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mise à jour du
5 octobre 2008
Behaviour
1975;53(3-4):200-215
Les relations sociales chez le cobaye domestique mâle
Le comportement agonistique inter-territorial
J. Coulon
Laboratoire de Psychologie Animale et Comparée
Université Claude Bernard, Lyon, France

Chat-logomini

Les études menées tant en laboratoire (KUNKEL & KUNKEL, 1964; Coulon. 1975) que dans un milieu naturel (ROOD, 1972) ou semi-naturel (King, 1956) démontrent l'existence d'une hiérarchie sociale chez le Cobaye domestique. Cette hiérarchie se manifeste sur le territoire qu'occupent les individus formant un même groupe social.
 
Par ailleurs, CARPENTER (1958) définit ce territoire comme la partie du domaine vital que les animaux défendent contre les individus de même espèce étrangers au groupe, cette défense impliquant l'extériorisation de postures caractérisant le comportement dit agonistique. De tels comportements sont présents chez les Cobaye sauvages aussi bien que chez les Cobayes domestiques, l'enclos abritant chaque groupe prenant dans ce dernier cas valeur de territoire. La mise en présence de mâles étrangers l'un à l'autre entraîne, dans cette espèce, des affrontements violents, souvent sanglants dont l'évocation est présente dans la plupart des travaux cités plus haut.
 
Cependant nous sommes loin de disposer en ce qui concerne le Cobaye d'études analytiques précises à ce sujet, contrairement à d'autres espèces de Rongeurs: Rat (GRANT, 1963), Hamster (MORIN & GINGRAS, 1969; LERWILL & MAKINGS, 1971), Campagnols (COLVIN, 1973), Lemming (ALLIN & BANKS, 1968) etc. La plupart des travaux ci-dessus ayant démontré l'intêret d'une telle étude pour la compréhension de la communication intra-spécifique, nous avons entrepris l'analyse des comportements observés au cours de ces affrontements, parallèlement à notre étude sur la hiérarchie sociale du Cobaye domestique (Coulon, 1975).
 
Materiel et methodes
Nous avons utilisé 5 mâles appartenant à 5 groupes différents dont la hiérarchie était stable et connue et qui n'avaient jamais été en contact les uns avec les autres avant le début de l'expérimentation. Ces mâles sont tous alpha, la position hiérarchique influençant fortement la tendance agressive (C0UL0N, 1975). Au cours de notre étude, un changement de dominance au sein de l'un des groupes nous a aminé à utiliser un sixième animal en remplacement du mâle déchu.
 
Au cours de l'affrontement les animaux qui ne participent pas directement, mâles dominés, femelles, présentent des réactions très spectaculaires. Dès les premières manifestations agressives entre "propriétaire" et "intrus" ils se terrent dans les coins de l'enceinte, immobiles et serrés les uns contre ou même sur les autres; soudainement un puis plusieurs d'entre eux entre dans une course frénétique, grimpant sur les mangeoires, parcourant l'enceinte en tous sens voire sautant par dessus les parois hautes de 50 centimètres de celle-ci. Cette véritable réaction de panique en châine au cours de laquelle les rituels sociaux semblent avoir totalement disparu se montre inadaptée. Elle entraine en effet de la part des mâles combattant une intense redirection de l'agressivité, tout animal passant à proximité étant sévèrement mordu quels que soient son sexe, son âge et son rang.
 
Par suite de ce phénomène, dont le déterminisme et l'évolution sont en cours d'étude par ailleurs (SCI0RTIN0, 1973) et pour un évident souci de clarté de nos observations, nous n'avons systématiquement laissé dans l'enceinte que le mâle dominant, les autres membres du groupe étant retirés quelques secondes avant l'introduction de l'intrus.
 
Tous les mâles utilisés ont été opposés deux à deux alternativement sur le territoire habituel de chucun d'entre eux. Un intervalle d'une semaine est observé entre deux affrontements successifs pour un même animal. La séquence comportementale complète est enregistrée au magnétoscope AMPEX TR 7403 et dépouillée ensuite au ralenti.
 
Postures observées.
Ce sont les mêmes que celles notées précédemment (C0UL0N, 1975) compte tenu toutefois des remarques suivantes:
La Poursuite (P) sera prise en considération car elle s'insère dans le contexte communicationnel de l'affrontement. Son apparition, liée à la fuite de l'adversaire, n'est pas une fin, elle n'entrairie pas la cessation du tournoi.
La Morsure (M) ne peut être individualisée dans cette étude, elle ne se distingue pas du combat (FGT).
 
Nous avons enfin noté quelques comportements particuliers:
La Monte sexuelle symbolique apparait à la fin de l'affrontement essentiellement chez le dominant.
Le Creusement se manifeste fréquemment chez les deux combattants et s'exerce sur la paille recouvrant le sol ou même sur sol nu.
Le bâillement est également très abondant durant les postures ambivalentes. Il faut rappeler que ces dernières sont généralement accompagnées de l'émission du signal de menace (entrechoquement de dents).
 
 
Résultats
I. Observations préliminaires.
Sur 44 approches notées en début d'affrontement, 38 soit 86.4% sont le fait du propriétaire. Ce dernier est donc significativement celui qui prend contact avec l'adversaire. Le même calcul effectué en fonction de la dominance ne donne aucune différence entre les animaux.
 
Cette absence de corrélation entre propriétaire et dominant se confirme en examinant les 20 rencontres observées. En effet, le propriétaire se montre dominant 8 fois, l'intrus 12 fois. La dominance parait liée plutôt au rapport qui s'établit entre les animaux en présence qu'à la notion de territoire.
 
Le caractère de chaque mâle parait prépondérant. Ainsi le mâle TBI remporte 8 victoires sur 8 rencontres, le mâle N52 remporte 3 victoires sur 4 rencontres et on constate que le territoire n'est important que pour les mâles proches sur le plan agressif. La victoire est obtenue dans ce cas par l'un des animaux du couple et change de camp lorsque le lieu de l'affrontement varie. Généralement dans ce cas le propriétaire est victorieux mais il faut signaler le comportement inexplicable du mâle BE, dont toutes les victoires sont acquises "à l'extérieur".
Nous avons également recherché 1'inluence éventuelle des rencontres antérieures sur l'issue d'un affrontement. Aucun groupement significatif des victoires ou des défaites n'a pu être noté ce qui signifie que, si ces expériences antérieures ont un rôle à long terme, celui-ci n'est pas dans nos conditions expérimentales un facteur fondamental.
 
Parmi les comportements particuliers relevés, nous noterons:
- La Monte est exercée 12 fois par le Dominant:
- La Posture détournée (Evade) 15 fois par le Dominé. Ces deux postures apparaissent liées et ne sont observées qu'à la fin des rencontres.
- Le Creusement est observé 18 fois en 11 rencontres;
- Le Bâillement apparaît dans toutes les rencontres et a été enregistré 34 fois au total.
 
Aucune différence n'a pu être notée ni selon la dominance, ni selon le territoire pour ces 2 SAS dont le premier est relié à la destruction du territoire de l'adversaire et le second à l'émission du signal de menace (entrechoquement de dents).
 
En ce qui concerne les émissions sonores, nous noterons que:
- L'entrechoquement de dents très abondant chez les deux animaux est généralement émis au cours des postures offensives (OOP) et qui peut être amplifié par une attaque préalable. Le cri rythmique du contact social apparaît chez le dominé en DOP; accidentellement, il peut être émis par les deux mâles simultanément et dans ce cas il accompagne OOP.
- Les cris de détresse sont entendus après un Combat chez l'animal blessé qui fuit et aussi au cours de la posture détournée à la fin de la rencontre. Dans le premier cas ils accompagnent souvent un piétinement hésitant et alternatif des pattes postérieures sans rapport avec le creusement examiné plus haut.
- Le cri rythmique sexuel peut être émis par le Dominant: il accompagne la monte ou plus généralement la parade sexuelle sur le territoire à la fin du combat.
 
Signalons que ce comportement accompagne fréquemment le premier contact entre les mâles, mais qu'il disparaît très rapidement et très brusquement pour faire place à l'aggressivité.
 
II. Décours du tournoi.
Les affrontements que nous avons observés pauvent aisément être découpés en trois phases.
 
1. Phase initiale.
Un des mâles approche l'autre le flaire et prend une posture ambivalente, généralement OOP, en émettant le signal de menace. L'opposant peut répondre par une posture identique ou par une retraite. Cet échange d'approches et de retraites accompagnées de "l'offensive oblique posture" peut se répéter plusieurs fois. Au bout de quelques minutes, un des mâles tend à suivre l'autre et les deux animaux vont alors s'engager dans la seconde phase. La plupart des Bâillements et Creusements observés le sont durant cette phase initiale.
 
2. Phase centrale.
C'est la phase agonistique proprement dite sur laquelle portera l'essentiel de notre analyse. Elle se caractérise par un échange de postures plus ou moins long que l'on peut schématiser ainsi:
 
Mâle 1 Mâle 2
Offensive Offensive
Défensive Défensive
 
Aucune séquence Défensive - Défensive n'a été notée sur près de mille enchaînements relevés. Les Combats (Fighting) se produisent toujours durant cette phase.
 
3. Phase finale.
L'un des mâles que nous appellerons le Dominé (d) rompt le tournoi, fuit et prend la posture détournée (Evade). Son adversaire que nous désignerons comme le Dominant (D) vient se placer près de lui, l'empêche de se déplacer, le monte à l'occasion. Si le dominé cherche à fuir, le dominant le poursuit en le mordant et quelques séquences peuvent encore apparaître jusqu'à ce que le dominé reste complètement immobile dans un coin, la tête dirigée vers le haut, les pattes antérieures reposant souvent sur un support quelconque. Le dominant s'éloigne alors et exerce souvent une parade sexuelle dans l'enceinte.
 
Nous considérons alors l'affrontement comme terminé et retirons l'intrus qui est aussitôt remis dans son propre territoire.
L'ensemble de ces trois phases peut durer de io à 15 minutes jusqu'à plus de 30 minutes selon le couple utilisé.
 
 
III. Analyse de la phase centrale.
Dans la suite de cette analyse, seuls les comportements spécifiquement agressifs seront pris en considération. En particulier les comportements suivants (préliminaires ou terminaux) et qui peuvent s'observer dans d'autres circonstances): bâillements, creusements montes ont été éliminés. Tous les autres actes étudiés ici peuvent être considérés comme purement agressifs er ce sens qu'ils sont observables seulement dans un contexte agonistique évident
ainsi que nous l'avons signalé plus haut, ce sont ceux-là mêmes que l'on rencontre dans l'expression de la hiérarchie sociale.
Nous considérons cette phase comme l'expression d'une séquence linéaire de schèmes d'activité spécifiques entre les deux animaux. Par suite notre hypothèse sera que les SAS d'un animal vont apparaître en fonction du SAS précédent de l'adversaire, apparition susceptible d'être modifiée selon le SAS émis antérieurement par l'individu étudié lui-même, selon le modèle obtenu chez le Lemming par ALLIN & BANKS (1968).
 
 
1. Résultats globaux.
Les 20 affrontements relevés ont été regroupés dans un seul tableau pour cette phase de l'analyse. Les résultats figurent Tableaux 2 et 3. Le graphe de la Figure i résume les échanges entre les animaux.
Il est clair que les séquences les plus fréquentes sont Offensive-Offensive pour les deux adversaires et Offensive Dominant - Défensive dominé. Cet état de fait est précisé Tableau 4.
...........
 
On constate que le Dominant présente deux fois plus de SAS offensifs que le dominé et neuf fois plus de SAS offensifs que de SAS défensifs, alors que le dominé équilibre ses réponses offensives et défensives. Néanmoins ces differences n'apparaissent pas de la même manière pour tous les SAS relevés chez les adversaires.
 
Le Tableau 4 montre que deux SAS ne sont pas significativement différents sur le plàn quantitatif. Il s'agit de la Retraite sur le plan défensif et de l'Offensive Oblique Posture sur le plan offensif.
 
La Retraite apparait suffisemment rarement chez les deux animaux pour que sa fréquence ne soit pas différente entre eux. Par contre l'Offensive Oblique Posture est le SAS le plus abondant chez les deux adversaires et l'égalité des fréquences observés laisse à penser que ce comportement est le pivot du comportement agonistique à partir duquel les divergences vont se manifester entre Dominant et dominé. La liaison la plus abondante est d'ailleurs 00F - OOP les deux individus en présence.
 
 
2. Analyse séquentielle.
Nous avons analysé séparément 16 des 20 rencontres enregistrées. Les tables de contingence obtenues sont traitées par le test du x2 la correction de YATES est utilisée pour les effectifs théoriques inférieurs à . Quatre des enregistrements ont été éliminés pour cette étude, le nombre de SAS trop faible ne permettant aucune analyse statistique valable.
 
Les résultats obtenus sont résumés Tableaux 5 et 6 pour l'analyse des interactions inter-individuelles. La Poursuite a été éliminée dans ce cas en tant que comportement suivant car sa définition impliquant la fuite de l'oppo- sant elle ne saurait évidemment apparaitre à la suite d'un autre SAS.
 
- L'examen des corrélations positives et négatives permet de constater que 00F entraine chez l'adversaire une posture identique plus souvent que prévu et moins de réponses défensives fortes telles que Flee ou Flag.
 
- Threat et Thrust provoquent des réponses inverses des précédentes: moins d'OOP et davantage de F ou FLG.
 
- Fight apparait généralement à la suite d'une posture d'attaque du Dominant et entraine la fuite du dominé. Il peut aussi apparaître après Poursuite de ce dernier par le Dominant.
 
- Outre le Combat, la Poursuite favorise soit l'ambivalence offensive (OOP) ou défensive (DOP) chez le dominé.
 
- Enfin DOP du dominé favorise la menace (THT) par le Dominant au détriment de l'OOP.
 
On peut chercher à dégager des tendances plus globales: ceci nous montre que la réponse à un SAS tel qu'OOP est significativement plus souvent offensive, tandis qu'une réponse préférentielle défensive apparait après THT, ceci chez les deux animaux.
 
Par contre THT n'apparait préférentiellement en réponse à une posture défensive que dans le sens Défensive dominé - THT Dominant. Ce dernier semble ainsi plus agressif, plus apte à exploiter la situation provoquée par son adversaire.
 
Sur le plan individuel, les résultats figurent Tableaux 7 et 8. Nous avons recherché l'éventuelle existence d'un "programme interne" à l'individu dont l'influence se manifesterait en plus des corrélation existant entre les postures respectives des deux animaux.
 
Ces résultats montrent une progression des réponses agressives chez les deux mâles, le même SAS tendant à ne pas se succéder à lui-même: OOP - THT est plus abondant que prévu par le calcul, OOP - OP et THT - THT moins abondants.
 
En outre, la Poursuite marque chez le Dominant une fin de séquence et entraîne un retour à la situation initiale: P - OOP est positif.
 
Chez le dominé, se manifeste aussi une progression défensive 00F - FLG et DOP - F sont positivement corrélées, alors que les postures ambivalentes sont corrélées négativement: OOP - DOP. L'offensive ne suit pas la défensive: DOP - THT est négatif. Enfin la fuite chez le dominé précède préferentiellement 00F. Nous pouvons envisager la séquence idéale représentée fig. 2 fondée à la fois sur les liaisons positives et aussi sur les séquences les plus nombreuses.
 
Discussion
 
Le déroulement de l'affrontement agonistique chez le Cobaye paraît dans ses lignes principales très proche de ce que l'on connaît chez le Rat (GRANT, 1963), le Hamster (LERWILL & MAKINGS, 1971), le Lemming (ALLIN & BANKS, 1968) et ceci à deux niveaux:
- au niveau de l'enchaînement séquentiel propre à chaque individu;
- au niveau des séquences interindividuelles.
 
Au niveau de l'enchaînement séquentiel individual, nous observons deux tendances divergentes: l'une à la fuite l'autre à l'agression qui s'articulent à partir d'un point d'ambivalence caractérisé par des postures particulières du type Upright ou Sideways; communes aux 4 espèces citées, Oblique Posture remplaçant Upright Posture dans le cas précis du Cobaye.
 
Notre étude nous permet de préciser que chez le Cobaye au moins, la tendence agressive est toujours prédominante au départ, ce qui se traduit par l'abondance remarquable de la Posture Oblique offensive (OOP) et ceci chez les deux mâles en présence. C'est à partir d'elle que s'exprime l'agression franche par Threat puis Thrust, ou la défensive par Flag puis Flee.
 
La posture oblique défensive (DOP) paraît être chez notre espèce une posture ambivalente représentant l'état émotionnel interne d'un mâle qui s'engage déjà dans la voie de dominé. Elle apparaît beaucoup après la Fuite et la précède positivement. De plus cette posture est beaucoup plus fréquente chez le dominé que chez le Dominant.
 
Le combat (Fight ou Tumble chez le Lemming) représente un point extrême caractérisant soit l'agression mutuelle maximum, soit et particulièrement chez le cobaye, la réaction critique d'un mâle en fuite acculé à se défendre. Ceci est illustré par les liaisons positives F-FGT que nous observons chez le dominé et par les conclusions de Rood (1972). Cet auteur ne signale pas de posture de soumission typique sinon chez Microcavia (submissive crouch). Dans les genres Cavia et Galea la rupture des séquences agonistiques se fait généralement par la fuite, sauf pour les animaux maintenus en captivité chez lesquels l'intrus est fréquemment battu jusqu'à l'épuisement ou même jusqu'à la mort, cette dernière éventualité étant beaucoup plus rare chez le cobaye domestique. Les combats ne se produiraient dans nos conditions d'observation que par suite de la contrainte spatiale imposée en laboratoire, qui contrecarre le rôle adaptatif de la fuite. La posture détournée apparaît ainsi chez l'animal battu, ayant perdu toute agressivité et subissant de ce fait la supériorité de son adversaire. La domestication a probablement renforcé la signification de ce signal, rendant ainsi possible la coexistence forcée.
 
Sur le p1an des interactions mutuelles, nous noterons une proximité plus grande entre le cobaye et le lemming. Pour autant que la présentation variable des résultats selon les auteurs permette de l'affirmer avec certitude, ces deux espèces nous paraissent présenter un taux de combat plus grand, des répéti- tions séquentielles plus nombreuses (du type F-00F ou P-+00F) et une variabilité supérieure dans les réponses comportementales.
 
Il est possible de rapporter ces éléments à un niveau de ritualisation moins élévé que chez le rat ou le hamster. Certaines divergences entre des résultats de provenance différente chez ce dernier sont d'ailleurs expliquées de la même manière par LERWILL & MAKINGS (1971).
 
Ces restrictions faites, la comparaison précise des liaisons préférentielles, permet de constater une analogie telle que l'évidence s'impose d'une parenté non seulement motrice mais surtout fonctionnelle des postures considérées comme homologues par GRANT & MACKINTOSH (1963) confirmant pleinement les conclusions de ces auteurs.
 
Il s'en suit que les postures observées jouent un rôle prépondérant commun dans la communication interspécifique.
Comme ALLIN & BANKS l'ont montré également chez le Lemming, nous sommes en présence d'un double déterminisme du SAS: interne par le (ou les) SAS antérieur du même animal, externe par le SAS précèdent de l'adversaire.
 
Nous avons étudié les interactions Markoviennes de second ordre entre individus et par individus. L'étude des interactions supérieures reste à faire à partir de nos données, mais nous pouvons déjà proposer les conclusions suivantes:
- deux tendances opposées: agression et fuite, sont à la base du com- portement agonistique;
- l'agression va être privilégiée chez le dominant, la fuite chez le dominé;
- pour chaque animal, un SAS dépend au moins des 2 SAS qui l'ont precede dans le temps, celui du partenaire et celui de l'individu lui même.
- plus la ritualisation est faible, plus le déterminisme externe sera prépondérant et moins la stéréotypie sera grande, ce qui correspond à la séquence stochastique que nous obtenons.
 
Nous pouvons à ce stade de l'analyse tenter une comparaison entre le comportement agonistique et la situation hiérarchique stable étudiée précè- demment (C0UL0N, 1975). Outre que les postures utilisées sont pour la plupart identiques, la confrontation soudaine a été largement utilisée pour favoriser la mise en évidence de la hiérarchie (Bouissou & SIGNORET, 1970). Des études récentes (MEESE & EWBANK, 1973 chez le porc) (DRICICAMER & VANDERBERGH, 1973 chez le Hamster) montrent clairement qu'après une phase d'affrontements violents, la hiérarchie s'établit rapidement. Bien que l'ontogénèse de la hiérarchie ne procède probablement pas ainsi, il apparaît que le résultat peut être le même. Nous poserons deux questions:
 
- Par quels mécanismes peut s'établir la coexistence entre mâles?
- Quels sont les facteurs déterminant la dominance d'un animal sur l'autre?
 
Si nous considérons les résultats obtenus au cours de nos deux approches du comportement entre mâles chez le Cobaye, nous constatons les faits suivants:
- les SAS d'apaisement (Evade) fréquents dans le groupe sont absents des affrontements sauf dans la phase terminale lorsque les positions respec- tives sont acquises, au moins à court terme. Le SAS de déplacement est hautement ritualisé. Il supprime toute situation de compétition. Très général au sein d'un groupe, il n'apparait jamais au cours des rencontres entre mâles étrangers. Les postures ambivalentes sont rares dans le groupe ainsi que les combats, très nombreux ou fréquents entre mâles étrangers.
 
- la posture de menace (THT) est associée plus fréqumment à EV (posture détournée) et moins fréquemment à la fuite (F) dans le groupe, alors que Fuite et Flag lui sont corrélées positivement en situation conflictuelle violente.
 
- les séquences observées entre mâles proches et singulièrement a et /3 sont plus voisines qualitativement et quantitativement des séquences agonis- tiques que celles de n'importe quelle autre combinaison entre mâles.
 
- les séquences dans le groupe dépassent rarement plus de quatre SAS (généralement 2 ou 3) alors que les enchaînements de plusieurs dizaines sont nombreux lors ces compétitions interterritoriales.
 
La hiérarchie de groupe est donc fondée sur la connaissance des rapports individuels qui s'exprime par une ritualisaion comportementale élevée (cf. THT - EV, déplacement), éléments que le comportement agonistique permet précisement d'instaurer. A la lumière des faits recueillis, nous pensons que ce résultat est atteint par la perte de l'ambivalence au profit de comportements sélectionnés en rapport avec la situation et par la suite adaptés au comporte- ment du partenaire.
 
Ceci implique que la stéréotypie soit faible au départ et que la probabilité d'apparition de certains SAS soit augmentée par la situation vécue et par l'expèrience antérieure. La situation plus tourmentée entre alpha et beta représente un degré intermédiaire sur cette voie et traduit une compétitivité donc une ambivalence plus grande entre les deux leaders (dont l'agressivité est probablement voisine) qu'entre les autres membres du groupe.
 
Si nous considérons avec ALTMANN (1965) que les interactions Markoviennes de niveau 2 ou plus représentent la "mémoire" de l'animal, nous pourrons préciser ainsi: mémoire à court terme lors du comportement agonistique au niveau des 2 ou 3 SAS antérieurs, mémoire à long terme influençant les probabilités internes de chaque individu en fonction de l'expérience propre vécue par celui-ci.
 
Malgré l'énorme difference méthodologique, les auteurs travaillant sur l'évocation des comportements par stimulation électrique de zones hypothalamiques obtiennent des résultats relevant des mêmes hypothèses chez des espèces très variées (Poulet: PUTKONEN, 1967; PHILLIPS & YOUNGREN, 1971) (Mammifères: ROBERTS et al., 1964; DELGADO, 1969). Les comportements ainsi évoqués ne sont jamais des séquences complexes mais des postures isolées. Si nous ajoutons que chez le Chimpanzé, DELGADO obtient par stimulation d'aires identiques des réponses agonistiques chez un animal dominant et ne les obtient plus chez le même animal en position de dominé, nous avons une illustration de l'influence des événements vécus sur l'expression comportementale de l'individu et une explication possible en terme d'inhibition de certains circuits nerveux de la chute d'agressivité observée chez les inférieurs.
 
De telles observations ainsi que nos propres conclusions nous paraissent clairement en faveur d'une interprétation non rigidement programmée des mécanismes sous tendant l'agressivité. Ainsi que le font remarquer PHILLIPS & YOUNGREN (1971) les chaînes de SAS ne sont pas préétablies dans le système nerveux mais sont dépendantes de la situation vécue, de la présence de stimuli adéquats dans l'environnement et de l'expérience passée, ce que démontre aussi clairement le travail effectué sur le Chimpanzé.
 
Par suite, il nous parait nécessaire d'insister sur le fait qu'un comportement agressif n'apparait pas figé dès qu'on l'examine dans diverses situations et au cours du temps. Il évolue en fonction de la situation passée et avec la situation présente.
 
Il restera à étudier avec précision l'ontogenèse des relations hiérarchiques afin de vérifier certaines de nos hypothèses.
Il restera aussi à comprendre pourquoi chez certains individus, l'offensive initiale est augmentée alors qu'elle fait place chez d'autres à la défensive. La encore, l'environnement est essentiel, un mâle n'est jamais dominant que par rapport à un autre. Puisque par ailleurs le territoire semble dans nos conditions d'étude jouer un rôle secondaire par rapport aux caractéristiques individuelles, c'est à ce niveau qu'il faut chercher les causes. Nous ne pouvons fournir aucune réponse à ce problème chez le Cobaye mais les résultats obtenus chez le hamster par DRICKAMER,& VANDENBERGH (1973), MYKYTOWICZ (1970) chez le lapin, BEEMAN (1974) chez la souris, permettent d'envisager une action hormonale sur l'agressivité dont l'influence au niveau hypothalamique fournirait un élément supplémentaire à l'appui des hypothèses avancées précèdemment.
 
Résumé
 
Nous avons étudié les réactions comportementales de Cobayes mâles dominants placés en présence d'un étranger, sur le territoire de ce dernier ou sur leurs propres territoires.
 
1. Il est possible de décomposer les affrontements en trois phases:
- Une phase d'approche et de prise de contact.
- Une phase d'affrontement pendant laquelle les animaux vont établir des relations de dominance.
- Une phase finale où les relations préétablies se confirment, chaque animal subissant en quelque sorte son propre statut.
 
2. L'analyse de la deuxième phase permet d'obtenir de longues séquences comportementales. Il apparaît que le dominant présente dix fois plus de SAS offensifs que défensifs alors que le dominé possède une balance comportementale équilibrée.
 
3. Le comportement d'un animal apparaît déterminé de manière statistique par:
- Le comportement de l'adversaire,
- Le comportement antérieur de l'individu lui même.
Premièrement, les actions offensives entraînent préférentiellement une réponse défensive, chez les deux animaux, les actions défensives du dominé entraînent les répon- ses offensives du dominant. Néanmoins, les postures ambivalentes offensives provoquent généralement des réponses offensives de même type.
 
Deuxièmement, en plus de ce déterminisme externe, une tendance générale à l'escalade aggressive se manifeste chez les deux opposants, ainsi qu'une tendance à l'escalade défensive chez le dominé seulement.
 
Il se confirme ainsi que l'affrontement est l'expression d'un conflit agression-fuite dont le point d'équilibre est constitué chez le Cobaye par la Posture Offensive Oblique.
 
4. La comparaison entre la hiérarchie de groupe et les affrontements permet de penser que ceux-ci sont un moyen de résolution du conflit et d'établir des relations de dominance par sélection des réponses adaptées à la situation c'est-à-dire en définitive aux réactions de l'adversaire.
 
L'ontogénèse sociale et l'affrontement parviendraient ainsi au même résultat par des moyens fort différents. Le comportement, loin d'être stéréotypé, serait alors l'expression d'une situation instantanée (séquences interindividuelles) et de la mémoire de l'animal (expériences préalables, comportements antérieurs).Cette dernière serait susceptible au niveau du système nerveux de provoquer une modification adaptative des réponses observées.
 
5. Enfin, la nature des deux combattants apparaît prédominante sur le lieu de la rencontre, ce qui laisse supposer l'existence d'une variabilité agressive individuelle dont l'origine est encore imprécisée.