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- Les naturalistes, voici plus de deux
siècles, ont entrepris d'établir
un bilan descriptif des actions des animaux,
mais sans y apporter d'explications.
L'éthologie cherche à comprendre
la causalité et l'organisation des
comportements: le bâillement en
représente un modèle
d'étude. Le bâillement est un
réflexe. Les médecins, depuis
l'Antiquité, tentent de lui attribuer un
rôle physiologique. Toutes les
théories ventilatoires et circulatoires,
proposées depuis Hippocrate jusqu'au
milieu du XXè s, ont été
démenties par les explorations
physiologiques contemporaines. La
neurophysiologie commence à en expliquer
les mécanismes cérébraux ce
qui a permis son intégration dans les
batteries de tests de psychopharmacologie
clinique.
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- Définition
- Un
bâillement est un cycle respiratoire
paroxystique, associé à une
ouverture totale de la bouche, comportant,
durant 1 à 10 secondes, des mouvements se
succèdant toujours dans la même
séquence, dans toutes les
espèces:
- -une inspiration ample, lente et très
profonde avec large ouverture de la bouche,
- -un bref arrêt des flux ventilatoires
à thorax plein, associé à
des mouvements d'étirements des membres
et une occlusion des yeux,
- - une expiration passive bruyante et lente
chez l'homme, rapide chez les primates.
- Cette association complexe et synergique de
mouvements est un réflexe car sa survenue
est involontaire. Une fois enclenché, le
bâillement peut être modulé
par la volonté mais sans jamais pouvoir
être empêché. Il survient
souvent par salves de 2 ou 3 cycles
accompagnés de mouvements
d'étirement du tronc en hyperlordose, des
membres en hyperextension chez les
bipèdes. Chez les quadrupèdes le
dos peut se déformer en dos rond
(carnivores). Les
primates non humains bâillent assis
avec soit un haussement d'épaules
(mangabés), soit une contraction des
muscles de la nuque dessinant une bosse
(macaques). Le port de la tête se fait en
hyperextension cervicale à l'inspiration,
suivie d'une flexion à l'expiration.
C'est à partir de ces deux
caractéristiques respiratoire et
musculaire qu'on peut rechercher l'existence du
bâillement chez les
vertèbrés, le distinguant des
autres ouvertures de bouche. Il semble
être absent chez les batraciens et est
discutable chez les oiseaux. Présent
depuis les poissons à respiration
branchiale, comme Lepomis macrochirus, poisson
pomacentridé, il s'observe chez les
reptiles, crocodiles, iguanes et chez les
mammifères. Chez les
cétacés, connus pour ne dormir que
d'un hémisphère à la fois,
la béluga, l'orque, le bâillement
est impressionnant. La girafe ne bâille
pas, mais dort très peu par
périodes de 1 à 30 minutes.
Curiosité, les équidés, qui
respirent exclusivement par les nasaux et sont
incapables de le faire par la bouche,
bâillent néanmoins. Il semble
possible d'établir une loi: plus un
animal subit une pression vitale forte de
prédateurs, moins il dort, moins il
bâille. Les carnivores dorment plus
longtemps et bâillent plus
fréquemment que les herbivores, comme si
un parallèle existait entre
bâillement, durée de sommeil et une
ration alimentaire calorique importante, de
faible volume, rapidement
ingérée.
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- Circonstances du
bâillement chez l'homme et les
primates
- Chez les
mammifères, il existe 2 types de
bâillements totalement identiques
morphologiquement et apparaissant dans 2 types
de situations différentes : les
situations de repos, les situations relatives
à des interactions sociales (2,3).
- Chez l'homme, les moments
privilégiés d'apparition sont le
matin au réveil, associé à
des étirements musculaires, et à
l'approche de l'endormissement isolé,
ainsi que dans toutes les circonstances de
baisse de la vigilance. Il n'existe pas de
différence entre les sexes mais la
fréquence des bâillements
évolue au cours de l'ontogenèse
humaine: fréquence élevée
dans la première année de la vie,
diminuant à mesure que l'âge
avance, en parallèle avec la
réduction du temps global de sommeil au
cours du nycthémère. Comme il
existe des petits et des grands dormeurs, il
existe des petits et des grands bâilleurs.
Chez les primates non humains, le
bâillement de repos est commun à
tous les individus quelque soient leur âge
et leur sexe, apparaissant surtout après
le sommeil.
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- Le bâillement existe aussi en dehors
des phases de sommeil après des
interactions sociales diverses en relation avec
la sexualité ou des conflits. Ces
bâillements peuvent être
qualifiés de «bâillements
d'émotivité», soulignant
ainsi qu'ils sont déclenchés par
une tension psychique. Les mâles
bâillent plus souvent que les femelles, et
cette fréquence augmente avec
l'apparition des caractères sexuels
secondaires, maximale chez les adultes
mâles dominants. Le bâillement est
sous la dépendance partielle des
androgènes. La castration de macaques
mâles adultes entraîme une
diminution marquée de la fréquence
des bâillements, restaurée par des
injections de testostérone. Ce
bâillement potentiellement perçu
par un congénère sans être
spécifiquement adressé
apparaît toujours à la fin d'une
interaction. Aucune modification du comportement
du congénère n'a pu être
mise en évidence à la perception
d'un bâillement. Comme ce bâillement
d'émotivité est associé
à un individu particulier, il peut servir
à renforcer la place particulière
qu'il occupe au sein du groupe.
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- Structures
cérébrales commandant le
bâillement chez les
vertébrés
- Le
bâillement et la succion sont
détectables chez le foetus humain,
à l'échographie, dès la
12° semaine de grossesse. Le pôle
céphalique comporte une segmentation
originelle embryolonnaire
encéphalo-faciale et
encéphalo-cervicale avec une
correspondance topographique stricte où
les structures maxillo-mandibulaires et
cervicales antérieures sont unies au
tronc cérébral et à ses
nerfs. Au début du 3è mois,
l'embryon devient un ftus grâce
à l'apparition des premières
séquences motrices orales et
pharyngées sous la dépendance du
développement nerveux du tronc
cérébral: succion et
bâillement, coordonnés avec les
régulations respiratoire, cardiaque et
digestive de même localisation
neuro-anatomique. Le bâillement naît
ainsi dans des structures archaïques du
cerveau communes à tous les
vertébrés: le tronc
cérébral, sans qu'un centre
précis soit identifiable. Les anencéphales
bâillent et s'étirent. Le
bâillement fait intervenir les
régions bulbaires et pontiques, avec des
connexions aux lobes frontaux et à la
moelle cervicale. Les muscles qui se contractent
pendant le bâillement dépendent des
nerfs crâniens 5,7,9,10,11,12, et
cervicaux C1-C4 . Le bâillement permet
d'appréhender la phylogenèse de
l'encéphale en proposant un
schéma d'organisation fonctionnel du
système nerveux où se
superposent
- -un cerveau ancestral «reptilien»
(tronc cérébral et noyaux gris
centraux), lieu d'origine du bâillement
-un cerveau «paléomammalien»
(système limbique) commun à tous
les mammifères, interface synaptique et
humorale, siège du bâillement
d'émotivité des singes
- -un cerveau «néomammalien»
caractérisé par le
développement cortical chez l'homme, en
particulier des lobes frontaux siège de
la «contagion» du
bâillement.
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- Vigilance et
bâillement
- Le
bâillement n'est pas une simple
ouverture de la bouche, mais une contraction
simultanée des muscles antagonistes, les
muscles masticateurs (fermeture) et les muscles
digastriques (ouverture). Pendant cette
contraction, les fuseaux des muscles
masticateurs envoient des influx par la racine
mésencéphalique du trijumeau qui
possède des projections sur la formation
réticulée et le locus
cruleus, impliquées dans les
mécanismes de l'éveil. Le
bâillement, stimulant ces structures
apparaît comme un réflexe de
vigilance, déclenché par des
modifications du tonus musculaire des muscles
masséters et cervicaux.
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- Neurophysiologie du
bâillement
- L'administration de différentes
substances aux rongeurs, chats, chiens, singes a
permis de comprendre la
neurophysiologie du bâillement. Ainsi,
de faibles doses d'apomorphine, agoniste
dopaminergique, induisent des bâillements
et des érections. Le bâillement
disparaît dans les syndromes
extrapyramidaux; un parkinsonien recevant une
injection d'apomorphine pressant son
déblocage par l'apparition de
bâillements. Il existe une modulation
présynaptique des systèmes
dopaminergiques par des voies
sérotoninergiques. L'hypophysectomie fait
disparaitre les bâillements. Le rôle
de l'hypothalamus et de l'hypophyse
dépend d'un réseau
ocytocinergique, au niveau paraventriculaire qui
reçoit des influences activatrices
dopaminergiques, et des influences inhibitrices
opioïdes. Ce réseau projette sur
l'hippocampe et la région bulbopontique.
La voie finale est cholinergique: la pilocarpine
et la physostigmine, agonistes muscariniques,
sont de puissants déclencheurs des
bâillements, que l'atropine, antagoniste,
inhibe. Les voies cholinergiques sont le maillon
commun terminal à tous les
mécanismes déclenchant des
bâillements pharmacologiquement induits.
Les variations circadiennes cholinergiques et
dopaminergiques concordent avec celles du
bâillement chez le rat.
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- Contagiosité
du bâillement
- Un bon bâilleur en fait bâiller
sept ! Ce
curieux phénomène, unique
parmi tous les réflexes n'est
identifiable, que chez l'homme. Il
n'apparaît qu'au cours de la 2è
année de la vie chez l'enfant. Chez les
primates non humains, les bâillements
observés au réveil correspondent
à une synchronisation des
activités d'un groupe social. Celle-ci
est indépendante de l'observation des
congénères et ne ressemble pas
à une contagion. L'étude de la
neurologie humaine retrouve 2 circonstances
où l'imitation perturbe les
comportements: la maladie de Gilles de la
Tourette et le syndrome frontal avec des
troubles de la sélectivité des
schémas moteurs
(persévérations et imitation
rudimentaire). La comparaison avec les
dysfonctionnements frontaux et les crises
épileptiques frontales fait
évoquer une participation frontale au
phénomène de contagion.
-
- Un regard sur la
pathologie humaine
- Le 23
octobre 1888, Jean-Martin Charcot
présentait en ses mardis de La
Salpêtrière, l'observation
d'une jeune femme incommodée par 7
bâillements à la minute soit 480
à l'heure. Il qualifiait le tableau
d'hystérique. Son examen lui
révèlait une hémianopsie
bitemporale, une anesthésie
cutanée cheirobrachiale droite à
tous les modes, une perte de l'odorat. Ce
tableau est évocateur d'une tumeur
suprasellaire. Les
causes d'excès de bâillements,
c'est-à-dire de salves de 5 à 20
bâillements répétées
plusieurs fois par jour sont multiples.
Brèves, elles sont banales à
l'approche d'un malaise vagal, ou dans les
désordres neurovégétatifs
(dyspepsie, syndrome post-migraineux). Toutes
les atteintes du tronc cérébral,
du thalamus ou de la région de
l'hypophyse peuvent être en cause.
La
pathologie iatrogénique est riche:
les antiépileptiques, les
antidépressifs, l'apomorphine, les
anti-cholinestérasiques, la
sismothérapie, le sevrage morphinique ou
de méthadone sont pourvoyeurs de salves
de bâillements. Après avoir
éliminé ces causes, des salves de
bâillements répétées
constituent une forme de la maladie des tics
chroniques, apaisée par la prise
d'halopéridol (7).
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- Conclusion
- Le bâillement apparaît comme un
réflexe dont l'origine
phylogénétique remonte aux
vertébrés au cerveau le plus
rudimentaire. Il garde chez l'homme une fonction
commune avec les animaux: la stimulation de la
vigilance. De nombreuses maladies
cérébrales peuvent faire
apparaître des salves
répétées de
bâillements.
-
- Bibliographie
complète du site
- Deputte BL -
Revue sur le comportement de bâillement
chez les vertébrés Bulletin
interne Société Française
pour l'étude du comportement animal.,
1974, 1, 26-35
- Walusinski
0 : Pourquoi bâillons-nous ? La Revue
du Praticien Médecine
Générale, 2000,14,487,
259-263
- Deputte BL
: Ethological study of yawning in primates.
Ethology, 1994, 98, 221-245
- Argiolas,
Melis Mr The neuropharmacology of yawning,
Eur Pharmacol, 1998,1,343, 1-16
- Blin
0 : le bâillement en
neuropsychopharrnacologie clinique, Lettre du
pharmacologue, 1996,10, 2l7-219
- Blin 0, Azulay
JP, Masson G, Serratrice G : Le
bâillement, physiopathologie et
neuropharmacologie, Thérapie, 1991,
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- Aubin HJ, Garma
L : le bâillement, Psychiatrie et
psychobiologie, 1988, 3,275-286
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