BAILLEMENT, s. m. , oscitatio, mot que
l'on fait dériver de balare, bèler,
probablement à cause du bruit qui accompagne
l'action organique qu'il désigne. On appelle
ainsi un phénomène tout à la
fois respiratoire et expressif, consistant en une
inspiration plus ample, plus profonde et plus
involontaire qu'une inspiration ordinaire,
accompagnée d'un grand écartement des
mâchoires, et suivie d'une expiration
prolongée, qui se fait le plus souvent avec
un bruit sourd. C'est proprement une espèce
d'inspiration qui, comparée avec une
inspiration ordinaire, offre les différences
suivantes: 1°) le thorax se dilate davantage ;
2°) dès lors une plus grande
quantité d'air est introduite dans le
poumon, et cet air s'y précipite avec une
plus grande rapidité, et du premier coup est
porté plus profondément dans les
ramuscules de cet organe; 3°) tandis que dans
l'inspiration ordinaire le jeu des muscles qui
l'effectuent est, jusqu'à un certain point,
dépendant de la volonté , c'est plus
irrésistiblement, et comme d'une
manière convulsive, qu'agissent ces
mêmes muscles pour opérer le
bâillement; 4°) enfin tandis que dans
l'inspiration ordinaire les
phémomènes sont bornés au
thorax , et que la face y est
étrangère, dans le bâillement
les muscles des machoires partagent sympathiquement
la contraction convulsive des muscles
inspirateurs,et il en résulte cette ample
ouverture de la bouche, qui caractérise
l'expression fariale de cet acte.
On voit par-là que dans le
bâillement, étudié sous le
rapport de son mécanisme, il y a deux choses
à considérer, le jeu du thorax et
celui de la face, comme cela est dans le rire, le
sanglot et quelques phénomènes
analogues. Le jeu du thorax est à peu
près le même que dans une inspiration
ordinaire, sinon que l'action est portée
plus loin, et est plus irrésistible. Dans
toute inspiration, une impression dépendante
soit de la présence du sang veineux qui
vient dans le poumon se changer en sang
artériel, soit du besoin d'air et
d'oxygène, est ce qui décide l'action
des muscles inspirateurs. Il en est de même
dans le bâillement; seulement cette
impression est plus forte, d'où
résulte une contraction des muscles plus
énergîque, plus prompte et plus
involontaire, et une plus grande ampliation du
thorax. Celle-ci est telle, qu'il parait alors se
faire dans le poumon un vide là où il
ne s'en fait pas d'ordinaire; d'où
résulte la plus grande force avec laquelle
l'air extérieur s'y précipite, la
plus grande profondeur à laquelle il y
parvient, et ce qui porte à croire que dans
ce bâillement l'air est plus
complétement renouvelé dans le poumon
que lors d'une inspiralion ordinaire. Du reste, ce
sont les mêmes muscles qui agissent; le
diaphragme de même s'enfonce dans l'abdomen;
les intercostaux soulèvent les côtes.
Quoique leur contraction soit plus
irrésistible que dans une inspiration
ordinaire, on peut encore l'arrèter; on sait
qu'on peut réprimer l'envie de
bâiller. Le bâillement n'en est pas
moins un phénomène involontaire;
d'abord la faculté qu'on a de le
réprimer porte plus sur l'expression faciale
de cet acte que sur l'action du thorax; ensuite
l'indépendance où est cet acte de la
volonté est assez prouvée par
l'impossibilité où nous sommes de le
produire à notre gré; on peut bien en
simuler l'expression faciale, mais on
n'éprouve pas alors le sentiment
intérieur qui le précède, et
qui est, comme tout autre, un soulagement.
Le jeu de la face dans le bâillement
est aussi simple. Consécutivement
à l'impression qu'ont reçue les
nerfs des muscles inspirateurs, et qui a
appelé l'action de ces muscles, et
à cause des connexions sympathiques qui
unissent ces nerfs et ceux des muscles des
mâchoires, celles-ci sont convulsivement
écartées, et la bouche grandement
ouverte, offre à l'air qui se
précipite dans le poumon le plus libre
accès possible. Ce n'est pas ici le lieu
de détailler les muscles qui agissent; ce
sont les abaisseurs de la mâchoire
inférieure, et les sous-maxillaires : il
doit suffire d'indiquer la cause qui
décide leur action; c'est l'impresson
même qui frappe les nerfs moteurs du
diaphragme et des autres muscles inspirateurs,
et qui leur est sympathiquement transmise. Aussi
leur contraction est-elle convulsive comme celle
de ces muscles. Il est sûr que les
impressions reçues par les nerfs
diaphragmatiques, par exemple , sont, en vertu
d'une loi primitive de l'organisation, plus
particulièrement partagées par les
nerfs des muscles moteurs de la face d'où
résulte l'association d'action qui se
manifeste dans ces parties lors du rire, du
sanglot, du bâillement et des autres
phénomènes expressifs de cet
ordre. Nous disons que ce sont les muscles
abaisseurs de la mâchoire
inférieure qui surtout sont
sympathiquement contractés. M. Magendie
veut que les élévateurs agissent
aussi. On sait que les muscles sont susceptibes
de présenter, quand l'influx nerveux
menace de leur manquer, un genre d'action
particulier qui a pour but de le rappeler, et
qu'on appelle pandiculation : on sait que ces
pandiculations se manifestent aux approches du
sommeil , aux premiers temps du réveil ,
c'est-à-dire à peu près
dans lesmêmes circonstances que
lebâillement. Or M. Magendie croit que ce
mode d'action entre pour quelque chose dans
l'expression faciale du bâillement; il
conjecture que la bouche s'ouvre dans cet acte,
en partie par une contraction des muscles de la
machoire inférieure, et en partie par une
pandiculation des muscles
élévateurs de cette machoire. Nous
ne contestons pas l'existence des pandiculations
en général , ni leur
réalité dans les muscles des
machoires en particulier; nous reconnaissons
même que ces dernières s'observent
souvent dans les mêmes. circonstances que
le bâillement; mais elles sont distinctes
de ce phénomène; et comme, pour
l'ouverture de la bouche, il faudrait qu'il y
eût eu même temps pandiculation des
muscles élévateurs, et contraction
des muscles abaisseurs, il n'est pas probable
que la première circonstance ait part
à l'écartement des machoires qui
se voit dans le bâillement.
Enfin, comme le propre de la respiration est
d'employer aussitôt l'air qui est
introduit dans le poumon, et d'exiger un prompt
renouvellement de cet air, on conçoit
pourquoi le bâillement se termine par une
expiration; et comme ce bâillement a fait
pénétrer une très grande
quantité d'air, il faut que l'expiration
qui suit soit très prolongée, pour
l'expulser en entier. Celle expiration participe
du reste, du caractère de vivacité
qu'avait l'inspiration qui la
prècède. Quant au bruit qui est
propre au bâillement, il tient au
bruissement de l'air à travers les voies
respiratoires, soit au moment où cet air
entre, soit à l'instant où il
sort; et lorsqu'un son véritable
l'accompagne, c'est qu'en traversant le larynx,
l'air s'est brisé contre la glotte, et
que les muscles intrinsèques de cette
partie, partageant la contraction convulsive du
diaphragme, ont imprimé à cet air
des vibrations. Tel est le mécanisme du
bâillement; pour en avoir d'ailleurs une
notion complète, il faut rapprocher ce
que nous venons d'en dire de la description de
l'inspiration. Venons maintenant aux autres
points de l'histoire de ce
phénomène, c'est-à-dire
à ses causes et à ses effets.
Le bâillement étant une
espèce d'inspiration doit avoir à
peu près les mêmes causes et les
mêmes résuItats; et étant
une inspiration plus ample, il doit
éclater principalement dans toutes les
circonstances qui exigent que l'inspiration soit
plus grande. Le but de toute inspiration est
d'introduire dans le poumon toute la
quantité d'air dont a besoin, pour se
changer en sang artériel, le sang veineux
qui est alors présent dans ce
viscère. Par conséquent toute
inspiration devient plus ample quand la
quantité d'air à introduire doit
être plus grande. Or cette
nécessité a lieu dans deux
circonstances, quand il y a plus de sang veineux
rassemblé, dans le poumon, et quand l'air
qu'on respire est de mauvaise qualité, et
est peu riche en oxygène. Dans le premier
cas en effet, comme il y a plus de sang veineux
dans le poumon, il y a nécessité
d'y faire entrer une quantité plus grande
de l'élément qui le change en sang
artériel ; et dans le second, comme l'air
est peu riche en principe respirable, il faut
suppléer par sa quantité à
ce qui lui manque en qualité. En un mot,
les inspirations se modifent pour leur
fréquence et leur ampleur, de
manière à proportionner toujours
la quantité d'air qu'elles introduisent
avec la quantité de sang veineux qui
vient dans le poumon subir l'hématose
artérielle, et à prévenir
tout embarras dans la circulation pulmonaire. Or
tout cela est complétement applicable au
bâillement, et explique pourquoi il
survient dans les diverses circonstances de
santé et de maladie dans lesquelles on le
voit se produire. Toutes se rapportent aux deux
circonstances que nous venons de mentionner,
savoir, l'état de l'air respiré,
et la quantité de sang veineux qui arrive
au poumon. Il faut y ajouter la facilité
avec laquelle éclate par de nombreuses
causes physiques ou morales dans les nerfs
moteurs des muscles inspirateurs, l'impression
spéciale qui détermine l'acte du
bâillement.
Ainsi, dans l'état de santé,
le bâillement éclate par le
séjour dans le vide, par la situation
dans un air non renouvelé, parce que dans
ces cas l'air manque ou est peu riche en
oxygène, et qu'on cherche à
suppléer en en introduisant beaucoup,
à ce qui manque en qualité. C'est
par la même raison que le bâillement
est un phénomène
précurseurs de toutes les asphyxies
graduelles. On bâille aux approches du
sommeil, parce que la paralysie
momentanée, qui va saisir tous les
muscles du corps semble vouloir saisir aussi
ceux de la respiration, d'où
résulte une diminution passagère
dans les inspirations; et comme cependant la
circulation a continué de même, et
par conséquent a amené dans le
poumon la même quantité de sang
veineux à changer en artériel, on
conçoit qu'il n'y a plus eu assez d'air
pour effectuer cette conversion, et qu'un peu de
sang veineux restant dans le poumon, il s'est
fait un léger embarras dans la
circulation pulmonaire: alors des
bâillements surviennent automatiquement
pour introduire une plus grande masse d'air,
toute la quantité nécessaire pour
artérialiser le sang veineux restant, et
rétablir l'équilibre. C'est parce
que le bâillement éclate dans
toutes les circonstances où existe cette
accumulation de sang veineux dans le poumon ,
cet embarras dans la circulation pulmonaire,
qu'on a considéré ce
phénomène comme un remède
physiologique destiné à dissiper
cet engorgement; et il est sûr en effet
que son entier accomplissement est suivi d'un
sentiment de bien-être. A juger par ce
sentiment, on croirait que l'air
extérieur que le bâillement
introduit dans le poumon a vaincu dans cet
organe l'obstacle qui y entravait la
circulation. On bâille aussi premiers
instants du réveil, parce que, pendant le
sommeil , l'inspiration s'est faite dans un mode
autre que pendant la veille et que, lors du
passage d'un de ces modes à l'autre, il a
y eu momentanément diminution dans les
inspirations, défaut d'équilibre
entre la quantité d'air introduite et la
quantité de sang veineux à charger
en sang artériel, d'où est
résulté un léger
engorgement pulmonaire qui a appelé
à sa suite le phénomène
propre à le dissiper.
On bâille dans la faim, la fatigue,
parce que l'inspiration ressent elle-même
l'atteinte de la faiblesse qui frappe toute
1'économie, et qu'il survient par
conséquent le même embarras
pulmonaire que dans les cas
précédents. Il en est de
même de l'ennui, affection essentiellement
débilitante, et dont le bâillement
est le signe ordinaire, soit que cette
affectionait agit en ralentissant directement,
l'action des muscles inspirateurs, soit qu'elle
ait agi en ralentissant la circulation
pulmonaire. Enfin le bâillement arrive en
beaucoup de cas, parce que
consécutivement à une impression
reçue par d'autres parties du corps, les
nerfs régulateurs de l'inspiration ont
développé celle qui
détermine le bâillement, comme dans
le bâillement par imitation, par
réminiscence. On ne peut pas dire
pourquoi less nerfs des muscles de la
respiration sont plus susceptibles que tous les
autres d'être modifiés par les
impressions qui retentissent dans les centres
nerveux, et par conséquent dans les
affections morales : mais ce fait est certain.
Parmi les preuves qu'on en peut citer, une des
plus remarquables est la tendance qu'a le
bâillement à survenir par imitation
et réiminiscence : on voit bâiller,
on parle de bâiller, et aussitôt le
bâillement se produit; c'est que, par
suite des connexions qui unissent les
différentes parties nerveuses,
l'impression reçue par le cerveau a fait
naitre dans les nerfs des muscles inspirateurs
celle qui commande ce
pnénomène.
De même, le bâillement est un
des symptômes les plus fréquens des
maladies: cela tient à ce que l'affection
morbide modifiant la circulation, amène
cet embarras dans la ciculation pulmonaire
auquel le bâillement est le prochain
remède, ou à ce que cette
affection transmet l'iritation qui la constitue
aux nerfs moteurs des muscles inspirateurs, et
en sollicite la contraction convulsive. Ainsi il
procède d'ordinaire le frisson
fébrile, les éruptions, les
hémorragies, les attaques de goutte,
d'hystérie, d'hypocondrie et même
d'épilepsie. Il se manifeste souvent
après de grandes blessures, des
évacuations excessives, des inflammations
internes. Il survient quelquefois chez les
femmes nouvellement enceintes, chez celles qui
ont des dérangements dans la
menstruations, pendant le travail de
l'enfantement; et dans ce dernier cas, il
annonce que les forces sont opprimées,
épuisées, et par conséquent
que l'accouchement sera difficile. S'il est
joint dans les maladies à de mauvais
symptômes, il est un signe fâcheux ;
par exemple, dans les fièvres ataxiques,
la fièvre jaune, la peste, s 'il est uni
à des symptômes de faiblesse, et
s'il se répète fréquemment,
il anonce un grand danger. Enfin, en ayant
égard aux deux circonstances que nous
avons dit commander des inspirations plus
grandes, et à la facilité avec
laquelle les nerfs des muscles inspirateurs
développent l'impression qui fait naitre
le bâillement consécutivement
à des impressions reçues par les
autres parties nerveuses du corps, on peut
facilement expliquer l'apparition de ce
phénomène dans les maladies, et
justifier le jugement que portent de lui, dans
les divers cas, les séméiologistes
(Adelon).