- I Physiologie. Le bâillement
(oscitatio) est un acte physiologique qui
consiste en une inspiration grande, profonde, et
lente, avec écartement plus ou moins
considérable des mâchoires, suivie
d'une expiration également profonde et
prolongée et le plus ordinairement
bruyante. Il s'accompagne souvent d'une
extension des membres avec renversement du tronc
et de la tête en arrière
(pandiculations). C'est une modification de
l'acte respiratoire; c'est la respiration avec,
ses deux temps constitutifs, à
l'état spasmodique ou convulsif. Le
bâillement est, en effet, involontaire
comme tous les actes spasmodiques. Pendant qu'il
s'accomplit, l'air est inspiré à
peu près exclusivement par la bouche
largement ouverte, les orifices
postérieurs des fosses nasales
étant en partie oblitérés
par le voile du palais convulsivement
contracté et relevé vers la paroi
supérieure du larynx. Cette contraction
du voile du palais persiste pendant toute la
durée du bâillement; elle ne cesse
qu'avec l'occlusion de la bouche. Le
bâillement a encore pour effet
l'oblitération momentanée plus ou
moins complète de la trompe d'Eustache,
et par suite une obtusion passagère de
l'ouïe. Il s'accompagne souvent, aussi,
d'un peu de larmoiement et d'une augmentation de
sécrétion salivaire.
-
- Le bâillement est
considéré par tous les
physiologistes comme, un acte instinctif
occasionné par un embarras ou un
ralentissement de la respiration, qu'il a pour
but de faire cesser en faisant
pénétrer une plus grande
quantité d'air dans les poumons. «
Prcedit oscitationem lentior per pulmones
sanguinis motus, ut cum solitis inspirationis
viribus per id circumire nequeat. »
(Haller.)
-
- Presque toutes les causes qui le
déterminent supposent, en effet, un
certain degré de ralentissement dans la
respiration et une sorte de paresse
physiologique ou d'état
général de débilité
et de torpeur. Telles sont, notamment, la
fatigue, l'envie de dormir, l'ennui, la faim, le
froid ou une chaleur excessive ou bien enfin,
cet état particulier de malaise qui
précède ou annonce quelques
états morbides.
-
- La douleur, le plaisir, l'ennui font
également bâiller, dit Buffon; mais
il est vrai, qu'on bâille vivement et que
cette espèce de convulsion est prompte
dans la douleur et le plaisir, au lieu que le
bâillement de l'ennui en porte le
caractère par la lenteur avec laquelle il
se fait. Celui-là seul est le
véritable bâillement. Le mouvement
convulsif que Buffon
rapporte à la douleur ou au plaisir,
rentre plutôt dans la définition du
soupir; c'est la respiration suspirieuse. Par
contre, dans le vers si connu et si imitatif
dans lequel Boileau peint la Mollesse:
-
- «Et lasse de parler, succombant sous
l'effort,
- Soupire, étend les bras, ferme l'oeil
et s'endort.»
-
- bâille eut été mieux
à sa place que soupire.
-
-
- Le bâillement est quelquefois
lié à certains états de
l'estomac, comme en témoignent les
bâillements qui surviennent souvent
pendant une digestion laborieuse, ou même
sous l'influence de douleurs stomacales, de
cardialgies. C'est toujours sous la même
influence immédiate du besoin instinctif
d'activer l'hématose et par le même
mécanisme, qu'il se produit dans ces
diverses circonstances, bien que ce ne soit en
quelque sorte que sympathiquement ou, par action
réflexe qu'il a lieu alors. Ce qui tend
d'ailleurs à démontrer que c'est
bien effectivement par un besoin instinctif de
remplir les poumons d'une certaine
quantité d'air, qu'est produit le
bâillement, ce sont les expériences
faites sur les animaux placés sous une
machine pneumatique ou dans une
atmosplière non respirable, et qui
bâillent à plusieurs reprises avant
de succomber à l'asphyxie.
-
- D'après les théories
physiologiques modernes, le bâillement est
un de ces actes réflexes dans lesquels le
centre nerveux réagit contre une
impression qui l'affecte. « Une gêne
existe l'hématose, ou bien une
quantité trop grande de sang noir s'est
accumulée dans les cavités droites
alors au point, des centres nerveux ou
éprouve une impression pénible qui
détermine une longue inspiration »
(Longet).
-
- Quant à son mécanisme
physiologique il n'est autre que celui de la
respiration elle-même; ce sont les
mêmes muscles qui y concourent, mais avec
une plus grande amplitude de mouvement, sinon
avec plus de puissance, et avec ce type
spasmodique qui en constitue le caractère
essentiel. En effet, pendant le
bâillement, le diaphragme, les muscles
intercostaux internes et externes, les
scalènes, les
sterno-cleido-mastoïdiens, les portions
claviculaires des trapèzes, les petits
pectoraux, les sous-claviers, les grands
dentelés, les rhomboïdes, etc, en un
mot, tous les muscles inspirateurs directs ou
auxiliaires entrent en contraction dans le
premier temps du bâillement, ainsi que
tous les muscles expirateurs tant
extrinsèques qu'intrinsèques dans
le deuxième temps. De plus un grand
nombre des muscles de la face, les abaisseurs de
la mâchoire, les dilatateurs des ailes du
nez et de la lèvre supérieure, les
zygomatiques, les orbiculaires des
paupières etc., et enfin souvent la
plupart des muscles extenseurs des membres
entrent aussi synergiquement en
contraction.
-
- Le bâillement, avons-nous dit, est un
acte involontaire. De même que pour les
autres modifications de la respiration telles
que le soupir, le hoquet, qui ne sont aussi que
des mouvements respiratoires convulsifs, il ne
dépend de la volonté ni de le
faire naitre, ni de le faire cesser, une fois
commencé. Il est facile, dit M. Longet,
de simuler le bâillement, mais en vain
ouvrira-t-on largement la bouche pour inspirer
une plus grande quantité d'air, en vain
fera-t-on successivement deux ou trois
inspirations, ou n'aura pas bâillé
si le besoin n'en existait pas. Ce qui constitue
essentiellement le bâillement, ce n'est
donc pas l'un ou l'autre des
phénomènes qui entrent dans son
accomplissement, c'est la sensation qui le
provoque et le spasme qui l'accompagne.
Cependant si le bâillement est un acte
involontaire, il est possible jusqu'à un
certain point, par la volonté, d'en
dissimuler au moins une partie, d'en
abréger, par exemple, le dernier temps en
fermant brusquement la bouche par une sorte de
réaction énergique, voulue, et en
contenant l'expiration bruyante, qui le termine
habituellement. D'un autre côté si
la volonté ne suffit pas pour le
produire, il est certain que l'on arrive presque
infailliblement à en déterminer la
manifestation en cherchant à plusieurs
reprises à le simuler ou à le
provoquer. C'est enfin un des actes instinctifs
sur lesquels l'imitation a peut-être le
plus de puissance. On sait combien, dans une
réunion d'hommes, le bâillement est
communicatif.
-
- Au point de vue de sa valeur expressive ou
physiognomonique, le bâillement est la
traduction et comme le cachet d'un sentiment
d'ennui ou de langueur et en
général de toute
préoccupation, de nature triste et
dépressive. « Lorsque le
bâillement est habituel, chez une
personne, dit M.
Le Pelletier de la Sarthe, (Traité de
physiognomonie), on peut présumer chez
elle une intelligence bornée, sans
initiative, un esprit lent, paresseux, inactif,
un caractère mou, faible, indolent,
craintif, indifférent,
mélancolique, ennuyeux, incapable d'une
résolution énergique, d'une
entreprise longue, difficile ou
périlleuse. »
-
-
- II Séméiologie. Le
bâillement, qui ne sort pas des limites
physiologiques tant qu'il n'est que l'expression
de la lassitude générale et le
prélude du sommeil, se produit dans
quelques circonstances sous l'influence de
certains états morbides et en particulier
des états morbides spasmodiques. Il
acquiert alors une valeur
séméiologique, et devient
quelquefois par lui-mëme un fait
pathologique. C'est ainsi qu'on l'observe, dans
quelques circonstances, au début d'une
affection, ou qu'il en a
précédé même les
premières manifestations, comme dans la
fièvre intermittente ou dans
l'épilepsie, dont il annonce quelquefois
un accès imminent; d'autres fois, au
contraire, au déclin d'un état
morbide dont il annonce alors la solution ou la
crise finale, ainsi que cela a lieu souvent dans
l'hystérie.
-
- Les auteurs anciens qui ont poussé si
loin l'étude de la
séméiologie ont donné au
bâillement une importance
sémiotique qui nous paraît
manifestement exagérée
aujourd'hui, mais qui, cependant, mérite
encore, à certains égards,
d'être prise en considération.
-
- « Oscitatio et pandiculatio, a dit
Sennert, etsi saepe
pigritiae, saltem signa sunt, aut ex
imaginatione proficiscuntur; interdum tamen a
causa morbifica ortum habent et morborum.
instantium sunt praesagia. »
-
- Longtemps avant Sennert, Hippocrate
(de Fiatibus), avait déjà
constaté que le bâillement
précède souvent l'invasion des
fièvres en général, et
spécialement l'invasion de l'accès
dans les fièvres intermittentes: il
prévoyait d'après sa
fréquence et son intensité la
durée et la violence de l'accès.
Les bâillements fréquents suivis de
larmoiement et de pandiculations, ont
été constatés aussi comme,
signes précurseurs des fièvres
éruptives. Double dit avoir
observé très souvent les
bâillements avec sternutation, aux
approches des fièvres catarrhales qui
règnent si souvent d'une manière
épidémique à Paris.
-
- Le bâillement se produit assez
fréquemment dans le travail de
l'enfantement. Rderer,
qui a écrit une dissertation sur le
bâillement dans l'enfantement (de
Os. citatione in enixu, 1759), en a
certainement beaucoup exagéré la
gravité en le signalant comme un
symptôme funeste dans ce cas et comme
l'avant-coureur d'un cas mortel. Nous en dirons
autant du bâillement qui survient dans les
maladies aiguës des femmes en couches. De
ce que l'on a constaté quelque fois, en
effet, de fréquents bâillements
pendant un travail d'accouchement malheureux, ou
dans la durée d'une affection
puerpérale aiguë qui s'est
terminée par la mort ce n'est point une
raison pour attacher à ce
phénomène une valeur
séméiologique de cette importance.
Quels praticiens n'ont pas eu l'occasion de voir
des femmes en proie à des
bâillernents répétés
et fatigants, pendant un travail naturel et un
accouchement facile ou durant le cours d'une
affection puerpérale
légère, terminée par la
guérison ?
-
- Les bâillements que l'on a
constatés chez les jeunes filles mal
règlées et notamment après
la suppression de leurs règles, et
survenant paroxystiquement, avec tant de force,
disent Hchsteter et Riedlem, qu'il en
résulte des maux de tête et un
état général de malaise et
d'incommodité, ne nous paraissent
être autre chose que le fait de la
disposition hystérique, qui se lie si
fréquemment a
1'irrégularité menstruelle.
-
- Nous n'attacherons pas plus d'importance
à la signification aux bâillements
des enfants nouveau-nés.
-
- En somme, la valeur
séméiotique du bâillement
mesurée a peu d'importance physiologique
et ce phénomène envisagé en
lui-même, se trouve réduite de
beaucoup, si l'ont considère, d'une part,
son extrême fréquence dans les
conditions normales les plus ordinaires et les
plus indifférentes de la vie; et si,
d'autre part, on tient compte de cette
circonstance: que lorsqu'il se manifeste chez
des sujets en proie à un état
morbide grave et sous l'imminence d'une crise
fatale, comme on l'on constaté souvent
dans la syncope mortelle, dans le cours des
fièvres graves, ataxiques ou adynamiques,
dans la fièvre puerpérale ou
pendant un travail d'accouchement laborieux qui
met les jours de la mère en danger,
à la suite des hémmorrhagies
abondantes ou des grands traumatismes, il
coïncide toujours avec d'autres
phénomènes d'une valeur
symptomatique bien autrement significative. De
sorte qu'on pourrait tout au plus inférer
de sa fréquente répétition,
abstraction faite de tout autre symptôme,
un degré plus ou moins grand de
dépression accompagné d'un
état général spasmodique.
C'est là, en effet, sa seule et
véritable signification.
-
- Ainsi réduit, le rôle
séméiotique du bâillement a
encore cependant une certaine valeur, qu'il
emprunte au caractère même que nous
venons de lui assigner.
-
- Nous avons déjà dit qu'il se
manifestait souvent au début ou dans le
cours de plusieurs névroses. On
l'observe, en effet, très communement
dans l'hystérie, soit au début de
l'accès, soit et plus souvent
peut-être à son déclin; il
annonce dans ce cas la fin de l'accès, il
en est comme la crise finale. On l'a
constaté aussi chez les femmes atteintes
de catalepsie ou de somnambulisme.
Associés ou non aux pandiculations, les
bâillements précédent
souvent le frisson initial d'un accès de
fièvre intermittente, qu'ils peuvent
ainsi faire prévoir. Chez certains
épileptiques, l'accès est toujours
annoncé par des bâillements
réitérés avec tendance au
sommeil; ils deviennent alors un avertissement
salutaire qui peut permettre de prendre des
précautions utiles. On constate
fréquemment aussi, le bâillement
dans les circonstances où le sang a perdu
de ses propriétés physiologiques,
par insuffisance d'oxygénation, comme
dans l'asphyxie commençante, dans la
pneumonie et géneralement toutes les
affections dans lesquelles le champ de la
respiration se trouve limité. Il devient
ainsi un des signes de l'anémie et de la
chlorose.
-
- Telle est la valeur
séméiotique vraie des
bâillements.
- Quelques auteurs ont vu dans le
bâillement lui-même un fait
pathologique idiopathique. On a rapporté
quelques exemples de bâillements
répétés et
incoërcibles, qui semblaient constituer
à eux seuls un véritable
état morbide. Tel est, entre autres, le
fait cité dans le Dictionnaire des
sciences médicales, et celui de Mr
Coursserant dans la Gazette des hôpitaux
de 1846 (n° du 10 octobre).
-
- Enfin, le bâillement peut, dans
quelques circonstances, devenir à son
tour cause d'une lésion grave, telle, que
le luxation de la mâchoire. Les exemples
de cette lésion produite sous la seule
influencé du bâillement ne sont pas
rares n'est presque pas de traité de
chirurgie qui n'en rapporte quelques-uns; nous
en avons relevé pour notre part une
dizaine environ dans les recueils
périodiques de médecine.
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