Le bâillement,
phénomène physiologique, porteur
d'une signification d'ennui ou de fatigue dans
l'opinion générale, trouve sa
finalité comportementale dans la
stimulation de la vigilance et le maintien de
l'éveil (1). Son déroulement a
été étudié par
Barbizet
(1958), qui décrit une succession
obligatoire de trois phases dont la durée
totale n'excède pas 10 secondes : la
première phase est active, inspiratoire,
associée à l'ouverture progressive
de la bouche, la deuxième correspond
à l'acmé de l'ouverture buccale et
de la dilatation pharyngo-thoracique ; la
troisième, expiratoire, est passive et
s'accompagne d'un retour à l'état
antérieur. Le bâillement est un
acte involontaire, associé à un
état psychique particulier
caractérisé par un obscurcissement
de la conscience qui accompagne la diminution
des afférences sensorielles, suivi d'une
sensation de bien-être.
Le bâillement, longtemps
considéré comme un
phénomène négligeable, a
trouvé sa place, ces dernières
années, dans les recherches
neurobiologiques. Au moins chez l'animal,
de nombreux systèmes de neurotransmission
sont impliqués dans ce comportement. Nous
évoquerons ici l'utilisation du
bâillement en pharmacologie clinique,
où son intérêt semble
manifeste principalement dans l'approche in vivo
du fonctionnement des systèmes
dopaminergiques.
Nous avons montré dans deux
études, menées en double aveugle
contre placebo, que de faibles doses d'apomorphine
induisaient des bâillements chez le
volontaire sain (2, 3), confirmant ainsi les
résultats de travaux antérieurs
(4, 5, 6). Dans nos études, l'apomorphine
a été administrée à
des doses faibles,
infra-émétisantes: 0,1-0,2-0,4 mg
(1) et 0,5-1-2 pg/kg (3). Aucune relation
dose-effet n'a pu être mise en
évidence. Cependant, pour de très
faibles doses d'apomorphine (inférieures
à 0,5 Mg/kg), la survenue de
bâillements est inconstante, alors que les
sujets réalisent de nombreux soupirs.
Pour des doses élevées
(supérieures à 7 Mg/kg), le nombre
de bâillements induits par l'apomorphine
tend à diminuer (6), suggérant
l'existence d'une courbe dose-effet en cloche.
Dans une étude réalisée sur
12 volontaires qui recevaient comme seul produit
actif l'apomorphine (2 Mg/kg) à 9 h, 10
h, 12 h et 16 h, nous n'avons pas mis en
évidence d'influence de l'heure
d'administration de l'apomorphine sur le nombre
de bâillements induits. Il est à
noter que, concernant le nombre de
bâillements spontanés, des
données partielles font état d'une
fréquence élevée de
bâillements aux heures de transition entre
la veille et le sommeil, alors que la
fréquence la plus faible est
observée durant l'après-midi (7).
Une forte variabilité interindividuelle
est observée en ce qui concerne la
fréquence du bâillement
spontané chez le volontaire sain (figure
1). Nous avons étudié si cette
variabilité influençait la
réponse induite par l'apomorphine.
Les premiers résultats obtenus
suggèrent que, sur une période de
temps donnée, l'augmentation du nombre de
bâillements induits par l'apomorphine
n'est pas directement liée au nombre de
bâillements initiaux. Il est à
noter que 5 volontaires sur les 20 testés
ne bâillent pas durant le test, que ce
soit à l'état basal ou lors de
l'administration d'apomorphine. Ces
constatations devraient influencer les
critères de sélection des
volontaires participant à ce type
d'études.
Le bâillement induit par l'apomorphine
peut être utilisé dans
l'étude des antagonistes dopaminergiques.
Ainsi les bâillements induits par
apomorphine sont-ils antagonisés par des
neuroleptiques typiques (halopéridol
à la dose de 20 pg/kg en injection
intramusculaire 30 minutes avant
l'administration de 10 pg/kg d'apornorphine) et
non par un antagoniste des récepteurs de
la dopamine ne franchissant pas la
barrière hématoencéphalique
(dompéridone), soutenant
l'hypothèse de la mise en jeu des
systèmes dopaminergiques centraux dans le
bâillement. En revanche, un neuroleptique
atypique, tel le sÙlpiride à la
dose de 2 mg/kg en injection intramusculaire,
n'antagonise pas les bâillements induits
par cette même dose d'apomorphine (4).
Nous avons étudié, dans une
étude en groupes parallèles,
randomisée contre placebo,
réalisée chez le volontaire sain,
l'effet d'un prétraitement par une dose
unique d'amisulpride (300 mg) sur les
bâillements induits par l'apomorphine (2
Mg/kg) administrée 3 heures plus tard.
L'amisuipride, à fa dose utilisée
et dans ces conditions, n'a pas
entraîné de diminution
significative du nombre des bâillements
induits par l'apomorphine chez le volontaire
sain.
A la lumière des résultats
obtenus, le bâillement induit par
l'apomorphine a été utilisé
pour évaluer la réactivité
dopaminergique centrale chez le patient
migraineux (8). Une étude menée en
comparaison d'un groupe contrôle a
montré un nombre de bâillements
induits par apomorphine supérieur chez
les patients migraineux, suggérant
l'existence d'une hypersensibilité
dopaminergique centrale chez ces patients. Ce
résultat a été
confirmé par un autre groupe (9),
Nous avons récemment montré que
des patients schizophrènes
déficitaires présentaient, tant
à l'état basal que lors de
l'administration d'apomorphine (2
lÀg/kg), un nombre de bâillements
inférieur à celui de
témoins appariés sur l'âge
et le sexe, évalués dans les
mêmes conditions (figure 2). Cette
diminution de réponse à
l'apomorphine est concordante avec les
résultats obtenus par l'équipe de
Crow montrant que les deux tiers des patients
schizophrènes étudiés ne
bâillent pas après administration
de 0,75 mg d'apomorphine par voie
souscutanée (10). Ces résultats
peuvent être rapprochés d'une
étude récente en tomographie par
émission de positons (TEP) qui, dans une
sous-population de patients schizophrènes
non traités présentant des
symptômes négatifs, observe une
corrélation inverse entre les signes
négatifs (émoussement affectif
notamment) et la densité des
récepteurs D2 striataux, suggérant
une diminution de leur densité dans cette
forme clinique de schizophrénie (11).
Les résultats obtenus dans ces
différents travaux et leur confrontation
avec les données de
l'expérimentation clinique et animale
permettent de discuter la localisation
pré- ou postsynaptique des
récepteurs dopaminergiques
impliqués dans le bâillement. Un
hypothèse de travail peut être
proposée, qui repose cependant sur des
postulats dont il n'existe pas d'évidence
directe. Le bâillement serait dû
à la stimulation de récepteurs
dopaminergiques présynaptiques,
situés dans des structures
sous-corticales (striatum par exemple). Chez le
schizophrène déficitaire et en
comparaison des témoins, la diminution du
bâillement spontané ou survenant
sous l'influence de faibles doses d'apomorphine
serait due à une diminution de la
densité des récepteurs
dopaminergiques D2, suggérée par
les données de TEP (11). Cependant, on ne
peut pas préjuger de la localisation
pré- ou post-synaptique de ces
récepteurs D2. Par ailleurs,
l'hypodopaminergie frontale observée chez
ce type de patients (12) pourrait, du fait du
contrôle des voies
cortico-sous-corticales, modifier la
libération de dopamine
sous-corticale.
Dans la
maladie de Parkinson, la perte des neurones
doparninergiques lors de la
dégénérescence de la voie
nigro-striée rendrait compte de la faible
fréquence du bâillement
spontané généralement
notée chez ces patients.
Chez le volontaire sain, l'induction du
bâillement par de faibles doses
d'apomorphine et la disparition de cet effet
pour des doses plus élevées (6)
sont en faveur de l'hypothèse de la
stimulation d'autorécepteurs
dopaminergiques. La suppression des
bâillements induits par l'apomorphine lors
d'un traitement par l'halopéridol,
neuroleptique bloquant les récepteurs
dopaminergiques D2 striataux vraisemblablement
tant pré- que post-synaptiques, est
compatible avec cette même
hypothèse. En revanche, l'absence de
suppression des bâillements induits par
l'apomorphine après un traitement par des
antagonistes de la dopamine benzamides
substitués: sulpiride (4) ou amisulpride
(notre expérience) à une dose
ayant des effets bénéfiques sur
les symptômes négatifs de la
schizophrénie (13), et donc
entraînant vraisemblablement un blocage
des autorécepteurs, est difficile
à expliquer simplement. Compte tenu de
l'activité antagoniste D3 des benzamides
substitués, ces résultats sont
également difficiles à
intégrer dans l'implication
proposée des récepteurs D3 dans la
survenue du bâillement induit par les
agonistes dopaminergiques (14).
Cependant, il est possible d'imaginer que les
faibles doses de benzamides substitués
pourraient être à l'origine d'un
blocage des récepteurs
présynaptiques, en particulier ceux des
neurones dopaminergiques méso-corticaux,
et donc d'une augmentation de la transmission
dopaminergique corticale. C'est
l'hypothèse qui est proposée pour
expliquer l'effet clinique d'une telle dose sur
les symptômes négatifs de la
schizophrénie (13). Cette augmentation de
la transmission dopaminergique corticale
pourrait être responsable d'un freinage de
la libération de dopamine sous-corticale
(12).
Concernant le système cholinergique,
une étude menée en double aveugle
contre placebo de l'effet de la scopolamine sur
les bâillements spontanés chez le
volontaire sain n'a pas montré de
différence significative entre ces deux
traitements (15). Ces résultats ne sont
pas en faveur d'un rôle facilitateur du
système cholinergique dans le
bâillement, suggéré par la
pharmacologie expérimentale.
Concernant les autres systèmes
impliqués dans le contrôle du
bâillement, aucune étude
pharmaco-clinique n'a encore été
publiée. Néanmoins, la
littérature mentionne des
étiologies médicamenteuses du
bâillement, basées sur des
observations cliniques d'origine anecdotique
(tableau I). Certaines viennent étayer
les résultats des travaux
effectués en pharmacologie
expérimentale. En revanche, les cas de
bâillements intensifs rapportés
chez l'homme sous clomipramine ou
fluoxétine suggèrent le rôle
possible de récepteurs
sérotoninergiques différents des
récepteurs 5HT1A dont la stimulation,
chez l'animal, diminue les bâillements
induits par l'apomorphine (16).
CONCLUSION : Dans le domaine de la
pharmacologie clinique, le bâillement est
un des indices d'évaluation de la
réactivité dopaminergique
centrale. Dans une approche pharmaco-clinique,
le bâillement induit par l'aponiorphine
pourrait être utilisé dans
l'étude de la relation dose-effet
d'antagonistes dopaminergiques tels que les
benzamides substitués. Pour ces
molécules, le rapport des doses
entraînant le blocage des
récepteurs pré- ou
post-synaptiques est élevé et
pourrait Justifier l'utilisation de faibles
doses dans le traitement des symptômes
négatifs de la schizophrénie et de
fortes doses dans celui des symptômes
positifs. Toutefois, le seuil entre les doses
dites faibles et les doses dites
élevées reste encore
imprécis. L'étude des agonistes
partiels des récepteurs dopaminergiques
pourrait également
bénéficier de ce type d'approche.
Enfin, l'étude du bâillement induit
par l'apomorphine pourrait être
proposéedans l'approche pharmaco-clinique
d'une modulation indirecte des systèmes
dopaminergiques.`
Physiology
of Oxytocin
Références
bibliographiques