Le bâillement est un comportement
adaptatif transitionnel mais n'est pas un
réflexe : le déclenchement est
involontaire, mais une fois
déclenché, la volonté
peut en moduler le cours. Le
bâillement est interprêté
comme mécanisme visant à
accroître la vigilance. Il apporte
une brève sensation de
bien-être.
Le neurophysiologiste américain
Paul MacLean a
proposé dans les années 70 de
voir notre cerveau comme le résultat
d'un sédiment dont la formation aurait
vu s'empiler, lentement au cours de
l'évolution, trois cerveaux
(évolution
phylogénétique). Ce
schéma d'organisation fonctionnelle du
cerveau permet de comprendre les
différents types de
bâillements:
-un cerveau ancestral
«reptilien», gérant
de "purs instincts" et qui ne possède
pas de mémoire (tronc
cérébral et noyaux gris
centraux), lieu d'origine du
bâillement; il est commun à tous
les vértébrés, dont ceux
qui ne régulent pas leur
température corporel
(poïkilothermes). Ce type de
bâillements "universels" surviennent
lors de transitions entre la veille et le
sommeil (ou l'inverse) et lors des senstaions
de faim ou de satiété.
-un cerveau
«paléomammalien»
interface synaptique et humorale
commune à tous les mammifères
(homéothermes), répondant
à l'acquisition de réponses
émotionnelles contrôlées
(système limbique) et doué de
mémoire. Les bâillements
d'émotivité des singes, les
bâillements associés au stress
et les bâillements sexuellement induits
y trouveraient leur origine.
-un cerveau
«néomammalien»
caractérisé par le
développement du cortex chez les
grands primates, serait le site fonctionnel
permettant la
contagion (ou mieux la
réplication) du bâillement, en
raison de la capacité qu'il procure
d'avoir une réflexion sur
soi-même et développer de
l'empathie. Les études sociologiques,
neuropsychologiques et d'imagerie
fonctionnelle cérébrale
indiquent une "filiation" entre empathie et
réplication du bâillement.
L'âge d'apparition, entre 2 et 4 ans,
c'est à dire lors de l'acquisition
d'une théorie de l'Esprit (Theory of
Mind), sa déficience en cas d'autisme
sont autant d'arguments pour accepter cette
théorie. La réplication du
bâillement serait une forme d'empathie
involontaire, motrice, véritable
synchronisateur d'états de vigilance
entre plusieurs personnes.
Ce comportement existe chez
presque tous les vertébrés
(sauf la girafe et les
cétacés). Son existence au sein
d'espèces au cerveau rudimentaire
comme les reptiles montre que son origine est
extrêmement ancienne dans l'arbre de
l'évolution. Il témoigne de la
survivance de comportements archaïques,
chez l'homme, malgré l'extrême
développement du cerveau. En
corallaire, il apparait très tôt
au cours de la vie foetale et se voit
dès douze
semaines de grossesse à
l'échographie.
Le bâillement met en jeu
différents neuromédiateurs au
niveau des structures anatomiques
décrites ci-dessus, c'est à
dire des messagers entre groupes de neurones
: ocytocine et dopamine
sont cruciaux. (C'est la dopamine qui fait
défaut dans la maladie de Parkinson;
ceci explique la disparition du
bâillement chez de nombreux malades).
Mais interviennent aussi la sérotonine
et l'acéthylcholine. Les
médicaments qui modifient les
concentrations de ces médiateurs
modifient le bâillement. Ainsi
Paroxétine ou Fluoxétine,
utilisés pour soigner des états
dépressifs et qui augment la
concentration en sérotonine,
déclenchent des salves de
bâillements inapropriés chez
certains patients. Les médicaments,
qui calment le mal des transports, diminuent
les bâillements (effet comme l'atropine
qui inhibe l'acéthylcholine).
Il n'existe pas de consensus sur la
finalité
du bâillement. Il est scientifiquement
démontré que le
bâillement ne modifie en rien
l'oxygènation sanguine ou celle du
cerveau (R.
Provine). De nombreux arguments
comportementaux plaident pour un rôle
dans la stimulation de la vigilance. La
puissante contraction musculaire
engendrée déclencherait, en
retour, une stimulation de la
réticulée activatrice et du
locus céruleus, structures de
l'éveil au niveau du tronc
cérébral, immédiatement
contigues aux noyaux des nerfs moteurs
commandant l'exécution du
bâillement. A.
Gallup développe depuis 2007 une
théorie du rôle de
régulateur thermique du
bâillement, sans apporter de preuve
pertienente.
Pourquoi
s'intéresser au bâillement
?
Le bâillement représente un
modèle tout à fait pertinent
pour comprendre des bases du comportement,
tant sur le plan des neurotransmetteurs que
sur le plan neuro-anatomique et
embryologique. Son ancienneté
phylogénétique montre
l'intérêt de l'étude de
la neurophysiologie sous l'angle de la
phylogénèse.