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Prostaglandines, adénosine, sommeil & bâillements
Leptine, ghréline, histamine et bâillements

 

 

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mise à jour
3 juin 2007
 Psychiatrie et Psychobiologie
1988;3:275-286
 Le bâillement
HJ Aubin et L Garma
centre d'étude et de traitement des troubles du sommeil
Hôpital La Salpétrière, 75013 Paris
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Le bâillement, autrefois largement utilisé en sémiologie médicale, a aujourd'hui perdu de sa valeur symptomatique aux yeux des médecins. Même dans le cadre de la médecine des troubles du sommeil et de l'éveil, il est considéré comme un signe habituellement peu utile.
 
On commence pourtant maintenant, grâce aux progrès des recherches neurobiologiques, à disposer de «points de vue» permettant de considérer de façon plus spécifique le phénomène du bâillement. On en trouvera ci-après la revue sous le titre de «Physiologie et mécanismes neurobiologiques du bâillement ».
 
Ce chapitre est précédé par deux autres: le premier est constitué par la description du bâillement et des phénomènes qui l'accompagnent, le second par l'énumération des causes du bâillement, autrement dit des facteurs, physiologiques et pathologiques, qui le provoquent.
 
La signification du bâillement ainsi que la place qui lui est réservé dans les traités médicaux a beaucoup évolué depuis Hippocrate qui en a fait mention à plusieurs reprises: « Ils précèdent les fièvres, lorsque beaucoup d'air accumulé sortant par le haut à la fois, ouvre de force la bouche comme ferait un levier; c'est par là, en effet, qu'est l'issue la plus facile. » «Le remède des bâillements continuels, c'est de faire de longues inspirations [...]. Pour le bâillement, du vin coupé avec moitié d'eau ou de lait» (cité par Trautmann, 1901).
 
Quant à Galien, il indique la malignité du bâillement et en fait une réaction de l'organisme affecté par une cause morbide (Trautmann, 1901). Ce n'est qu'à partir du XVIle siècle que sera admis un point de départ purement physiologique et que seront élaborées des théories dont les grandes lignes persistent de nos jours.
 
Description
Le bâillement : le bâillement est un acte involontaire paroxystique, d'une durée variable, généralement de 4 à 10 sec. Son déroulement a été bien étudié par Barbizet (1958) qui distingue trois phases qui se suivent obligatoirement. La première est active et inspiratoire. On assiste à l'ouverture progressive de la bouche, la dilatation pharyngo-laryngo-thoracique, l'abaissement du diaphragme, l'abaissement de l'os hyoïde et de la base de la langue.
 
Deux remarques sont à faire ici. La première est que l'énorme expansion pharyngée (3 ou 4 fois la taille normale), associée à l'abaissement de l'os hyoïde et de la base de la langue, est particulière au bâillement, absente dans l'inspiration profonde et même dans l'imitation de bâillement. La seconde remarque est que, en cas de bâillement réprimé, l'ouverture de la bouche et le mouvement inspiratoire peuvent être facilement contrôlés, réduisant le comportement à la dilatation pharyngée, ce qui souligne l'importance de cette étape. La deuxième phase correspond à l'acmé de l'ouverture buccale et de la dilatation pharyngothoracique. A ce moment apparaît la contraction de toute une série de muscles de la face: exagération de l'ouverture buccale, dilatation des narines ainsi que l'excrétion lacrymale et salivaire. La troisième phase, expiratoire, est passive. C'est un retour à l'état antérieur. Des larmes et une déglutition peuvent survenir, conséquentes aux sécrétions survenues pendant la phase précédente.
 
Après avoir détaillé son déroulement, précisons que le bâillement survient rarement de manière isolée, mais le plus souvent par accès de deux ou trois, son intensité allant croissante (Forté, 1982).
 
Les phénomènes concomitants
Etirement. Voici deux comportements qui s'associent avec prédilection. L'étirement est contemporain de la deuxième phase du bâillement; la contraction caractéristique des muscles de la face est suivie de celle des muscles extenseurs de la nuque et du tronc puis, éventuellement, de l'hyperextension des membres (Barbizet, 1958). L'association bâillement-étirement est beaucoup plus fréquente chez l'enfant jeune (en particulier le nourrisson) que chez l'adulte. Chez ce dernier, elle est plus souvent observée au réveil (Forté, 1982; Provine et al., 1987a). Cette association est également de règle lors des bâillements pharmacologiquement induits chez le rat. Nous aurons l'occasion d'en reparler plus loin.
 
Phénomènes respiratoires: ils ont été étudiés par Engelhardt (1941) qui, sur la base d'enregistrements spirométriques, a différencié 4 types de bâillement: - de fatigue, caractérisé par un renouvellement gazeux pulmonaire particulièrement important; - de réveil, presque constamment accompagné d'étirement et suivi d'une respiration plus profonde; - de faim, où on retrouve d'importants mouvements abdominaux en particulier pendant l'acmé. L'auteur y voit «une compression du foie par la musculature abdominale» ainsi qu'une vidange du territoire vasculaire splanchnique qui correspond à une réserve de sang veineux stagnant. La diminution de la quantité de sang au niveau de la musculature de l'estomac apaiserait les contractions stomacales douloureuses; - psychique (entendant par là l'ennui ou l'imitation). La quantité d'air inspiré est ici beaucoup plus faible. Il est suivi d'une dépression relative de la respiration que l'auteur explique par le fait que ce bâillement n'étant pas nécessaire à l'organisme, ce dernier n'a pas besoin d'apport d'air supplémentaire. Autres mouvements d'air : On assiste simultanément à: - l'ouverture de la trompe d'Eustache, qui permet une aération de l'oreille moyenne; du fait de l'inspiration il y a plutôt une baisse de pression dans la caisse du tympan durant le bâillement, d'où, peut-être, la diminution de l'audition (cf. ci-dessous); - et à l'ouverture du cardia, qui provoque une entrée d'air dans l'estomac. C'est peut-être, en partie tout au moins, la raison qui explique les douleurs épigastriques avec sensation de plénitude gastrique qui font suite aux très impressionnantes crises de bâillements survenant chez certaines hystériques (Trautman, 1901).
 
Phénomènes circulatoires: plusieurs auteurs ont spéculé sur l'effet du bâillement sur le système cardiovasculaire (augmentation du retour veineux, amélioration de la circulation cérébrale, etc.). Cependant, à notre connaissance, une seule étude objective a été faite sur les phénomènes circulatoires concomitants. Heusner (1946) a mesuré l'activité vasomotrice des doigts et des orteils chez des adultes sains, puis chez des adultes atteints de la maladie de Raynaud ou de Buerger, ceci avant et après une sympathectomie. Il a observé, chez les sujets sains et chez les malades avant la sympathectomie, une vasoconstriction 4 à 4,5 sec après le début du bâillement, avec retour à la normale en 40 sec. Il a également noté une augmentation de la fréquence cardiaque d'une dizaine d'impulsions par minute. Ces valeurs sont variables et, en gros, proportionnelles à l'intensité et à la durée du mouvement inspiratoire. Chez le sujet sympathectomisé, par contre, il y a une suppression totale de la vasoconstriction digitale, avec persistance de l'augmentation de la fréquence cardiaque. Il faut remarquer que ces résultats ne sont pas propres au bâillement puisque Bolton (1936) arrive aux mêmes conclusions en étudiant l'effet d'une inspiration profonde sur la microcirculation digitale.
 
Travail musculaire: Féré (1905), étudiant le travail musculaire avec un ergographe, s'est trouvé incidemment confronté au bâillement; les modalités de son expérience sont les suivantes: le sujet, qui a les yeux clos pour favoriser l'apparition des bâillements, doit fournir 20 efforts séparés par 1 min de repos. Voici les observations qui en ont été tirées: « Le bâillement ne s'est jamais produit pendant le travail, mais seulement pendant les intervalles de repos. Quand le bâillement se manifeste dans la dernière moitié du temps de repos, il est suivi par une dépression du travail très notable (1/4 à 1/3). Quand on constate une dépression moindre mais suffisante pour caractériser une fatigue inusitée, c'est que le bâillement va se produire et accentuera la dépression à l'effort suivant. Dans tous les cas, il se fait un relèvement consécutif, à moins que les bâillements se succèdent en prolongeant la dépression.». Diminution des afférences sensorielles : Il se produit en effet pendant le bâillement une diminution importante de l'audition portant sur les sons graves et intermédiaires, ainsi qu'une occlusion partielle ou complète des paupières (Forté, 1982). Sensations éprouvées : chacun sait que lorsque nous bâillons, nous sommes dans un état psychique particulier. Cet état (il n'est d'ailleurs pas évident qu'il soit unique) est bien difficile à décrire. On peut tout de même sans prendre trop de risques mentionner d'une part l'obscurcissement de la conscience qui accompagne la diminution des afférences sensorielles, de l'autre la sensation de bien-être qui suit le bâillement. Par ailleurs, il est décrit, chez les malades présentant des troubles respiratoires et chez les sujets qui bâillent lorsqu'ils sont en haute montagne, « une sensation de soif d'air » (Féré, 1905)
 
Luxation du maxillaire inférieur
Citons, par souci de compléter cette énumération, la luxation condylo-temporale qui peut compliquer un bâillement (comme toute ouverture mandibulaire trop importante), en particulier chez le sujet présentant des anomalies anatomiques (Forté, 1982).
 
Facteurs de variation
 
Ontogénèse : Il a été observé, dès le deuxième mois de vie intra-utérine, un comportement évoquant le bâillement, avec ouverture de la bouche associée à un mouvement d'étirement, caractérisé par sa particulière lenteur, s'étendant de la tête au tronc puis aux membres. Les nouveau-nés et les nourrissons bâillent fréquemment, mais, alors que chez les nourrissons l'association bâillement-étirement est presque constante, elle est rare chez les nouveau-nés (Forté, 1982). Chez l'adulte, le bâillement est variable dans sa fréquence, peut-être du fait d'une inhibition psychosociale, ce comportement étant considéré comme une mauvaise conduite en société (Barbizet, 1958).
 
Phylogénèse : Il semble que le bâillement soit commun à tous les mammifères. Il est remarquable que le cheval, qui respire exclusivement par les narines et est donc incapable de le faire par la bouche, bâille néanmoins! Le bâillement existe aussi chez le crocodile (Lehmann, 1979). Il s'agit donc d'un phénomène phylogénétiquement ancien. Sa présence reste discutée chez les oiseaux et les poissons; sans qu'on puisse affirmer qu'il s'agit bien d'un bâillement, on décrit chez les oiseaux des comportements d'ouverture buccale parfois associés à des étirements (Hauptmann, 1925).
 
Causes du bâillement Le manque de spécificité du bâillement, son existence en tant que phénomène physiologique en font un signe considéré comme peu utile. Il n'en demeure pas moins que, à défaut d'avoir un intérêt diagnostique, la connaissance des différentes causes déterminantes présente un intérêt physiologique certain.
 
Bâillements «physiologiques»
 
On peut regrouper dans cette catégorie les bâillements qui ne surviennent pas dans un cadre, ou sur un terrain, pathologique. Les causes décrites, certaines plus fantaisistes que d'autres, sont toutes des états physiologiques particuliers (Féré, 1905; Barbizet, 1958; Boudouresques et al., 1965; Lehmann, 1979). L'ennui : il s'agit ici de l'ennui qui s'accompagne d'un désir d'activité ou, en tout cas, de rester accroché au monde extérieur, ce qui exclut un état d'indifférence ou de relaxation (Lehmann, 1979). L'auditeur qui bâille lors d'une conférence a le mérite d'essayer de rester attentif, alors que son voisin qui se laisse aller à ses rêveries ne bâillera pas... L'imitation : la contagion du bâillement est un phénomène qui semble être du domaine de la suggestion. Les grandes crises de bâillement décrites chez certaines hystériques sont peut-être en rapport avec ce processus...Notons ici qu'un bâillement peut être provoqué par autosuggestion; il suffit pour cela de faire de grandes inspirations successives en essayant d'imiter le bâillement. Celui-ci finira par apparaître véritablement. La somnolence : il est intéressant de noter que les bâillements cesseraient quand le sujet se met au lit et éteint la lumière, n'ayant alors plus besoin de lutter contre le sommeil (Féré, 1905). Le réveil, où les bâillements se caractérisent alors par leur association fréquente avec l'étirement. La faim, ou au contraire la plénitude gastrique suivant un repas copieux et associée alors à une certaine somnolence. Le mal des transports, les changements d'altitude. D'autres causes ont été rapportées de manière plus accessoire: la chaleur, le plaisir, l'anxiété, la douleur.
 
Pathologie et bâillements
 
Maladies infectieuses (Boudouresques et al., 1965; Forté, 1982). Il s'agit de maladies à tropisme neurologique: la forme somnolente de la typhoïde, les réactions encéphalitiques de la varicelle et de la rougeole, l'encéphalite épidémique, la trypanosomiase africaine pendant la période hypersomnique. Certains auteurs (Geigel, 1908) ont insisté sur la disparition du bâillement dans les maladies infectieuses (évidemment autres que celles sus-citées), considérant sa réapparition comme un signe de guérison. Fièvre (Boudouresques et al., 1965).
 
Troubles digestifs (Cramer, 1924; Forté, 1982). Les ulcères (surtout duodénaux) peuvent provoquer des accès de bâillements incoercibles qui précèdent la crise douloureuse et l'accompagnent en partie.
 
Troubles métaboliques (Lewi, 1921 ; Forté, 1982). L'hypoxie (asphyxie, intoxication au CO, anémie, choc, hypotension, ligature d'une carotide), l'insuffisance rénale et l'hypoglycémie, où de véritables crises de bâillements précèdent l'entrée dans le coma.
 
Troubles neurologiques Les lésions du lobe frontal, les lésions mésodiencéphaliques, bulbaires et médullaires peuvent être responsables de bâillements (Féré, 1905; Boudouresques et al., 1965). Dumpert (1921), Lewy (l 921) et Furtado (l 951) ont décrit la survenue de bâillements chez certains hémiplégiques lors de l'étirement des membres paralysés. La myasthénie (Boudouresques et al., 1965). L'épilepsie; le bâillement y est parfois retrouvé en tant qu'aura. Les malades atteints de la chorée de Huntington auraient une forte propension au bâillement, tout particulièrement associé à des étirements. Les parkinsoniens, au contraire, bâilleraient rarement et ne s'étireraient jamais (Boudouresques et al., 1965). Certaines étiologies sont également responsables de troubles du sommeil: l'hypertension intracrânienne où le bâillement a été considéré comme un des principaux signes, la narcolepsie où l'on décrit des crises de bâillements sans besoin de dormir (cité par Forté, 1982), l'encéphalite épidémique, la trypanosomiase africaine, déjà mentionnées. Troubles endocriniens. Le diabète, les bâillements peuvent préluder l'acidose ou l'hypoglycémie; l'insuffisance thyroïdienne (Boudouresques et al., 1965).
 
Troubles psychiatriques
Hystérie: la première leçon de l'année 1888-1889 donnée par le Professeur Charcot dans le cadre des « Leçons du Mardi à la Salpêtrière », le 23 octobre 1888, avait pour objet le « Bâillement hystérique (bâillement naturel et bâillement suggéré) » (Charcot, 1910). Procédant à l'examen d'une jeune fille de dix-sept ans, Charcot dit à ses auditeurs: « C'est un acte quelque peu imprudent, sans doute, de la part d'un professeur, que de commencer son cours en parlant du bâillement et de présenter un cas où le bâillement est le phénomène le plus apparent. Car le bâillement est contagieux, vous le savez, au premier chef (...) Mais j'ose espérer qu'une fois prévenus, nous saurons résister, vous et moi, aux suggestions qui nous menacent. ». Cette malade, lors de son entrée à l'hôpital « ... il y a quatre ou cinq mois, bâillait environ huitfoispar minute (480 bâillementspar heure, soit 7200 en quinze heures de veille); aujourd'hui le nombre de bâillements est réduit à quatre dans le même espace de temps. Toutes ces particularités, vous les lirez facilement sur les divers tracés, recueillis suivant la méthode graphique, queje vous présente et qui sont relatifs à diverses époques de la maladie.... L'ancienne séméiologie s'attachait beaucoup aux bâillements morbides considérés comme signes pronostiques dans les maladies aiguës. A la vérité, toute cette ancienne séméiologie du bâillement me semble aujourd'hui bien démodée, peut-être y aurait-il intérêt à la refaire. Pour le moment, j'ai voulu relever seulement que tout bâillement pathologique n'est pas nécessairement un bâillement hystérique... ». Charcot fit ensuite entrer une deuxième malade, mise auparavant « en état de somnambulisme», c'est-à-dire «de grand hypnotisme». Placée vis-àvis du premier sujet, cette patiente: «fait mine de vouloir résister à la contagion, mais sa résistance est bientôt vaincue: la voilà qui se met à bâiller, elle aussi, malgré tous ses efforts en sens contraire. » On trouve la revue d'une douzaine d'observations de Charcot dans la thèse de Trautmann, écrite en 1901 ; les bâillements peuvent se succéder continuellement toute la journée (toujours interrompus par le sommeil). Les crises n'apparaissent jamais au milieu des repas et tendent à disparaître si l'esprit est vivement fixé. On remarque que les bâillements continuels sont suivis de douleurs épigastriques à type de crampes et qu'ils ne provoquent que peu de larmes ou d'étirements.
 
Schizophrénie: comme nous l'avons souligné à propos de l'ennui et de la somnolence, le bâillement peut être considéré comme un signe d'attitude extravertie. Pour Lehmann (1979), sa présence chez le schizophrène indique un effort pour ne pas rompre avec le milieu extérieur et est un signe de pronostic favorable.
 
Causes toxiques Les bâillements accompagnent de manière caractéristique le sevrage morphinique (Boudouresques et al., 1965; Yamada et al., 1981) et ont été décrits, associés à des orgasmes spontanés, comme un effet secondaire exceptionnelde la prise de clomipramine (Harrisson et al, 1984).
 
Physiologie et mécanismes neurobiologiques du bâillement
Parmi les nombreuses théories qui se sont succédé, certaines ont essayé de cerner la finalité du bâillement, d'autres de dégager les mécanismes qui y conduisent. Nous ne conserverons que les théories relevant de la médecine moderne, sachant que de nombreux auteurs anciens se sont interrogés à ce sujet, aboutissant à des conceptions dont l'intérêt est surtout historique.
 
Pourquoi bâille-t-on ?
Les diverses hypothèses et théories visant à expliquer la fonction du bâillement peuvent être rangées en 4 catégories: Pour un premier groupe d'auteurs (Mayer, 1921, Barbizet, 1958), le bâillement n'aurait aucune conséquence physiologique sur l'organisme et resterait l'expression d'un état et non pas une réaction contre celui-ci. Son existence s'expliquerait par sa signif ication psychosociale de perte d'intérêt ou d'ennui, de la même manière que le rire et le pleurer trouveraient leur signification dans l'expression de la joie et de la tristesse. Un second groupe d'auteurs considère que le bâillement apparaît quand la circulation cérébrale est insuffisante pour maintenir un niveau de vigilance adéquat (Dumpert, 1921); il serait, en premier lieu, un acte respiratoire constitué d'une inspiration maximale ayant pour but d'augmenter l'oxygénation artérielle.
 
En deuxième lieu, il provoquerait un accroissement du retour veineux par l'association de trois facteurs: 1) la forte inspiration créant une dépression intrathoracique qui «aspire» le sang veineux jusqu'aux cavités droites; 2) la compression de l'abdomen, due à l'abaissement du diaphragme et à la contraction de la ceinture abdominale, qui chasse la réserve veineuse splanchnique dans la veine cave; 3) la contraction musculaire des membres qui accélère le retour du sang veineux. La meilleure oxygénation artérielle, le retour veineux accru et enfin l'augmentation de la fréquence cardiaque (cf. «Phénomènes circulatoires») permettraient une relance de la circulation systémique. Celle-ci privilégierait le SNC puisqu'on observerait une vasodilatation des territoires cérébraux et une vasoconstriction dans le reste de la circulation systémique. Malheureusement un accroissement de la circulation cérébrale au décours du bâillement reste spéculatif. En outre, la théorie d'une amélioration de l'oxygénation artérielle comme fonction du bâillement est invalidée par le travail récent de Provine et al. (1987b) montrant que l'inspiration d'un gaz à forte teneur en C02 augmente la fréquence respiratoire mais n'a aucun effet sur la fréquence de survenue du bâillement. Remarquons que certains auteurs (Heusner, 1946) ont pensé que la glande thyroïde pourrait être comprimée pendant le bâillement, induisant une décharge de thyroxine suivie d'une augmentation du métabolisme basal.
 
Pour un troisième groupe d'auteurs (Hauptmann, 1925; Salmon, 1948), le bâillement s'intègre initialement dans le complexe comportemental bâillement étirement, même s'il en est le plus souvent dissocié. Ce syndrome bâillement-étirement aurait pour but de combattre la diminution du tonus musculaire, lequel concourt à la baisse de l'activité des centres supérieurs. Par ailleurs, la plupart des auteurs s'accordent pour admettre l'existence d'une pression psychologique importante sur ce comportement. Le bâillement d'imitation est là pour l'illustrer. De plus, si vous vous amusez à mettre votre index dans la bouche de votre voisin qui bâille (ce qui risque de ne pas être dc son goût), vous constaterez que ce geste suffit pour interrompre brutalement le bâillement!
 
Une quatrième conception de la fonction de ce comportement, qui nous a été proposée par R. Verley, considère que le bâillement stimulerait, par la contraction massive des muscles massétérins, les structures responsables de l'activation corticale. Ce comportement associe d'une part un aspect ventilatoire pouvant être assimilé au soupir et d'autre part un aspect tonique temporo-mandibulaire. En effet, le bâillement n'est pas une simple ouverture de la bouche, mais une contraction simultanée des muscles antagonistes, les muscles masticateurs (fermeture de la bouche) et les muscles digastriques (ouverture de la bouche). Pendant cette contraction, généralement très puissante, les fuseaux des muscles masticateurs (masséters, temporaux, ptérygoïdiens internes), qui sont des récepteurs sensibles à l'étirement des fibres musculaires, envoient des influx par les fibres afférentes de la catégorie Ia, situées dans la racine mésencéphalique du trijumeau. Celles-ci forment avec les motoneurones des mêmes muscles une liaison monosynaptique (Lund et al., 1983). C'est la base du réflexe massétérin. Il est permis de supposer que ces fibres ont desprojections sur la formation réticulée et le locus coer-uleus qui sont situés anatomiquement à proximité du noyau trigéminal mésencéphalique. Le rôle de ces deux structures dans les mécanismes de l'éveil est bien connu. Le fait que l'amplitude du réflexe massétérin varie parallèlement au niveau de vigilance est un autre argument (Chase et al., 1968). Dans cette conception, le bâillement apparaît bien, par la stimulation de l'activité de la réticulée et du locus coeruleus, comme un réflexe de vigilance.
 
Comment bâille-t-on ?
Un autre aspect de la physiologie du bâillement est l'étude des mécanismes centraux y aboutissant. Ce domaine est exploré essentiellement par les psychopharmacologues. Grâce à leurs travaux, le nombre total d'articles sur le bâillement a plus que doublé depuis dix ans.
 
L'influence dopaminergique
On distingue actuellement trois types de récepteurs dans une synapse dopaminergique: les récepteurs D1, exclusivement postsynaptiques, couplés positivement à l'adénylate cyclase, et les récepteurs D2 couplés négativement à l'adénylate cyclase. Ces derniers sont de 2 types: les récepteurs D2 PoStsynaptiques à seuil élevé d'excitation et les autorécepteurs, présynaptiques, à seuil bas d'excitation, inhibiteurs de la libération dopaminergique. L'administration de faibles doses d'apomorphine (Mogilnicka et ai., 1977; Yamada et al., 1980; Holmgren et al., 1980; Urba-Holmgren et al., 1982), agoniste mixte D1-D2 ou de LY 171555 (Serra et al., 1987), agoniste sélectif D2 induit des bâillements répétés chez le rat. L'emploi de plus fortes doses fait disparaître ce comportement au profit d'une hypermotilité et de stéréotypies. Par contre un agoniste sélectif D1, le SKF 38393 (Serra et al., 1987), quelle que soit la dose, ne provoque pas de bâillements. Ceux-ci semblent donc être induits par la stimulation des récepteurs D2 à seuil bas d'excitation, c'est-à-dire les autorécepteurs, inhibiteurs de la libération dopaminergique. Confirmant ces résultats, l'administration de sulpiride ainsi que d'autres neuroleptiques antagonistes des récepteurs D2, à faible dose, inhibe les bâillements induits par l'apomorphine (Holmgren et al., 1980a; Yamada et al., 1981 ; Dubuc et al., 1982; Holmgren et al., 1985).
 
De manière surprenante, il semble que l'administration d'un antagoniste D1, le SCH 23390, inhibe également ces mêmes bâillements (Morelli et al., 1986; Serra et al., 1987), soulevant la question de la participation des récepteurs D1 dans l'apparition de ce comportement. Tout aussi paradoxalement, un prétraitement par la réserpine (Morelli et al., 1986; Serra et al., 1986. 1987), entraînant une déplétion catécholaminergique, potentialise l'effet de l'apomorphine à faible dose, remettant en cause l'hypothèse initiale du rôle des autorécepteurs et suggérant l'existence d'une population de récepteurs D2 postsynaptiques à seuil bas d'excitation. Il semble donc actuellement (Serra et al., 1987) que le bâillement puisse être induit par la stimulation de récepteurs de type D2, à seuil d'excitation bas, pouvant être soit des autorécepteurs, soit des récepteurs postsynaptiques, ayant tous deux la même sensibilité aux agonistes, liés fonctionnellement aux récepteurs D1 dont la stimulation serait indispensable pour qu'il y ait transmission du message. Dans tous les cas, il n'en reste pas moins vrai que les neurones dopaminergiques exercent une influence inhibitrice, en particulier sur les neurones cholinergiques (Guyenet et al., 1974; Okuyama et al., 1987), qui est levée par de faibles doses d'apomorphine (Holmgren et al., 1980; Anias et al., 1984).
 
Rôle des peptides hypothalamiques et hypophysaires
L'ACTH, l'alpha MSH et la bêta LPH sont des peptides hypophysaires qui, injectés en intrathécal chez le rat, provoquent l'apparition de bâillements répétés. Ce comportement est induit en fait par une même séquence peptidique commune correspondant à ACTH-(4-10): Met-Glu-His-Phe-Arg-TryGly (Gessa et al., 1966; Bertolini et al., 1981; Rodriguez-Sierra et al., 1981 ; Yamada et al., 1981). L'ocytocine, hormone synthétisée dans le noyau paraventriculaire de l'hypothalamus, est également inductrice de bâillements chez le rat (Argiolas et al., 1985). Les bâillements induits par l'apomorphine sont empêchés par l'hypophysectomie (Serra et al., 1983), ainsi que par la d(CH2),-Tyr (Me)- [Orn8iVasotocine, un antagoniste de l'ocytocine qui par contre respecte les bâillements induits par l'ACTH 1-24 (Argiolas et al., 1987). Argiolas et al. (1986), s'appuyant sur l'existence des fibres incertohypothalamiques dopaminergiques situées dans le noyau paraventriculaire et provenant du noyau A 14, formulent l'hypothèse que la libération d'ocytocine, dopamine-dépendante, stimule des neurones pituitaires à ACTH ou à alpha MSH, qui activeraient une structure cholinergique centrale. L'existence de cette voie cholinergique finale est suggérée par le fait que les bâillements induits par l'ocytocine sont inhibés par l'atropine (Argiolas et al., 1986).
 
L'influence sérotoninergique
est bien mise en évidence par les récents travaux de Okuyama et al. (1987). Ils montrent que le 5HTP, précurseur de la sérotonine, potentialise les bâillements induits par l'apomorphine et que l'administration locale d'une neurotoxine des neurones sérotoninergiques, la 5,7-DHT, dans le noyau raphé dorsalis (B7), provoquant une déplétion sérotoninergique de 35% dans le striatum, inhibe ces mêmes bâillements. La 5HTP ou la 5,7-DHT, administrées seules, n'ont pas induit de bâillement. Il y aurait donc une modulation présynaptique des systèmes dopaminergiques du striatum par les voies sérotoninergiques provenant du raphé dorsal.
 
Les interactions androgènes-opiacés
Les bâillements, spontanés ou pharmacologiquement déterminés (apomorphine, physostigmine, ACTH-(1-24), sont significativement plus fréquents chez les rats mâles que chez les femelles ou les mâles castrés. On ne retrouve plus aucune différence si on supplémente en testostérone ces animaux dépourvus de testicules (Holmgren et al., 1980; Berendsen et al., 1981). Parallèlement, la naloxone inhibe les bâillements pharmacologiquement induits chez les rats imprégnés en androgènes, mais n'a aucun effet sur les animaux castrés témoins, sans supplément androgénique (Berendsen et al., 1986). Ces résultats suggèrent un rôle permissif de la testostérone sur les structures déterminant les bâillements, lui-même soumis à l'influence des opiacés.
 
La voie finale cholinergique
Les agonistes muscariniques (pilocarpine et physostigmine) sont de puissants inducteurs de bâillements chez le rat. La scopolamine et l'atropine, antagonistes cholinergiques, empêchent les bâillements pharmacologiquement induits, quels que soient les agents utilisés: l'ocytocyne, l'ACTH-(1-24) (Argiolas et al., 1986), l'apomorphine et la physostigmine. Parmi les antagonistes des récepteurs incriminés dans les bâillements pharmacologiquement provoqués, seules l'atropine et la scopolamine inhibent les bâillements induits par la physostigmine (Holmgren et al., 1980; Yamada et al., 1980). Ces faits montrent que les voies cholinergiques sont le maillon obligatoire et commun à tous les mécanismes qui sous-tendent les bâillements phar,macologiquement provoqués. Certaines fibres cholinergiques constituent ainsi, dans l'enchaînement des éléments impliqués dans ce comportement, la voie finale commune venant activer une structure génératrice du bâillement. Les structures anatomiques A la lumière des faits exposés, nous pouvons distinguer deux enchaînements différents de médiateurs aboutissant à la voie cholinergique finale activant la structure génératrice de bâillements. Une première cascade a déjà été décrite, impliquant le noyau A 14 dopaminergique, le noyau paraventriculaire de l'hypothalamus à ocytocine et la glande pituitaire avec l'ACTH et l'alpha MSH. Le deuxième enchaînement, plus court, met en jeu une voie dopaminergique modulant directement la voie cholinergique finale. Holmgren et al. (1985) suggèrent que la voie dopaminergique est mésolimbique (du noyau A 10 au septum) et que la voie cholinergique est septohippocampique. Ils justifient cette hypothèse en rappelant que cette connexion existe bien puisqu'une destruction spécifique des neurones dopaminergiques, par l'injection de 60HDA dans l'aire tegmentale ventrale (AIO), provoque un accroissement du turnover cholinergique hippocampique et que le même résultat est également obtenu après injection intraseptale d'halopéridol. L'hypothèse du rôle de la voie septo-hippocampique est validée par le fait que l'injection intrathécale d'AC'TH-(1-24) augmente le turnover cholinergique hippocampique.
 
Par ailleurs, Okuyama et ai. (1987) apportent des éléments mettant en évidence le rôle de la voie nigrostriatale dopaminergique. Une microinjection intrastriatale bilatérale d'apomorphine (et non pas de physostigmine) induit des bâillements chez le rat. Etant bien établi (Guyenet et al., 1974) que les neurones dopaminergiques nigrostriés font relais dans le striatum avec des fibres cholinergiques, Okuyama apporte une alternative sérieuse à l'hypothèse mésosepto-hippocampique de Holmgren. Evolution ontogénétique chez le rat Holmgren et al. (I 980a) ont comparé la capacité de l'apomorphine et de la physostigmine à induire des bâillements chez le rat en fonction de l'âge. L'efficacité de la physostigmine est maximale peu de temps après la naissance et décroît ensuite rapidement, devenant largement inférieure à celle de l'apomorphine après l'âge de 15 jours. Quant à l'efficacité de l'apomorphine, elle est identique à celle d'une solution saline jusqu'au 7e jour, puis s'élève ensuite de manière importante. Les auteurs considèrent donc que les voies cholinergiques ont une maturation précoce et les voies dopaminergiques une maturation tardive.
 
Variations circadiennes
Il a été imposé à des populations de rats des cycles lumière-obscurité identiques, puis différents des cycles journuit naturels (Holmgren et al., 1980a; Anias et al., 1984). L'expérience, répétée à plusieurs périodes du cycle annuel, a montré que la fréquence des bâillements était significativement plus élevée pendant la dernière heure de lumière que pendant le reste du nycthémère. Ce résultat conduit à l'hypothèse selon laquelle le passage lumière-obscurité est le synchroniseur dominant du rythme circadien du bâillement. Les auteurs comparent ensuite cette variation circadienne à celle de la libération cholinergique et dopaminergique; les concentrations cérébrales en acétylcholine sont les plus basses lors des dernières heures du jour. Une concentration cérébrale basse correspondant à un haut niveau de libération synaptique (quand l'acétylcholine est détruite par la cholinestérase), il s'ensuit que l'acétylcholine a le plus fort taux de libération synaptique pendant la période riche en bâillements. Il a été également montré que le turnover dopaminergique est le plus bas lors des dernières heures du jour, et donc qu'il est libéré moins de dopamine pendant le pic de fréquence de bâillements. Il est satisfaisant de constater que les variations circadiennes cholinergiques et dopaminergiques concordent avec celles de l'apparition du bâillement chez le rat. Provine et al. (1987a) ont étudié les relations entre bâillement et étirement chez l'homme, en demandant à 64 étudiants de consigner, sur un calendrier préétabli, les horaires de ces deux comportements pendant 7 jours. Ils ont constaté que les bâillements sont plus nombreux au cours de l'heure qui suit le réveil et de celle qui précède l'endormissement et qu'ils sont plus fréquemment associés à des étirements le matin.
 
Conclusion
 
Les psychopharmacologues étudient les voies neuronales qui sont sans doute en jeu dans l'action des molécules induisant un syndrome comportemental dont le bâillement fait partie. L'intérêt de ces chercheurs pour le bâillement est motivé par le désir de disposer d'un signe objectif traduisant la mise en activité d'un certain circuit neuronal, pour pouvoir ainsi affirmer, par une constatation clinique simple, l'impact d'une substance donnée sur tels ou tels récepteurs. Après nous être largement étendus sur les résultats de la psychopharmacologie, il nous faut insister sur les limites de leur application pour la compréhension du bâillement physiologique de l'homme. Les caractéristiques anatomo-biochimiques de celui-ci pourraient différer de celles du bâillement pharmacologiquement induit du rat. Il ressort de cette revue de la littérature que le bâillement est souvent compris comme un « réactivateur» de la vigilance. Mais alors qu'habituellement une augmentation du niveau de vigilance s'accompagne d'une croissance parallèle de l'anxiété et d'un état d'excitation, dans le cas qui nous occupe tout se passe bien autrement. En effet, tout le monde est témoin que le bâillement s'accompagne et est suivi d'un état de détente caractéristique, de mise à distance provisoire des soucis. Ecoutons Alain qui écrit dans ses Propos sur le bonheur que le bâillement est « comme une reprise de santé », qu'il « se communique par l'abandon du sérieux» et qu'il est « une emphatique déclaration d'insouciance ». Il dit encore: « Par le bâillement, toutes les pensées sont mises en fuite.» Le bâillement ne serait-il pas un comportement anxiolytique ou « antistress » qui aurait la particularité de ne pas diminuer - et même d'augmenter - le niveau de vigilance?
 
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