Le bâillement, dans l'espèce
humaine est une activité exempte de toute
ambiguité quant à son
schéma moteur d'exécution. La
multiplicité de ses circonstances
d'apparition rend floue sa causalité et
discutée sa fonction. Avant d'aborder ce
qu'il peut être dans l'ensemble des
classes de Vertébrés, nous
extrairons de la définition qu'en donne
Comroe pour l'espèce humaine, deux
caractéristiques : - une
caractéristique musculaire :"Ecartement
large des machoires" et aussi "Extension et
raideur des extrémités et du
tronc". - Une caractéristique
respiratoire : "Inspiration longue ... suivie
d'une expiration lente".
C'est à partir de ces deux
caractéristiques, respiratoire et
musculaire d'étirement que l'on peut
rechercher la présence ou l'absence du
bâillement dans les différentes
espèces animales, voire dénoncer
certaines ambiguités. En première
approximation, c'est une activité que
l'on retrouve chez tous les
Vertébrés, des Poissons aux
Primates. Si le bâillement est souvent
mentionné, il est rarement décrit
et très rarement étudié
dans ses caractéristiques motrices ou
fonctionnelles. Si l'on se réfère
encore une fois à ses deux composantes
respiratoire et musculaire (étirement) on
doit le distinguer de tous les autres mouvements
d'ouverture de bouche comme le "Gaping" des
Oiseaux ou des Reptiles ou les mimiques "Bouche
ouverte" ("Open mouth displays").
Certains auteurs travaillant sur les
Poissons et les Oiseaux se sont trouvés
confrontés à ce problème
d'analogie entre la bâillement tel qu'il
est défini dans l'espèce humaine
et ce qu'ils observaient chez les
représentants de ces deux classes de
Vertébrés. Chez les Poissons, les
auteurs ont dénoncé la confusion
possible en définissant le terme
"Yawning" ou "Gähnen" avec précision
et en insisant sur la composante
d'étirement sans pour autant omettre la
composante respiratoire malgré la
présence de la respiration
branchiale.
Par contre chez les Oiseaux, la confusion
entre le "vrai" bâillement et des
mouvements l'ouverture de bouche décrits
comme des bâillements est possible.
McKinney et d'autres auteurs
préfèrent utiliser le terme
"Jaw-stretching" (étirement des
machoires) évitant ainsi une analogie
discutable . En revanche Heinroth affirme que le
bâillement n'existe pas chez les Oiseaux.
Que les bâillements décrits chez
les différentes classes de
Vertébrés possèdent les 2
caractéristiques d'étirement et de
respiration ou seulement celle
d'étirement, ils apparaissent dans 2
grandes catégories de. situations : dans
les situations de repos, dans les situations de
conflit (- soit dans un contexte agressif - soit
dans un contexte sexuel.)
Les situations de repos comprennent les
phases précédant ou suivant le
sommeil et les phases de repos diurne. Ces
situations sont en partie équivalentes
à celles que Comroe définit chez
l'homme comme des situations "ayant en commun un
état de diminution de conscience de
l'environnement".
Le bâillement de "repos" semble
présent chez toutes les classes de
Vertébrés , il apparait avec
l'ensemble des mouvements dits de "confort",
étirement, grattage, nettoyage etc ... En
outre, dans ces circonstances l'étirement
du corps ou des membres et le bâillement
sont souvent associés. Cette association
peut donner lieu à une véritable
corrélation positive : le
"Räkeln-Syndrom". Cette corrélation
peut n'être que relative selon la
définition de Von Holst. A
l'opposé, d'autres auteurs soulignent que
bâillement et étirement sont 2
activités indépendantes l'une de
l'autre. Il est plus probable quand l'animal est
en position de repos, dans des phases
d'inactivité, le mouvement semblant
inhiber son apparition. Le bâillement,
associé ou non à d'autres
mouvements de confort, est comme eux lié
au rythme d'activité journalier
étant susceptible de subir des
modifications saisonnières. En outre, il
est lié à
l'ontogénèse. Il est
signalé la plupart du temps comme une
activité précoce. Sa
fréquence d'apparition évoluerait
au cours de la croissance de l'animal. Si
certains primatologues voient sa
fréquence, chez les mâles,
augmenter du jeune à l'adulte en fonction
de la taille des canines, d'autres auteurs
voient sa fréquence diminuer au cours de
la croissance. Cette raréfaction serait
due à un ralentissement du
métabolisme respiratoire confirmant la
dépendance étroite entre le
bâillement et milieu interne Ce fait est
aussi valable pour les Homéothermes que
pour les Poekilothermes : les jeunes Poissons,
en particulier, respirant plus vite que les
grands.
Le bâillement apparait soit avant le
sommeil soit avant et après mais le plus
souvent après. De ce fait, et en raison
de sa liaison avec le métabolisme
respiratoire, il serait caractéristique
d'un certain niveau bas d'éveil, par ses
deux composantes, respiratoire (et son influence
sur la circulation) et d'étirement
(liaison avec le tonus musculaire). Il pourrait
jouer un rôle dans la régulation
thermique. Mais le bâillement peut
apparaitre lors des situations liées au
repos ou à la somnolence, lorsque
l'animal est en conflit, conflit se produisant
le plus souvent dans des contextes agonistiques
liés au comportement social (comportement
sexuel inclus). Dans ces circonstances il est
décrit comme étant en
général plus rapide,
répétitif à
fréquence élevée. On note
de plus toutes les ouvertures de bouche
possibles et cela semble avoir une influence sur
la répétitivité de l'acte :
un bâillement rapide et incomplet ayant
plus de chance d'être suivi par un second
bâillement qu'un bâillement
profond.
Ce type de bâillement semble
être général chez les
Vertébrés. Il est fréquent,
dans les études faites sur les Primates,
de ne trouver décrit que le
bâillement qui apparait dans les
situations de conflit, (toutefois quelques
espèces en sont dépourvues). Il
est alors nommé "bâillement de
tension" ou "tension yawn" ou encore
"bâillement de menace" ou "Threat yawn".
Il apparait comme étant soit une
activité de déplacement ayant ou
non une valeur de signal ; soit un
élément du complexe comportemental
agonistique. Les situations de conflit peuvent
être naturelles ou provoquées
expérimentalement : - naturelles -en
liaison avec le comportement sexuel - en liaison
avec le comportement social (tension à
l'intérieur d'un groupe au entre groupes
-en présence d'une stimulation
extérieure au groupe -
expérimentales, - par des techniques
d'introduction en liaison avec le comportement
sexuel ou avec le comportement social.
L'ensemble des conflits est du type
Approche-Evitement.
Dans les situations énoncées
ci-dessus, le bâillement de "conflit" du
point de vue de son schéma moteur peut
être identique ou différend du
bâillement de "repos". Il correspond alors
à une activité de
déplacement telle que la
définissent Duncan. Cela nous conduit
à penser, à la suite des
observations de Sauer et des travaux de Delius
sur les Oiseaux que le bâillement de
"conflit" assumerait comme les autres
activités liées au sommeil
apparaissant dans les situations de conflit
(accroupissement; "raccourcissement" du cou) une
fonction de De-Arousal. Mais on peut aussi
penser, à la suite des travaux de Andrew
que le stress induit par les situations de
conflit peut reproduire un environnement
physiologique identique à celui
observé dans les situations suivant le
sommeil (inverse du De-Arousal) mais aussi le
précédent. Cet environnement
serait caractérisé par une
vaso-constriction des vaisseaux
périphériques provoquant un
abaissement de la température corporelle.
Le bâillement de tension serait une
activité de déplacement non parce
qu'elle apparait "hors du contexte" (puisque les
stimuli proprioceptifs du bâillement
autochtone sont présents) mais parce
qu'il apparait dans des situations de
conflit.
Un seul auteur Rasa
, semble-t-il,a tenté une approche,
indirecte, de l'environnement physiologique, en
injectant dans un aquarium contenant des
Pomacentridés, de l'A.C.T.H. ce qui a eu
pour effet d'augmenter pendant un certain temps
la fréquence des bâillements de ces
Poissons. L'injection d'A.C.T.H. aurait
reproduit artificiellement l'état interne
de "haute excitation induite par la
frustration". Lebâillement de
tension-activité de déplacement
peut avoir une fonction de déclencheur
social visuel. Cela semble être le cas
chez de nombreuses espèces de Primates.
Il faut alors distinguer la direction du
bâillement. Le bâillement de
"conflit" dirigé vers un
congénère est plus probablement
suivi d'attaque et agirait donc comme une
véritable menace. Néanmoins
lorsqu'il n'est pas dirigé il peut
être l'expression du conflit
Attaque-Fuite, dans la mesure où le
Looking-away serait un moyen d'éviter les
interactions en refusant le contact visuel.
üans ce cas la valeur communicative de
l'acte serait faible (12,31)
Le bâillement dirigé,
considéré comme un
véritable élément de
menace, aurait pour but l'exhibition des canines
chez le mâle. Cette opinion ne fait pas
l'unanimité dans la mesure où les
bâillements de ce type existent chez les
femelles et où en expérimentant
sur la communication visuelle, un
bâillement dirigé provoque la
même quantité de réponses
positives que le Lipsmacking
considéré comme une
activité d'apaisement.
En résumé dans les situations
de conflit le bâillement apparaitrait soit
- comme une activité de
déplacement - comme un
élément de communication visuelle
inclus dans des séquences
agonistiques.
Nous sommes donc en présence de trois
catégories de bâillement
classées selon la situation
d'occurence:
- bâillement de "Repos" -
bâillement de "Conflit" - bâillement
de "Conflit" dirigé
Si les causalités sont
différentes quant à
l'environnement externe, on peut supposer une
identité d'environnement interne pour le
bâillement de "repos" et pour la
bâillement de "conflit" - Activité
de déplacement. Le bâillement de
"repos" serait une conséquence de
l'"ambiance" physiologique de l'entrée en
sommeil ou du réveil et non un acte
responsable de l'apparition de ce comportement.
La similitude de causalité interne se
traduira par une identité de fonction,
celle d'augmenter la température
corporelle à la suite d'un
refroidissement induit par une vaso-constriction
des vaisseaux périphériques,
(fonction homéostasique). Le
bâillement de "conflit" dirigé se
distingue apparement des deux autres quant
à sa fonction, (menace) Même si le
bâillement est un comportement peu
fréquent chez la plupart des
Vertébrés hors des périodes
de sommeil ou de repos, sa réapparition
dans les situations conflictuelles chez de
nombreuses espèces, pose un
problème. La recherche de sa solution
passe par la recherche directe ou indirecte de
l'identité ou de la différence de
sa causalité interne.