Les
relations sociales chez le cobaye domestique
mâle
Le
comportement agonistique inter-territorial
J. Coulon
Laboratoire de Psychologie
Animale et Comparée
Université Claude
Bernard, Lyon, France
Les études menées tant en
laboratoire (KUNKEL & KUNKEL, 1964; Coulon.
1975) que dans un milieu naturel (ROOD, 1972) ou
semi-naturel (King, 1956) démontrent
l'existence d'une hiérarchie sociale chez
le Cobaye domestique. Cette hiérarchie se
manifeste sur le territoire qu'occupent les
individus formant un même groupe
social.
Par ailleurs, CARPENTER (1958)
définit ce territoire comme la partie du
domaine vital que les animaux défendent
contre les individus de même espèce
étrangers au groupe, cette défense
impliquant l'extériorisation de postures
caractérisant le comportement dit
agonistique. De tels comportements sont
présents chez les Cobaye sauvages aussi
bien que chez les Cobayes domestiques, l'enclos
abritant chaque groupe prenant dans ce dernier
cas valeur de territoire. La mise en
présence de mâles étrangers
l'un à l'autre entraîne, dans cette
espèce, des affrontements violents,
souvent sanglants dont l'évocation est
présente dans la plupart des travaux
cités plus haut.
Cependant nous sommes loin de disposer en ce
qui concerne le Cobaye d'études
analytiques précises à ce sujet,
contrairement à d'autres espèces
de Rongeurs: Rat (GRANT, 1963), Hamster (MORIN
& GINGRAS, 1969; LERWILL & MAKINGS,
1971), Campagnols (COLVIN, 1973), Lemming (ALLIN
& BANKS, 1968) etc. La plupart des travaux
ci-dessus ayant démontré
l'intêret d'une telle étude pour la
compréhension de la communication
intra-spécifique, nous avons entrepris
l'analyse des comportements observés au
cours de ces affrontements, parallèlement
à notre étude sur la
hiérarchie sociale du Cobaye domestique
(Coulon, 1975).
Materiel et methodes
Nous avons utilisé 5 mâles
appartenant à 5 groupes différents
dont la hiérarchie était stable et
connue et qui n'avaient jamais été
en contact les uns avec les autres avant le
début de l'expérimentation. Ces
mâles sont tous alpha, la position
hiérarchique influençant fortement
la tendance agressive (C0UL0N, 1975). Au cours
de notre étude, un changement de
dominance au sein de l'un des groupes nous a
aminé à utiliser un sixième
animal en remplacement du mâle
déchu.
Au cours de l'affrontement les animaux qui
ne participent pas directement, mâles
dominés, femelles, présentent des
réactions très spectaculaires.
Dès les premières manifestations
agressives entre "propriétaire" et
"intrus" ils se terrent dans les coins de
l'enceinte, immobiles et serrés les uns
contre ou même sur les autres;
soudainement un puis plusieurs d'entre eux entre
dans une course frénétique,
grimpant sur les mangeoires, parcourant
l'enceinte en tous sens voire sautant par dessus
les parois hautes de 50 centimètres de
celle-ci. Cette véritable réaction
de panique en châine au cours de laquelle
les rituels sociaux semblent avoir totalement
disparu se montre inadaptée. Elle
entraine en effet de la part des mâles
combattant une intense redirection de
l'agressivité, tout animal passant
à proximité étant
sévèrement mordu quels que soient
son sexe, son âge et son rang.
Par suite de ce phénomène,
dont le déterminisme et
l'évolution sont en cours d'étude
par ailleurs (SCI0RTIN0, 1973) et pour un
évident souci de clarté de nos
observations, nous n'avons
systématiquement laissé dans
l'enceinte que le mâle dominant, les
autres membres du groupe étant
retirés quelques secondes avant
l'introduction de l'intrus.
Tous les mâles utilisés ont
été opposés deux à
deux alternativement sur le territoire habituel
de chucun d'entre eux. Un intervalle d'une
semaine est observé entre deux
affrontements successifs pour un même
animal. La séquence comportementale
complète est enregistrée au
magnétoscope AMPEX TR 7403 et
dépouillée ensuite au
ralenti.
Postures observées.
Ce sont les mêmes que celles
notées précédemment
(C0UL0N, 1975) compte tenu toutefois des
remarques suivantes:
La Poursuite (P) sera prise en
considération car elle s'insère
dans le contexte communicationnel de
l'affrontement. Son apparition, liée
à la fuite de l'adversaire, n'est pas une
fin, elle n'entrairie pas la cessation du
tournoi.
La Morsure (M) ne peut être
individualisée dans cette étude,
elle ne se distingue pas du combat (FGT).
Nous avons enfin noté quelques
comportements particuliers:
La Monte sexuelle symbolique apparait
à la fin de l'affrontement
essentiellement chez le dominant.
Le Creusement se manifeste
fréquemment chez les deux combattants et
s'exerce sur la paille recouvrant le sol ou
même sur sol nu.
Le bâillement est
également très abondant durant les
postures ambivalentes. Il faut rappeler que ces
dernières sont généralement
accompagnées de l'émission du
signal de menace (entrechoquement de
dents).
Résultats
I. Observations
préliminaires.
Sur 44 approches notées en
début d'affrontement, 38 soit 86.4% sont
le fait du propriétaire. Ce dernier est
donc significativement celui qui prend contact
avec l'adversaire. Le même calcul
effectué en fonction de la dominance ne
donne aucune différence entre les
animaux.
Cette absence de corrélation entre
propriétaire et dominant se confirme en
examinant les 20 rencontres observées. En
effet, le propriétaire se montre dominant
8 fois, l'intrus 12 fois. La dominance parait
liée plutôt au rapport qui
s'établit entre les animaux en
présence qu'à la notion de
territoire.
Le caractère de chaque mâle
parait prépondérant. Ainsi le
mâle TBI remporte 8 victoires sur 8
rencontres, le mâle N52 remporte 3
victoires sur 4 rencontres et on constate que le
territoire n'est important que pour les
mâles proches sur le plan agressif. La
victoire est obtenue dans ce cas par l'un des
animaux du couple et change de camp lorsque le
lieu de l'affrontement varie.
Généralement dans ce cas le
propriétaire est victorieux mais il faut
signaler le comportement inexplicable du
mâle BE, dont toutes les victoires sont
acquises "à l'extérieur".
Nous avons également recherché
1'inluence éventuelle des rencontres
antérieures sur l'issue d'un
affrontement. Aucun groupement significatif des
victoires ou des défaites n'a pu
être noté ce qui signifie que, si
ces expériences antérieures ont un
rôle à long terme, celui-ci n'est
pas dans nos conditions expérimentales un
facteur fondamental.
Parmi les comportements particuliers
relevés, nous noterons:
- La Monte est exercée 12 fois par le
Dominant:
- La Posture détournée (Evade)
15 fois par le Dominé. Ces deux postures
apparaissent liées et ne sont
observées qu'à la fin des
rencontres.
- Le Creusement est observé 18 fois
en 11 rencontres;
- Le Bâillement apparaît
dans toutes les rencontres et a
été enregistré 34 fois au
total.
Aucune différence n'a pu être
notée ni selon la dominance, ni selon le
territoire pour ces 2 SAS dont le premier est
relié à la destruction du
territoire de l'adversaire et le second à
l'émission du signal de menace
(entrechoquement de dents).
En ce qui concerne les émissions
sonores, nous noterons que:
- L'entrechoquement de dents très
abondant chez les deux animaux est
généralement émis au cours
des postures offensives (OOP) et qui peut
être amplifié par une attaque
préalable. Le cri rythmique du contact
social apparaît chez le dominé en
DOP; accidentellement, il peut être
émis par les deux mâles
simultanément et dans ce cas il
accompagne OOP.
- Les cris de détresse sont entendus
après un Combat chez l'animal
blessé qui fuit et aussi au cours de la
posture détournée à la fin
de la rencontre. Dans le premier cas ils
accompagnent souvent un piétinement
hésitant et alternatif des pattes
postérieures sans rapport avec le
creusement examiné plus haut.
- Le cri rythmique sexuel peut être
émis par le Dominant: il accompagne la
monte ou plus généralement la
parade sexuelle sur le territoire à la
fin du combat.
Signalons que ce comportement accompagne
fréquemment le premier contact entre les
mâles, mais qu'il disparaît
très rapidement et très
brusquement pour faire place à
l'aggressivité.
II. Décours du tournoi.
Les affrontements que nous avons
observés pauvent aisément
être découpés en trois
phases.
1. Phase initiale.
Un des mâles approche l'autre le
flaire et prend une posture ambivalente,
généralement OOP, en
émettant le signal de menace. L'opposant
peut répondre par une posture identique
ou par une retraite. Cet échange
d'approches et de retraites accompagnées
de "l'offensive oblique posture" peut se
répéter plusieurs fois. Au bout de
quelques minutes, un des mâles tend
à suivre l'autre et les deux animaux vont
alors s'engager dans la seconde phase. La
plupart des Bâillements et
Creusements observés le sont durant cette
phase initiale.
2. Phase centrale.
C'est la phase agonistique proprement dite
sur laquelle portera l'essentiel de notre
analyse. Elle se caractérise par un
échange de postures plus ou moins long
que l'on peut schématiser ainsi:
Mâle 1 Mâle 2
Offensive Offensive
Défensive Défensive
Aucune séquence Défensive -
Défensive n'a été
notée sur près de mille
enchaînements relevés. Les Combats
(Fighting) se produisent toujours durant cette
phase.
3. Phase finale.
L'un des mâles que nous appellerons le
Dominé (d) rompt le tournoi, fuit et
prend la posture détournée
(Evade). Son adversaire que nous
désignerons comme le Dominant (D) vient
se placer près de lui, l'empêche de
se déplacer, le monte à
l'occasion. Si le dominé cherche à
fuir, le dominant le poursuit en le mordant et
quelques séquences peuvent encore
apparaître jusqu'à ce que le
dominé reste complètement immobile
dans un coin, la tête dirigée vers
le haut, les pattes antérieures reposant
souvent sur un support quelconque. Le dominant
s'éloigne alors et exerce souvent une
parade sexuelle dans l'enceinte.
Nous considérons alors l'affrontement
comme terminé et retirons l'intrus qui
est aussitôt remis dans son propre
territoire.
L'ensemble de ces trois phases peut durer de
io à 15 minutes jusqu'à plus de 30
minutes selon le couple utilisé.
III. Analyse de la phase
centrale.
Dans la suite de cette analyse, seuls les
comportements spécifiquement agressifs
seront pris en considération. En
particulier les comportements suivants
(préliminaires ou terminaux) et qui
peuvent s'observer dans d'autres circonstances):
bâillements, creusements montes ont
été éliminés. Tous
les autres actes étudiés ici
peuvent être considérés
comme purement agressifs er ce sens qu'ils sont
observables seulement dans un contexte
agonistique évident
ainsi que nous l'avons signalé plus
haut, ce sont ceux-là mêmes que
l'on rencontre dans l'expression de la
hiérarchie sociale.
Nous considérons cette phase comme
l'expression d'une séquence
linéaire de schèmes
d'activité spécifiques entre les
deux animaux. Par suite notre hypothèse
sera que les SAS d'un animal vont
apparaître en fonction du SAS
précédent de l'adversaire,
apparition susceptible d'être
modifiée selon le SAS émis
antérieurement par l'individu
étudié lui-même, selon le
modèle obtenu chez le Lemming par ALLIN
& BANKS (1968).
1. Résultats globaux.
Les 20 affrontements relevés ont
été regroupés dans un seul
tableau pour cette phase de l'analyse. Les
résultats figurent Tableaux 2 et 3. Le
graphe de la Figure i résume les
échanges entre les animaux.
Il est clair que les séquences les
plus fréquentes sont Offensive-Offensive
pour les deux adversaires et Offensive Dominant
- Défensive dominé. Cet
état de fait est précisé
Tableau 4.
...........
On constate que le Dominant présente
deux fois plus de SAS offensifs que le
dominé et neuf fois plus de SAS offensifs
que de SAS défensifs, alors que le
dominé équilibre ses
réponses offensives et défensives.
Néanmoins ces differences n'apparaissent
pas de la même manière pour tous
les SAS relevés chez les
adversaires.
Le Tableau 4 montre que deux SAS ne sont pas
significativement différents sur le
plàn quantitatif. Il s'agit de la
Retraite sur le plan défensif et de
l'Offensive Oblique Posture sur le plan
offensif.
La Retraite apparait suffisemment rarement
chez les deux animaux pour que sa
fréquence ne soit pas différente
entre eux. Par contre l'Offensive Oblique
Posture est le SAS le plus abondant chez les
deux adversaires et l'égalité des
fréquences observés laisse
à penser que ce comportement est le pivot
du comportement agonistique à partir
duquel les divergences vont se manifester entre
Dominant et dominé. La liaison la plus
abondante est d'ailleurs 00F - OOP les deux
individus en présence.
2. Analyse séquentielle.
Nous avons analysé
séparément 16 des 20 rencontres
enregistrées. Les tables de contingence
obtenues sont traitées par le test du x2
la correction de YATES est utilisée pour
les effectifs théoriques
inférieurs à . Quatre des
enregistrements ont été
éliminés pour cette étude,
le nombre de SAS trop faible ne permettant
aucune analyse statistique valable.
Les résultats obtenus sont
résumés Tableaux 5 et 6 pour
l'analyse des interactions inter-individuelles.
La Poursuite a été
éliminée dans ce cas en tant que
comportement suivant car sa définition
impliquant la fuite de l'oppo- sant elle ne
saurait évidemment apparaitre à la
suite d'un autre SAS.
- L'examen des corrélations positives
et négatives permet de constater que 00F
entraine chez l'adversaire une posture identique
plus souvent que prévu et moins de
réponses défensives fortes telles
que Flee ou Flag.
- Threat et Thrust provoquent des
réponses inverses des
précédentes: moins d'OOP et
davantage de F ou FLG.
- Fight apparait généralement
à la suite d'une posture d'attaque du
Dominant et entraine la fuite du dominé.
Il peut aussi apparaître après
Poursuite de ce dernier par le Dominant.
- Outre le Combat, la Poursuite favorise
soit l'ambivalence offensive (OOP) ou
défensive (DOP) chez le
dominé.
- Enfin DOP du dominé favorise la
menace (THT) par le Dominant au détriment
de l'OOP.
On peut chercher à dégager des
tendances plus globales: ceci nous montre que la
réponse à un SAS tel qu'OOP est
significativement plus souvent offensive, tandis
qu'une réponse
préférentielle défensive
apparait après THT, ceci chez les deux
animaux.
Par contre THT n'apparait
préférentiellement en
réponse à une posture
défensive que dans le sens
Défensive dominé - THT Dominant.
Ce dernier semble ainsi plus agressif, plus apte
à exploiter la situation provoquée
par son adversaire.
Sur le plan individuel, les résultats
figurent Tableaux 7 et 8. Nous avons
recherché l'éventuelle existence
d'un "programme interne" à l'individu
dont l'influence se manifesterait en plus des
corrélation existant entre les postures
respectives des deux animaux.
Ces résultats montrent une
progression des réponses agressives chez
les deux mâles, le même SAS tendant
à ne pas se succéder à
lui-même: OOP - THT est plus abondant que
prévu par le calcul, OOP - OP et THT -
THT moins abondants.
En outre, la Poursuite marque chez le
Dominant une fin de séquence et
entraîne un retour à la situation
initiale: P - OOP est positif.
Chez le dominé, se manifeste aussi
une progression défensive 00F - FLG et
DOP - F sont positivement
corrélées, alors que les postures
ambivalentes sont corrélées
négativement: OOP - DOP. L'offensive ne
suit pas la défensive: DOP - THT est
négatif. Enfin la fuite chez le
dominé précède
préferentiellement 00F. Nous pouvons
envisager la séquence idéale
représentée fig. 2 fondée
à la fois sur les liaisons positives et
aussi sur les séquences les plus
nombreuses.
Discussion
Le déroulement de l'affrontement
agonistique chez le Cobaye paraît dans ses
lignes principales très proche de ce que
l'on connaît chez le Rat (GRANT, 1963), le
Hamster (LERWILL & MAKINGS, 1971), le
Lemming (ALLIN & BANKS, 1968) et ceci
à deux niveaux:
- au niveau de l'enchaînement
séquentiel propre à chaque
individu;
- au niveau des séquences
interindividuelles.
Au niveau de l'enchaînement
séquentiel individual, nous observons
deux tendances divergentes: l'une à la
fuite l'autre à l'agression qui
s'articulent à partir d'un point
d'ambivalence caractérisé par des
postures particulières du type Upright ou
Sideways; communes aux 4 espèces
citées, Oblique Posture remplaçant
Upright Posture dans le cas précis du
Cobaye.
Notre étude nous permet de
préciser que chez le Cobaye au moins, la
tendence agressive est toujours
prédominante au départ, ce qui se
traduit par l'abondance remarquable de la
Posture Oblique offensive (OOP) et ceci chez les
deux mâles en présence. C'est
à partir d'elle que s'exprime l'agression
franche par Threat puis Thrust, ou la
défensive par Flag puis Flee.
La posture oblique défensive (DOP)
paraît être chez notre espèce
une posture ambivalente représentant
l'état émotionnel interne d'un
mâle qui s'engage déjà dans
la voie de dominé. Elle apparaît
beaucoup après la Fuite et la
précède positivement. De plus
cette posture est beaucoup plus fréquente
chez le dominé que chez le Dominant.
Le combat (Fight ou Tumble chez le Lemming)
représente un point extrême
caractérisant soit l'agression mutuelle
maximum, soit et particulièrement chez le
cobaye, la réaction critique d'un
mâle en fuite acculé à se
défendre. Ceci est illustré par
les liaisons positives F-FGT que nous observons
chez le dominé et par les conclusions de
Rood (1972). Cet auteur ne signale pas de
posture de soumission typique sinon chez
Microcavia (submissive crouch). Dans les genres
Cavia et Galea la rupture des séquences
agonistiques se fait généralement
par la fuite, sauf pour les animaux maintenus en
captivité chez lesquels l'intrus est
fréquemment battu jusqu'à
l'épuisement ou même jusqu'à
la mort, cette dernière
éventualité étant beaucoup
plus rare chez le cobaye domestique. Les combats
ne se produiraient dans nos conditions
d'observation que par suite de la contrainte
spatiale imposée en laboratoire, qui
contrecarre le rôle adaptatif de la fuite.
La posture détournée
apparaît ainsi chez l'animal battu, ayant
perdu toute agressivité et subissant de
ce fait la supériorité de son
adversaire. La domestication a probablement
renforcé la signification de ce signal,
rendant ainsi possible la coexistence
forcée.
Sur le p1an des interactions mutuelles, nous
noterons une proximité plus grande entre
le cobaye et le lemming. Pour autant que la
présentation variable des
résultats selon les auteurs permette de
l'affirmer avec certitude, ces deux
espèces nous paraissent présenter
un taux de combat plus grand, des
répéti- tions séquentielles
plus nombreuses (du type F-00F ou P-+00F) et une
variabilité supérieure dans les
réponses comportementales.
Il est possible de rapporter ces
éléments à un niveau de
ritualisation moins élévé
que chez le rat ou le hamster. Certaines
divergences entre des résultats de
provenance différente chez ce dernier
sont d'ailleurs expliquées de la
même manière par LERWILL &
MAKINGS (1971).
Ces restrictions faites, la comparaison
précise des liaisons
préférentielles, permet de
constater une analogie telle que
l'évidence s'impose d'une parenté
non seulement motrice mais surtout fonctionnelle
des postures considérées comme
homologues par GRANT & MACKINTOSH (1963)
confirmant pleinement les conclusions de ces
auteurs.
Il s'en suit que les postures
observées jouent un rôle
prépondérant commun dans la
communication interspécifique.
Comme ALLIN & BANKS l'ont montré
également chez le Lemming, nous sommes en
présence d'un double déterminisme
du SAS: interne par le (ou les) SAS
antérieur du même animal, externe
par le SAS précèdent de
l'adversaire.
Nous avons étudié les
interactions Markoviennes de second ordre entre
individus et par individus. L'étude des
interactions supérieures reste à
faire à partir de nos données,
mais nous pouvons déjà proposer
les conclusions suivantes:
- deux tendances opposées: agression
et fuite, sont à la base du com-
portement agonistique;
- l'agression va être
privilégiée chez le dominant, la
fuite chez le dominé;
- pour chaque animal, un SAS dépend
au moins des 2 SAS qui l'ont precede dans le
temps, celui du partenaire et celui de
l'individu lui même.
- plus la ritualisation est faible, plus le
déterminisme externe sera
prépondérant et moins la
stéréotypie sera grande, ce qui
correspond à la séquence
stochastique que nous obtenons.
Nous pouvons à ce stade de l'analyse
tenter une comparaison entre le comportement
agonistique et la situation hiérarchique
stable étudiée
précè- demment (C0UL0N, 1975).
Outre que les postures utilisées sont
pour la plupart identiques, la confrontation
soudaine a été largement
utilisée pour favoriser la mise en
évidence de la hiérarchie
(Bouissou & SIGNORET, 1970). Des
études récentes (MEESE &
EWBANK, 1973 chez le porc) (DRICICAMER &
VANDERBERGH, 1973 chez le Hamster) montrent
clairement qu'après une phase
d'affrontements violents, la hiérarchie
s'établit rapidement. Bien que
l'ontogénèse de la
hiérarchie ne procède probablement
pas ainsi, il apparaît que le
résultat peut être le même.
Nous poserons deux questions:
- Par quels mécanismes peut
s'établir la coexistence entre
mâles?
- Quels sont les facteurs déterminant
la dominance d'un animal sur l'autre?
Si nous considérons les
résultats obtenus au cours de nos deux
approches du comportement entre mâles chez
le Cobaye, nous constatons les faits
suivants:
- les SAS d'apaisement (Evade)
fréquents dans le groupe sont absents des
affrontements sauf dans la phase terminale
lorsque les positions respec- tives sont
acquises, au moins à court terme. Le SAS
de déplacement est hautement
ritualisé. Il supprime toute situation de
compétition. Très
général au sein d'un groupe, il
n'apparait jamais au cours des rencontres entre
mâles étrangers. Les postures
ambivalentes sont rares dans le groupe ainsi que
les combats, très nombreux ou
fréquents entre mâles
étrangers.
- la posture de menace (THT) est
associée plus fréqumment à
EV (posture détournée) et moins
fréquemment à la fuite (F) dans le
groupe, alors que Fuite et Flag lui sont
corrélées positivement en
situation conflictuelle violente.
- les séquences observées
entre mâles proches et
singulièrement a et /3 sont plus voisines
qualitativement et quantitativement des
séquences agonis- tiques que celles de
n'importe quelle autre combinaison entre
mâles.
- les séquences dans le groupe
dépassent rarement plus de quatre SAS
(généralement 2 ou 3) alors que
les enchaînements de plusieurs dizaines
sont nombreux lors ces compétitions
interterritoriales.
La hiérarchie de groupe est donc
fondée sur la connaissance des rapports
individuels qui s'exprime par une ritualisaion
comportementale élevée (cf. THT -
EV, déplacement), éléments
que le comportement agonistique permet
précisement d'instaurer. A la
lumière des faits recueillis, nous
pensons que ce résultat est atteint par
la perte de l'ambivalence au profit de
comportements sélectionnés en
rapport avec la situation et par la suite
adaptés au comporte- ment du
partenaire.
Ceci implique que la
stéréotypie soit faible au
départ et que la probabilité
d'apparition de certains SAS soit
augmentée par la situation vécue
et par l'expèrience antérieure. La
situation plus tourmentée entre alpha et
beta représente un degré
intermédiaire sur cette voie et traduit
une compétitivité donc une
ambivalence plus grande entre les deux leaders
(dont l'agressivité est probablement
voisine) qu'entre les autres membres du
groupe.
Si nous considérons avec ALTMANN
(1965) que les interactions Markoviennes de
niveau 2 ou plus représentent la
"mémoire" de l'animal, nous pourrons
préciser ainsi: mémoire à
court terme lors du comportement agonistique au
niveau des 2 ou 3 SAS antérieurs,
mémoire à long terme
influençant les probabilités
internes de chaque individu en fonction de
l'expérience propre vécue par
celui-ci.
Malgré l'énorme difference
méthodologique, les auteurs travaillant
sur l'évocation des comportements par
stimulation électrique de zones
hypothalamiques obtiennent des résultats
relevant des mêmes hypothèses chez
des espèces très variées
(Poulet: PUTKONEN, 1967; PHILLIPS &
YOUNGREN, 1971) (Mammifères: ROBERTS et
al., 1964; DELGADO, 1969). Les comportements
ainsi évoqués ne sont jamais des
séquences complexes mais des postures
isolées. Si nous ajoutons que chez le
Chimpanzé, DELGADO obtient par
stimulation d'aires identiques des
réponses agonistiques chez un animal
dominant et ne les obtient plus chez le
même animal en position de dominé,
nous avons une illustration de l'influence des
événements vécus sur
l'expression comportementale de l'individu et
une explication possible en terme d'inhibition
de certains circuits nerveux de la chute
d'agressivité observée chez les
inférieurs.
De telles observations ainsi que nos propres
conclusions nous paraissent clairement en faveur
d'une interprétation non rigidement
programmée des mécanismes sous
tendant l'agressivité. Ainsi que le font
remarquer PHILLIPS & YOUNGREN (1971) les
chaînes de SAS ne sont pas
préétablies dans le système
nerveux mais sont dépendantes de la
situation vécue, de la présence de
stimuli adéquats dans l'environnement et
de l'expérience passée, ce que
démontre aussi clairement le travail
effectué sur le Chimpanzé.
Par suite, il nous parait nécessaire
d'insister sur le fait qu'un comportement
agressif n'apparait pas figé dès
qu'on l'examine dans diverses situations et au
cours du temps. Il évolue en fonction de
la situation passée et avec la situation
présente.
Il restera à étudier avec
précision l'ontogenèse des
relations hiérarchiques afin de
vérifier certaines de nos
hypothèses.
Il restera aussi à comprendre
pourquoi chez certains individus, l'offensive
initiale est augmentée alors qu'elle fait
place chez d'autres à la
défensive. La encore, l'environnement est
essentiel, un mâle n'est jamais dominant
que par rapport à un autre. Puisque par
ailleurs le territoire semble dans nos
conditions d'étude jouer un rôle
secondaire par rapport aux
caractéristiques individuelles, c'est
à ce niveau qu'il faut chercher les
causes. Nous ne pouvons fournir aucune
réponse à ce problème chez
le Cobaye mais les résultats obtenus chez
le hamster par DRICKAMER,& VANDENBERGH
(1973), MYKYTOWICZ (1970) chez le lapin, BEEMAN
(1974) chez la souris, permettent d'envisager
une action hormonale sur l'agressivité
dont l'influence au niveau hypothalamique
fournirait un élément
supplémentaire à l'appui des
hypothèses avancées
précèdemment.
Résumé
Nous avons étudié les
réactions comportementales de Cobayes
mâles dominants placés en
présence d'un étranger, sur le
territoire de ce dernier ou sur leurs propres
territoires.
1. Il est possible de décomposer les
affrontements en trois phases:
- Une phase d'approche et de prise de
contact.
- Une phase d'affrontement pendant laquelle
les animaux vont établir des relations de
dominance.
- Une phase finale où les relations
préétablies se confirment, chaque
animal subissant en quelque sorte son propre
statut.
2. L'analyse de la deuxième phase
permet d'obtenir de longues séquences
comportementales. Il apparaît que le
dominant présente dix fois plus de SAS
offensifs que défensifs alors que le
dominé possède une balance
comportementale équilibrée.
3. Le comportement d'un animal
apparaît déterminé de
manière statistique par:
- Le comportement de l'adversaire,
- Le comportement antérieur de
l'individu lui même.
Premièrement, les actions offensives
entraînent
préférentiellement une
réponse défensive, chez les deux
animaux, les actions défensives du
dominé entraînent les répon-
ses offensives du dominant. Néanmoins,
les postures ambivalentes offensives provoquent
généralement des réponses
offensives de même type.
Deuxièmement, en plus de ce
déterminisme externe, une tendance
générale à l'escalade
aggressive se manifeste chez les deux opposants,
ainsi qu'une tendance à l'escalade
défensive chez le dominé
seulement.
Il se confirme ainsi que l'affrontement est
l'expression d'un conflit agression-fuite dont
le point d'équilibre est constitué
chez le Cobaye par la Posture Offensive
Oblique.
4. La comparaison entre la hiérarchie
de groupe et les affrontements permet de penser
que ceux-ci sont un moyen de résolution
du conflit et d'établir des relations de
dominance par sélection des
réponses adaptées à la
situation c'est-à-dire en
définitive aux réactions de
l'adversaire.
L'ontogénèse sociale et
l'affrontement parviendraient ainsi au
même résultat par des moyens fort
différents. Le comportement, loin
d'être stéréotypé,
serait alors l'expression d'une situation
instantanée (séquences
interindividuelles) et de la mémoire de
l'animal (expériences préalables,
comportements antérieurs).Cette
dernière serait susceptible au niveau du
système nerveux de provoquer une
modification adaptative des réponses
observées.
5. Enfin, la nature des deux combattants
apparaît prédominante sur le lieu
de la rencontre, ce qui laisse supposer
l'existence d'une variabilité agressive
individuelle dont l'origine est encore
imprécisée.