- L'hôpital à Paris est en pleine
évolution à la fin du XIX°
siècle. Passant de statut de lieu
d'hébergement à un lieu de soins,
sa mission d'assistance se transforme en
vocation à guérir. Le
glorification du progrès de la science
face à l'obscurantisme de la religion
touche toute la société
"républicaine", notamment une part
importante du corps médical mené,
entre autres, par DM. Bourneville, ancien
interne et éditeur de JM Charcot. Il
obtint la création des écoles
d'infirmières et peu à peu le
remplacement des ordres religieux par des
infirmières laïques
éduquées. La surveillante de JM.
Charcot, Marguerite Bottard,
célèbre par sa
représentation sur le tableau d'A.
Brouillet, "une leçon à La
salpêtrière" servira de
modèle glorifié et
décoré. La publication d'une
lettre inédite de G. Gilles de la
Tourette à F. Raymond, le successeur de
Charcot, illustre ce courant de pensée
progressiste et est l'occasion de revenir sur
les combats pour la laïcisation de
l'hôpital sous la III°
République tout en ressuscitant une
carrière exemplaire d'une
infirmière dont le nom a
été donné récemment
à une bâtiment de l'hôpital
de La Salpêtrière.
-
- Hospitals in Paris underwent considerable
change at the end of the 19th century. As they
moved from providing accommodation to care,
their mission shifted from helping to healing.
The glorification of scientific progress, as
opposed to religious obscurantism, affected all
of French "Republican" society, in particular a
significant part of the medical profession, led
by figures such as DM. Bourneville, former
interne (house officer) under JM Charcot and
also his publisher. Bourneville helped bring
about the creation of nursing schools and the
gradual replacement of religious orders by
educated secular nurses. Marguerite Bottard,
Charcot's chief nurse made famous by A.
Brouillet's painting "Une leçon à
La Salpêtrière", would be glorified
and decorated as a model for this movement. A
letter by G. Gilles de la Tourette to Charcot's
successor F. Raymond, never before published,
illustrates this progressive current of thought
and revisits the struggle to secularise
hospitals under the Third Republic in France. At
the same time, it renews interest in the
exemplary career of a nurse whose name was
recently given to a building at La
Salpêtrière Hospital.
-
- G.
Georges Gilles de la Tourette
- G. Gilles
de la Tourette. Mademoiselle Bottard. La
Revue Hebdomadaire 22/01/1898
-
-
- archives
ap-hp
-
- Alors que naît et prospère la
peinture impressioniste, André Brouillet
(1857-1914), élève de
Jean-Léon Gérôme
(1824-1904), reste un peintre très
académique de paysages et
d'évènements historiques de la
III° République (Le Tsar, la
Tsarine, et le Président de la
République assistant à une
séance de l'Académie
Française le 7 octobre 1896; Jules Ferry
approuvant les plans de la Nouvelle Sorbonne; Le
vaccin du croup à l'hôpital
Trousseau par Emile Roux en 1895). Sa
notoriété perdure en particulier
pour avoir présenté, au
« Salon des
Indépendants » de 1887, sa
toile « Une leçon clinique
à la Salpêtrière »
(Signoret, 1983; Telson, 1980). Jean Martin
Charcot (1825-1893), titulaire de la
première chaire de neurologie
créée pour lui en 1882, est le
personnage central d'une de ses
célèbres « leçons
du vendredi », examinant la patiente
hystérique, « Blanche » Marie
Wittmann, soutenue par Joseph Babinski
(1857-1932), devant un parterre composé
« de l'escadron volant des
élèves, des amis, des admirateurs;
ceux-ci, comme le montre le tableau de
Brouillet, remplissent le fond et les parties
latérales de l'estrade »
(Pierre Marie, 1925). Hors la malade, cette
toile ne montre que deux visages
féminins. En arrière plan,
à l'extrême droite, une jeune
soignante, Mlle Ecary, en partie dissimuler par
une femme d'âge mûr, tendant les
bras comme pour secourir la patiente
défaillante. Elle, c'est Marguerite
Bottard (1822-1906), l'infirmière en chef
ou « surveillante » de
Charcot.
-
-
- Nous allons voir comment cette femme
dévouée va devenir, à son
insu, une héroïne
républicaine, modèle de la
laïcisation des personnels hospitaliers
à la fin du XIX° siècle en
France.
-
- Marguerite Bottard naquit le 29 janvier 1822
à Charny en Bourgogne. Quatrième
d'une fratrie de 15 enfants, ses parents
étaient de pauvres paysans. Pendant
qu'ils étaient à leur ouvrage aux
champs, elle dût, encore très
jeune, apprendre à s'occuper de ses plus
jeunes frères et soeurs. En 1840,
à 18 ans, elle rejoignit, à Paris,
l'une de ses soeurs, domestique chez
l'économe de l'hôpital de La
Salpêtrière. Grâce son
entre-mise, elle fut embauchée à
cet hospice, le 12 janvier 1841, comme «
fille de salle ». Le corps des
infirmières n'existait pas encore
à cette époque où les soins
étaient du ressort des ordres religieux.
Dès le 20 mars 1841, elle était
nommée suppléante
« soignante » afin de
pourvoir rapidement au manque de personnel. Onze
ans plus tard, pour ses 30 ans, en janvier 1852,
elle était nommée au service des
aliénés dont elle devint
sous-surveillante en septembre 1852 après
avoir été confrontée, en
1849, à une terrible
épidémie de choléra. Elle
servit successivement deux élèves
de Jean-Etienne Esquirol (1772-1840), d'abord
Jean-Pierre Falret (1794-1870) pendant 9 ans,
puis Ulysse Trélat (1795-1879), enfin
Louis Delasiauve (1804-1893) et Henri Legrand du
Saulle (1830-1886). Nommée surveillante
le 1 octobre 1861 « aux Petites
Loges », service des
hystériques et des épileptiques,
c'est là qu'elle accueillit Charcot en
1870 quand celui-ci ajouta à son service
cette salle alors que régnait à
Paris une terrible épidémie de
variole. Elle le servira jusqu'à sa mort
en 1893 puis travaillera auprès d'Edouard
Brissaud (1852-1909), successeur
intérimaire de la chaire de neurologie,
et enfin de Fulgence Raymond (1844-1910).
Maguerite Bottard prit sa retraite le 1
août 1901 à 79 ans après 60
ans d'activité. Elle
bénéficia d'un logement au
« Pavillon des Reposantes »,
privilège datant du cardinal Jules
Mazarin (1602-1661), accordant vivres et coucher
aux employées de l'hôpital
après plus de vingt ans de service. Elle
y mourut à 84 ans, le 14 novembre 1906
(Archives Nationales; Boucher, 1883; Poisson,
2009).
-
- Photo des récipidendaires
avec Mlle Ecary à gauche
-
- Vie d'abnégation, véritable
recluse volontaire, la légende veut
qu'elle soit restée trois ans sans sortir
de l'enceinte de La Salpêtrère, ne
demandant aucun jour de congé.
Décorée en 1889 des palmes
académiques, son parcours exemplaire
servit la cause de la laïcisation du
personnel infirmier des hôpitaux,
défendues par
Désiré-Magloire Bourneville
(1840-1909), le fondateur de la première
école d'infirmières (Poirier et
Signoret, 1991). Réputé pour ses
convictions républicaines, il connut
Marguerite Bottard alors qu'il était
interne de Charcot qui partageait ses
idées comme le pointe dans un hommage
posthume le journal L'Univers du 18 août
1893: "un travailleur et un savant, dont les
études auraient gagné à ne
pas prendre trop souvent une couleur
antireligieuse" (Lalouette, 1994). Le 12 janvier
1891, Charcot prononça un éloge
hagiographique de sa surveillante à
l'occasion du cinquantenaire de son
entrée à La
Sâlpêtrière, devant les
représentants de l'administration,
d'invités et de la famille Charcot.
-
-
- Au moment du combat pour la laïcistion
des hôpitaux, la gloire de Marguerite
Bottard peut apparaître comme une
instrumentalisation d'une carrière
discrète entièrement vouée
aux soulagements d'immenses misères.
Après avoir eu la responsabilité
simultanée de 400 malades, Charcot
pouvait dire: « Simple laïque,
sans autre stimulant que le sentiment
impérieux du désir et de la
dignité professionnelle, aiguisés
il est vrai chez vous par une sympathie profonde
pour les déshérités, les
incurables, les difformes au physique comme au
moral, les malheureux de tout genre en un mot,
n'avez-vous pas pendant plus de 50 ans, sans
bruit, modestement, sans visées autres
que la satisfaction de votre conscience, sans
autre soutien que votre coeur ardent, pour le
bien, n'avez-vous pas dis-je, mené cette
vie d'abnégation et de sacrifice que
commandait le poste d'honneur qui vous
était confié? Il y a une trentaine
d'années, un peu plus peut-être,
que vous et moi nous marchons chaque jour
côte à côte ici, dans ce
grand asile des misères humaines que l'on
appelle l'hospice de la Salpêtrière
traitant ou consolant de notre mieux les
malades, chacun suivant ses attributions
spéciales... Et bien je n'hésite
pas à le dire, et même je tiens
à déclarer hautement, à
proclamer publiquement, après vous avoir
connue, comme je vous connais, qu'à mon
avis, ceux qui viennent prétendre que les
surveillantes laïques des hôpitaux
sont incapables de montrer, dans l'exerce de
leurs fonctions, ce
désintéressement absolu, ce
dévouement sans bornes, ces
qualités morales, dont le monopole
appartiendrait suivant eux aux surveillantes de
l'autre système; ceux-là, dis-je,
se trompent ou ils trompent les autres
[...]. Oui, au nom des médecins
de cet hospice, que vous avez si intelligement,
si généreusement secondés
dans l'accomplissement de leur tâche, au
nom des malades innombrables dont vous avez
adouci la peine, que vous avez aimés,
moralisés même et plus d'une fois,
qui ne le sait? sans autre mission que celle que
vous confère l'amour de
l'humanité, ramenés dans le bon
chemin, au nom d'eux tous je vous remercie
» (Gilles de la Tourette, 1898).
-
- Remettons en perspective ces propos et ceux
d'une part de Carl Potain (1825-1901),
médecin, élève de
Jean-Baptiste Bouillaud (1796-1881) et
maître de Louis Vaquez (1860-1936) et
surtout du chirurgien Armand Després
(1834-1896) tels que rapportés par son
collègue du Conseil Municipal de Paris et
opposant, Bourneville dans le journal Le
Progrès Médical du 5 mars 1881:
« Pour Mr. Després,
l'infirmière laïque, mariée
ou mère de famille, dérobera au
service des malades pour le consacrer à
son ménage tout le temps qu'elle pourra
[...]. A La Salpêtrière,
mariées ou non, les surveillantes sont
dans leurs salles tout le temps qu'elles doivent
y être, et si, quelqu'une s'avisait de
quitter son service pour son ménage, le
directeur de l'établissement y aurait
bientôt mis bon ordre. [...]. Les
soeurs, d'ailleurs qui n'ont pas de
ménage, n'ont-elles donc pas d'autres
préoccupations qui les éloignent
toutes à la fois, de par la règle
de leur communauté ? C'est la messe,
c'est le chapelet, c'est le salut, c'est le
chapitre, c'est la coulpe, c'est le mois de
Marie, c'est le mois de Saint-Joseph, c'est le
chemin de la Croix, c'est l'Avent, c'est le
Carême, etc, etc [...]. Mais au
compte fait, nous maintenons qu'en laissant
à ses surveillantes le temps de veiller
à leur ménage, l'Assistance pourra
leur demander plus d'heures de présence
qu'aux religieuses [...]. On se demande
si on ne rêve pas quand on voit affirmer
que les soeurs l'emporteront toujours sur les
infirmières laïques, « si
zélées, si instruites qu'on les
supposent d'ailleurs ». Quelles
qualités exige donc Mr. Potain ? Le
plus grand zèle, la plus grande
instruction ne lui suffisent pas. Hélas,
ce qu'il lui faut, ce sont des ignorantes;
l'instruction qu'on prétend donner aux
surveillantes, il en fait pour elles une cause
d'infériorité. Ce seront des
pédantes désagréables, des
sottes prétentieuses, se figurant
s'entendre pas mal à la
médecine » (Gilles de la
Tourette, 1898).
-
- On comprend ainsi que Marguerite Bottard
soit devenue le prototype de l'infirmière
laïque que modelaient la République
et la partie la plus progressiste du corps
médical, représentée par
Charcot et ses élèves Bourneville
et Georges Gilles de la Tourette (1957-1904).
Celui-ci, interne puis chef de clinique de
Charcot, appréciait beaucoup Marguerite
Bottard qu'il avait surnommée "Maman
Bottard". Nous avons retrouvé dans ses
archives personnelles des documents
émouvants montrant comment il avait
oeuvré avec son ami le journaliste
à L'Eclair puis au Temps, Octave
Lebesgue, au nom de plume de Georges Montorgueil
(1857-1933), afin de lui assurer la remise d'une
haute décoration. Il rencontra à
deux reprises Louis Barthou (1862-1934),
ministre de l'intérieur de
l'époque. Dans deux courriers de
décembre 1897 à son complice,
Gilles de la Tourette dit « avoir
rencontré le ministre pour Mademoiselle
Bottard qui a été très
aimable ». On peut supposer qu'il
était intervenu auprès du ministre
pour appuyer la candidature de Marguerite
Bottard au grade de chevalier de la
Légion d'honneur, consécration
rare, pour une femme, à cette
époque. Gilles de la Tourette publia un
article dans le Progrès médical
« Les infirmières
décorées: mademoiselle Bottard
», élogieux et résumant ses
états de service, son
désintéressement et son
dévouement au travail (Gilles de la
Tourette, 1898). Montorgueil, lui, en fit
paraître un dans L'Eclair du 5 janvier
1898 destiné au grand public, dans
l'esprit de la cause laïcisante.
-
-
- La Légion d'Honneur fut remise
à Marguerite Bottard le 16 janvier 1898.
Gilles de la Tourette publia dans une feuille de
romans populaires « La Revue
Hebdomadaire » du 22 janvier 1898:
« Quand, le 2 janvier, j'allais porter
un bouquet de violettes et donner l'accolade
à Mlle Bottard, chevalier de la
Légion d'honneur: « Je suis
bien heureuse, me dit-elle, je n'ai qu'un
regret, c'est que Monsieur Charcot ne soit plus
là... vous avez tous été si
bons pour moi ». Je connais la
nouvelle légionnaire depuis près
de quinze ans. Attaché à des
divers titres au service hospitalier dont elle
st surveillante, j'ai pu apprécier ce
caractère d'élite; la croix brille
en bonne place sur son modeste fichu. Mlle
Bottard a soixante seize ans d'après son
extrait de naissance, mais elle est
restée jeune et affable sous le petit
bonnet noir qui couvre ses bandeaux blancs. Tout
en elle respire la bonté compatissante,
vertu qu'il lui a été donné
de mettre largement en pratique depuis cinquante
sept ans qu'elle vit au milieu des malheureux
[...]. Quand fut fondée la
Clinique des maladies du système nerveux,
il lui vint un surcroît de besogne. La
renommée grandissante de Charcot attirait
les consultants par centaines; les
élèves affluaient de toutes parts,
jaloux de recueillir la parole du maître.
Mlle Bottard veilla à tout, aux soins des
malades, aux nécessités de
l'enseignement, la première levée,
la dernière au repos. La direction d'un
tel service n'allait pas sans
difficultés, la surveillante savait les
aplanir, son influence bienfaisante se faisait
partout sentir, même au cours de petites
rivalités qui surgissaient parfois entre
les élèves. A l'occasion, elle
pénétrait dans le cabinet de M.
Charcot, un mot d'elle écartait les
nuages, éloignait l'orage qui
menaçait d'éclater. Et le tout
sans bruit, simplement avec cette dignité
qui est le propre de sa nature, faite du respect
de soi-même et des autres, d'un fond
d'abnégation, d'inaltérable et
sereine bonté ».
-
-
- Le 27 octobre 1900, Gilles de la Tourette
prenait à nouveau la plume, à
l'intention de Fulgence Raymond,
« Voilà de quoi vous documenter
dit-il », pour l'aider à
préparer le discours prononcé lors
du départ en retraite de Marguerite
Bottard. Gilles de la Tourette précise
qu'à cette occasion, lui sera remise une
plaquette commémorative,
réalisée par le sculpteur G.
Vincent à « son initiative et
celle de 5 ou 6 amis ».
-
- « Paris le 27 octobre 1900,
-
- Mon Cher Maître,
- Je vous envoie une petite note sur
Mademoiselle Bottard. Comme tout naturellement
c'est vous qui lui remettrez la plaquette, si
vous voulez bien lui dire quelques mots, voila
de quoi vous documenter.
-
- Melle B. qui a 78 ans est entrée il y
a à peu près 60 ans comme
infirmière à la
Salpétrière. Elle arrivait tout
droit de son petit village bourguignon, le coeur
bien gros mais elle était la
quatrième de 15 frères et soeurs
et on avait tout vendu , vu les mauvaises
années, dans la petite ferme que les
parents cultivaient.
-
- Le 12 janvier 1840, au bout de 3 semaines de
stage, elle est titularisée
infirmière, devient assez rapidement
suppléante. Dix ans après, elle
est sous-surveillante et pendant neuf ans dirige
le service des aliénés de Falret
le père. En septembre 1861, elle est
enfin surveillante aux « Petites Loges
» nom qui désigne le service de
Trélat père, que Charcot devait
prendre 14 ans plus tard. Pendant 39 ans, elle
n'a pas quitté la petite case
vitrée où elle dominait et
surveillait un service de plus de 400 personnes
qu'elle connaissait toutes par leur nom.
-
- Elle n'a jamais demandé un jour de
permission et si elle a été
à Dijon, à Blois, à Saint
Dizier, dans l'Ariège, voire même
à Londres, c'était pour y conduire
de malheureuses aliénées que la
ville de Paris ne voulait plus garder. C'est
ainsi que lors de la déclaration de la
guerre de 1870, elle est partie avec 200
malades, bouches inutiles que personne ne se
souciait d'emmener loin de Paris, au milieu des
soldats et des fourgons, quitte à coucher
à la belle étoile et à se
faire rabrouer à toutes les stations pour
avoir du pain.
-
- Elle a traversé de terribles
épidémies, la variole, 3 fois le
choléra surtout celui de 1849 qui a
tué des centaines de vieilles infirmes
sans compter le Directeur de la
Salpétrière, des internes, des
surveillantes, des commis d'administration
etc.
- En 1889 je l'ai fait décorer des
palmes académiques.
-
- En 1891, elle a reçu la
médaille d'or de l'Assistance Publique
pour sa 50 ième année de service.
En 1893, une médaille de bronze du
Ministère de l'intérieur au lieu
de la Croix demandée pour elle. Enfin en
1898, sur mes sollicitations, vous lui avez fait
vous-même obtenir la Croix de la
Légion d'Honneur qu'elle avait bien
méritée.
-
- Elle est restée très simple.
Elle dit très bien que comme les autres
elle serait bien sortie et aurait aimé
à danser mais le moyen d'avoir une robe
« payée par soi » quand on
gagne 10 francs par mois, ce qui fut son salaire
pendant onze ans. Puis elle toucha 17 Fr 50. Ce
n'est qu'au bout de 20 ans de service qu'elle
eut ses 35 francs. Depuis quelques années
elle est devenue riche puisqu'elle touche 70
francs.
-
- Ses soeurs ayant beaucoup d'enfants, elle a
pris à sa charge un neveu.
Peut-être se serait-elle mariée
mais celui qu'elle avait choisi et dont elle
garde le tendre souvenir fut emporté par
le choléra de 1849
.Toujours
souriante, toujours sereine, dirigeant avec
autant de fermeté que de bienveillance la
clinique Charcot qui forme la Chaire des
Maladies du Système Nerveux, elle va
bientôt prendre sa retraite, en janvier
1901 après 6O ans de services
ininterrompus. Elle quittera les 2 petites
chambres basses qui forment son logement aux
murs desquelles sont accrochés les
portraits de Charcot et de ses
élèves groupés par
années autour de lui. Elle garde
précieusement dans le coffret où
sont enfermées ses médailles les
lettres de félicitations de tous ceux, et
plusieurs sont illustres, qui lui ont
écrits, l'ont approchée et
aimée. Elle les emportera et vivra de
souvenir dans le petit pavillon des
"Reposantes"(le joli mot) où elle
s'endormira du dernier sommeil.
-
- "Elle ne peut pas se figurer qu'elle
pourrait vivre ailleurs qu'à la
Salpétrière; au delà de ses
murs, c'est l'inconnu pour elle".
- Ne pensez vous pas, mon cher Maître,
qu'il y a là pour votre bon coeur, une
jolie "Vie de Paris". Je crois que vous l'avez
déjà faite en partie mais tout n'a
pas été dit.
-
- C'est une sainte laïque que cette bonne
"Maman Bottard" comme nous l'appelons et St
Vincent de Paul qui installa les services de la
Salpêtrière avait pensé
juste en ni mettant que des laïques.
-
- Charcot estimait beaucoup Mlle Bottard.
C'était elle qui intervenait toujours
auprès de lui quand le service ne
marchait pas, qui arrangeait les petites
querelles, les rivalités entre
élèves. Après avoir
été interne de Charcot en 1884,
lorsque je devins son chef de clinique en
novembre 1887, je fus en butte à de
grosses difficultés de survie que je vous
dirai si vous ne les connaissez pas. Je faillis
presque, écoeuré de ce qui se
passait, lâcher la rampe... c'était
tout briser ! "Maman Bottard" n'hésita
pas. Elle dit à Charcot combien j'avais
pour lui de respectueuse affection, combien
j'étais mal secondé etc, etc . Et
mon vieux Maître finit par comprendre
combien je l'aimais et ne cesse depuis de me
témoigner à son tour la sienne.
Ses enfants l'ont compris et sont devenus nos
meilleurs amis.
-
- Et voilà pourquoi, mon cher
Maître, si vous désirez le savoir
pourquoi j'aime maman Bottard, pourquoi j'ai
demandé pour elle les palmes
académiques à notre ami Leroy, le
chef de bureau du Cabinet du Ministre de
l'Instruction Publique, l'ancien
secrétaire de Jules Ferry, pourquoi je
vous ai prié de vous intéresser
à elle pour le ruban rouge que lui a
donné votre bon c?ur si
généreux.
-
- Après avoir été interne
dans ce service, après avoir fait 2 ans
de Clinicat, je suis devenu
l'agrégé suppléant de la
Chaire, l'année dernière, vous le
savez puisque vous m'avez fait l'honneur
d'assister à ma première
leçon, j'en ai été le
patron pendant 6 mois et j'y reste tous les ans
pendant les vacances.
-
- Quand j'y arrive joyeux pour prendre le
service, je commence par embrasser "Maman
Bottard" sur les deux joues et elle me le rend
bien. En partant je suis triste et elle aussi.
J'ai voulu avoir toujours sa bonne vieille
figure devant moi et voila pourquoi avec 4 ou 5
amis ou élèves je l'ai faite
fondre en bronze, très beau, très
réussi et vous en ai
réservé un bel exemplaire. Il vous
rappellera la Salpétrière que vous
avez aimée et où je vous ai connu,
ce qui est un des bonheurs de ma vie.
-
- Lundi matin je vous remettrai avec un
modeste bouquet, la belle plaquette du sculpteur
Vincent et pour nous tous il y aura de la joie
dans le ciel. Ma foi, je vous embrasse avec
affection et respect.
- (signé) Gilles de la
Tourette ».
-
- Au delà du témoignage sur
Marguerite Bottard, ce texte montre le style
mégalomaniaque utilisé par Gilles
de la Tourette et témoignant des premiers
symptômes de la paralysie
générale qui l'emportera en 1904.
Notons enfin, que Gilles de la Tourette
écrit cette lettre sur le papier officiel
à l'en-tête de l'exposition
universelle de Paris en 1900 dont il
était alors le médecin chef (Lees,
1986; Walusinski, 2010).
-
-
- « Elle n'était pas adulée
pour ses compétences ou son savoir faire,
mais pour son dévouement et son silence,
autant de qualités
caractéristiques, au moins dans les
imaginaires, de ces religieuses qu'on entendait
remplacer » (Poisson,
1998)
-
-
- le
registre du personnel aux archives de l'AP-HP,
année 1841, fiche de Marguerite
Bottard
- et suivie de sa carrière
-
-
- Bibliographie
-
- Archives Nationales. Paris. Dossier Bottard.
Cotes LH.302/55.
-
- Bourneville DM. Soeurs ou Laïques. Le
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-
- Boucher L. La Salpêtrière, son
histoire de 1656 à 1790, ses origines et
son fonctionnement au XVIII° siècle.
Au Progrès Médical & Delahaye
et Lecrosnier Ed. Paris 1883. 138p.
-
- Gilles de la
Tourette G. Mademoiselle Bottard. La Revue
Hebdomadaire. Plon-Nourrit. Paris.
1898;7(8):562-565.
-
- Gilles de la Tourette G. « Les
infirmières décorées:
Mademoiselle Bottard ». Le
Progrès Médical
1898;3(7):26-45).
-
- Lalouette J. Charcot au coeur des
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Neurol (Paris). 1994150(8-9):511-516.
-
- Lees AJ. Gilles de la Tourette, the man and
his times. Rev Neurol (Paris).
1986;142:808-816.
-
- Marie P. « Eloge de J-M.
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Neurologique.1925;5:731-745.
-
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-
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(Vienne). Archives de Georges Gilles de la
Tourette. Don Dalpeyrat.
-
- Poirier J, Signoret J. De Bourneville
à la Sclérose Tubéreuse,
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Flammarion Ed. Paris 1991. 206p.
-
- Poisson M. Marguerite Bottard (1822-1906).
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-
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-
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-
- Walusinski O, Duncan G. Living his writings:
the example of neurologist G. Gilles de la
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- Bourneville DM. Laïcisation de
l'assistance publique : discours
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- Brais B. Désiré Magloire
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Doctors, politics and society : historical
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- Leroux-Hugon V. Des saintes laïques:
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- Leroux-Hugon V La laïcisation des
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des écoles d'infirmères
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- Martineaud JP. Les ordres religieux dans les
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à Paris, des fondations à la
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430 p.
-
- Illustrations
-
- Gravure de Marguerite Bottard. Bibliothèque
Inter Universitaire de Médecine. 12
Rue de l'Ecole de Médecine. Paris
6°.
-
- Photo de Marguerite Bottard
décorée, Archives Assitance
Publique Hôpitaux de Paris
-
- Une
leçon de Charcot à La
Salpêtrière, tableau
d'André Brouillet. Musée
d'histoire de la médecine. Faculté
de Médecine. 12 Rue de l'Ecole de
Médecine. Paris 6°.
-
- L'Actualité 1 septembre 1901
(10° année n°84). Collection
personnelle de l'auteur.
-
- Supplément illustré Le Petit
Journal. Dimanche 16 janvier 1898 (9°
année n°374). Collection personnelle
de l'auteur.
-
- Anonymous. Exposition des Beaux-Arts. Salon
de 1887. Catalogue illustré, peinture et
sculpture. Librairie d'art Ludovic Baschet Ed.
Paris 1887.
-
- La Vie Illustrée n° 108 du 9
Novembre 1900. Hommage à Mlle Bottard
(Plaquette de M. C. Vincent). Paris. Juven Ed.
1898-1912. Collection personnelle de
l'auteur.
-
- Lettre de G. Gilles de la Tourette à
F. Raymond. "Collection du Musée
Charbonneau-Lassay". Loudun. France.
-
-
-
Augustine
Gleizes (1861) une hystérique à La
Salpêtrière
- La
maladie de Gilles de la Tourette
- La
maladie des tics convulsifs Gilles de la
Tourette G.(pdf)
- Contribution
à l'étude des bâillements
hystériques Nouvelle Iconographie de La
Salpêtrière1890
- Traité
clinique et thérapeutique de
l'hystérie d'après l'enseignement
de La Salpêtrière1895
- Gilles
de la Tourette par P. Legendre pdf
- Attentat
contre Gilles de la Tourette 07/12/1893
- La
nécrologie La Presse Médicale 4
juin 1904
- La
nécrologie Nouvelle Iconographie de la
Salpêtrière 1904
- The
forgotten face of Gilles de la Tourette:
practitioner, expert, and victim of criminal
hypnotism at the Belle Époque
Bogousslavsky J Walusinski O
- Criminal
hypnotism at the Belle Époque : The path
traced by Jean-Martin Charcot and Georges Gilles
de la Tourette Bogousslavsky J Walusinski O
Veyrunes D
- Correspondance
inédite de G. Gilles de la Tourette, sa
maladie fatale Walusinski O. Duncan G
- Correspondance
inédite de G. Gilles de la Tourette avec
JM. Charcot et G. Montorgueil Walusinski O.
Duncan G
- Vivre
ses écrits, l'exemple de G. Gilles de la
Tourette Walusinski O. Duncan G
- G. Gilles de la
Tourette 1857-1904 in english
- L'état
mental de Froufrou G. Gilles de la Tourette
1892
- Mademoiselle
Bottard. Gilles de la Tourette G. La Revue
Hebdomadaire 1898
- Marguerite Bottard
(1822-1906) sa biographie et la lettre
inédite de G. Gilles de la Tourette
Walusinski O. PDF
-
-
J.M.
Charcot (18251893), sa vie son
oeuvre
- Georges Guillain
- Masson
1955
- pages 56-57
-
- En terminant ce chapitre sur la vie de
CHARCOT à la Salpêtrière, je
voudrais ajouter qu'il eut, dans toute sa
carrière, une Surveillante du plus haut
mérite, Mlle BOTTARD, qui lui fut tout
particulièrement attachée et
dévouée. Mlle BOTTARD, que j'ai
d'ailleurs personnellement connue, en 1919,
durant mon Internat à la
Salpêtrière, était
entrée dans cet Hôpital en 1841,
âgée de 16 ans; elle avait vu
CHARCOT externe, elle le retrouva, en 1862, Chef
de service et resta auprès de lui, comme
Surveillante générale de la
Division PARISET, jusqu'à sa mort. Femme
d'élite, d'une grande distinction, d'un
dévouement absolu, ayant toutes les
qualités de l'intelligence et du coeur,
Mlle BOTTARD reçut le Prix Montyon et fut
Chevalier de la Légion d'Honneur.
-
- Mlle BOTTARD eut une fois, dans des
circonstances spéciales, l'occasion de
« gronder » CHARCOT. Cette occasion
est rappelée dans une lettre charmante de
Mme Jeanne CHARCOT adressée à
Georges CAIN, qui lui avait demandé
quelques souvenirs sur son illustre père
: « En 1890, le Professeur CHARCOT ayant un
jour demandé à son fils, alors son
interne, ce qui se passait dans les salles de
garde modernes, le lendemain les Internes de la
Salpêtrière, qui savaient qu'il
aimait la jeunesse et la gaieté, vinrent
lui demander de dîner avec eux. Le
dîner, grâce à l'illustre
« patron », devint rapidement
extrêmement gai, et la soirée fut
si brillante que le Directeur de
l'Hôpital, cependant proverbialement
débonnaire, crut devoir intervenir, et
quel ne fut pas son étonnement lorsqu'il
fut reçu à la porte de la salle de
garde par le Professeur CHARCOT lui-même,
un verre de champagne à la main. Il n'y
eut pas de plainte adressée à
l'Assistance Publique, et cependant la sortie
sous les arbres séculaires de
l'Hôpital Mazarin fut accompagnée
de chansons et de refrains de 1850 et de 1890.
Mais le lendemain matin, le Maître fut
grondé, car Mlle BOTTARD,
répondant à son amical salut, lui
dit de sa voix douce, sa jolie figure
ridée illuminée d'un bon sourire :
« Les Internes ont fait tant de bruit hier
soir, que nous n'avons pas pu dormir.»
-
- Quelques
souvenirs de La Salpêtrière:
Marguerite Bottard
- A.
Baudouin
- Paris Médical 1925,
n°56, 517-520
-
- La mère Bottard, comme chacun disait
irrévérencieusement, était
alois fort âgée: elle avait plus de
quatre-vingts ans, était retirée
depuis des années et succombait lentement
aux progrès d'une affection incurable du
sein. Appelé d'abord auprès d'elle
comme médecin. dans ce bâtiment dit
de la Vierge où étaient les petits
appartements" des reposantes", je retournai
maintes fois causer avec cette doyenne, un peu
sénile à vrai dire, mais qui
contait volontiers. Elle ne parlait de "Monsieur
Charcot" qu'avec un respect religieux, en
baissant la voix, disant son geste sobre, sa
parole rare, son attitude familise dans ce petit
cabinet de la Clinique où on lui
présentait les malades qu'il regardait,
comparait pendant des heures. Charcot
n'était pas l'unique objet de nos
entretiens. Elle était entrée
à la Salpêtrière vers 1835
ou 1840, et, depuis lors, sa vie s'était
identifiée avec celle du grand hospice.
Elle me racontait qu'au montent de ses
débuts, les infirmières faisaient
seize heures de service journalier pour 8 francs
de salaire mensuel.
-
- La Salpêtrière était,
infiniment plus encore qu'aujourd'hui, une ville
dans la ville: c'était: un voyage que d'
"aller â Paris" , et le personnel restait
parfois des mois et même des années
sans quitter l'enceinte de l'hôpital.
Comme il arrive souvent à cet âge,
elle s'attachait avec prédilection aux
souvenirs les plus anciens, et c'est ainsi que
le nom de "Monsieur Trélat" revenait
volontiers dans ses discours. En ce
temps-là, jétais peu ferré
sur l'histoire de la psychiatrie et j'ignorais
complètement que c'était un
aliéniste, d'ailleurs remarquable, qui
florissait vers 1845. Je ne connaissais que le
nom d'Ulyuse Trélat (fils du
précédent), qui
représentait pour moi un ancêtre
disparu depuis bien des années et qui
avait été un brillant professeur
de clinique chirurgicale, contemporain de
Charcot et de Potain. Quand la mère
Bottard faisait allusion aux mérites du
père, je croyais naturelrment qu'il
s'agissait du fils, et ce fut l'objet d'un
quiproquo jusqu'au jour où, s'apercevant
de mon erreur, elle s'écria: "Mais je
parle de M. Trélat et vous parlez de M.
Ulysse !"
-
le Progrès Médical janvier
1891
-
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