953; P.J.V., 1955; KIRCH, 1981). Les animaux à cet égard sont plus libres et vivent plus naturellement que nous.
 
Pour en revenir à la question de l'interprétation physiologique de ces phénomènes, et du bâillement en particulier, nous rappellerons à nouveau qu'il s'agit d'un problème essentiellement lié à l'hémodynamique veineuse.
 
Tous ces mécanismes d'impulsion musculo-veineuse auxiliaire ont certainement pour tâche de remettre en mouvement la circulation veineuse ralentie ou stagnante. D'après BRAUNE, ils travaillent comme « cours d'aspiration et de refoulement » qui selon les besoins sont mis en action successivement, à la manière d'une « tonischen Welle, die in rostrokaudaler Richtung über den ganzen Körper hinwegläuft, Beuger und Strecker mehr oder weniger gleichzeitig erfassend » (WALDVOGEL, 1945, p. 329).
 
Il est vrai que E. ZUCKERKAUDL (1876) et BRAUNE (1884) ont déjà inclus dans leurs concepts l'activité hémodynamique de ces machines de pompage musculo-veineuses et notamment du plexus ptérygoidien, mais curieusement ils ne l'ont pas encore mise en relation avec le bâillement.
 
C'est d'autant plus surpenant que BRAUNE, sur la base de deux figures instructives a essayé d'expliquer les effets moteurs auxiliaires de ces mouvements d'étirement. Voici d'ailleurs son propre texte
 
Es ist also anzunehmen, dass derartige Streckunen und Dehnungen des Rumpfes und der Extremitäten beschleunigend auf die durch hokkendes Sitzen gestörte Venenzirkulation wirken, und zwar neben der Wirkung der Muskeln und Faszïen durch die ailgemeine Spannung der grossen Venenschläuche. Es braucht wohi nicht besonders erwàhnt zu werden, dass natürlich bei der einen Körperstellung neben der Venenanspannung eine Inspirationsstellung des Thorax auftritt, die ihren Einfluss auf die Venenzirkulation ebenfalls geltend macht; dass bei der anderen Stellung mit erschlafftem Venensystem der Thorax sich in Expirationsstellun befinder (1875. Texte et Tables I et II).
 
Nous pensons aussi qu'au point de vue fonctionnel, les mouvements spontanés survenant pendant le sommeil, ainsi que le croisement instinctif des jambes et d'autres mouvements encore répondent également à des nécessités hémodynamiques. Il est d'ailleurs bien surprenant que LANDAUER lui aussi (1920) dans un travail spécial sur le problème de l'étirement, ne mentionne nulle part ses relations avec le bâillement, ni avec l'hémodynamique veineuse.
 
C'est seulement et pour la première fois DUMPERT (1921) qui nous a révélé par ses observations remarquables (faites aussi sur lui-même !) les corrélations hémodynamiques entre le bâillement et l'étirement et spécialement insisté sur le rôle des plexus veineux rétromaxillaires. Ses conceptions ont eu d'importantes répercussions dans la littérature : Voir notamment ENGELHARDT (1941). GAMPER (1926) écrit à propos de DUMPERT: « Seine Deutung des Gähnaktes vervolgt zweifellos die richtige Bahn... sie ist voll anzuerkennen » (pp. 79/80). Le neurochirurgien américain HEUSNER (1946) écrit que « Of all hypotheses advanced that of DUMPERT (1921) is by far the most elaborate » (p. 164). Ses raisonnements sont d'ailleurs tellement séduisants que nous croyons devoir en citer des extraits
 
« Die Hauptkomponenren unseres grossen Gähn-Reck-Reflexes sind also das Recken der Körpermuskularur, die riefe lnspirarionsbewegung und die Gähnstellung de Mutides ( Nicht die tiefe Inspiration ist das Wesentliche des Gàähnaktes, sondern das Recken (HAUPTMANN, 1920, p. 781). Sie deuten unmissverständlich auf einen physiologischen Hauptzweck hin. Seit BRAUNE wissen wir, dass durch das Recken einer der machtigsten Faktoren zut Ruckbeforderung des Venenblutes zum Herzen in Aktion gesetzt wird. Auch mit dem Offnen des Mundes ist em Recken der KauZungen- und Rachenmuskulatur verbunden, wodurch auf die tiefen Venengefiechte, besonders in der Flugelgaumengrube, die BEAUINESChe Wirkung erzieit wird. (« Gahnen ist em auf Brustkorb, Pharynx, Larynx, Gesicht reduziertes Recken HAUPTMANN, 1920,, p. 781). Die Analyse der einzeinen Komponenten unseres grossen Reflexes weist also darauf hin, dass seine Hauptwirkung auf einer Förderung des venàsen Blutkreislaufes, bescsnders einer besseren Durchbiutung des Gehirns beruht (der stockende venöse Abfluss kommt, namentlich wenn die Arme mit gereckt werden, wieder besser in Gang, HAUPTMANN, 1920, p. 781). Durch die Gähninspiration wird das venöse Blut aus dem Gehirn abgesaugt, wobei Reckbewegungen der Kopf- und Haismuskulatur diesen Vorgang noch weiter fördern. Der Gähn-ReckReflex ist em primärer Automatismus der einen elementaren, indirekten Gefässreflex darsteht und dem das ganze Blutgefasssystem subordiniert ist. Er passt sich immer den jeweiligen Bedürfnissen des Körpers an. Man gahnt bzw. reckt sich immer dann, wenn einerseits eine mangelhafte Hirndurchblutung besteht, die sich mit dem Wachbewustsein bzw. mit der Aufmerksamkeit nicht verträgt und wenn andererseits der Organismus gegen die Beeinträchtigung des Bewustseins reagiert. Das Gähnen und das SichRecken ist also eine zweckmässige Reaktion, die reflektorisch eine Umsteilung des Blutkreislaufes, insbesondere eine bessere Durchbiutung des Gehirns herbeizuführen sucht. Dieser ais Gefàssrefiex zu deutende grosse GähnReck-Reflex stellt sich besonders am Morgen, kurz vor oder während des Aufstehens em, wenn die grosse Umsrellung des Blutkreislaufes beim Ubergang vom Schlaf- zum Wachzustand notwendig wird. Dabei erfolgen die Gähn- und Reckbewegungen nicht etwa simultan, sondern vielmehr sukzessive. Das Gähnen allein betrachtet, stellt nur die Abortivform eines grossen Gàhn-Reck. Reflexes dar, weiches aber wegen semer besonderen Wirkung auf die Gehirndurchblutung gerade für den Erwachsenen charakreristisch ist (DUMPERT, 1921 pp. 82-95).
 
Ces conceptions de DUMPERT sur la nature du bâillement sont basées, c'est étonnant, sur de simples hypothèses de travail. Bien qu'il ne dispose pas de données ou de résultats de recherche scientifique authentiques, il a pu, de façon purement empirique, tirer de ses observations des conclusions apparemment pertinentes. Il appartient à coup sûr, à côté de HAUPTMANN et de MAYER, aux premiers auteurs qui ont rassemblé bâillement et étirement, et qui ont pour la première fois lié fonctionnellement au bâillement proprement dit, les plexus veineux rétromaxillaires, faisant ressortir surtout la signification physiologique de l'hémodynamique veineuse.
 
D'autres auteurs ont, eux aussi, fait entrevoir ces relations, mais de façon beaucoup plus vague et indéterminée que les démonstrations convaincantes de DUMPERT.
 
En tout cas nous pouvons, par nos constatations anatomiques et physiologiques, confirmer les appréciations de DUMPERT, et nous faisons suivre ci-après notre propre conception de la signification physiologique du phénomène bâillement-étirement :
 
RESUME
 
Il faut tout d'abord se convaincre que dans l'automatisme bâillement étirement, il s'agit avant tout d'un phénomène d'hémodynamique veineuse. Le bâillement proprement dit, c'est-à-dire le mouvement instinctif et involontaire d'ouverture progressive de la bouche jusqu'à son maximum possible ne représente fréquemment qu'une phase initiale partielle d'un ensemble d'actes automatiques ( échappant à la volonté) qui constitue en réalité une syncinèse de bâillement et d'étirement beaucoup plus compliquée et étendue.
 
Au cours du déroulement de cet acte involontaire, l'ensemble de la musculature squelettique, et par degrés successifs, vient aussi s'inclure en effet (mais pas toujours) dans ce processus biologique. Ces contractions et relâchements musculaires sont capables d'exercer mécaniquement un effet accélérateur relativement considérable sur la circulation veineuse, de sorte qu'on pourrait parler en fait de l'existence d'un « réflexe élémentaire indirect vasculaire » gouverné par le névraxe.
 
Par ce mécanisme s'instaurent des effets de pompage musculo-veineux s'exerçant en direction rostro-caudale par mise en action successive de tous ses « cours veineux périphériques » qui se trouvent incorporés tant dans le système musculaire masticateur que dans le système musculaire locomoteur tout d'abord la pompe musculo-veineuse parapharyngienne enchâssée dans la région paratubaire, qui est mise en mouvement par la cinématique mandibulaire et surtout par le muscle ptérygoïdien latéral. Ensuite suivent tous les autres dispositifs musculo-veineux auxiliaires répartis dans l'économie, qui sont mis en action par les divers mouvements d'étirement selon un ordre bien déterminé et préétabli. Cette syncinèse musculo-veineuse produit une impulsion énergique sur le sang veineux ralenti ou en stagnation, et induit ainsi une accélération du courant veineux dans son retour vers le cour.
 
On comprend que par l'acte de bâillement et d'étirement, ce n'est pas seulement la circulation de retour vers le cour qui est activée, mais aussi l'écoulement du sang veineux hors du crâne, et avec lui toute la circulation cérébrale.
 
Ainsi, les mouvements mandibulaires, par exemple lors de la mastication ou en parlant, etc. (chez l'homme les muscles masticateurs sont devenus aussi des « muscles de la parole » SCHIEFFERDECKER, 1919; PUFF, 1968; cf. aussi BULWER, 1649) accomplissent déjà normalement un travail hémodynamique analogue à celui de l'appareil de locomotion. On conçoit donc qu'en cas de ralentissement ou de stagnation, ou chaque fois que le sujet passe d'un état statique à un état dynamique, alors tous ces « coeurs périphériques » intégrés dans le système ubiquitaire de pompes aspirantes et foulantes musculo-veineuses pourront déclencher par voie réflexe et par paliers successifs une activité hémodynamique considérable. La signification physiologique des grands automatismes de bâillement et d'étirement paraît donc être destinée à faire cesser rapidement et efficacement non seulement une stagnation trop prolongée du courant veineux, mais aussi à assurer le retour veineux et précisément à partir de la circulation intracrânienne.
 
En ce qui concerne spécialement le bâillement proprement dit, c'est moins la respiration profonde que les mouvements mandibulaires qui ont le rôle de mettre en action selon les besoins la pompe musculo-veineuse ptérygoïdienne qui fonctionne en haut de l'espace parapharyngien antérieur ou préstylien. De cette manière, la pompe paratubaire peut s'intercaler dans le mécanisme d'écoulement du sang veineux hors de l'endocrâne et principalement via le sinus canalis ovalis.
 
Ainsi la citerne ptérygoïdienne, correspondant à la pars cavernosa du plexus ptérygoïdien et elle-même prolongement extracrânien et transovalaire du sinus caverneux, joue un rôle important comme station intermédiaire d'accélération pour l'écoulement de retour au cour du sang cérébral, pour ainsi dire comme voie de suppléance à côté de la voie principale d'écoulement de sortie par les veines jugulaires. En d'autres termes, on pourrait avec raison considérer la cinématique mandibulaire conjointement avec le muscle ptérygoïdien latéral comme un veino-moteur, d'autant plus que les deux ensemble représentent en fait le démarreur proprement dit pour la mise en marche de l'action de pompage musculo-veineux alterné de la pars cavernosa du plexus ptérygoïdien. Elle est évidemment particulièrement efficace lors de l'acte de bâillement isolé ou proprement dit, c'est-à-dire surtout lorsque la bouche atteint son ouverture maxima. Cependant, répétons-le, le bâillement lui-même n'est souvent que l'initiation d'une réaction motrice musculo-veineuse en chaîne, étendue aux membres et à toute la musculature squelettique sous forme d'ondes toniques propagées en direction rostro-caudale jusqu'au bout des doigts et des orteils.
 
Voilà, à notre avis, les bases anatomo-physiologiques d'un phénomène hémodynamique musculo-veineux qui constitue le grand automatisme de bâillement et d'étirement désigné autrefois globalement par nos Anciens sous les termes uniques de «pandiculatio » ou «skordinema » (uxop8ívwia).
 
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