- « On se demande comment il se fait que
bâiller se communique comme une maladie j
e crois que c'est plutôt la
gravité, l'attention et l'air de souci
qui se communiquent comme une maladie; le
bâillement au contraire, qui est une
revanche de la vie et comme une reprise de
santé, se communique par abandon du
sérieux et comme une emphatique
déclaration d'insouciance. »
Alain, «
Propos sur le bonheur», 1928
-
- Résumé:
-
- Objectif: Comprendre la place physiologique
ou pathologique du bâillement dans la vie.
A quoi sert-il de bâiller ? Le
bâillement est-il un élément
sémiologique utile à
décrypter ? Quels médicaments
influencent le bâillement? Méthode:
Un questionnaire est soumis à 100
consultants tout-venant.
-
- Résultats: Le bâillement,
accompagné d'étirements, survient
essentiellement au lever, isolément avant
l'endormissement. Il accompagne
différents troubles du système
nerveux végétatif. Disparaissant
en cas de syndrome extrapyramidal, il peut
être une gêne sociale quand sa
fréquence dépasse 20
bâillements par jour. Les neuroleptiques
l'estompent, alors que les dopamimétiques
en déclenchent des salves.
-
- Conclusion: Cette étude est
l'occasion d'une mise au point sur la
physiologie du bâillement, sa place au
cours de certains troubles neurologiques, sur
l'effet des psychotropes. Elle montre que la
curiosité en médecine
générale permet de lever un voile
sur un symptôme ignoré de la
plupart des traités de neurologie ou de
psychiatrie.
-
- La finalité de nombreuses actions ou
fonctions de notre corps est aisément
intelligible : manger, uriner, parler, voir,
etc. D'autres sont plus mystérieuses:
dormir, rêver, hoqueter, bâiller. Il
est curieux de constater que depuis des
siècles, le bâillement ait
été si peu étudié
tant d'un point de vue physiologique que
pathologique. Oublié comme symptôme
diagnostique depuis le XIXe siècle, il
n'apparaît guère dans les
nombreuses publications sur le sommeil. Seules
trois thèses lui ont été
consacrées, en France, en un
siècle. Fort de ce constat, nous avons
essayé d'amorcer une enquête sur le
bâillement chez des consultants en
médecine générale.
-
- Matériel
et méthodes
-
- Pendant une semaine, du 11 au 17 septembre
1998, les 100 premières personnes en
consultation ont été soumises, en
fin de rendez-vous, à un questionnaire,
et ce, quelle que soit la cause de leur venue au
cabinet (cf. encadré ci-dessous). Pour
les enfants, les réponses ont
été données par les
parents. Cela se rapproche plus d'une
enquête d'opinion que de mesures
scientifiques rigoureuses. Fiche
d'enquête: - Âge - Nombre
estimé de bâillements par jour -
Horaires - Association avec des
étirements 0/N - Facteur
déclenchant - Sensibilité aux
bâillements d'autrui - Déclencheur
vers autrui - Que procure le bâillement? -
Quelle fonction a le bâillement?
-
- Bâiller fait partie des actes banals,
à peine conscients, de la vie
quotidienne. Il leur a souvent fallu quelques
instants de réflexion pour se
remémorer une journée et
réfléchir au nombre de
bâillements. Les chiffres donnés ne
sont donc qu'une estimation. Peut-être
aurait-il fallu demander à chacun de
noter ces événements au cours
d'une journée et d'étudier les
résultats a posteriori. L'enquête
en aurait cependant été
singulièrement complexifiée. Ce
modeste échantillon de 100 patients
montre néanmoins une répartition
très proche en tranches d'âge des
données fournies par les relevés
des caisses sur la clientèle
entière (tableau I).
-
Tableau montrant le nombre
de personnes interrogés par
tranches d'âges
|
Âges
|
Nombre
|
0-10 ans
|
15
|
11-20 ans
|
10
|
21-30 an
|
6
|
31-40 ans
|
8
|
41-50 ans
|
5
|
51-60 ans
|
13
|
61-70 ans
|
15
|
71-80 ans
|
18
|
81-90 ans
|
10
|
- Résultats
-
- Nombre de bâillements par
personne
- D'après notre enquête (tableau
II), il existerait simultanément, au sein
d'une même population, des individus qui
ne bâillent jamais mais aussi des
personnes pouvant bâiller plus de 20 fois
par jour, ce qui est souvent (mais pas toujours)
vécu comme un handicap, et parfois
associé à une pathologie
endocrinienne (cf. encadré p. 262).
Est-ce vrai ou est-ce une absence de perception
de cette activité réflexe banale?
La crainte de contrevenir à certaines
règles de civilité, qui
édictent de ne pas bâiller en face
d'autres personnes, amène-t-elle à
nier une activité naturelle? A l'autre
extrême, il semble que bâiller plus
de 20 fois par jour soit un handicap. Soulignons
que le total fait plus de 100 car une même
personne peut bâiller à
différents moments
-
Tableau du nombre de
bâillements par jour
|
Bâillements à
différents moments
|
Nb bâillements
|
Nb consultants
|
horaire
|
Nb Personnes
|
0
|
5
|
le matin
|
75
|
1-5
|
49
|
Le soir
|
49
|
6-10
|
30
|
Post-prandiaux
|
31
|
11-15
|
9
|
autres moments
|
12
|
16-20
|
5
|
sans idée
|
40
|
>20
|
2
|
|
|
- Moments
privilégiés
- Trois moments privilégiés de
la journée sont marqués par des
bâillements: le matin au réveil, le
soir avant le coucher, et la période
digestive du midi (tableau III). Les
bâillements surviennent par salves de 2
à 3 le plus souvent.
-
- Les étirements
- Il ressort nettement que les
étirements y sont associés lors de
l'éveil essentiellement (tableau IV). Les
étirements se raréfient avec le
vieillissement Ils majorent une sensation de
bienêtre très souvent
évoquée. Associés à
l'idée d'un éveil musculaire,
« de mise en route », ils rappellent
les étirements associés à
l'échauffement pratiqué par les
sportifs avant l'effort. La durée du
sommeil, la pratique d'une sieste ou non ne
paraissent pas en modifier la
fréquence.
-
- Sensibilité au bâillement
d'autrui
- Soixante-dix pour cent des personnes
questionnées disent être sensibles
au bâillement de l'entourage: voir
bâiller les fait bâiller (tableau
V). Curieusement, peu de patients ont
été capables de préciser
s'ils déclenchaient le bâillement
des autres. Est-ce qu'en bâillant
soi-même on perd l'attention de ce qui se
passe autour ? Est-ce une gêne sociale,
comme une crainte d'une interprétation
péjorative, d'avoir besoin de
bâiller soi-même et donc de faire
bâiller les autres ? Hors les
bébés, grands bâilleurs,
tous ont la capacité d'inhiber les
symptômes les plus affichants du
bâillement, mais ne peuvent empêcher
le déclenchement de celui-ci.
-
- Signification et fonction du
bâillement
- Soixante pour cent des personnes
interrogées insistent sur la sensation de
mieux-être qui suit brièvement le
bâillement. Les autres ne savent pas. A la
question de la signification, du rôle
physiologique, les réponses sont
très pauvres. Souvent aucune idée
n'est indiquée, ou alors, est
évoquée l'association à la
fatigue.
-
Nb de personnes
s'étirant
|
Nb de personnes chez qui une
activité déclenche les
bâillements
|
le matin
|
78
|
|
lire
|
11
|
post-prandiaux
|
7
|
|
regarder la
télévision
|
28
|
le soir
|
35
|
|
spectacle
|
3
|
Le total ne fait plus 100 car
on peut bâiller à
différents moments.
|
écouter un
orateur
|
5
|
|
travail
répétitif
|
3
|
réunion de
famille
|
2
|
ennui
|
85
|
sensibilité au b
d'aurtrui
|
70
|
déclencheur vers
autrui
|
12
|
- Données
actuelles sur le
bâillement
-
- Étymologiquement, le verbe bailler
vient du vieux français bâiller
dont l'origine latine bataculcere signifie
être béant, ouvert [1].
C'est pour cela qu'une robe, un corsage ou une
porte baille, bien que ne sachant ni respirer ni
dormir!
-
- Qu'est-ce qu'un
bâillement?
- C'est un cycle respiratoire paroxystique,
comportant, durant 5 à 10 s, des
mouvements se succédant toujours dans la
même chronologie [2]:
- - une inspiration ample, lente et
très profonde avec la bouche largement
ouverte (l'expansion du pharynx peut quadrupler
son diamètre par rapport au repos) ;
- - un bref arrêt des flux ventilatoires
à thorax plein, souvent associé
à des mouvements d'étirements des
membres;
- - une expiration passive.
-
- Le tout peut s'accompagner de bruits
d'intensité variable, modulables
volontairement ou non. Les mouvements
thoraciques et diaphragmatiques ne
diffèrent en rien d'une inspiration
banale, alors que l'importance de l'ouverture
pharyngo-laryngée accompagnant un visible
abaissement du cartilage thyroïde et de
l'os hyoïde est propre au bâillement.
A ce moment s'ouvrent les trompes d'Eustache,
entraînant une brève baisse de
l'audition; une ouverture du cardia provoque un
appel d'air intragastrique responsable d'une
impression de plénitude abdominale. De
nombreux muscles du faciès se
contractent, donnant de multiples mimiques, sans
ordre précis. Les
sécrétions lacrymales sont
brièvement gênées dans leur
écoulement par la compression des canaux
lacrymaux, une larme perle alors à la
paupière. Une goutte de salive
déborde la lèvre largement
éversée, bouche grande ouverte.
Cette association complexe et synergique de
mouvements est un réflexe car elle est de
survenue involontaire. Mais une fois
enclenché, le bâillement peut
être Le soir modulé par la
volonté, soit en accentuant toutes les
phases, soit en minimisant l'ouverture de la
bouche et l'expiration. Il survient Sans
idée 40 souvent par salves de deux ou
trois cycles, accompagnées de mouvements
d'étirement du tronc en hyperlordose, des
membres en hyper-extension (sauf au niveau des
mains où paumes ouvertes ou poings
fermés sont possibles) [5].
Moindre audition, paupières
fermées, sensation de plénitude
corporelle concourent à une relative
perte de contact avec l'environnement. Le
bâillement est souvent perçu comme
une jouissance, un bref bien-être
[7].
-
- Interprétations historiques du
bâillement, phylogenèse
- Pendant des siècles, les explications
du bâillement n'étaient que
variations sur les théories d'Hippocrate:
« bâiller chasse le mauvais air des
poumons » ou « bâiller
répartit le flux sanguin vers le
cerveau» [10]. Charcot, toujours
lui, donne des descriptions
détaillées du
phénomène et en observe
d'incoercibles, d'origine neurologique ou
hystérique [11]. L'étude
réelle du bâillement n'est
entreprise qu'en 1901 par Trautman qui, dans sa
thèse, explique les mouvements
respiratoires, les muscles impliqués, le
contrôle neurologique de ceux-ci. Il est
important de noter que le bâillement
existe chez tous les vertébrés et
est surtout indiscutable chez les
mammifères [121. On retrouve toujours
la chronologie identique des temps respiratoires
associés à des mouvements
d'étirement. Il semble bien exister un
lien avec le degré de vigilance et le
sommeil comme chez l'homme, mais aussi un code
de langage non verbal exprimant une menace, une
force contenue d'agressivité, de
dissuasion, ou d'un leurre réduisant
l'attention d'un agresseur. Suivant le mode de
vie, isolé ou en groupe, la signification
peut varier, exprimant sommeil, jeux, alerte,
parade sexuelle [4]. Le curieux
phénomène d'imitation, de
contagiosité du bâillement à
l'origine du célèbre dicton «
un bon bâilleur en fait bâffler sept
» n'est retrouvé que chez les
primates supérieurs et l'homme.
-
- Le bâillement est associé
à la somnolence, que ce soit en
état de fatigue à l'approche de
l'endormissement, ou au sortir de celui-ci au
réveil [13]. L'éveil
semble le moment privilégié de
l'association bâillements et
étirements. L'ennui
générateur d'une baisse de la
vigilance favorise les bâillements
[14]. La grossesse, la plénitude
gastrique, ou le jeûne sont des
circonstances où la fréquence des
bâillements augmente. Le mal des
transports débute par des crises de
bâillements répétés.
De même, lors de l'installation d'un
malaise vaso-vagal [15], la sensation de
malaise général s'accompagne de
bâillement et de sudation. La pratique de
l'échographie a montré que le
foetus bâille pendant la vie
intra-utérine [16]. La revue
anglaise New Scientist du 10 avril 1999 rapporte
un travail du centre de diagnostic
prénatal de Signal Montain (Tennessee)
où W Blackburn et R. Roberts estiment que
le bâillement, détecté
dès la 1 1e semaine, constitue un
élément essentiel au bon
développement pulmonaire du foetus
[171. Nous avons tous constaté que
nouveau-nés et petits nourrissons
bâillent très fréquemment,
avec des étirements
prolongés.
-
- Physiologie et fonction du
bâillement
- Oublions les théories anciennes
infirmées par les explorations
contemporaines (les taux d'hormones
thyroïdiennes restent stables, tout comme
les gaz du sang artériel ou veineux
pendant et après le bâillement)
[3,4]. Pendant les bâillements, on
note un ralentissement des vitesses du flux
carotidien plus qu'une
accélération. Une structure
précise comme centre du bâillement
n'a jamais été identifiée.
Bon nombre d'arguments cliniques et
pharmacologiques permettent de penser que le
bâillement fait intervenir les
régions bulbaires et pontiques, avec des
connexions frontales et à la moelle
cervicale [1-4, 11-13, 15, 18-25]. Les
muscles qui se contractent pendant le
bâillement dépendent de nerfs
crâniens (V, VII, IX, X, XI, XII) et
cervicaux (C1-C4). Pendant les quelques heures
que peuvent vivre des anencéphales, il a
été noté qu'ils
bâillaient et s'étiraient. Des
patients atteints de locked-in syndrome, bien
que paralysés, bâillent encore
[26]. L'étirement par
l'examinateur d'un membre en hypertonie
pyramidale d'un hémiplégique peut
parfois déclencher un. La
régulation du sommeil et de
l'éveil est sous la dépendance
d'une quinzaine de circuits différents et
redondants, situés principalement dans le
pont (adrénergique), dans le
pédoncule (dopaminergique), dans
l'hypothalamus (histaminergique), dans la
région basifrontale de Meynert
(cholinergique). Il existe des réseaux
contrôlant l'éveil qui doivent
être inhibés pour que le sommeil
apparaisse. Le déclenchement du
bâillement pourrait intervenir « en
effet latéral » de ces
réseaux [19].
-
- La participation du système
dopaminergique
- Elle peut être mise en évidence
par l'administration de faibles doses
d'apomorphine, agoniste mixte des
récepteurs Dl -D2 des synapses
dopaminergiques qui induit des bâillements
[16,20,24,27,28]. De fortes doses les
font disparaître au profit de
stéréotypies ou de
dyskinésies. Un agoniste Dl pur ne
déclenche pas de bâillements,
quelle que soit la dose. Ceux-ci paraissent donc
induits par la stimulation des récepteurs
D2 à seuil d'excitation bas (soit
autorécepteurs inhibiteurs de la
libération dopaminergique, soit
récepteurs post-synaptiques). L'injection
d'apomorphine à un patient parkinsonien
déclenche un bâillement à la
minute pendant les dix premières minutes,
ainsi qu'en fin detest, une heure après.
De même, un parkinsonien qui se
«débloque» sous L-dopa
bâille au moment du déblocage.
-
- Le rôle de l'hypothalamus et de
l'hypophyse
- On a pu démontrer [25,29] que
l'hypophysectomie supprime les
bâillements, alors que l'ocytocine (par
activation cholinergique) les induit et qu'ils
sont inhibés par l'atropine. Il existe un
réseau hypothalamique ocytocinergique
impliqué dans le bâillement, au
niveau paraventriculaire, qui reçoit des
influences activatrices dopaminergiques et
glutamatergiques, et des influences inhibitrices
opioïdes. Ce réseau projette sur
l'hippocampe d'une part et la région
bulbopontique d'autre part (celle qui est
probablement exécutive du
bâillement) [23,24].
-
- L'influence
sérotoninergique
- Elle est révélée par
l'injection de 5HTP (hydroxytryptophane),
précurseur de la sérotonine, qui
potentialise les bâillements induits par
l'apomorphine mais reste sans effet en son
absence. Une déplétion
sérotoninergique provoquée par
toxique [5,7 DHT (dihydroxytryptophane)
] dans le striatum inhibe les
bâillements induits par l'apomorphine. Il
y aurait une modulation présynaptique des
systèmes dopaminergiques du striatum par
les voies sérotoninergiques provenant du
raphé dorsal [4].
-
- La voie cholinergique
- Une voie finale cholinergique [28]
est probable car la piocarpine et la
physostigmine, agonistes muscariniques, sont de
puissants déclencheurs des
bâillements que l'atropine ou la
scopolamine, antagonistes, inhibent. Ces
expérimentations montrent que les voies
cholinergiques sont le maillon commun à
tous les mécanismes déclenchant
des bâillements pharmacologiquement
induits.
- En résumé, il semble exister
une voie mésolimbique dopaminergique
(noyau A 10-septum) et une voie cholinergique
(septum-hippocampe). A noter enfin que les
variations circadiennes cholinergiques et
dopaminergiques concordent avec celles du
bâillement chez le rat
[18,27-29].
-
- Le bâillement
symptôme
- Toutes les atteintes du tronc
cérébral peuvent être des
causes de troubles de la vigilance
associés à des bâillements
répétés. Les atteintes
corticales et sous-corticales les favorisent
aussi. En neurologie [26], le
bâillement peut être noté de
façon anormalement plus fréquente
dans un nombre élevé de
pathologies sans être jamais
constant:
-
- - hypertension intracrânienne
(méningite, hémorragie
méningée);
- - infections (trypanosomiase, tabès,
poliomyélite, séquelles
d'encéphalite d'herpès ou de
rougeole) ;
- - sclérose latérale
amyotrophique; - sclérose en
plaques;
- - lésions vasculaires du tronc
cérébral et de la capsule interne;
- intoxications oenoliques ou au monoxyde de
carbone;
- - coma acidocétosique; -
hypoglycémie;
- - lésions des lobes frontaux; -
myasthénie.
- - le bâillement peut
représenter une aura chez certains
épileptiques [21,22].
-
- En psychiatrie, il est un symptôme
hystérique: Charcot
cite une observation d'une malade bâillant
8 fois par minute soit 480 fois à
l'heure! [11]. Dans le livre de
Déjérine
de 1914 Sémiologie des affections du
système nerveux, le bâillement
n'est noté comme pathologique que dans
l'hystérie, cessant pendant le sommeil et
réapparaissant dès le
réveil, par salves de 30 à 60 min
plusieurs fois par jour. Enfin, le
bâillement n'est jamais signalé
dans la littérature consacrée aux
mouvements anormaux (maladie de Huntington,
maladie des tics ou maladie de Gilles
de la Tourette).
-
- Il ne faut pas minimiser les causes
iatrogéniques.
Les traitements neurologiques ou psychiatriques
(imipraminiques, valproate de sodium), la
sismothérapie (bâillements et
érections sont associés), le
sevrage morphinique déclenchent des
salves de nombreux bâillements
[21,25]. Alors que les neuroleptiques
type halopéridol suppriment les
bâillements, ceux-ci peuvent
réapparaître en accompagnement des
dyskinésies tardives. Cela est à
rapprocher de la rareté du
bâillement chez les malades parkinsoniens
qui ne s'étirent jamais. Petit signe
sémiologique, la raréfaction ou la
disparition du bâillement évoque un
syndrome extrapyramidal [1-5,11-16,18-27,29,
30]. Signalons enfin que le bâillement
peut se compliquer d'une luxation de la
mâchoire dont il est la première
cause.
-
- PATHOLOGIE ENDOCRINE ET
BÂILLEMENTS:
-
- EXEMPLE n°1
-
- - Une femme de 40 ans,
trisomique 21, a un diabète
insulinodépendant
après avoir eu une maladie de
Basedow. Elle est bien
insérée familialement,
bien équilibrée pour
toutes ses fonctions endocrines. Son
niveau intellectuel est
élevé compte tenu de
son handicap chromosomique. Mais
elle ne ressent aucune entrave
sociale, et ne retient aucun
bâillement, en aucune
circonstance. Elle en ressent un
très grand bien-être et
aucune gêne; seule sa
mère prie de l'excuser
à chaque fois!
|
-
-
-
-
- EXEMPLE n°2
-
- - Un homme de 34 ans,
opéré 9 mois plus
tôt d'un adénome
hypophysaire pour acromégalie
débutante, dit bâiller
fréquemment depuis cette
chirurgie.
-
- Toutes ses fonctions endocrines
paraissent parfaitement
équilibrées. Il est le
seul à évoquer une
gêne sociale à ses
bâillements
répétés
fréquents. Fait curieux, il
n'avait jamais signalé
spontanément une
fréquence accrue de
bâillements avant d'être
interrogé.
|
- Dans ces deux cas, le
symptôme «
bâillement » est
associé à une
pathologie endocrine.
|
- Discussion
et Interprétation
-
- Chez les différents types de
vertébrés, le système
nerveux central répond à un plan
général commun d'organisation, et
montre, des plus anciens aux plus récents
d'entre eux, une complication graduelle en
rapport avec des niveaux de vie de plus en plus
indépendants et fonctionnellement de plus
en plus élevés. Certaines
formations correspondraient à des
activités nerveuses rudimentaires propres
aux vertébrés inférieurs
mais qui, bien que non apparentes chez les
vertébrés supérieurs, n'ont
pas disparu de leurs gènes. Au cours du
long processus de l'évolution, des
fonctions sont inhibées par une
activité neurologique plus
élaborée, mais pas perdue.
-
- Rappelons les travaux du Pr Lapresles qui a
étudié « le nystagmus du
voile du palais [30]. Dans cette
pathologie, le voile du palais est animé
de mouvements involontaires rythmiques à
100/mm. L'anatomopathologie retrouve une
hypertrophie de l'olive avec lésions
ischémiques plus haut situées
(noyau dentelé controlatéral). Il
apparaît que la destruction de cette voie
libère une fonction « enfouie
», dépendant d'une structure
archaïque, qui par comparaison avec les
animaux à branchies, contrôlait
l'automaticité des mouvements rythmiques
de celle-ci. L'existence du bâillement
chez tous les vertébrés peut
s'expliquer comme la persistance d'une fonction
archaïque, mobilisant un contrôle
« enfoui» (des branchies?)
libéré par brèves
périodes. Plus
généralement, tout mouvement
anormal (tic, myoclonie, dystonie)
résulte d'une libération d'une
fonction par perte de son contrôle
sus-jacent.
-
- L'imitation du bâillement propre
à l'homme évoque
l'échopraxie de la maladie de Giiles de
la Tourette, ou de certains syndromes frontaux.
Le développement du cortex
préfrontal est spécifique aux
bipèdes et peut donc expliquer ce curieux
phénomène. Le bâillement
est-il un équivalent du tic ? Il s'en
rapproche par le côté involontaire
mais maîtrisable temporairement, par la
sensation de besoin irrépre30ssible suivi
d'un soulagement agréable, proche d'une
compulsion. Rappelons que le traitement des tics
par les neuroleptiques fait disparaître
les bâillements.
-
-
- Conclusion
-
- Associé à notre état de
vigilance, le bâillement apparaît
donc comme une fonction « archaïque
» dont le rôle prédit une
augmentation d'activité du sujet. Il n'a
rien à voir avec la qualité du
sommeil, l'heure du coucher ou du lever. Il
garde encore de nombreux mystères
à éclaircir.
-
-
- Remerciements au Pr Y.Agid
et au Dr I. Arnulf du groupe hospitalier La
PitiéLa Salpêtrière pour
leurs précieux conseils.
-
-
Abstract : Why do we yawn?
-
- Our objective is to understand the
physiological or pathological meaning of
-
- the process of yawning in man's life. What
is the use of yawning? Is yawning a semiological
element which is useful to decipher? Which drugs
can influence yawning.
-
- Method. A questionnaire is submitted to one
hundred ordinary consultants.
-
- Results. Yawning mainly occurs when getting
up, usually accompanied by stretches, and
isolated before falling asleep. It goes with
different disorders of the vegetative nervous
system. It disappears in the cases of
extrapyramidal syndrome and can be socially
embarrassing when its frequency exceeds twenty
yawnings a day. Neuroleptics will finish it,
where as dopamimetics will set off bursts.
-
- Conclusion. This study was the opportunity
of shedding light on the physiology of yawning,
its importance in the case of some neurological
disorders, and the effect of psychiatric
medication. It proves that the curiosity of a
general practitioner makes it possible to bring
to light a symptom too often ignored by most of
the treatises on neurology or psychiatry.
-
- Rev Prat Med Gen 2000; 14(487) :259-63.
-
- Références
-
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de la langue française et traité
de la formation de la langue. Paris: Delagrave
Editeur, réédité en 1964
(édition originale 1888).
-
- 2. Aubin HJ,
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Psychobiol 1988; 3:275-86.
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J. Yawning. J Neurol Neurosurg Psychiat
1958;21:203-9.
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doctorat en médecine
(Lariboisière, Pr CH Chouard), 1989.
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- 6. Poster L
Pathological Yawning as a symptom of SEP. J
Neurol 1996; 243(3): 300-1.
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