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Biographies de neurologues
 
Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière
 
 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
 
 

mise à jour du
 26 août 2007
tome second
p525-550
Histoire naturelle, générale et particulière,
avec la description du cabinet du roy
Leclerc, Comte de Buffon
1707-1788
http://www.buffon.cnrs.fr/

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 buffonbuffon
1749
 
La bouche et les lèvres sont après les yeux les parties du visage qui ont le plus de mouvement et d'expression; les passions influent sur ces mouvemens, la bouche en marque les différens caractères par les différentes formes qu'elle prend; l'organe de la voix anime encore cette partie, et la rend plus vivante que toutes les autres; la couleur vermeille des lèvres, la blancheur de l'émail des dents, tranchent avec tant d'avantage sur les autres couleurs du visage, qu'elles paroissent en faire le point de vûe principal; on fixe en effet les yeux sur la bouche d'un homme qui parle, et on les y arrête plus long-temps que sur toutes les autres parties; chaque mot, chaque articulation, chaque son produisent des mouvemens différens dans les lèvres: quelque variez et quelque rapides que soient ces mouvemens, on pourroit les distinguer tous les uns des autres; on a vû des sourds en connoître si parfaitement les différences et les nuances successives, qu'ils entendoient parfaitement ce qu'on disoit en voyant comme on le disoit.
 
La mâchoire inférieure est la seule qui ait du mouvement dans l'homme et dans tous les animaux, sans en excepter même le crocodile, quoique Aristote assure en plusieurs endroits que la mâchoire supérieure de cet animal est la seule qui ait du mouvement, et que la mâchoire inférieure à laquelle, dit-il, la langue du crocodile est attachée, soit absolument immobile; j'ai voulu vérifier ce fait, et j'ai trouvé en examinant le squelette d'un crocodile, que c'est au contraire la seule mâchoire inférieure qui est mobile, et que la supérieure est, comme dans tous les autres animaux, jointe aux autres os de la tête, sans qu'il y ait aucune articulation qui puisse la rendre mobile. Dans le fœtus humain la mâchoire inférieure est, comme dans le singe, beaucoup plus avancée que la mâchoire supérieure; dans l'adulte il seroit également difforme qu'elle fut trop avancée ou trop reculée, elle doit être à peu près de niveau avec la mâchoire supérieure.
 
Dans les instans les plus vifs des passions la mâchoire a souvent un mouvement involontaire, comme dans les mouvemens où l'ame n'est affectée de rien; la douleur, le plaisir, l'ennui, font également bâiller, mais il est vrai qu'on bâille vivement, et que cette espèce de convulsion est très-prompte dans la douleur et le plaisir, au lieu que le bâillement de l'ennui en porte le caractère par la lenteur avec laquelle il se fait.
 
Lorsqu'on vient à penser tout-à-coup à quelque chose qu'on desire ardemment ou qu'on regrette vivement, on ressent un tressaillement ou un serrement intérieur; ce mouvement du diaphragme agit sur les poumons, les élève et occasionne une inspiration vive et prompte qui forme le soupir; et lorsque l'ame a réfléchi sur la cause de son émotion, et qu'elle ne voit aucun moyen de remplir son desir ou de faire cesser ses regrets, les soupirs se répètent, la tristesse qui est la douleur de l'ame, succède à ces premiers mouvemens, et lorsque cette douleur de l'ame est profonde et subite, elle fait couler les larmes, et l'air entre dans la poitrine par secousses, il se fait plusieurs inspirations réitérées par une espèce de secousse involontaire; chaque inspiration fait un bruit plus fort que celui du soupir, c'est ce qu'on appelle sanglotter; les sanglots se succèdent plus rapidement que les soupirs, et le son de la voix se fait entendre un peu dans le sanglot; les accens en sont encore plus marquez dans le gémissement, c'est une espèce de sanglot continué, dont le son lent se fait entendre dans l'inspiration et dans l'expiration; son expression consiste dans la continuation et la durée d'un ton plaintif formé par des sons inarticulez: ces sons du gémissement sont plus ou moins longs, suivant le degré de tristesse, d'affliction et d'abattement qui les cause, mais ils sont toûjours répétez plusieurs fois; le temps de l'inspiration est celui de l'intervalle de silence qui est entre les gémissemens, et ordinairement ces intervalles sont égaux pour la durée et pour la distance. Le cri plaintif est un gémissement exprimé avec force et à haute voix; quelquefois ce cri se soûtient dans toute son étendue sur le même ton, c'est surtout lorsqu'il est fort élevé et très-aigu; quelquefois aussi il finit par un ton plus bas, c'est ordinairement lorsque la force du cri est modérée.
 
Le ris est un son entre-coupé subitement et à plusieurs reprises par une sorte de trémoussement qui est marqué à l'extérieur par le mouvement du ventre qui s'élève et s'abaisse précipitamment, quelquefois pour faciliter ce mouvement on penche la poitrine et la tête en avant: la poitrine se resserre et reste immobile, les coins de la bouche s'éloignent du côté des joues qui se trouvent resserrées et gonflées; l'air à chaque fois que le ventre s'abaisse, sort de la bouche avec bruit, et l'on entend un éclat de la voix qui se répète plusieurs fois de suite, quelquefois sur le même ton, d'autres fois sur des tons différens qui vont en diminuant à chaque répétition. Dans le ris immodéré et dans presque toutes les passions violentes les lèvres sont fort ouvertes, mais dans des mouvemens de l'ame plus doux et plus tranquilles les coins de la bouche s'éloignent sans qu'elle s'ouvre, les joues se gonflent, et dans quelques personnes il se forme sur chaque joue, à une petite distance des coins de la bouche, un léger enfoncement que l'on appelle la fossette, c'est un agrément qui se joint aux graces dont le soûris est ordinairement accompagné.
 
Le souris est une marque de bienveillance, d'applaudissement et de satisfaction intérieure, c'est aussi une façon d'exprimer le mépris et la moquerie, mais dans ce soûris malin on serre davantage les lèvres l'une contre l'autre par un mouvement de la lèvre inférieure. Les joues sont des parties uniformes qui n'ont par elles-mêmes aucun mouvement, aucune expression, si ce n'est par la rougeur ou la pâleur qui les couvre involontairement dans des passions différentes; ces parties forment le contour de la face et l'union des traits, elles contribuent plus à la beauté du visage qu'à l'expression des passions, il en est de même du menton, des oreilles et des temples.
 
On rougit dans la honte, la colère, l'orgueil, la joie; on pâlit dans la crainte, l'effroi et la tristesse; cette altération de la couleur du visage est absolument involontaire, elle manifeste l'état de l'ame sans son consentement; c'est un effet du sentiment sur lequel la volonté n'a aucun empire, elle peut commander à tout le reste, car un instant de réflexion suffit pour qu'on puisse arrêter les mouvemens musculaires du visage dans les passions, et même pour les changer; mais il n'est pas possible d'empêcher le changement de couleur, parce qu'il dépend d'un mouvement du sang occasionné par l'action du diaphragme qui est le principal organe du sentiment intérieur.
 
La tête en entier prend dans les passions, des positions et des mouvemens différens, elle est abaissée en avant dans l'humilité, la honte, la tristesse, penchée à côté dans la langueur, la pitié, élevée dans l'arrogance, droite et fixe dans l'opiniâtreté; la tête fait un mouvement en arrière dans l'étonnement, et plusieurs mouvemens réitérez de côté et d'autre dans le mépris, la moquerie, la colère et l'indignation.
 
Dans l'affliction, la joie, l'amour, la honte, la compassion, les yeux se gonflent tout-à-coup, une humeur sur-abondante les couvre et les obscurcit, il en coule des larmes; l'effusion des larmes est toûjours accompagnée d'une tension des muscles du visage, qui fait ouvrir la bouche; l'humeur qui se forme naturellement dans le nez devient plus abondante, les larmes s'y joignent par des conduits intérieurs, elles ne coulent pas uniformément, et elles semblent s'arrêter par intervalles.
 
Dans la tristesse les deux coins de la bouche s'abaissent, la lèvre inférieure remonte, la paupière est abaissée à demi, la prunelle de l'œil est élevée et à moitié cachée par la paupière, les autres muscles de la face sont relâchez, de sorte que l'intervalle qui est entre la bouche et les yeux, est plus grand qu'à l'ordinaire, et par conséquent le visage paroît alongé.
 
Dans la peur, la terreur, l'effroi, l'horreur, le front se ride, les sourcils s'élèvent, la paupière s'ouvre autant qu'il est possible, elle surmonte la prunelle et laisse paroître une partie du blanc de l'œil au dessus de la prunelle qui est abaissée et un peu cachée par la paupière inférieure, la bouche est en même temps fort ouverte, les lèvres se retirent et laissent paroître les dents en haut et en bas. (Voyez pl. 8, fig. 2.) Dans le mépris et la dérision la lèvre supérieure se relève d'un côté et laisse paroître les dents, tandis que de l'autre côté elle a un petit mouvement comme pour soûrire, le nez se fronce du même côté que la lèvre s'est élevée, et le coin de la bouche recule; l'œil du même côté est presque fermé, tandis que l'autre est ouvert à l'ordinaire, mais les deux prunelles sont abaissées comme lorsqu'on regarde du haut en bas.
 
Dans la jalousie, l'envie, la malice, les sourcils descendent et se froncent, les paupières s'élèvent et les prunelles s'abaissent, la lèvre supérieure s'élève de chaque côté, tandis que les coins de la bouche s'abaissent un peu, et que le milieu de la lèvre inférieure se relève pour joindre le milieu de la lèvre supérieure.
 
Dans le ris les deux coins de la bouche reculent et s'élèvent un peu, la partie supérieure des joues se relève, les yeux se ferment plus ou moins, la lèvre supérieure s'élève, l'inférieure s'abaisse, la bouche s'ouvre et la peau du nez se fronce dans les ris immodérez. Les bras, les mains et tout le corps entrent aussi dans l'expression des passions; les gestes concourent avec les mouvemens du visage pour exprimer les différens mouvemens de l'ame. Dans la joie, par exemple, les yeux, la tête, les bras et tout le corps sont agitez par des mouvemens prompts et variez: dans la langueur et la tristesse les yeux sont abaissez, la tête est penchée sur le côté, les bras sont pendans et tout le corps est immobile: dans l'admiration, la surprise, l'étonnement, tout mouvement est suspendu, on reste dans une même attitude.
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Cette première expression des passions est indépendante de la volonté, mais il y a une autre sorte d'expression qui semble être produite par une réflexion de l'esprit et par le commandement de la volonté, qui fait agir les yeux, la tête, les bras et tout le corps: ces mouvemens paroissent être autant d'efforts que fait l'ame pour défendre le corps, ce sont au moins autant de signes fécondaires qui répètent les passions, et qui pourroient seuls les exprimer; par exemple, dans l'amour, dans le desir, dans l'espérance on lève la tête et les yeux vers le ciel, comme pour demander le bien que l'on souhaite; on porte la tête et le corps en avant, comme pour avancer, en s'approchant, la possession de l'objet desiré; on étend les bras, on ouvre les mains pour l'embrasser et le saisir: au contraire dans la crainte, dans la haine, dans l'horreur nous avançons les bras avec précipitation, comme pour repousser ce qui fait l'objet de notre aversion, nous détournons les yeux et la tête, nous reculons pour l'éviter, nous fuyons pour nous en éloigner.
 
Ces mouvemens sont si prompts qu'ils paroissent involontaires, mais c'est un effet de l'habitude qui nous trompe, car ces mouvemens dépendent de la réflexion, et marquent seulement la perfection des ressorts du corps humain, par la promptitude avec laquelle tous les membres obéissent aux ordres de la volonté. Comme toutes les passions sont des mouvemens de l'ame, la plûpart relatifs aux impressions des sens, elles peuvent être exprimées par les mouvemens du corps, et sur-tout par ceux du visage: on peut juger de ce qui se passe à l'intérieur par l'action extérieure, et connoître à l'inspection des changemens du visage, la situation actuelle de l'ame; mais comme l'ame n'a point de forme qui puisse être relative à aucune forme matérielle, on ne peut pas la juger par la figure du corps ou par la forme du visage; un corps mal fait peut renfermer une fort belle ame, et l'on ne doit pas juger du bon ou du mauvais naturel d'une personne par les traits de son visage, car ces traits n'ont aucun rapport avec la nature de l'ame, aucune analogie sur laquelle on puisse fonder des conjectures raisonnables.
 
Les Anciens étoient cependant fort attachez à cette espèce de préjugé, et dans tous les temps il y a eu des hommes qui ont voulu faire une science divinatoire de leurs prétendues connoissances en physionomie, mais il est bien évident qu'elles ne peuvent s'étendre qu'à deviner les mouvemens de l'ame par ceux des yeux, du visage et du corps, et que la forme du nez, de la bouche et des autres traits ne fait pas plus à la forme de l'ame, au naturel de la personne, que la grandeur ou la grosseur des membres fait à la pensée. Un homme en sera-t-il plus spirituel parce qu'il aura le nez bien fait? en sera-t-il moins sage parce qu'il aura les yeux petits et la bouche grande? il faut donc avouer que tout ce que nous ont dit les physionomistes est destitué de tout fondement, et que rien n'est plus chimérique que les inductions qu'ils ont voulu tirer de leurs prétendues observations métoposcopiques.
 
Les parties de la tête qui font le moins à la physionomie et à l'air du visage, sont les oreilles; elles sont placées à côté et cachées par les cheveux: cette partie qui est si petite et si peu apparente dans l'homme, est fort remarquable dans la plûpart des animaux quadrupèdes, elle fait beaucoup à l'air de la tête de l'animal, elle indique même son état de vigueur ou d'abattement, elle a des mouvemens musculaires qui dénotent le sentiment et répondent à l'action intérieure de l'animal. Les oreilles de l'homme n'ont ordinairement aucun mouvement, volontaire ou involontaire, quoiqu'il y ait des muscles qui y aboutissent; les plus petites oreilles sont, à ce qu'on prétend, les plus jolies, mais les plus grandes et qui sont en même temps bien bordées, sont celles qui entendent le mieux.
 
Il y a des peuples qui en agrandissent prodigieusement le lobe, en le perçant et en y mettant des morceaux de bois ou de métal, qu'ils remplacent successivement par d'autres morceaux plus gros, ce qui fait avec le temps un trou énorme dans le lobe de l'oreille, qui croît toûjours à proportion que le trou s'élargit; j'ai vû de ces morceaux de bois qui avoient plus d'un pouce et demi de diamètre, qui venoient des Indiens de l'Amérique méridionale, ils ressemblent à des dames de trictrac. On ne sçait sur quoi peut être fondée cette coûtume singulière de s'agrandir si prodigieusement les oreilles; il est vrai qu'on ne sçait guère mieux d'où peut venir l'usage presque général dans toutes les nations, de percer les oreilles, et quelquefois les narines, pour porter des boucles, des anneaux, etc. à moins que d'en attribuer l'origine aux peuples encore sauvages et nuds, qui ont cherché à porter de la manière la moins incommode les choses qui leur ont paru les plus précieuses, en les attachant à cette partie.
 
La bizarrerie et la variété des usages paroissent encore plus dans la manière différente dont les hommes ont arrangé les cheveux et la barbe; les uns, comme les Turcs, coupent leurs cheveux et laissent croître leur barbe; d'autres, comme la plûpart des Européens, portent leurs cheveux ou des cheveux empruntez et rasent leur barbe; les Sauvages se l'arrachent et conservent soigneusement leurs cheveux; les Nègres se rasent la tête par figures, tantôt en étoiles, tantôt à la façon des Religieux, et plus communément encore par bandes alternatives, en laissant autant de plein que de rasé, et ils font la même chose à leurs petits garçons; les Talapoins de Siam font raser la tête et les sourcils aux enfans dont on leur confie l'éducation; chaque peuple a sur cela des usages différens, les uns font plus de cas de la barbe de la lèvre supérieure que de celle du menton, d'autres préfèrent celle des joues et celle du dessous du visage; les uns la frisent, les autres la portent lisse.
 
Il n'y a pas bien long-temps que nous portions les cheveux du derrière de la tête épars et flottans, aujourd'hui nous les portons dans un sac; nos habillemens sont différens de ceux de nos pères, la variété dans la manière de se vêtir est aussi grande que la diversité des nations, et ce qu'il y a de singulier, c'est que de toutes les espèces de vêtemens nous avons choisi l'une des plus incommodes, et que notre manière, quoique généralement imitée par tous les peuples de l'Europe, est en même temps de toutes les manières de se vêtir celle qui demande le plus de temps, celle qui me paroît être le moins assortie à la Nature. Quoique les modes semblent n'avoir d'autre origine que le caprice et la fantaisie, les caprices adoptez et les fantaisies générales méritent d'être examinez: les hommes ont toûjours fait et feront toûjours cas de tout ce qui peut fixer les yeux des autres hommes et leur donner en même temps des idées avantageuses de richesses, de puissance, de grandeur, etc. la valeur de ces pierres brillantes qui de tout temps ont été regardées comme des ornemens précieux, n'est fondée que sur leur rareté et sur leur éclat éblouissant; il en est de même de ces métaux éclatans, dont le poids nous paroît si léger lorsqu'il est réparti sur tous les plis de nos vêtemens pour en faire la parure: ces pierres, ces métaux sont moins des ornemens pour nous, que des signes pour les autres auxquels ils doivent nous remarquer et reconnoître nos richesses, nous tâchons de leur en donner une plus grande idée en agrandissant la surface de ces métaux, nous voulons fixer leurs yeux ou plûtôt les éblouir; combien peu y en a-t-il en effet qui soient capables de séparer la personne de son vêtement, et de juger sans mélange l'homme et le métal!
 
Tout ce qui est rare et brillant sera donc toûjours de mode, tant que les hommes tireront plus d'avantage de l'opulence que de la vertu, tant que les moyens de paroître considérable seront si différens de ce qui mérite seul d'être considéré: l'éclat extérieur dépend beaucoup de la manière de se vêtir, cette manière prend des formes différentes, selon les différens points de vûe sous lesquels nous voulons être regardez; l'homme modeste, ou qui veut le paroître, veut en même temps marquer cette vertu par la simplicité de son habillement, l'homme glorieux ne néglige rien de ce qui peut étayer son orgueil ou flatter sa vanité, on le reconnoît à la richesse ou à la recherche de ses ajustemens. Un autre point de vûe que les hommes ont assez généralement, est de rendre leur corps plus grand, plus étendu: peu contens du petit espace dans lequel est circonscrit notre être, nous voulons tenir plus de place en ce monde que la Nature ne peut nous en donner, nous cherchons à agrandir notre figure par des chaussures élevées, par des vêtemens renflez; quelque amples qu'ils puissent être, la vanité qu'ils couvrent n'est-elle pas encore plus grande? pourquoi la tête d'un docteur est-elle environnée d'une quantité énorme de cheveux empruntez, et que celle d'un homme du bel air en est si légèrement garnie? l'un veut qu'on juge de l'étendue de sa science par la capacité physique de cette tête dont il grossit le volume apparent, et l'autre ne cherche à le diminuer que pour donner l'idée de la légèreté de son esprit. Il y a des modes dont l'origine est plus raisonnable, ce sont celles où l'on a eu pour but de cacher des défauts et de rendre la Nature moins désagréable.
 
A prendre les hommes en général, il y a beaucoup plus de figures défectueuses et de laids visages, que de personnes belles et bien faites: les modes qui ne sont que l'usage du plus grand nombre, usage auquel le reste se soûmet, ont donc été introduites, établies par ce grand nombre de personnes intéressées à rendre leurs défauts plus supportables. Les femmes ont coloré leur visage lorsque les roses de leur teint se sont flétries, et lorsqu'une pâleur naturelle les rendoit moins agréables que les autres; cet usage est presque universellement répandu chez tous les peuples de la terre; celui de se blanchir les cheveux* avec de la poudre, et de les enfler par la frisure, quoique beaucoup moins général et bien plus nouveau, paroît avoir été imaginé pour faire sortir davantage les couleurs du visage, et en accompagner plus avantageusement la forme.
 
Mais laissons les choses accessoires et extérieures, et sans nous occuper plus long-temps des ornemens et de la draperie du tableau, revenons à la figure. La tête de l'homme est à l'extérieur et à l'intérieur d'une forme différente de celle de la tête de tous les autres animaux, à l'exception du singe, dans lequel cette partie est assez semblable; il a cependant beaucoup moins de cerveau et plusieurs autres différences dont nous parlerons dans la suite: le corps de presque tous les animaux quadrupèdes vivipares est en entier couvert de poils, le derrière de la tête de l'homme est jusqu'à l'âge de puberté la seule partie de son corps qui en soit couverte, et elle en est plus abondamment garnie que la tête d'aucun animal. Le singe ressemble encore à l'homme par les oreilles, par les narines, par les dents: il y a une très-grande diversité dans la grandeur, la position et le nombre des dents des différens animaux, les uns en ont en haut et en bas, d'autres n'en ont qu'à la mâchoire inférieure; dans les uns les dents sont séparées les unes des autres, dans d'autres elles sont continues et réunies, le palais de certains poissons n'est qu'une espèce de masse osseuse très-dure et garnie d'un très-grand nombre de pointes qui font l'office de dents. ....

Imitation
In Buffon. Natural History, there is a passage from which one would be apt to conclude, at first sight, that he had in view the distinction between the two different kinds of imitation which I have here attempted to point out; and that what he calls l'imitation machinale corresponde exactly to what I have called Sympathetic imitation. On a more attentive examination, however, it will be found that by this phrase he means nothing more than the cause which gives rise to the uniformity in the operations of instinct among animal of the same species; a cause which, according to Buffon, consist, merely in the uniformity of their organization; and which, therefore, can with no propriety be denominated Imitatian, without departing entirely from all the common meanings of that word.
 
"D'ailleurs Il faut distinguer deux sortes d'imitation, l'une réfléchie et sentie, et l'autre machinale et sans intention; la première acquise, et la seconde, pour ainsi dire, innée; l'une n'est que le résultat de l'instinct commun répandu dans l'espèce entière, et ne consiste que dans la similitude des mouvemens et des opérations de chaque individu, qui tous semblent être induits ou contraints à faire les mêmes choses; plus ils sont stupides, plus cette imitation tracèe dans l'espèce est parfaite : un mouton ne fait et ne fera jamais que ce qu'ont fait et font tous les autres moutons: la première cellule d'une abeille ressemble à la dernière; l'espèce entière n'a pas plus d'intelligence qu'un seul individu, et c'est en cela que consiste la différence de l'esprit et l'instinct; ainsi l'imitation naturelle n'est dans chaque espèce qu'un résultat de similitude, une nécessité d'autant moins intelligente et plus aveugle qu'elle est plus également repartie; l'autre imitation qu'on doit regarder comme artificielle, ne peut ni se répartir, ni se communiquer à l'espèce; elle n'appartient qu'à l'individu qui la reçoit, qui la possède sans pouvoir la donner; le perroquet le mieux instruit ne transmettra pas le talent de la parole à ses petits."
 
Buffon, Histoire Naturelle
L'éloquence
"True eloquence implies an exertion of genius, and supposes a cultivated mind. It differs essentially from that fluency of speech, which is a talent possessed by all who have strong passions, flexible organs, and lively imaginations. Such men feel acutely, and express strongly, both by words and gestures, what they feel. Hence, by a sort of mechanical impression, they impart to others their enthusiasm and their affections; it is the body which speaks to the body; all its movements, and all its expressive powers lending their aid. How little is sufficient to shake the opinions of most men, and to communicate to them the sentiments of the speaker! A tone of voice vehement and pathetic; gestures expressive and frequent; words rapid and sonorous."
 
" La véritable éloquence suppose l'exercice du génie et la culture de l'esprit. Elle est bien différente de cette facilité naturelle de parler qui n'est qu' un talent, une qualité accordée à tous ceux dont les passions sont fortes, les organes souples, et, l'imagination prompte. Ces hommes sentent vivement, s'affectent de même, le marquent fortement au dehors, et par une impression purement méchanique, ils transmettent aux autres leur enthousiasme et leurs affections. C'est le corps qui parle au corps; tous les mouvements, tous les signes concourent et servent également. Que faut-il pour émouvoir la multitude et l'entrainer? Que faut-il pour ébranler la plupart des autres hommes et les persuader? Un ton véhément et pathétlque, des gestes expressifs et fréquens, des paroles rapides et sonnantes."
Discours de M de Buffon lors de sa réception à l'Académie Française