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Biographies de neurologues
 
Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière
 
 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
 
 
 
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mise à jour du
 16 décembre 2004
Le Concours Médical
1958; 80; 5; 537-548
Le bâillement
Jean Barbizet
 
cet article en pdf

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-Barbizet J Yawning J Neurol Neurosurg Psychiat 1958; 21; 203-209
-Barbizet J Le bâillement Le Concours Médical 1958; 80; 5; 537-548
-Barbizet J Bâillement et vigilance Revue de gérontologie juin 1959
 Vidéo d'un bâillement typique, référence
 
Qui ne bâille enfant, homme ou vieillard ?
 
Et pourtant celui qui, curieux d'en savoir plus que la définition donnée par les dictionnaires : « profonde inspiration involontaire avec la bouche largement ouverte », feuilletera les manuels de physiologie ou de psychologie contemporains à la recherche d'une étude complète de cette activité psychomotrice si courante, le fera en vain.
 
A mi-chemin entre le réflexe automatique et le mouvement expressif, le bâillement mérite sans doute mieux. Cela a été, du moins, l'avis de nombreux auteurs qui ont, depuis Hippocrate, accordé leur attention à ce geste banal.
 
Trautmann dans une excellente thèse sur le bâillement soutenue à Bordeaux en 1901, nous fournit un historique documenté et érudit où apparaissent les opinions d'Hippocrate Galien; Oribase; Sanctonus Fernel (1610); Kruger (1627); Sennert (1666); Boerhaave (1680); Gartner (1736); Albertini (1737); Gunz (1738); Czerniewski (1749); Buchner (1758); Roederer (1759); Holler (1766); Walther (1775); Double (1817) Adelon (1821); Rotmund (1824); Richerand (1825); Müller (1851) Monneret (1861); Longet (1868); Dechambre et Charcot sur un des aspects ou l'ensemble du problème du bâillement.
 
Le XXe siècle a connu aussi de nombreux travaux sur le bâillement. Citons notamment ceux d'Hauptmann (1920 ; Dumpert (1921); Mayer (1921); lnsabato (1928); Peiper (1932); Moore (1942); Salmon (1948) Isolons la bonne revue critique de A. P. Heusner (1946) et celle de Boudouresques (1950).
 
Comme on le voit, il ne s'agit pas d'un sujet neuf, mais en existe-t-il en médecine ?
 
Avant d'aborder l'étude physiologique du bâillement, arrêtons-nous un instant aux problèmes qu'il pose au point de vue de l'étymologie et de la physiologie comparée.
 
Bâiller dériverait (d'aprèsTrautmann) du latin belare = bêler, probablement à cause du bruit qui l'accompagne, ou du bas latin badare = bâiller.
 
Le bâillement s'observe couramment chez les primates et les carnassiers, s'accompagnant alors souvent d'étirement. Par contre, on ne l'observe pas chez les herbivores. Il est difficile de préciser la signification et les liens avec le bâillement, des mouvements d'ouverture de la bouche observés chez les poissons, les amphibiens et les reptiles. Il en est de même pour les mouvements d'ouverture du bec avec battement des ailes des oiseaux.
 
Analyse du bâillement
 
Le bâillement est un mouvement respiratoire involontaire et paroxystique. Il s'agit d'une activité motrice complexe se déroulant dans un ordre donné, toujours le même, et dans lequel on peut distinguer 3 phases : la 1ère est active, inspiratoire ; la seconde correspond à l'acmé du bâillement ; la troisième est passive, expiratoire. Leur durée respective est de 1,5 à 4" ; 1 à 2 " ; 1,5 à 4", un bâillement durant en moyenne de 4 à 7". L'analyse des mouvements d'un sujet qui bâille peut se faire par l'inspection clinique, par l'examen laryngoscopique et par l'étude des radiographies en série prises toutes les 1/2 secondes, telle que nous l'avons réalisé à l'hôpital St-Antoine avec le Docteur J. Chalut,
 
Lors de la première phase, on constate l'ouverture progressive de la bouche, la dilatation du carrefour pharyngo-laryngé, la dilation du thorax et l'abaissement du diaphragme.
 
-L'ouverture de la bouche se fait lentement ; elle n'est qu'à moitié ouverte lorsque le temps pharyngolaryngé est déjà à son acmé. C'est alors que chez des sujets prédisposés, peut survenir une luxation de la mâchoire.
 
-L'abaissement de l'axe aérien du cou est évident par la simple inspection qui montre l'abaissement du cartilage thyroïde. Les radiographies l'objectivent mieux encare, montrant que le corps de l'os hyoïde situé au repos, en regard de C2 ou C3 descend jusqu'au niveau de C6 ou C7. Cet abaissement de l'os hyoïde explique l'atitude de la langue qui est attirée en arrière et en bas, la pointe s'éloignant beaucoup des arcades dentaires qu'elle touche normalement. La dilatation de la glotte et l'abduction des cordes vocales peuvent être constatées lors d'un examen laryngoscopique suffisamment patient pour saisir un bâillement spontané. Les radiographies en série nous ont montré qu'il existait une dilatation énorme et insoupçonnée du pharynx qui triple ou quadruple de volume. Le pharynx, le larynx, la trachée et aussi les bronches-souche apparaissent sur les clichés dilatés à l'extrême.
 
-L'élargissement de la cage thoracique dans tous ses axes et l'abaissement du diaphragme ne diffèrent en rien de ce qu'on observe lors d'une inspiration profonde volontaire.
 
L'importance et les caractères de la dilatation pharyngo-Jaryngée nous paraissent devoir être soulignés. Alors que l'ouverture de la bouche et l'inspiration profonde se produisent dans bien des circonstances en dehors du bâillement, l'énorme dilatation pharyngée avec abaissement de l'os hyoïde et de la langue ne s'observe que dans le bâillement.
 
Il est à noter que le bruit inspiratoire du bâillement se produit dans le palais et l'isthme du gosier. Il ne s'agit pas d'un bruit glottique, la glotte étant dilatée au maximum à cette phase.
 
La deuxième phase du bâillement correspond à l'acmé des mouvements d'ouverture de la bouche, de la dilatation pharyngée et thoracique. C'est alors qu'apparaissent le plus nettement les modifications faciales qui ont débuté à la fin de la première phase.
 
La contraction des dilatateurs des lèvres exagère l'ouverture de la bouche. Les constricteurs des paupières entrainent une occlusion partielle ou totale des yeux. Les narines sont dilatées. La peau de la base du nez se fronce. Parfois, le front se plisse et les sourcils s'élèvent. A cette phase on peut aussi constater un certain degré de contraction tonique des muscles extenseurs du cou et du tronc. Elle peut s'étendre aussi aux membres, les bras se portant en élévation et en abduction, les membres inférieurs en hyperextension. Cet étirement qui est loin d'être constant a pour résultat d'augmenter la capacité thoracique, ce qu'il est aisé de vérifier en s'étirant après avoir bloqué son thorax en inspiration maximale.
 
Des phénomènes sécrétoires peuvent aussi survenir alors lacrymation, et plus rarement salivation.
 
La troisième phase est passive, brusquement l'inspiration cède, l'expiration est assez lente, bruyante, accompagnée d'un son vocal en «aahn» d'origine laryngée. Le pharynx reprend son volume normal, la bouche se ferme, le faciès retrouve son aspect habituel.
 
Cet ensemble de mouvements complexes et synergiques peut résumer tout le bâillement. Mais celui-ci peut s'accompagner d'autres mouvements qui l'accusent ou le minimisent. C'est ainsi que l'on peut exagérer un bâillement et en quelque sorte le souligner en s'étirant, en modulant le son expiratoire ou en exécutant des mouvements rythmiques de latéralité avec la mandibule. A l'inverse, on peut tenter de masquer le bâillement dans certaines circonstances où il est socialement réprouvé. Le sujet porte la main à son visage, masquant de sa paume l'ouverture de la bouche. Il peut aussi réprimer le bâillement, c'est-àdire en arrêter dans une certaine mesure l'expression motrice en immobilisant son faciès, en s'opposant à l'ouverture de la bouche et en contrôlant son mouvement expiratoire. Mais malgré sa bonne volonté, le bâilleur est trahi par sa mimique et le bâillement «étouffé» n'échappe pas à l'observateur attentif. On peut remarquer que dans ce cas le bâillement peut être réduit à sa composante pharyngée soulignant encore l'importance de ce temps dans le complexe moteur du bâillement.
 
Un certain nombre d'explorations physiologiques ont pu être faîtes au cours du bâillement. Elles apportent une maigre récolte de faits accélération minime du rythme cardiaque à la phase inspiratoire, baisse nette de l'indice oscillométrique capillaire au niveau des doigts, phénomène banal puisqu'on l'observe également lors de l'inspiration profonde (P. Heusner). L'EEG. pratiqué bu cours du bâillement est interprétable du fait des mécanogrammes et des myogrammes.
 
Au point de vue évolutif, il est remarquable qu'un bâillement est rarement isolé. Le plus souvent ils surviennent par courts accès de 2 ou 3, d'intensité inégale et souvent croissante, séparés, chacun, par quelques respirations normales. Parfois les bâillements vont se répéter, à intervalles irréguliers, pendant plusieurs minutes.
 
 
Bâillement et étirement
 
Il s'agit de deux activités très souvent mais non toujours associées, l'étirement se greffant à la 2e phase du bâillement. Chez le nourrisson et chez l'animal, ces deux actions s'observent fréquemment ensemble. Chez l'homme, l'étirement accompagne plus volontiers les bâillements du réveil que ceux de l'endormissement, et l'association de ces deux activités est loin d'être constante, et le bâillernent, même en dehors des cas où les circonstances sociales ne permettent pas de le souligner par un étirement, est le plus squvent isolé. De même, l'étirement qui se produit après une longue pause dans la même attitude ne s'accompagne pas forcément de bâillement. Ces faits permettent de ne pas accorder tout à fait la même valeur physiologique à ces deux actes, notamment, on le verra plus loin, en ce qui concerne leur valeur fonctionnelle.
 
 
Les causes declenchantes du bâillement
 
 
Elles sont nombreuses, on peut les classer sous trois chefs.
 
Causes physiologiques
 
A. - La somnolence. Elle doit occuper la premiere place. Les hommes, les animaux bâillent à l'approche du sommeil. Il en est de même pour la période du réveil qui est marquée chez certains individus par des bâillements et des étirements répétés.
 
B. - L'ennui est une cause fréquente. Il peut naître de circonstances diverses. Une conversation fastidieuse, un conférence monotone, une lecture peu captivante font bâiller. L'ennui est intimement lié au désintérêt dont le rôle est primordial dans la génèse du bâillement. Nous y reviendrons plus loin.
 
C. - Le fait de voir bâiller. « Interdum tamen sola imaginatio ositationis causa est. Cum enim qui videt alium oscitare, ipse quoque ad oscitandum invitatur », notait Sennert en 1666. Un bon bâilleur en fait bâiller sept, dit le dicton populaire.
 
La contagion du bâillement est facile à vérifier en bâillant dans un groupe averti ou non de votre intention. De nombreuses explications ont été proposées. Richerand, puis Lepelletier soutiennent que c'est la mémoire du soulagement que procure le bâillement qui nous porte involontairement à répéter cet acte toutes les fois qu'une autre personne l'exécute devant nous. Pour Adelon, le bâillement par imitation tient aux connexions qui unissent les différentes parties nerveuses, et à une prédisposition particulière qu'ont les nerfs des muscles inspirateurs à réagir à des impressions reçues par certains points de l'organisme. Müller aussi, développe une théorie associationiste, insistant sur le fait que l'enchaînement des idées et des actions peut devenir aussi intime que celui des idées entre elles.
 
La contagion du bâillement n'est qu'un exemple des multiples actes que l'on fait par imitation, assez souvent inconsciemment : répéter un air fredonné ou sifflé ; baisser ou hausser l'intensité de la voix en accord avec celle de l'interlocuteur ; sourire à un sourire ; répondre à une grimace par une grimace. De même, des actes expressifs comme le rire ou le pleurer sont dans certaines circonstances contagieux. Il y a dans ces mécanismes associatifs encore bien des inconnues. Cependant, cette possibilité d'associer deux stimulations, deux comportements, deux idées, est à la base même de nos mécanismes d'apprentissage, et le bâillement - par imitation ne constitue qu'un cas particulier dons un ensemble de gestes imitatifs. En tous cas, qu'un bâillement puisse être provoqué par la vue d'un bâillement chez autrui apporte la preuve dans dette variété de bâillements, de l'intervention du cortex cérébral, notamment occipital, dans le circuit neuronal de l'acte de bâiller.
 
D. - Le fait de bâiller. Il est possible de parvenir à se faire bâiller. Pour cela, 4 à 5 inspirations profondes, la bouche grande ouverte, imitant le bâillement spontané suffisent souvent. Une fois le bâillement spontané survenu, il sera rarement unique, et dans le quart d'heure suivant de nouveaux bâillements isolés ou en accès vont se reproduire.
 
Le passage d'un acte volontaire à un acte paroxystique involontaire est difficile à interpréter sur des bases purement associationistes, et l'on peut se demander dans quelle mesure le fait de bâiller volontairement n'a pas, par un mécanisme qu'il reste à préciser, modifié ['excitabilité des neurones, préparant ainsi la décharge paroxystique et involontaire. Ce mécanisme interviendrait dans la répétition des bâillements quelle que soit leur cause initiale,
 
 
E. - La faim et, au contraire, la plénitude survenant après un repas copieux, sont couramment tenues pour responsables de bâillements isolés dans le premier cas, associés à une somnolence dans le deuxième. Chez certains sujets pléthoriques ces bâillements post-prandiaux peuvent constituer une gêne qui les pousse à consulter.
 
F. - Le bâillement enfin survient avec une particulière fréquence dans certains états la fatigue physique, la grossesse.
 
Causes pathologiques
 
L'atteinte du tronc cérébral s'accompagne fréquemment de bâillements, qu'il s'agisse d'une lésion à l'intérieur du tronc cérébral (hémorragie, ramollissement, tumeur), et à ce propos rappelons que la somnolence est un signe d'atteinte pédonculaire (J. Lhermitte), ou d'un retentissement sur l'axe nerveux d'une tumeur de la fosse postérieure.
 
Si les bâillements sont fréquents et intenses au cours des tumeurs frontales (Delmas-Marsalet), temporales et au cours des hémorragies intrahémisphériques, c'est encore sans doute par l'intermédiaire du tronc cérébral comprimé du fait de l'hypertension intracrânienne et d'un engagement temporal. A ce titre donc, le bâillement, dans tous ces cas, a la valeur d'un signe d'atteinte bulbaire. Il est de mauvais pronostic.
 
Au cours de processus encéphalitique diffus le bâillement n'est pas rare. Des crises fréquentes de bâillement ont été observées au cours des encéphalopathies éthyliques de la paralysie générale (Vergely).
 
Le bâillement est une des nombreuses séquelles respiratoires observées au cours de l'encéphalite léthargique à côté des soupirs et des hoquets spasmodiques. Sicard et Paraf, Critchley et Turner ont ainsi rapporté des observations de bâillement et de bêlement (Gaping) spasmodiques. Rapprochons-en les bâillements des choréiques.
 
Le bâillement peut s'observer aussi dans certaines variétés d'épilepsie.
 
Pour Wilson, il constituerait une aura des crises viscérales.
 
Penfield et Jasper rapportent deux observations de bâillement, élément d'une crise diencéphalique autonome. Particulièrement instructive est leur observation d'une femme de 29 ans ayant un astrocytome occupant le lobe temporal gauche et la partie inférieure du corps strié jusqu'à la paroi du IIIe ventricule, dont les crises débutaient brusquement par une douleur occipitale s'accompagnant de bâillements et de hoquet ; en même temps s'engourdissaient le bras gauche et la partie gauche de la bouche. La crise se terminait par un besoin d'uriner.
 
Des lésions spinales hautes peuvent aussi déclencher des bâillements, comme chez ce malade de D. Furtado, atteint d'une poliomyélite bulbo-spinale qui bâillait à chaque abduction passive de l'une ou l'autre épaule.
 
Le bâillement a été décrit avec abondance dans les manifestations de l'hystérie. (Charcot, Déjerine, Trautmann).
 
Salmon attire l'attention sur la possibilité de crises de bâillement dans la myasthénie et cite è l'appui un cas personnel et un cas d'Albertoni. Il note l'action de la prostigmine qui arrête les bâillements.
 
Le bâillement serait encore un signe observé au cours des anémies, des hémorragies, des pyrexies. C'est également un symptôme courant au cours des affections digestives, au cours desquels il est noté sans que les auteurs aient beaucoup cherché à en préciser le mécanisme.
 
La morphine, les barbituriques, et d'une façon générale les hypnotiques favorisent l'apparition du bâillement. L'action de ces drogues sur les centres de la vigilance est d'un intérêt certain dans l'interprétation du mécanisme du bâillement.
 
 
Bâillement et stimulations cérébrales
 
De ces causes naturelles de bâillement, on peut rapprocher le bâillement induit expérimentalement par des stimulations intracérébrales. Nous ne connaissons pas d'étude de stimulation intracérébrale concernant directement le bâillement. Par contre, des bâillements ont pu être observés et notés dans certains protocoles; c'est ainsi que W.-R. Hess (1938), stimulant la substance intralaminaire du thalamus et le subthalamus postérieure a pu provoquer chez le chat le sommeil précédé de bâillements.
 
Les expériences de Passouant, Passouant-Fontaine et Cadilhac (1956) sur la stimulation du rhinencéphale et en particulier de la corne d'Ammon mentionnent aussi le bâillement. La crise induite se fait en 3 temps pendant la stimulation réaction de fuite ; pendant la post-discharge, état de malaise avec diminution de la vigilance. Puis survient la troisième phase: l'animal se lève, se lèche, ronronne. Ce comportement de bien-être se prolonge pendant plusieurs minutes, et parfois il se couche, s'étire, bâille et s'endort. Le sommeil peut se produire 3 à 5 minutes après la fin de la post-discharge. L'enregistrement de l'hippocampe montre qu'il est précédé de pointes brèves et survoltées.
 
Il est bien évident que dans ce cas, le bâillement n'est qu'une manifestation tardive et indirecte de la stimulation. Néanmoins, il faut retenir qu'il s'intègre dans un comportement de bien-être et d'endormissement qui, s'oppose à la réaction de fuite contemporaine de la stimulation. Le fait que le bâillement puisse s'observer !ors des stimulations portant sur le rhinencéphale ou l'hypothalamus - formation en rapport étroit avec le système réticulé ascendant dont on connaît le rôle dans le mécanisme de la vigilance est à souligner.
 
Physiologie du bâillement
 
A. - Les théories classiques
  
Si les aspects cliniques et les causes déclenchantes du bâillement sont bien connus, son mécanisme physiologique est mal élucidé ainsi que sa signification. Ce ne sont cependant pas les interprétations qui manquent.
 
Le rôle cathartique du bâillement expulsant les vapeurs qui ont été retenues est déjà exprimé par Hippocrate. Russel, en 1891, dans une monographie consacrée au bâillement montre que cette idée n'avait rien perdu de sa force ou XIXème siècle, le bâillement étant présenté comme une impulsion automatique chargée d'expulser le mauvais air du poumon. Russel ajoute que cette gymnastique a pour double fonction d'activer les organes respiratoires et de stimuler le cerveau en augmentant la circulation.
 
A côté de ces interprétat'ans fantaisistes, un certain nombre de théories ont été avancées qui peuvent être classées en deux groupes selon que le bâillement est considéré comme une réaction ou comme une perturbation primitive.
 
Dans le premier groupe, le bâillement est considéré comme un mécanisme régulateur, au même titre, par exemple, que le frisson est tenu comme une réaction motrice s'opposant au refroidissement de l'organisme. Cependant l'accord ne semble pas être fait sur la nature et les mécanismes de cette régulation.
 
Hauptmann, en 1920, suggère que le bâillement et l'étirement s'opposent à l'hypotonie musculaire qui, avec l'ennui, est la conséquence de l'inactivité des centres cérébraux supérieurs.
 
Salmon (1948), soutient aussi que le bâillement est une réaction automatique des muscles respratoires provoquée par l'hypotonie des nerfs respiratoires bulbaires et l'hypotonie qui accompagne le sommeil.
 
Mais c'est Dumpert (1921) qui a poussé le plus loin l'hypothèse du bâillement réactionnel. Pour lui, le bâillement surviendrait quand la circulation cérébrale ne serait plus suffisante pour maintenir l'état de veille ou de vigilance. Le bâillement et l'étirement augmenterait le retour veineux au coeur, ceci : en comprimant les veines du tronc et des membres ainsi que les veines splanchniques ; en diminuant la pression intrathoracique. L'hypertension veineuse qui en résulterait entraînerait un accroissement du débit cardiaque (réflexe de Bainbridge) et par conséquent améliorerait des tissus. La circulation cérébrale surtout bénéficierait de cet accroissement circulatoire, les afférences sensitives émanées des muscles étirés poduisant, toujours pour Dumpert, une vaso-constriction systématique et une vasodilatation des artères cérébrales. Ainsi, l'étirement, et à un moindre degré le bâillement, produiraient en définitive une augmentation de la circulation sanguine suffisante pour le maintien de l'état de veille.
 
Citons encore, parmi les rôles réactionnels du bâillement, cette hypothèse rapporté par Heusner, d'une sécrétion de thyroxine commandée mécaniquement par compression de la glande thyroïde lors du bâillement.
 
A côté de ces théories résolument finalistes, certains auteurs négligeant les conséquences physiologiques du bâillement, le considèrent comme un accident lié pour Mayer à une expression de la fatigue cérébrale comme le pleurer et le rire sont l'expression du chagrin et de la joie.
 
Pour Peiper, le bâillement est un trouble transitoire des centres respiratoires, la fatigue produisant une diminution de l'excitabilité des centres respiratoires supérieurs libérant ainsi les centres sous-jacents du bâillement.
 
Ces théories, sans être totalement contradictoires, font cependant appel à des précisions physiologiques invérifiées, comme par exemple l'augmentation de la pression veineuse pendant le bâillement, ou la diminution du débit cérébral sanguin lors de la chute de la vigilance. Elles laissent, par contre, dans l'ombre certains aspects du réflexe psycho-moteur qu'est le bâillement.
 
Peut-on tenter à la lueur de nos connaissances psycho-physiologiques actuelles, de préciser les divers aspects du mécanisme du bâillement, en soulignant les lacunes qui devront suggérer des expérimentations ultérieures ?
 
 B. - Essai sur le mécanisme du bâillement
 
1°) Le bâillement est un acte respiratoire complexe, involontaire et paroxystique. Sous l'effet d'un certain nombre de facteurs, se déroule, toujours dans le même ordre, une activité motrice brève (4 à 7 secondes), mettant en jeu un grand nombre de muscles thoraco-cervico-faciaux. Ceci évoque une activité critique se propageant de proche en proche dans un circuit neuronal donné. Connaissant les muscles qui participent au bâillement, il est possible de préciser que les noyaux moteurs intéressés siègent dans le bulbe et la moelle cervicale.
 
On peut donc penser que la crise motrice que représente le bâillement, est liée à une décharge paroxystique intéressant un certain nombre de noyaux moteurs situés dans le bulbe et la moelle cervicale haute. L'extension de cette décharge aux noyaux des muscles du tronc et des membres entraInant l'étirement.
 
Il est difficile de préciser davantage notamment s'il existe une hiérarchie dans cette structure neuronale qui permettrait de parler de « centre du bâillement ».
 
Par contre, il y a tout lieu de supposer que cette structure contracte des rapports étroits avec le système réticulé ascendant et avec le cortex cérébral.
 
a) Le système réticulé ascendant est une structure neuronale étagée dans le tronc cérébral et l'hypothalamus. L'électrophysiologie a permis de montrer quelle règle le degré de la vigilance (découverte que l'on doit entre autres à Magoun, Moruzzi, Jasper). L'état d'alerte s'affaisse dans le sommeil et les états pathologiques apparentés somnolence, torpeur ne disparaissant complètement que dans le coma profond. Il s'exalte au contraire à des degrés variables suivant l'intensité des stimulations et sans doute l'étendue des mécanismes nerveux mis en action. Il n'est pas nécessaire de souligner les liens entre le bâillement et le sommeil, et nous verrons le rôle important que l'on, peut attribuer à ce système régulateur de la vigilance dans la genèse du bâillement.
 
b) La participation du cortex cerebral parait incontestable lorsque le bâillement est le résultat d'activité psychiques aussi complexes que l'imitation ou l'ennui. Il n'est pas sans intérêt à ce propos de rappeler les travaux de French et coll. (1955) qui ont prouvé que les afférences parties du cortex retentissaient sur le système réticulé ascendant.
 
2°) Si l'on s'en tient à cette hypothèse qu'il conviendrait de vérifier notamment par l'enregistrement de l'activité neuronale des noyaux moteurs mis en jeu dans le bâillement par des électrodes intra-bulbaires (l'E.G.G. simple ne pouvant donner aucun renseignement), il faut répondre à la question suivante
 
Quels sont les facteurs responsables de cette décharge paroxystique dans cette structure motrice bulbo-médullaire ?
 
a) Les facteurs circulatoires et humoraux
 
ils doivent être discutés en premier car ce sont eux qui ont été le plus souvent avancés, cependant sans données expérimentales précises.
 
• On a invoqué le rôle possible d'une anoxie bulbaire ou de modifications passagères du rapport CO2/02. Ce mécanisme très vraisemblable dans les lésions du tronc cérébral est moins évident lors du bâillement physiologique. Nous manquons de données précises à ce sujet, mais l'on peut observer que l'apnée volontaire, même prolongée, n'entraîne pas de bâillements.
 
• Une variation de la circulation cérébrale bulbaire qui aboutirait aussi à une anoxie partielle n'est pas plus démontrée, bien au contraire, on connaît le rôle du nerf de Héring et du sinus carotidien dans la régulation de la circulation encéphalique et la constance de celle-ci. D'autre part, on n'observe pas de bâillement lorsque la circulation cérébrale est insuffisante comme dans les accès paroxystiques de bradycardie au cours du syndrome de Stokes-Adam.
 
• Le rôle de modifications humorales est aussi avancé par certains. Le bâillement et la somnolence post-prandiale étant mis sur le compte dune vague d'alcalose ou dune décharge de polypeptides ou de lipides, d'origine digestive ou encore de métabolites intermédiaires lors de la fatigue musculaire. Cramer (1924) notant la fréquence des bâillements chez les colitiques, rendait responsable une auto-intoxication par les toxines bactériennes intestinales. En fait, pas plus que l'on a réussi à démontrer l'existence d'un facteur hypnotique d'origine endogène, on n'a pu faire la preuve d'une substance endogène provoquant le bâillement.
 
• La pharmacodynamie nous fournit par contre des drogues qui facilitent l'apparition du bâillement et de la somnolence, telles que la morphine et les hypnotiques. On connaît par ailleurs l'action de ces substances sur le système réticulé ascendant qu'elles dépriment alors que des drogues telles que la caféine et les amphétamines ont un effet inverse.
 
Ainsi, si le bâillement peut être induit pharmacodynamiquement, on n'a pas de preuve formelle sur le rôle des perturbations circulatoires ou humorales dans la genèse du bâillement. On doit souligner que si de telles perturbations existaient cependant, ce qui demeure possible et qui doit fournir l'objet de recherches ultérieures, elles ne pourraient avoir qu'un rôle favorisant, leur durée excédant nettement celle du bâillement qui, par ailleurs peut, par exemple dans le post-prondium, apparaître ou non selon les conditions psychologiques où se trouve le sujet.
 
b) Rôle des stimulations psycho-sensorielles
 
En dehors du bâillement par imitation, dont nous avons discuté plus haut le mécanisme sur lequel nous ne reviendrons pas, le bâillement spontané est aussi fortement influencé par l'environnement, il en est de même pour le sommeil et l'on connaît le rôle du désintérêt dans la genèse de ces deux phénomènes.
 
Nous avons déjà insisté sur le rôle de l'ennui et du désintérêt comme causes provoquantes du bâillement. A l'inverse, on ne bâille pas et, si l'on somnolait, on se réveille quand survient brutalement un fait nuveau, stimulation physique ou choc affectif qui relance l'attention. A-t-on jamais vu quelqu'un bâiller au moment où il apprend le résultats d'un examen important ou la nouvelle d'un accident grave survenu à un proche ? Le bâillement ne survient que dans des conditions psychologiques d'indifférence, de désafférence avec l'entourage.
 
Connaissant le rôle du système réticulé ascendant dans le mécanisme de la vigilance, nous formulons l'hypothèse suivante : Le bâillement est une décharge dans une structure motrice bulbo-cérébrale, déclenchée par un état d'excitabilité particulière du système réticulé ascendant correspondant à une baisse de la vigilance précédant l'état de sommeil.
 
Cette hypothèse qui s'accorde avec les constatations neurophysiologiques et pharmacodynomiques explique que le bâillement puisse s'observer lors de l'endormissement comme lors du réveil. Dans notre conception, le bâillement apparaît comme une manifestation physique d'une baisse de la vigilance. L'on peut rapprocher cette crise motrice paroxystique de l'hypotonie musculaire observée pendant le sommeil. Il exprime un état et ne constitue pas un mode réactionnel contre cet état. Il n'aurait donc pas de rôle physiologique. Le bâillement, on le sait, en effet, entraîne le bâillement, et non pas un regain d'intérêt. Nous pensons qu'il faut, à cet égard, séparer le bâillement de l'étirement, celuici ayant peut-être une action de «mise en train» quil faudrait préciser.
 
Sans utilité physiologique, le bâillement a néanmoins une signification ; il traduit un état de désintérêt. Or, cette conception psycho-physiologique appelle certains développements sur la phénomènologie et la valeur sociale du bâillement.
 
Dans la mesure, en effet, où il reflète le désintérêt et l'ennui, le bâillement a un valeur mimique expressive. L'intérêt, et partant le désintérêt que nous avons pour l'environnement, dépendent certes des conditions immédiates de cet environnement. L'intérêt d'un sujet sera très diversement éveillé suivant qu'il sera dans le calme, l'obscurité, le silence ou qu'au contraire il subira des stimulations sensitives ou psychiques vivaces. Cependant, son intérêt va dépendre aussi, et pour une part non négligeable, de sa personnalité et de ses acquisitions antérieures, quelques exemples illustreront cette thèse : un collectionneur portera un intérêt tout particulier à des spécimens qui lasseront vite le profane. Il en est de même d'une conversation sur un sujet spécialisé peu connu ou à propos d'un tiers que l'on ne connaît pas. L'intérêt est conditionné par notre formation familiale, scolaire, professionnelle, sociale, linguistique (le fait de ne pas comprendre une conversation étrangère amène à s'en désintéresser), affective, etc.
 
L'on peut prévoir dans une certaine mesure ce qui plaira ou ennuira tel sujet, ses gots représentant précisément la gamme de ses intérêts.
 
Ces liens intimes entre l'intérêt et la personnalité expliquent la valeur expressive du bâillement, marquant le détachement et l'ennui. Le bâillement est à l'ennui ce que l'expression motrice du rire et du pleurer est à la joie et au chagrin. L'on peut du reste moduler la valeur expressive du bâillement. En le réprimant, ne traduit-on pas notre désir, souvent à moitié conscient, de cacher notre ennui ? En exagérant dans certaines circonstances, en le rendant particulièrement bruyant ou prolongé, ne lui confère-t-on pas également une valeur démonstratrice et ne traduit-il pas sous cette forme non équivoque, notre refus voire de notre agressivité envers la situation qui a cessé de nous attirer ou un interlocuteur qui nous lasse ?
 
Le fait qu'il soit séant de mettre la main devant sa bouche quand on bâille, c'est-à-dire de dissimuler le bâillement, appris dès l'enfance et qui devient automatique, au point de s'intégrer dans le complexe moteur du bâillement, apparaît ainsi comme une reconnaissance implicite de la signification sociale de cette mimique exprimant l'ennui, le refus, et qu'il convient de masquer.