Le bâillement est
constitué par une large inspiration avec
distension extrême du thorax,
élévation et rétraction en
arrière des épaules. Cette
inspiration bruyante s'accompagne d'une large
ouverture de la bouche. Quelquefois, les bras
s'élèvent et s'étendent,
c'est ce qui constitue la pandiculation.
C'est un acte involontaire qui se propage par
imitation, qu'il soit vu ou entendu : on sait,
en effet, que le bâillement se propage
aussi bien par contagion chez les aveugles que
chez les voyants. A l'état physiologique,
il se produit sous l'influence de la fatigue, de
la faim, d'états psychiques
dépressifs, du froid, de la chaleur
excessive. Il est plus fréquent chez la
femme, surtout sous l'influence de la contagion.
Le bâillement est souvent un
symptôme de troubles digestifs. Il peut
encore se produire dans un grand nombre de
conditions où l'hématose est
gênée, au début de
l'asphyxie, au moment de l'invasion d'un grand
nombre de pyrexies, au début d'un bon
nombre de pneumonies. Il n'est pas rare de le
voir se produire à la suite des pertes de
sang, etc.
Il est fréquent dans les psychoses
à forme dépressive, dans
l'hypochondrie, la mélancolie; on le voit
aussi dans l'hystérie. Dans cette
dernière névrose, il peut tenir au
ralentissement général des
phénomènes nutritifs, ou
constituer une forme de spasme.
Dans l'épilepsie on le voit
quelquefois précéder les attaques
ou les vertiges; mais il est assez rare de le
voir se produire d'une façon à peu
près constante dans l'intervalle des
paroxysmes. Aussi, ai-je cru que le fait suivant
que j'ai observé dans mon service,
à Bicètre, n'était pas
indigne d'être rapporté, surtout en
raison des quelques expériences qu'il a
provoquées.
B... est âgé de vingt-trois ans.
- Son père, agé de quarante-sept
ans, est un homme nerveux qui s'effraye au
moindre bruit; il lui est arrivé
plusieurs fois, lorsqu'un bruit violent venait
à frapper ses oreilles, de pâlir et
d'être pris de sortes de convulsions qui
le laissaient souffrant pendant plusieurs jours.
Il est habituellement sobre. Un de ses cousins
est devenu épileptique à la suite
d'une peur et tomba jusqu'à huit fois par
jour. Aucun autre antécédent
précis de ce côté. - Sa
mère a cinquante ans, n'a jamais
été malade; elle ne donne sur sa
famille aucun renseignement dont on puisse tenir
compte. De leur mariage sont nés d'abord
quatre enfants qui sont morts en bas âge;
un seul était né avant terme, ils
n'ont pas eu de convulsions; puis vint notre
malade; ensuite deux filles qui se portent bien;
et enfin un garçon, enfant du
siège, qui a eu une seule crise de
convulsions pendant l'allaitement et se porte
bien depuis.
B... est né à terme et
était bien constitué. Il a
commencé à avoir des convulsions
à l'âge de quatre mois; ces
convulsions étaient fréquentes et
violentes, il criait, se raidissait en portant
le tronc en arrière, puis
trémulait pendant un quart d'heure. Ces
crises se produisaient quelquefois par
séries qui duraient vingt-quatre heures.
A six mois, à la suite d'une crise, il
est resté paralysé de la
moitié gauche du corps. A partir de ce
moment, il s'est développé
difficilement; ses attaques se renouvelaient
plusieurs fois par mois, mais sa paralysie a
diminué peu à peu. A quatre ans,
il pouvait marcher, mais présentait des
mouvements bizarres des quatre membres. C'est
à peine si, à six ans, il disait
« papa, maman ». Il a continué
à se développer
péniblement; mais, à dix ans, on
ne distinguait plus de traces de sa paralysie,
il avait toujours des mouvements
athétosiques qui ont persisté. Ses
attaques sont devenues moins fréquentes
dans ces dernières années; depuis
deux ans, il en a entre douze et sept par an et
neuf vertiges.
B... est assez bien constitué - mais
on est tout de suite frappé de la
longueur disproportionnée de ses membres
supérieurs (taille, l,58; envergure
l,69); il présente une
légère asymétrie de la face
aux dépens du côté droit. Il
existe un léger degré de strabisme
convergent de l'il droit. La dentition est
irrégulière et mauvaise. Aucune
asymétrie sur le tronc et les membres,
sauf un léger abaissement, avec
dédoublement du pli fessier droit. -
Phimosis. - Force dynamométrique : main
droite, 50 ; main gauche, 45.
B... offre une mobilité extrême
de la face et des membres; de temps en temps sa
bouche se dévie à droite en
même temps qu'elle s'ouvre largement et
les yeux clignent ou se ferment. Il existe en
même temps des mouvements dans le cou avec
prédominance de la rotation de la
tête à droite, Les membres des deux
côtés sont animés de
mouvements lents de flexion et d'extension qui
se produisent dans tous les segments, y compris
les doigts et les orteils - ces mouvements, qui
se font alternativement dans toutes les
directions, rappelleraient la chorée
n'était leur lenteur. Les mouvements du
thorax présentent aussi des
irrégularités sur lesquelles nous
aurons à revenir. Ce qui frappe, en
particulier, ce sont des bâillements qui
se répètent très
fréquemment, surtout lorsqu'on force
B... à rester assis tranquille.
Les paroxysmes se présentent sous la
forme de vertiges qui paraissent se borner
à de simples éblouissements sans
chute. Quant aux accès, voici comment
s'est présenté celui qui a eu lieu
devant nous. Il lève le bras droit,
semble tirer des fils de sa main gauche qu'il
regarde fixement, a quelques tremblements des
bras, et tombe en se tournant vers la droite
sans pousser aucun cri. Il reste rigide, presque
dans l'immobilité absolue; il n'y a que
peu de coutorsions dans la face, qui s'est
tournée à droite au moment de la
chute, et a pâli. Il ne s'est pas mordu la
langue, n'a pas uriné. Sitôt
après l'accès, on le
relève, mais il ne tient pas sur ses
jambes. Il se livre à des mouvements
bizarres avec ses membres supérieurs,
prend avec ses mains des objets imaginaires sur
sa tête et les porte à sa bouche;
regarde de côté et d'autre, mais ne
répond pas aux interpellations. Il est
incapable de conserver dans sa main les objets
qu'on y place. Pendant une demi-heure, il parait
suivre du regard des objets imaginaires. Au bout
de ce temps, il est parvenu à grand peine
à se mettre debout en s'appuyant sur la
muraille; mais il s'est laissé retomber
au bout d'un instant, promenant de tous
côtés un regard effaré, se
mordant les doigts, se grattant la tête.
Il se remet debout avec la même peine ; on
lui présente le dynamomètre pour
provoquer une manoeuvre qu'il connait bien, mais
il porte immédiatement l'instrument
à sa bouche. Il s'est enfin jeté
sur le lit de camp où il s'est endormi
pour un quart d'heure. A son réveil,
l'exploration dynamométrique donne 40
pour la main droite, 25 pour la gauche. Il ne se
rappelle rien. Sa langue est encore plus
embarrassée que dans l'état normal
et on distingue à peine quelques
paroles.
B... n'a jamais pu apprendre à lire ni
à compter; il est très difficile
de fixer son attention et il parait avoir fort
peu de mémoire; il reconnait pourtant
assez bien les personnes. De temps en temps il
présente des périodes d'excitation
et de violence dans lesquelles il frappe et
mord; ces manifestations s'atténuent
depuis qu'il prend du bromure de potassium, sous
l'influence duquel les accès ont aussi un
peu diminué de fréquence.
L'histoire de ce malade ne présente
guère de traits saillants en dehors du
bâillement ; mais j'ai cru que ce
phénomène, en apparence fort,
banal, méritait quelque attention. C'est
qu'en effet, on a assez rarement l'occasion
d'étudier de près le
bâillement spontané; et d'ailleurs,
qu'il soit spontané ou provoqué,
on s'est peu préoccupé de
considérer avec soin son
mécanisme. Chez B..., les
bâillements ne se produisent pas
nécessairement à propos des
accès d'épilepsie; on a vu en
effet, à propos de l'accès que
nous avons décrit de visu, que ce
symptôme n'existait ni avant, ni
après le paroxysme. Il n'en est pas
toujours ainsi.
Mais, en tout cas, les bâillements se
produisent dans l'intervalle des accès
presque à toute heure du jour, et surtout
lorsqu'on le fait rester immobile ; ils se
répètent très
fréquemment, puisque j'ai pu en
enregistrer plus de vingt en une demi-heure;
souvent ils se produisent par séries
continues. Cette exploration, que j'ai faite
à plusieurs reprises en me servant du
pneumographe de Marey, m'a fourni quelques
tracés qui ne m'ont pas paru
dépourvus d'intérêt. On y
voit, par exemple, qu'en général
le bâillement est
précédé d'un abaissement
des courbes respiratoires; la respiration
devient d'abord superficielle et le
bâillement constitue une sorte
d'inspiration supplémentaire. On sait
d'ailleurs que le bâillement se produit en
général sous l'influence de la
fatigue, de l'ennui, d'un trouble digestif
produisant, grâce à la dilatation
de l'estomac un osbtacle à l'inspiration,
c'est à dire dans toutes les conditions
où la respiration devient superficielles
ou ralentie. J'ai relevé
déjà que l'accès
d'épilepsie est quelques fois
précédé d'un abaissement
considérable des courbes respiratoires;
il n'y a donc pas lieu de s'étonner que
l'on observe quelques fois le bâillement
comme précurseur de l'attaque
d'épilepsie.
Le bâillement est
généralement suivi d'une
expiration prolongée ou d'une large et
brusque expiration. Lorsque le bâillement
se produit par séries, les
bâillements successifs peuvent être
séparés, soit par une expiration
prolongée, soit par une large et brusque
expiration. C'est surtout dans les séries
que l'inspiration et l'expiration du
bâillement présentent de saccades.
Dans les bâillements isolés la
dilatation et la rétraction du thorax
sont figurés par des courbes
régulières.
Je noterai en outre chez ce sujet des
irrégularités du tracé
respiratoire dont les courbes
représentent bien les mouvements
choréiformes que l'on remarque à
l'inspection extérieure.