René
Frédéric
Trautmann
1875
-1956
DÉFINITION.
HISTORIQUE
Le bâillement, que l'on fait
dériver de balare (bèler)
probablement à cause du bruit
accompagnant l'action organique qu'il
désigne, ou bien du bas-latin badare
(bâtiller), est ainsi défini par
les physiologistes actuels : c'est un acte
inspiratoire dans lequel, la bouche étant
grande ouverte, une inspration profonde et
involontaire se produit, les fosses nasales
étant fermées et, le voile du
palais fortement relevé. (Viault et
Jolyet.)
Nous reviendrons, à propos de la
physiologie du bâillement, sur cette
définition, que nous n'acceptons pas
absolument, et nous exposerons pourquoi elle ne
satisfait pas notre esprit. Voyons auparavant
quelle a été la destinée du
bâillement dans l'histoire de la
médecine.
Il est évident que le bâillement
a existé de tout temps. Aussi loin que
l'on remonte, on trouve ce
phénomène mentionné par les
plus anciens médecins, qui en avaient
fait un symptôme fort important et
s'étaient efforcés de lui donner
une théorie.
Le traité d'Hippocrate
: De Flatibus,
fait à plusieurs reprises mention des
bâillements; il est curieux de voir quelle
cause leur assigne cet auteur, quel rôle
il leur fait jouer dans les fièvres.
« Ils précèdent les
fièvres, lorsque beaucoup d'air
accumulé sortant par le haut à la
fois, ouvre de force la bouche comme ferait un
levier; c'est par là, en effet, qu'est
l'issue la plus facile; de même que la
vapeur s'élève en abondance des
chaudières où l'eau bout, de
même, du corps échauffé
s'échappe par la bouche l'air
resserré et expulsé avec violence.
»
Dans un autre livre, il donne les rapports du
bâillement avec les luxations de la
mâchoire. «La machoire éprouve
dans les bâillements de fréquentes
déviations, telles que celles produites
par beaucoup d'autres déplacements de
muscles et de tendons». Et encore: «La
mâchoire est sujette à de
fréquents spasmes, et elle reprend sa
place; mais la luxation n'en est pas commune,
elle se produit surtout pendant le
bâillement; en effet, il n'y a pas de
luxation sans un grand bâillement,
accompagné d'un déplacement
latéral»
Au livre V, il indique le remède
à apporter aux bâillements
répétés. «Le
remède des bâillements continuels,
c'est de faire de longues inspirations... Pour
le bâillement, du vin coupé avec
moitié eau ou du lait».
Hippocrate avait déjà
remarqué la fréquence des
bâillements dans les états
apoplectiques, et il en tire la conclusion
suivante : «Les bâillements
continuels des apoplectiques prouvent que l'air
est la cause des apoplexies», conclusion
qui vient confirmer sa théorie
générale sur les maladies:
«Le vent est la cause de toutes les
maladies».
Imbu des mêmes idées et
commentant les uvres d'Hippocrate,
Galien
émet la théorie suivante, dans son
Commentarius primus : «Oscitatio vero est
veluti pandiculatio; quam vel humor flatuosus,
vel flatus vaporosus in musculis contentus
gignit». Il place, lui, dans les muscles le
vent producteur des bâillements, mais
n'indique pas de muscles spéciaux. Dans
ce même commentaire, il indique la
malignité du bâillement et en fait
une réaction de l'organisme
affecté par une cause morbide:
«Convulsionem, igitur. tremorem
sternutationes et oscitationes esse motus
vitiosos jam est a nobis declaratum,
simulqueostensum, eadem esse naturae, opera,
quae ab aliqua morbosa causa ad mtum violonter
impellitur».
Celse localise les vapeurs dans
l'intérieur des muscles de la mastication
: «Frequenter oscitant qui flatulenta
humiditate aut spiritibus vaporosis, inferioris
maxillae musculos alicunde imbutos, plenosque
habent».
Vers le IV°siècle après
J-C., Oribase
écrit à nouveau un commentaire des
oeuvres d'Hippocrate; il fait du
bâillement un mouvement de la force
expultrice : «Tussis quidem, sternutatio et
singultus et rigores, expultrices virtutis motus
sunt; pandiculatio et oscitatio ejusdem quidam
virtutis motus sunt, sed mediocres». Comme
Hippocrate, il donne au bâillement une
place importante dans les fièvres :
«Principium febrilis exacerbationis f'erme
est contractio extremorum partium omnium et
maxime nasi; et, quandoque etiam frigiditas
totius corporis et aliquando tussicula parum
irritans una cum frigiditate irruens. Item
oscitatio et partium corporis extensio». Il
explique aussi pourquoi l'on entend moins
distinctement pendant les bâillements.
La
Médecine statique de Sanctorius, dans le
Traité de l'art de conserver la
santé par la transpiration (1634),
donne une série de curieux aphorismes.
Sanctorius montre l'augmentation de la
transpiration pendant le bâillement :
«Le bâillement et l'extension des
membres après le sommeil prouvent que le
corps transpire beaucoup comme on le dit
à l'égard du coq qui bat des ailes
avant de chanter.». «Dans les
bâillements et l'extension des membres, on
transpire plus en une demi-heure qu'en trois
heures d'un autre temps». Pour lui, les
vapeurs se dissipent sous forme de sueur, et le
bâillement est un adjuvant utile :
«Les envies de bâiller et
d'étendre les membres lorsqu'on
s'éveille viennent de l'abondance de la
matière transpirable parfaitement
disposée à la transpiration.
»
«La nature dissipe beaucoup par la
transpiration, lorsque par les bâillements
et les extensions des membres elle s'efforce de
chasser les vapeurs qui ont été
retenues». De même dans les
fièvres, le bâillement est un signe
plutôt favorable et nous revenons à
peu près à la théorie
d'Hippocrate : «les bâillements et
l'extension des membres qui arrivent dans les
paroxysmes n'indiquent pas que la chaleur se
concentre, mais l'abondance de la matière
transpirable âcre qui avait
été retenue et que la nature
pousse par la transpiration. »
Plus tard, Fernel,
en l610, sans parler du rôle de la sueur,
prête aux bâillements un rôle
favorable dans l'évacuation des vapeurs
nuisibles: «Oscitatio vaporosi in pectore
contento, pandiculatio per corporis habitum
sparso discutiendo seruit; laxantur enim ea
distensione pori per quos, expiret». Nous
mentionnerons encore Krüger qui, en 1627,
fait paraître la première
dissertation De oscitatione; Sennert
(Sennerti opera, 1666) qui explique ainsi la
production du bâillement : «
Oscitatio quidem fit, musculis masticationi
dicatis et inferiorem maxillam moventibus,
affectis, cum halitus vaporosi in iis collecti
sunt, qui hoc motu discutiuntur. »
C'est, en somme, la théorie d'Oribase.
Il énumère ensuite les signes
tirés du bâillement :
«Oscitatio et pandiculatio etsi aepe
pigritae saltem signa sunt, aut ex imaginatione
proficiscuntur, interdum tamen a causa morbifica
ortum habent et instantium morborum sunt
praesagia»
Le bâillement n'est plus
considéré absolument comme un
signe morbide naissant toujours dans des
conditions antiphysiologiques, puisque Sennert
semble lui donner souvent un point de
départ purement physiologique. Cependant,
dans un autre chapitre, il fait une sorte de
restriction; après avoir dit :
«Interdum tamen sola imaginatio
oscitationis causa est»; il ajoute qu'une
prédisposition toute spéciale est
nécessaire : «Cum enim qui videt
alium oscitare, ipse quoque ad oscitandum
invitatur, praecipue si piger et somnolentus
sit, partesque illae vaporibus ejusmodi repletae
sint, quae imaginatione illa moventur.»
Nous n'avons pas voulu passer sous silence
l'opinion d'un homme aussi considérable
que Boerhave.
Les Proelectiones academicae (vers 1680)
donnent, pour la première fois., une
vraie description du bâillement : «In
hoc actione, aer primo quantum fieri potest
coposissimus inspiratur lente et continuo,
deinde pariter lente et fortiter expellitur,
atque adeo pectus profundissime aperitur deinde
evacuatur.»
La production du bâillement sur
l'influence des vents, des vapeurs n'est plaus
admise, et Boerhaave
formule une théorie qui subira bien peu
de modifications dans l'avenir : « in prima
actione sanguinis motus per pulmonem ad
coisinistrun celerior redditur, ut paulo post
omnino majori copia ad encephalon prematur,
adeoque spirituum uberior serretio fiat et
augeantur vires cerebri et cerebelli et major ad
motus voluntarios influxus. In altero stadio
omnes fere totius corporis musculi successive
expanduntur». Comparant la même
action chez l'homme et chez les animaux, il les
trouve identiques, plus manifestes encore chez
ces derniers, ce qui lui suggère la jolie
description d'un réveil de fauves dont la
vue lui parait très familière :
«manifestius hujus rei spectaculum est
quando animalia velocissima ex somno excistata
saltum parant, ut quando leo vel tigris a somno
ad rapinam volant; tunc enim prius omnes
musculos expandunt et continuo incredibili
velocitate in praedam se conjiciunt! »
Le bâillement et les pandiculations
favorisent la répartition
équitable du spiritus dans tous les
muscles et désobstruent les vaisseaux.
dont le sommeil ou le repos pouvaient avoir
ralenti les fonctions. C'est encore pour
favoriser le cours du sang et rétablir
l'influx nerveux qu'ont lieu dans certains cas
le bâillement et les pandiculations; leur
action va lutter contre la prédominance
trop marquée des fléchisseurs et
remettre chaque chose en sa place :
«Pandiculatio fere semper cum oscitatione
conjungitur in somnolentia, frigore febrili,
malo hysterico; et fit quantum video, maxime
extensoribus omnium artuum in motum, actis.
Videtur actio flexorum, quae fere perpetuurn
est, et in ipso somnopraevalet, corpusque
figurat nervorum et, vasorum sanguineorum
truncos ita urgere aut plicare, ut eus liberari
necesse sit contraria actione extensorum, quae
in aequa bilem rectitudinem vasa restituat,
motumque liquidorum expediat.»
Boerhaave
montre encore l'importance que l'on doit
attribuer au bâillement dans les
fièvres intermittentes : «Incipiunt
cum oscitatione et pandiculatione,
lassitudine... Haec prout majora, pluraque
simul, eo febris pejor atque in subsequente
tempore calor et aetera symptomata pejora...
Primum fere signum est oscitatio et
pandiculatio, quae omnia membra extendunt et
leviter movent.»
Ainsi le bâillement est d'autant plus
important, plus grave, qu'il est
accompagné de symptômes plus
nombreux, ce qui avait déjà fait
dire à Hippocrate à propos de la
gravité des fièvres «Voir sur
qui les signes et quels signes sont en nombre
plus considérable : le bâillement,
la toux, l'éternuement...»
La théorie première du
bâillement avait vécu, aussi
trouvons-nous simplement
développées les idées de
Boerhave dans les thèses de Beutler
(1685) et d'Hermann
(1720).
Gorter, en
1736, dans son livre De
perspiratione insensibili parle longuement
du bâillement; il lui donne pour cause un
besoin de circulation plus rapide du sang et une
anémie de l'encéphale: «Qua
actione sanguis in venis, per musculos
currentibus, magis urgetur versus venas; inde ad
cor hoc tempore major sanguinis copia ducitur,
atque ita deinceps, copiosor derivatio sanguinis
ad cerebrum cerebellumque pro spirituum
secretione. In quibus hominibus tardior
sanguinis versus cerebrum fluxus, frequens solit
fieri oscitatio et pandiculatio, uti in
somnolentia, otio, et initio vigiliarum ad
discutiendurn somnum.» Plus loin, il classe
les bâillements en bons et mauvais, selon
les circonstances dans lesquelles ils se
produisent. «Quod oscitatio et pandiculatio
in evigilantibus bonum signum, in principio
febris aliisque rnorbis malum signum,
observetur, attentionem meretur. ln animalibus
evigilantibus oscitationemet pandiculationem
rustici inter perfectae sanitatis signa ponunt,
ex quorum absentia existimant quadrupedes
aegrotare. Verum multi morbis curn pandicu
atione et oscitatione paroxysmum incohant:
lipothymia, aliique morbi ex tardiore
circulatione nati, cum his definunt. Quae,
causae bonae sunt circulationem retardantes, uti
somnus naturalis, his bonum signum praebent
oscitationes et pandiculationes; quae vero
causae malae sunt, ut est tardior circulatio in
initio paroxymi febrilis et convulsionis, vel in
vigiliis, oscitatio frequens, quando non expedit
tardam esse circulationem. idem hoc phaenomenon
malum portendit signum». Bien qu'il admette
la production du bâillement comme moyen de
venir en aide à la circulation
entravée, Gorter pense cependant qu'il
arrive lorsque les «humores» sont
accumulées dnns l'organisme;
peut-être aussi est-ce, pour lui, de cette
accumulation que résulte une circulation
défectueuse. Quoi qu'il en soit, dans ses
commentaires d'Hippocrate, il dit pour expliquer
l'aphorisme LVI du livre VII : Anxieatem...
oscitationem vinum, par pari aqua potum solvit
morbum: «0scitatio fit dum homo instigatur
ut valide et lente aperiat os, hauriatque aerem
copiosiorem pulmonibus, utactione ea, lentius
moti humores constrictione musculorum os
aperientium, atque majore pulmoni dilatatione
per rnusculos motus animalis propellantur, quod
in lethargicis somnolentis, principio febrium et
ventriculi impletione est frequens; qui etiam
evigilant, hac actione oscitendi propellunt
lente a somno progredientes humores.» Puis
il explique ainsi la conclusion du maitre :
«Si stagnantes in ventrioculo humores in
spontaneam faciant, hujusmodi oscitationes
egregie minuuntur tali poto vino diluto, quo
simul ventriculi motus blande instigatur; sed
inde non sequitur omnemoscilationes hac potione
curari.».
Après Gorter, nous remarquons deux
thèses sur le bâillement: l'une
d'Alberti, en
1737, l'autre de Günz
en 1738. Czerniewski
s'attache à son mode de production dans
une publication de 1749 : De oscilatione
machanismo. Quelques années plus tard,
Büchner
fait un travail sur le bâillement,
symptôme dans les maladies : De
oscitatione ut signo in morbis, 1758. Comme
Hippocrate, il montre que les bâillements
sont surtout fréquents aux approches des
fièvres catarrhales: «Haud rarae
quoque est observationis, in iis qui in
catarrhales incasuri sunt febres, frequentiorem
plerumque contingere oscitationem, imminentis
jam insultus febrilis praenunciatricem». Il
ne donne pas de théorie spéciale
de cet acte physiologique. La même
année Finger
met au jour un travail ayant un titre et une
portée analogues. Roederer,
qui nous a laissé plusieurs ouvrages
d'obstétrique, publia en 1759 un travail
intitulé: De oscitatione in enixu. Il
accorde au bâillement une énorme
importance et en fait un signe funeste,
avant-coureur de la mort.
Les Elementa
Physiologioe, de Haller, contiennent un long
chapitre consacré à l'étude
du bâillement. Voici la
définitïon qu'en donne le pape de la
physiologie : «Oscitatio et ipsa et longa
est inspiratio, qua multus in pulmonem aer
adducitur». Il décrit l'acte
lui-même, les causes qui le provoquent:
sommeil, faim, froid, hystérie,
fièvre, raréfaction de l'air; ses
effets: circulation plus rapide du sang dans le
pounion, production d'hémorragies,
sécrétion sudorale activée,
sensation de bien-être. La contagion du
bâillement est ainsi expliqiiée par
lui: «Quod oscitans oscitantem ad similein
hiatum invitet, ad communem utrique ab iisdem
causis oscitandi necessitatem refero, cujus
memoriam et necessitatem praesens exemplum animo
revocat.»
Walther
mérite une citation pour sa longue
dissertation sur le bâillement en 1775. Il
montre que dans certains cas l'excitation du
facial peut provoquer le bâillement,
puisqu'il a vu ce phénomène se
produire à la suite d'une infIammation de
la glande parotide comprimant ce nerf dans le
digastrique. Pour lui, à chaque
bâillement, la trachée
exécute certains mouvements bien
marqués: « In oscitatione aspera
arteria descendit cum pulmone, hinc venae magnae
subclaviae et rocurrentes cum cadem
concitiuntur, et in primis per pulmones iter fil
expeditius,hinc totius sanguinis motus
incitatur, ut, haemorrhagias faciat et in partu
sangninis effluxum praecipitet. Augetur nervorum
motus et evaporatio ex pulmone». Ce sont
là les points saillants de cette
thèse.
Double, en
1817, distingue deux sortes de bâillement:
ceux produits paresse, l'ennui, etc., et ceux
survenant au cours des maladies; il
énumère les cas pathologiques
où on les rencontre et pose la
régle suivante: «en
général. le bâillement est
un signe mortel toutes les fois qu'il existe un
grand épuisement des forces dans les
maladies aiguës, par exemple chez les
femmes qui sont en travail d'enfantement et
même durant les maladies aiguës des
femmes en couches. »
En 1821, Adelon
donne une description très
détaillée du bâillement et
en expose nettement la physiologie; ses causes
doivent être cherchées dans toutes
les circonstances qui exigeraient une
inspiration plus profonde, soit pendant la
maladie soit en état de santé. La
dissertation de Rothmund
(De oscitatione) en 1824 ne met en relief aucun
fait nouveau, elle montre simplement le cas que
fait l'auteur du symptôme bâillement
en pathologie. C'est le résumé des
idées émises jusqu'à cetet
époque. Richerand,
en 1825, dans sa Physiologie fait du
bâillement un acte analogue au soupir se
réalisant quand «les poumons sont
gorgés de sang dans leur parenchyme et,
par suite les cavités droites du
cur où il produit une sensation
incommode que l'on fait cesser par une longue et
profonde inspiration». Les
bâillements du réveil se produisent
«afin de monter les muscles du thorax au
degré convenable à la respiration
toujours plus lente, plus rare et plus profonde
durant le sommeil que pendant la veille ».
Comme Boerhaave, il compare les
bâillements et pandiculations du
réveil avec les mouvements des animaux au
point du jour; il met en parallèle non
plus les animaux féroces mais le coq et
les oiseaux d'où cette citation riante au
milieu des graves théories de la
physiologie: « C'est par un besoin analogue
que l'instant du réveil est marqué
chez tous les animaux par des pandiculations,
action musculaire dans laquelle les muscles
semblent se disposer aux contractions que les
mouvements exigent. C'est à la même
utilité que l'on doit rapporter le chant
du coq et l'agitation de ses ailes; enfin c'est
pour obéir à la même
nécessité, qu'au lever du soleil,
les nombreuses tribus des oiseaux qui peuplent
nos bocages gazouillent à l'envie et font
retentir les airs de chants harmonieux. Le
poète croit entendre alors l'hymne joyeux
par lequel le peuple ailé
célèbre le retour du dieu de la
lumière. »
Le Manuel de physiologie de Mueller,
en 1851, montre que le nerf facial joue un grand
rôle dans le bâillement, puisque
tous les muscles respiratoires de la face et le
digastrique qui ouvre la bouche sont
innervés par lui. Il indique le cerveau
comme devant avoir une place
prépondérante dans la production
du bâillement et cherche à
déterminer la cause de l'espèce de
contagiosité de cet acte. Nous
reviendrons sur ces travaux quand nous
traiterons la partie physiologique.
La Pathologie générale de
Monneret
(1861) indique comme causes du bâillement
dans les maladies : insuffisance
d'hématose (asphyxie commencante,
pneumonie, pleurésie); diminution des
globules du sang (chlorose, anémie) ;
trop faible quantité de sang
(hémorragies).
Dans sa Physiologie, Longet,
en 1868, insiste surtout sur ce fait que le
bâillement est involontaire. «Ce qui
constitue le bâillement, dit-il, ce n'est
pas l'ouverture de la bouche,
l'écartement de la mâchoire, etc.,
mais bien la sensation qui le provoque et l
espasme qui l'accompagne; produit aussi par une
action réflexe du système nerveux
central, il est indépendant de la
volonté, et s'il est possible de
dissimuler quelques-unes de ses manifestations,
il est presque impossible de l'étouffer
complètement lorsque le besoin s'en fait
sentir.».Il insiste peu sur son rôle
dans les maladies. Du reste, au fur et à
mesure de l'évolution de la science, le
bâillement a perdu de son importance
primitive, c'est ce qui a fait dire à
Dechambre : «Les auteurs anciens qui ont
poussé si loin l'étude de la
séméiologie ont donné au
bâillement une valeur
séméiotique qui nous parait
manifestement exagérée
aujourd'hui, mais qui, cependant, mérite
encore à certains égards
d'ètre prise en considération...
En somme, la valeur séméiotique du
bâillement, mesurée au peu
d'importance physiologique de ce
phénomène envisagé en
lui-même, se trouve réduite de
beaucoup si l'on considère d'une part son
extême fréquence dans les
conditions, normales les plus ordinaires et les
plus indifférentes de la vie, et si,
d'autre part on tient compte de cette
circonstance que lorsqu'il se manifeste chez des
sujets en proie à un état morbide
grave ou sous l'influence d'une crise fatale, il
coïncide toujours avec d'autres
phénomènes d'une valeur
symptomatique bien autrement significative. De
sorte qu'on pourrait tout au plus inférer
de sa fréquente répétition,
abstraction faite de tout autre symptome au
degré plus ou moins grand de
dépression accompagnée d'un
état spasmodique. C'est là, en
effet, sa seule, et véritable
signification. Ainsi réduit, le
rôle séméiotique du
bâillement a encore cependant une certaine
valeur.»
Nous n'avons pas hésité
à citer l'opinion d'un homme comme
Dechambre,
elle montre que de nos jours le symptôme
bâillement est bien déchu de son
importance primitive. Nous ne patageons
cependant pas l'avis de cet auteur : le
bâillement, ne fut-il qu'un modeste signe
clinique mériterait qu'on ne le passe pas
sous silence. Du reste, la publication
récente de quelques observations de
bâillements incoercibles vient d'ouvrir un
horizon nouveau à cette question
tombée dans l'oubli, et fait dire
à Charcot
(Lecons du mardi à La
Salpêtrière): «A la
vérité, toute l'ancienne
séméiologie du bâillement me
semble aujourd'hui bien démodée;
peut-être y aurait-il intérêt
à la refaire». Nous avons cru faire
un travail utile en présentant ici une
étude sans prétention du
bâillement.