Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
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La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
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un gorille
Illustrations de la thèse de Wolter Seuntjens

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mise à jour du
6 octobre 2002
Revue du Praticien
2002;52(18):1981-1983
lexique
Le bâillement, de l'éthologie à la médecine clinique
O. Walusinski & BL. Deputte
CNRS (UMR 6552) Université de Rennes 1. Station Biologique 35380Paimpont
 
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le bâillement raconté aux enfants

Chat-logomini

 
Les naturalistes, voici plus de deux siècles, ont entrepris d'établir un bilan descriptif des actions des animaux, mais sans y apporter d'explications. L'éthologie cherche à comprendre la causalité et l'organisation des comportements: le bâillement en représente un modèle d'étude. Le bâillement est un réflexe. Les médecins, depuis l'Antiquité, tentent de lui attribuer un rôle physiologique. Toutes les théories ventilatoires et circulatoires, proposées depuis Hippocrate jusqu'au milieu du XXè s, ont été démenties par les explorations physiologiques contemporaines. La neurophysiologie commence à en expliquer les mécanismes cérébraux ce qui a permis son intégration dans les batteries de tests de psychopharmacologie clinique.
 
Définition
Un bâillement est un cycle respiratoire paroxystique, associé à une ouverture totale de la bouche, comportant, durant 1 à 10 secondes, des mouvements se succèdant toujours dans la même séquence, dans toutes les espèces:
-une inspiration ample, lente et très profonde avec large ouverture de la bouche,
-un bref arrêt des flux ventilatoires à thorax plein, associé à des mouvements d'étirements des membres et une occlusion des yeux,
- une expiration passive bruyante et lente chez l'homme, rapide chez les primates.
Cette association complexe et synergique de mouvements est un réflexe car sa survenue est involontaire. Une fois enclenché, le bâillement peut être modulé par la volonté mais sans jamais pouvoir être empêché. Il survient souvent par salves de 2 ou 3 cycles accompagnés de mouvements d'étirement du tronc en hyperlordose, des membres en hyperextension chez les bipèdes. Chez les quadrupèdes le dos peut se déformer en dos rond (carnivores). Les primates non humains bâillent assis avec soit un haussement d'épaules (mangabés), soit une contraction des muscles de la nuque dessinant une bosse (macaques). Le port de la tête se fait en hyperextension cervicale à l'inspiration, suivie d'une flexion à l'expiration. C'est à partir de ces deux caractéristiques respiratoire et musculaire qu'on peut rechercher l'existence du bâillement chez les vertèbrés, le distinguant des autres ouvertures de bouche. Il semble être absent chez les batraciens et est discutable chez les oiseaux. Présent depuis les poissons à respiration branchiale, comme Lepomis macrochirus, poisson pomacentridé, il s'observe chez les reptiles, crocodiles, iguanes et chez les mammifères. Chez les cétacés, connus pour ne dormir que d'un hémisphère à la fois, la béluga, l'orque, le bâillement est impressionnant. La girafe ne bâille pas, mais dort très peu par périodes de 1 à 30 minutes. Curiosité, les équidés, qui respirent exclusivement par les nasaux et sont incapables de le faire par la bouche, bâillent néanmoins. Il semble possible d'établir une loi: plus un animal subit une pression vitale forte de prédateurs, moins il dort, moins il bâille. Les carnivores dorment plus longtemps et bâillent plus fréquemment que les herbivores, comme si un parallèle existait entre bâillement, durée de sommeil et une ration alimentaire calorique importante, de faible volume, rapidement ingérée.
 
Circonstances du bâillement chez l'homme et les primates
Chez les mammifères, il existe 2 types de bâillements totalement identiques morphologiquement et apparaissant dans 2 types de situations différentes : les situations de repos, les situations relatives à des interactions sociales (2,3).
Chez l'homme, les moments privilégiés d'apparition sont le matin au réveil, associé à des étirements musculaires, et à l'approche de l'endormissement isolé, ainsi que dans toutes les circonstances de baisse de la vigilance. Il n'existe pas de différence entre les sexes mais la fréquence des bâillements évolue au cours de l'ontogenèse humaine: fréquence élevée dans la première année de la vie, diminuant à mesure que l'âge avance, en parallèle avec la réduction du temps global de sommeil au cours du nycthémère. Comme il existe des petits et des grands dormeurs, il existe des petits et des grands bâilleurs. Chez les primates non humains, le bâillement de repos est commun à tous les individus quelque soient leur âge et leur sexe, apparaissant surtout après le sommeil.
 
Le bâillement existe aussi en dehors des phases de sommeil après des interactions sociales diverses en relation avec la sexualité ou des conflits. Ces bâillements peuvent être qualifiés de «bâillements d'émotivité», soulignant ainsi qu'ils sont déclenchés par une tension psychique. Les mâles bâillent plus souvent que les femelles, et cette fréquence augmente avec l'apparition des caractères sexuels secondaires, maximale chez les adultes mâles dominants. Le bâillement est sous la dépendance partielle des androgènes. La castration de macaques mâles adultes entraîme une diminution marquée de la fréquence des bâillements, restaurée par des injections de testostérone. Ce bâillement potentiellement perçu par un congénère sans être spécifiquement adressé apparaît toujours à la fin d'une interaction. Aucune modification du comportement du congénère n'a pu être mise en évidence à la perception d'un bâillement. Comme ce bâillement d'émotivité est associé à un individu particulier, il peut servir à renforcer la place particulière qu'il occupe au sein du groupe.
 
Structures cérébrales commandant le bâillement chez les vertébrés
Le bâillement et la succion sont détectables chez le foetus humain, à l'échographie, dès la 12° semaine de grossesse. Le pôle céphalique comporte une segmentation originelle embryolonnaire encéphalo-faciale et encéphalo-cervicale avec une correspondance topographique stricte où les structures maxillo-mandibulaires et cervicales antérieures sont unies au tronc cérébral et à ses nerfs. Au début du 3è mois, l'embryon devient un fœtus grâce à l'apparition des premières séquences motrices orales et pharyngées sous la dépendance du développement nerveux du tronc cérébral: succion et bâillement, coordonnés avec les régulations respiratoire, cardiaque et digestive de même localisation neuro-anatomique. Le bâillement naît ainsi dans des structures archaïques du cerveau communes à tous les vertébrés: le tronc cérébral, sans qu'un centre précis soit identifiable. Les anencéphales bâillent et s'étirent. Le bâillement fait intervenir les régions bulbaires et pontiques, avec des connexions aux lobes frontaux et à la moelle cervicale. Les muscles qui se contractent pendant le bâillement dépendent des nerfs crâniens 5,7,9,10,11,12, et cervicaux C1-C4 . Le bâillement permet d'appréhender la phylogenèse de l'encéphale en proposant un schéma d'organisation fonctionnel du système nerveux où se superposent
-un cerveau ancestral «reptilien» (tronc cérébral et noyaux gris centraux), lieu d'origine du bâillement -un cerveau «paléomammalien» (système limbique) commun à tous les mammifères, interface synaptique et humorale, siège du bâillement d'émotivité des singes
-un cerveau «néomammalien» caractérisé par le développement cortical chez l'homme, en particulier des lobes frontaux siège de la «contagion» du bâillement.
 
Vigilance et bâillement
Le bâillement n'est pas une simple ouverture de la bouche, mais une contraction simultanée des muscles antagonistes, les muscles masticateurs (fermeture) et les muscles digastriques (ouverture). Pendant cette contraction, les fuseaux des muscles masticateurs envoient des influx par la racine mésencéphalique du trijumeau qui possède des projections sur la formation réticulée et le locus cœruleus, impliquées dans les mécanismes de l'éveil. Le bâillement, stimulant ces structures apparaît comme un réflexe de vigilance, déclenché par des modifications du tonus musculaire des muscles masséters et cervicaux.
 
Neurophysiologie du bâillement
L'administration de différentes substances aux rongeurs, chats, chiens, singes a permis de comprendre la neurophysiologie du bâillement. Ainsi, de faibles doses d'apomorphine, agoniste dopaminergique, induisent des bâillements et des érections. Le bâillement disparaît dans les syndromes extrapyramidaux; un parkinsonien recevant une injection d'apomorphine pressant son déblocage par l'apparition de bâillements. Il existe une modulation présynaptique des systèmes dopaminergiques par des voies sérotoninergiques. L'hypophysectomie fait disparaitre les bâillements. Le rôle de l'hypothalamus et de l'hypophyse dépend d'un réseau ocytocinergique, au niveau paraventriculaire qui reçoit des influences activatrices dopaminergiques, et des influences inhibitrices opioïdes. Ce réseau projette sur l'hippocampe et la région bulbopontique. La voie finale est cholinergique: la pilocarpine et la physostigmine, agonistes muscariniques, sont de puissants déclencheurs des bâillements, que l'atropine, antagoniste, inhibe. Les voies cholinergiques sont le maillon commun terminal à tous les mécanismes déclenchant des bâillements pharmacologiquement induits. Les variations circadiennes cholinergiques et dopaminergiques concordent avec celles du bâillement chez le rat.
 
Contagiosité du bâillement
Un bon bâilleur en fait bâiller sept ! Ce curieux phénomène, unique parmi tous les réflexes n'est identifiable, que chez l'homme. Il n'apparaît qu'au cours de la 2è année de la vie chez l'enfant. Chez les primates non humains, les bâillements observés au réveil correspondent à une synchronisation des activités d'un groupe social. Celle-ci est indépendante de l'observation des congénères et ne ressemble pas à une contagion. L'étude de la neurologie humaine retrouve 2 circonstances où l'imitation perturbe les comportements: la maladie de Gilles de la Tourette et le syndrome frontal avec des troubles de la sélectivité des schémas moteurs (persévérations et imitation rudimentaire). La comparaison avec les dysfonctionnements frontaux et les crises épileptiques frontales fait évoquer une participation frontale au phénomène de contagion.
 
Un regard sur la pathologie humaine
Le 23 octobre 1888, Jean-Martin Charcot présentait en ses mardis de La Salpêtrière, l'observation d'une jeune femme incommodée par 7 bâillements à la minute soit 480 à l'heure. Il qualifiait le tableau d'hystérique. Son examen lui révèlait une hémianopsie bitemporale, une anesthésie cutanée cheirobrachiale droite à tous les modes, une perte de l'odorat. Ce tableau est évocateur d'une tumeur suprasellaire. Les causes d'excès de bâillements, c'est-à-dire de salves de 5 à 20 bâillements répétées plusieurs fois par jour sont multiples. Brèves, elles sont banales à l'approche d'un malaise vagal, ou dans les désordres neurovégétatifs (dyspepsie, syndrome post-migraineux). Toutes les atteintes du tronc cérébral, du thalamus ou de la région de l'hypophyse peuvent être en cause. La pathologie iatrogénique est riche: les antiépileptiques, les antidépressifs, l'apomorphine, les anti-cholinestérasiques, la sismothérapie, le sevrage morphinique ou de méthadone sont pourvoyeurs de salves de bâillements. Après avoir éliminé ces causes, des salves de bâillements répétées constituent une forme de la maladie des tics chroniques, apaisée par la prise d'halopéridol (7).
 
Conclusion
Le bâillement apparaît comme un réflexe dont l'origine phylogénétique remonte aux vertébrés au cerveau le plus rudimentaire. Il garde chez l'homme une fonction commune avec les animaux: la stimulation de la vigilance. De nombreuses maladies cérébrales peuvent faire apparaître des salves répétées de bâillements.
 
Bibliographie complète du site
  1. Deputte BL - Revue sur le comportement de bâillement chez les vertébrés Bulletin interne Société Française pour l'étude du comportement animal., 1974, 1, 26-35
  2. Walusinski 0 : Pourquoi bâillons-nous ? La Revue du Praticien Médecine Générale, 2000,14,487, 259-263
  3. Deputte BL : Ethological study of yawning in primates. Ethology, 1994, 98, 221-245
  4. Argiolas, Melis Mr The neuropharmacology of yawning, Eur Pharmacol, 1998,1,343, 1-16
  5. Blin 0 : le bâillement en neuropsychopharrnacologie clinique, Lettre du pharmacologue, 1996,10, 2l7-219
  6. Blin 0, Azulay JP, Masson G, Serratrice G : Le bâillement, physiopathologie et neuropharmacologie, Thérapie, 1991, 46,37-43
  7. Aubin HJ, Garma L : le bâillement, Psychiatrie et psychobiologie, 1988, 3,275-286