- Etalée sur bientôt quatre
siècles, l'histoire de la Pitié
et de la Salpêtrière recouvre en
grande partie celle des origines et du
développement de la psychiatrie, de la
neurologie, de la neuropathologie, de la
neurochirurgie, de la neuroradiologie et,
plus généralement des
neurosciences françaises.
-
- La Pitié et la
Salpêtrière datent toutes deux
du début du 17ème siècle
: l'hôpital de la Pitié fut
créé en 1612, devant le Jardin
des Plantes (à l'emplacement de
l'actuelle Mosquée de Paris), pour
servir de refuge aux mendiants, et la
Salpêtrière est née en
1634 du transfert de l'Arsenal du quartier de
la Bastille au confluent de la Bièvre.
L'édit royal de 1656 ordonnant le
«grand renfermement» des pauvres
créa l'Hôpital
général de la Ville de Paris
qui se composait de 8 établissements
au premier rang desquels venaient la
Pitié et la Salpêtrière.
Ces hôpitaux n'avaient aucune mission
de soin aux malades mais servaient de refuge
aux pauvres, mendiants, infirmes,
estropiés, enfants abandonnés,
orphelins, vieillards nécessiteux,
folles et autres filles de mauvaise vie. Ce
dépôt de mendicité fut
augmenté, à la
Salpêtrière, en 1684, d'une
maison de détention «La
Force» pour environ 300
condamnées de droit commun et
prostituées, prison qui continua
à fonctionner jusqu'à la
Révolution.
- Trois
souvenirs, La Salpêtrière.
A. Daudet. 1896
-
- La naissance de la psychiatrie
à la Salpêtrière : Pinel
et les aliénistes des
hôpitaux
- En 1801, l'Hôpital
général devint les
«Hospices civils» et, de 1837
à 1887, la Salpêtrière
devint l'Hospice de la Vieillesse-Femmes
(tandis que Bicêtre devenait l'Hospice
de la Vieillesse-Hommes). Les
prostituées, les condamnées,
les fillettes, les malades partirent ailleurs
; ne restèrent que les vieilles femmes
et les insensées. C'est là que
les médecins-aliénistes des
hôpitaux de Paris ont fondé la
médecine moderne des maladies
mentales. Pinel (et son surveillant Pussin)
de 1785 à 1826, Esquirol et leurs
successeurs accomplirent une oeuvre
considérable, fondatrice de la
psychiatrie actuelle. En 1921, le
développement de la psychiatrie
asilaire conduisit à l'extinction du
cadre des «médecins
aliénistes des hôpitaux de
Paris».
- Ce recentrage de la médecine
mentale vers les hôpitaux
psychiatriques n'empêcha pas
l'épanouissement à la
Salpêtrière de services ouverts
dévolus à la psychiatrie de
l'enfant et de l'adolescent avec Heuyer,
Michaux, Duché, et leurs successeurs,
à la psychiatrie de l'adulte avec
Widlöcher et ses
élèves.
-
- La naissance de la neurologie et de la
neuropathologie : Charcot,
Vulpian et l'École de la
Salpêtrière
- En 1862, Jean-Martin Charcot (1825-1893)
et son ami Vulpian deviennent tous deux chefs
de service à la
Salpêtrière. Vulpian en partira
cinq ans plus tard, mais Charcot y restera -
fait rarissime - plus de 30 ans
(jusqu'à sa mort en 1893). Ces deux
services de médecine coexistaient avec
les 5 services dirigés par les
médecins aliénistes et un
service de chirurgie. L'hospice
Vieillesse-femmes comportait 4 422 lits dont
environ les deux-tiers destinés aux
indigentes et épileptiques non
aliénées et un tiers aux
aliénées.
-
- Charcot et Vulpian entreprirent
l'étude anatomo-clinique
systématique de ce véritable
«musée pathologique vivant»
que représentaient les centaines de
malades chroniques de leurs deux services.
Leur oeuvre monumentale ne peut être
résumée en quelques lignes ;
aucun domaine des maladies du système
nerveux ne lui reste étranger ; citons
seulement la sclérose en plaques, la
sclérose latérale amyotrophique
ou maladie de Charcot, l'amyotrophie spinale
de Charcot-Marie Tooth, les localisations
cérébrales et, bien sûr,
les travaux sur l'hystérie qui
contribuèrent à la
réputation mondiale de Charcot. En
1882, la création de la Chaire de
Clinique des Maladies du Système
Nerveux qui lui était destinée
fut le couronnement du règne de
Charcot. Ses successeurs maintinrent la
tradition anatomo-clinique qu'il avait
initiée avec Vulpian : Brissaud
(intérimaire), Raymond,
Déjerine, Pierre Marie, Guillain,
Alajouanine et Castaigne, dernier titulaire
de la chaire de Charcot, tous ont
contribué avec leurs
élèves à
développer et à enrichir la
neurologie. La neuropsychologie, en
particulier l'étude du langage, a
été particulièrement
illustrée par Alajouanine et son
école, François Lhermitte,
Jean-Louis Signoret et leurs successeurs.
Mais la Chaire ne représentait pas,
loin de là, la totalité du
capital neurologique clinique de la
Salpêtrière ; d'autres services
existaient, et non des moindres, dont les
travaux demeurent fondamentaux : Souques,
Hagueneau, Garcin, Boudin, Buge et leurs
successeurs. La neuropathologie, initialement
pratiquée par les neurologues,
Charcot, Vulpian et leurs successeurs,
s'autonomisa en tant qu'anatomie pathologique
du système nerveux, d'abord sous la
forme de laboratoires de service - Ivan
Bertrand à la Clinique des maladies du
système nerveux de la
Salpêtrière, Jean-Emmanuel
Grüner puis Jean-François Foncin
dans le service de neurochirurgie de la
Salpêtrière, Henri Berdet puis
Roger Messimy dans le service de
neurochirurgie de la Pitié - et enfin,
plus récemment, dans le cadre de
services individualisés d'anatomie
pathologique du système nerveux (dont
le premier chef de service fut Raymond
Escourolle) et d'histologieembryologie
(créé par Jean Racadot).
-
- L'École neurologique de la
Pitié et la fondation de la
neurochirurgie : Babinski, Thierry de Martel
et Clovis Vincent
-
- Au début du 19ème
siècle, sous l'impulsion de Serres, la
Pitié devint un centre d'étude
des maladies nerveuses, dont le plus
célèbre médecin fut,
sans conteste, Joseph Babinski (1857- 1932),
dont le signe a fait le tour du monde.
Médecin des hôpitaux, ancien
chef de Clinique de Charcot, Babinski devint
Chef de Service à la Pitié le
1er janvier 1895. En 1913, après la
démolition de l'ancienne Pitié,
Babinski installa son service dans les
bâtiments neufs de la nouvelle
Pitié, édifiée à
son emplacement actuel, dans les jardins de
la Salpêtrière. L'oeuvre de
Babinski, essentiellement clinique, avait
pour fil directeur la recherche de signes
objectifs permettant de reconnaître le
caractère organique des troubles
neurologiques et donc de les distinguer de
symptômes hystériques. C'est
ainsi qu'il élabora la
sémiologie cérébelleuse
et décrivit le signe des orteils
(1896). Son nom reste également
attaché à plusieurs syndromes
neurologiques (syndromes de
Babinski-Froehlich, de Babinski-Nageotte,
d'Anton-Babinski). Au cours des
premières années du
20ème siècle, Babinski initia
la neurochirurgie en France en faisant
opérer ses malades par Thierry de
Martel puis Clovis Vincent. Antoine Chipault
(1866-1920), Chef de consultation
chirurgicale à la
Salpêtrière, l'avait
devancé dans cette voie, mais ses
travaux n'avaient pas eu de réelle
diffusion.
-
- En 1933, Clovis Vincent (1879-1947),
médecin des hôpitaux, devint
chef du service de neurochirurgie
créé pour lui à la
Pitié. En 1938, la première
chaire française de neurochirurgie fut
créée à la Pitié
pour Clovis Vincent. Ses successeurs ont
été Petit-Dutaillis, Marcel
David et Bernard Pertuiset. De la même
façon que toute la neurologie ne s'est
pas faite qu'à la
Salpêtrière, toute la
neurochirurgie ne s'est pas faite qu'à
la Pitié. Guillaume, qui avait
succédé à Clovis Vincent
comme assistant de Thierry de Martel, a
ensuite été
hébergé par Antonin Gosset puis
par Henri Mondor dans le Service de chirurgie
de la Salpêtrière avant
d'obtenir la création du service de
neurochirurgie de la Salpêtrière
dont il devint le premier chef de service.
Lebeau devait lui succéder en 1960.
Dans le sillage de la neurologie et de la
neurochirurgie, des disciplines nouvelles ont
vu le jour, et se sont
développées: la
neurophysiologie et la neuro-radiologie,
actuellement amplifiée en
neuro-imagerie. Le rôle fondateur
respectivement de Jean Scherrer et d'Hermann
Fishgold (étroitement associé
au service de neurochirurgie de la
Pitié) mérite d'être
souligné.
-
- La
Pitié-Salpêtrière
actuelle : un CHU multidisciplinaire avec
un pôle neurosciences fort
- Dans le cours des années 1960,
plusieurs événements marquants
ouvrent l'ère actuelle :
- La fusion de la
Salpêtrière et de la
Pitié, donnant naissance au Groupe
Hospitalier
Pitié-Salpêtrière
(1964),
- La disparition de
«l'Infirmerie
générale», qui datait de
la fin du 18ème siècle, et son
remplacement par la«Nouvelle
Clinique» des maladies du système
nerveux accompagnée du Laboratoire de
Neuropathologie Charles Foix (1965),
- La disparition des
dernières administrées
(1969),
- L'individualisation de la section
du CHU Pitié-Salpêtrière
qui s'autonomisera en 1968 avec la
création de la Faculté de
Médecine
Pitié-Salpêtrière qui
fait partie de l'Université Paris VI
(Pierre et Marie Curie), à laquelle
furent rattachés le Groupe Hospitalier
Pitié-Salpêtrière,
l'Hôpital Broca et l'Hospice d'Ivry. La
Faculté se présente en deux
bâtiments séparés, aux 91
et 105 du Boulevard de l'Hôpital, les
immeubles situés entre les deux
n'ayant pas pu être expropriés.
A partir de là, tout était en
place pour constituer, sous l'impulsion du
Doyen Paul Castaigne, un grand centre
hospitalo-universitaire comportant la plupart
des spécialités
médicales, mais gardant de son
passé - malgré les nombreux
essaimages de neurologues issus de la
Salpêtrière dans d'autres
hôpitaux parisiens et dans de
nombreuses villes de province - un fort
bastion neurologique redéployé
en multiples services cliniques (services de
neurologie, rééducation
neurologique, neurochirurgie, psychiatrie de
l'adulte, psychiatrie de l'enfant et de
l'adolescent), services
médico-techniques (services de
neuroradiologie, d'explorations
fonctionnelles du système nerveux,
d'anatomie pathologique du système
nerveux,d'histologie-embryologie).
-
- Certains de ces services ont
été regroupés dans un
nouveau bâtiment appelé Babinski
où se trouve également
l'Institut de Myologie. A partir des
années 1970, petit à petit, des
groupes de recherche en Neurosciences se sont
intégrés au sein du CHU
Pitié-Salpêtrière. Ceci a
entraîné le développement
de la Neurobiologie, de la Neurochimie, de la
Neuropharmacologie, de la
Neurogénétique, de la
Neuroimmunologie, de la
Neuroépidémiologie, de la
Neuro-Imagerie fonctionnelle, de la
Neurophysiologie des systèmes
intégrés.
-
- L'Institut Fédératif de
Recherche (IFR) envisage tous les aspects des
Neurosciences et des Cognisciences. Cet
institut de recherche comporte 4
autorités de tutelle, l'Assistance
Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP),
le Centre National de la Recherche
Scientifique (CNRS), l'Institut National de
la Santé et de la Recherche
Médicale (INSERM) et
l'Université Pierre et Marie Curie
(UPMC). Il a été
créé pour favoriser
l'interaction entre les recherches
fondamentale et clinique. Le tropisme
neurologique reconnu du CHU
Pitié-Salpêtrière est
encore renforcé par l'implantation
dans ses murs, au-dessus de
l'amphithéâtre Charcot et
à côté de la Clinique des
maladies du système nerveux Paul
Castaigne, de la Bibliothèque de
Charcot, où ont été
également regroupés les livres
de la bibliothèque Souques et ceux des
Internes de la Salpêtrière ; il
s'agit maintenant d'une Bibliothèque
universitaire moderne
spécialisée en neurologie et
plus récemment en neurosciences.
-
- Rappelons également que la
Société Française de
Neurologie (issue en 1949 de la
Société de Neurologie de Paris
fondée en 1899), tient, depuis 1968,
ses séances mensuelles à
l'Amphithéâtre Charcot, et que
la Société d'Histoire de la
Neurologie, fondée en 1991 et dont le
premier Président a été
notre regretté ami Jean-Louis
Signoret, a son siège social à
la Bibliothèque Charcot.
-
- Ainsi, en près de quatre
siècles, du début du
17ème à la fin du 20ème,
deux établissements hospitaliers
distincts, La Pitié et la
Salpêtrière, initialement
dévolus à une fonction sociale
de dépôt de mendicité et
de prison, puis d'hospices «de vieilles
et d'insensées», sont devenus
à partir du 19ème
siècle, grâce au talent, voire
au génie, des Pinel, Esquirol,
Charcot, Vulpian, Babinski, Clovis Vincent -
pour ne citer que les grands initiateurs -
des établissements de soins,
d'enseignement et de recherche qui se sont
particulièrement illustrés dans
le domaine des maladies mentales, des
maladies du système nerveux, puis des
neurosciences. La réunion, dans les
années 1960, de La Pitié et de
la Salpêtrière avec la nouvelle
Faculté de médecine
Pitié-Salpêtrière a
permis, grâce au Doyen Paul Castaigne,
le développement d'un grand Centre
Hospitalo-Universitaire multidisciplinaire
dont la vocation neurologique historique
s'est affirmée, comme en
témoigne la vitalité de
l'Institut Fédératif de
Recherche des Neurosciences.
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