Le bâillement n'est qu'un acte
respiratoire modifié : il consiste en une
profonde et lente inspiration, suivie d'une
expiration également prolongée et
bruyante. C'est là un acte physiologique
préparant généralement au
sommeil. Mais, dans certaines circonstances
pathologiques, il peut devenir un symptôme
d'une haute valeur diagnostique ou pronostique.
Séméiologie : La
période inspiratoire du bâillement
est marquée par une attitude suggestive :
l'ouverture de la bouche est large et peut aller
jusqu'à la luxation du maxillaire
inférieur ; le sujet étend ses
membres, en un geste d'étirement,
renversant le tronc et la tête en
arrière, tandis que ses yeux se
ferment... Pendant le bâillement, l'air
est inspiré à peu près
exclusivement par la bouche ; les orifices
postérieurs des fosses nasales sont en
grande partie oblitérés par la
contraction du voile du palais, qui ne cesse
qu'avec l'occlu. sion de la bouche. La
période expiratoire ne s'accompagne
d'aucun phénomène particulier.
Au cours du bâillement, apparaissent un
léger larmoiement et une augmentation de
la sécrétion salivaire. Le
bâillement est un acte involontaire. Son
déclenchement et son interruption
échappent au contrôle de la
volonté. Cependant, celle-ci peut en
dissimuler une partie, en abrégeant, par
exemple, le dernier temps par la fermeture
brutale et active de la bouche sous l'effet d'un
effort voulu, contenant lexpiration bruyante
terminale. La volonté reste impuissante
à produire le bâillement. C'est un
des actes instinctifs sur lesquels l'imitation a
le plus de puissance.
Physiopathologie : Le bâillement
demeure un phénomène complexe,
nécessitant très vraisemblablement
la mise en jeu de plusieurs zones
privilégiées du Système
nerveux central : le diencéphale (rapport
du bâillement avec le sommeil), le cortex
frontal, le bulbe et, pour certains, la moelle
cervicale.
1) Centre méso-diencéphalique.
- a) Argument physiologique. - On connaît
l'importance du diencéphale dans la
physiologie du sommeil. Or le bâillement
physiologique (Insabato et Callicaris) peut
être considéré comme
l'expression du besoin de sommeil ; il le
précède en effet, et le suit si le
sujet a encore besoin de dormir. Il paraît
donc logique de placer le centre du
bâillement au voisinage du centre du
sommeil, au niveau de la region
pré-optique et juxta-septale, dans la
partie antérieure du noyau
paraventriculaire, et lié à un
relais mésencéphalique proche des
noyaux segmentaires.
b) Arguments anatomo-cliniques. -
L'expérience démontre que les
affections du système nerveux
entraînant directement ou indirectement
une souffrance du diencéphale,
s'accompagnent volontiers de bâillements,
associés souvent à de
l'hypersomnie (encéphalite
épidémique, les tumeurs
diencéphaliques ). Au cours du syndrome
d'hypertension intracrânienne, avec en
particulier dème
cérébral, secondaire à des
tumeurs, des abcès le bâillement
résulte soit de la distension des noyaux
mésodiencéphaliques, soit de leur
compression par une hernie
cérébrale interne, soit encore de
la jonction de ces deux mécanismes.
2) Centre cortical, lobe frontal. - a)
Arguments physiologiques. - Le bâillement
serait le résultat de mouvements
instinctifs et automatiques effectués par
le simple réveil des images motrices
inscrites dans les centres corticaux
kinesthésiques (Janet, Monakov et
Grasset). Ainsi, explique-t-on sa reproduction
par un effort de volonté ou par imitation
(cela s'observe surtout chez les émotifs,
les hystériques, qui présentent
une hyperexcitabilité des centres
corticaux) ou encore par l'éclosion de
certains sentiments de tristesse.
b) Arguments anatomo-cliniques. - Le cortex
frontal interviendrait soit par une souffrance
du lobe préfrontal (Delmas-Marsalet)
ou de l'aire 6 (Cushing), soit encore par
l'altération de circuits contrôlant
le sommeil, provenant de différentes
régions corticales (hippocampe, aire
cingulaire, cortex frontal, circonvolutions
prémotrice et temporale) et se projetant
sur le thalamus (Davidson et Demuth).
Ne sont valables que les cas de
lésions frontales pures (en
général tumorales), en dehors de
toute hypertension intracrânienne, et ne
se prolongeant pas vers la région
hypothalamique. Il peut s'agir de
néoformation, de lésions
vasculaires (hématome frontal,
ramollissement frontal (Delmas-Marsalet)).
3) Centre bulbaire. - a) Arguments
physiologiques. - Pour A. Salmon,
c'est dans le bulbe que le bâillement
trouverait sa genèse et ce, pour au moins
deux séries de raisons
1) Les phénomènes moteurs
accompagnant le bâillement relèvent
pour la plupart, de l'activité de nerfs
d'origine bulbaire : la X paire crânienne
contrôle, en effet, les mouvements de la
voix et du pharynx ; la XI paire, la position du
cou , la XII paire, les mouvements de la langue,
tandis que la VII paire préside, en
partie, à l'ouverture de la bouche et
à l'occlusion active des yeux, et que les
racines cervicales commandent l'attitude
générale de la tête,
l'étirement des bras et la contracture du
diaphragme.
2) Le bâillement n'est qu'un acte
respiratoire modifié : les mêmes
muscles y concourent, avec cependant une plus
grande amplitude de mouvement et avec ce type
spasmodique, qui en constitue le
caractère essentiel. Ses rapports sont
donc très étroits avec la
respiration, dont les centres sont
principalement bulbaires.
Presque toutes les causes physiologiques qui
le provoquent entraînent un certain
degré de ralentissement dans la
respiration : le besoin de dormir, l'ennui, la
fatigue, le froid, la faim. Ce ralentissement
respiratoire, que l'on retrouve dans le sommeil,
serait la cause déclenchante du
bâillement : «l'hypotonie du noyau
respiratoire bulbaire et la diminution du tonus
respiratoire> provoqueraient une
réaction automatique instinctive des
muscles respiratoires sous forme de
bâillement (Zondek et Bier ; A. Salmon).
b) Arguments anatomo-cliniques. - La
souffrance bulbaire s'accompagne parfois de
bâillements : - l'encéphalite
épidémique, avec lésions
bulbaires (Guillain,
Alajouanine, Paulian, Callicaris, F. Negro) ; -
certaines tumeurs cérébelleuses,
comprimant les noyaux bulbaires (Macwen ); - la
myasthénie dErbGoldflam, dans les cas
où les phénomènes
respiratoires sont importants, entraîne
parfois le bâillement (Albertoni).
4) La moelle cervicale. - Le bâillement
a pu être observé dans certains
syndromes médullaires cervicaux,
déclenchés alors par
l'étirement des membres supérieurs
: poliomyélite (D. Furtado),
sclérose médullaire cervicale (J.
Paillas).
5) Conclusions. - La physiopathologie du
bâillement est donc loin d'être
élucidée, mais, à la
lumière des divers arguments
énoncés, on peut admettre
l'existence de plusieurs centres, dont la
sollicitation et l'intervention plus ou moins
complètes dépendent, en
définitive, de la cause et des
circonstances du bâillement. Cest ainsi
qu'un centre principal
mésodiencéphalique subissant les
modulations des centres voisins du sommeil et
peut-être de la substance
réticulée, et opérant sous
le contrôle du lobe frontal, coordonne.
rait l'activité d'un centre bulbaire,
soumis lui-même à une
dépression du noyau respiratoire.
Etiologie : Les causes pathologiques
du bâillement sont nombreuses.
1) Causes générales. - a)
Causes infectieuses. - La forme somnolente de la
typhoïde, les réactions
encéphalitiques de la varicelle, de la
rougeole, de la vaccination antivariolique,
peuvent s'accompagner de bâillements plus
ou moins liés aux troubles du sommeil,
par atteinte
mésodiencéphalique.
b) Causes toxiques : 1) intoxications
exogènes. - Ce sont surtout celles
provoquées par les hypnotiques et tout
particulièrement les barbituriques. Les
bâillements répétés
annoncent soit un sommeil profond, soit un coma,
en cas de doses trop fortes (tentatives de
suicide). L'opium entraîne souvent un
état d'hébétude avec
somnolence et bâillements, qui, dans
l'intoxication morphinique à doses
élevées, atteignent une
particulière fréquence. La
bulbocapnine à doses
modérées, les asphyxies et avant
tout l'intoxicazion par roxyde de carbone sont
à citer.
2) Intoxications endogènes. - Il
s'agit surtout de celles qui sont en rapport
avec le diabète (le bâillement peut
être le prélude d'une acidose),
l'acidose de l'enfant ; l'hyperazotémie
avec torpeur et asthénie ; les
insuffisances hépatiques ; les troubles
ovariens (dysménorrhée,
ménopause, grossesse) ; l'insuffisance
thyroïdienne ; l'hypoglycémie,
enfin, qu'elle soit physiologique (faim),
pathologique (adénome
pancréatique) ou provoquée
(insulinothérapie chez les malades
mentaux).
3) Causes neurologiques. - A)
Encéphalites. - 1) Encéphalite
épidémique. - L'importance des
troubles du sommeil explique, dans cette
maladie, la fréquence des
bâillements. Ceux-ci, plus ou moins
nombreux et profonds, peuvent accompagner
l'installation progressive de la
léthargie ou survenir d'une
manière répétée au
cours de brèves périodes de
veilles, entrecoupant le sommeil, ou encore
s'associer de façon incoercible à
une simple somnolence plus ou moins continue.
Dans d'autres cas, les crises de
bâillements, suivies de sommeil,
s'intercalent avec des accès de
bâillements sans besoin de dormir et des
crises de narcolepsie (D. Furtado).
Des troubles respiratoires graves s'associent
volontiers aux accès de bâillements
(A. Salmon, D. Furtado). Enfin, le
bâillement s'installe dans la somnolence
du Parkinson postencéphalitique
(Sicard et Paraf,
Fischer. Insabato,
Levy,
Froment et Policard). Les bâillements
seraient surtout fréquents dans les
syndromes parkisoniens
postencéphalitiques avec important
déséquilibre
neuro-végétatif et vagotonie
(Frank, Marinesco, Negro, A. Salmon). Pour
d'autres, le bâillement serait
favorisé par la dépression vagale
obtenue par diverses médications
(atropine, scopolamine). 2) Trypanosiomiase. -
Au cours de sa deuxième période
(hypersomnie), elle présente des
bâillements, qui, par leur
fréquence et leur mode d'apparition, se
rapprochent de ceux de l'encéphalite
épidémique.
B) Bâillement et hypertension
intracrânienne (H.I.C) Accompagné
de somnolence et d'obnubilation intellectuelle,
le bâillement est un des signes principaux
d'hypertension intracrânienne. 1) H.I.C.
par surproduction de liquide
céphalo-rachidien. - Les
méningites : le bâillement ne se
rencontre guère que dans les formes de la
méningite tuberculeuse chez l'enfant et
de la méningite
cérébro-spinale ; il annonce alors
la somnolence et disparaît avec elle. Les
hémorragies méningées
peuvent s'accompagner de bâillements
précédant ou accompagnant la
somnolence. 2) H.I.C. par oedème
cérébral. - L'oedème
cérébral est certainement la cause
la plus fréquente du bâillement
pathologique. Il relève de causes
multiples. Ce sont essentiellement : Les tumeurs
cérébrales, les
encéphalites pseudotumorales, les formes
pseudotumorales des ramollissements
cérébraux et de l'hypertension
artérielle, certains traumatismes
crâniens, l'état de mal comitial,
quelques processus généraux
(urticaire, maladie sérique, syndrome
malin des maladies infectieuses).
L'dème cérébral
agit par la distension ou par la compression des
centres mésodiencéphaliques ou par
les deux facteurs à la fois. Il s'agit,
en général, d'un dème
aigu généralisé (à
tout un hémisphère, au tronc
cérébral, ou à tout
l'encéphale). Cet dème se
complique volontiers, par l'apparition
d'engagements qui viennent aggraver H.I.C. et
surtout la souffrance
mésodiencéphalique (engagement
temporal, sus-calleux,
cérébelleux). Dans tous les cas
d'oedème généralisé,
compliqué ou non d'engagement, le
bâillement s'inscrit dans un tableau
d'H.I.C. et de signes de souffrance des centres
du plancher du IIIe ventricule (essentiellement
un état de torpeur
caractéristique). Les bâillements
sont profonds, presque continus. C'est alors un
signe de gravité qui ne saurait
échapper au médecin. S'il y a
engagement temporal ou des amygdales
cérébelleuses, des signes
actuellement classiques s'ajoutent au tableau
précédent.
Le bâillement représente le
signe le plus évocateur d'une souffrance
mésodiencéphalique; sa valeur
pronostique est considérable : il est un
synonyme de gravité.
C) Bâillement et syndrome
localisé (absence de signes d'H.I.C.). -
Le bâillement est ici, non pas un signe
d'dème cérébral, mais
de localisation. 1) lésions
diencephaliques (en dehors de
l'dème cérébral) : il
s'agit essentiellement de tumeurs : soit de
tumeurs de la région
mésodiencéphalique (hypophyse,
région infundibulotubérienne,
III°ventricule) prenant une allure
exceptionnellement léthargique où
le bâillement précède des
accès d'hypersomnie, les accompagne ou
alterne avec eux ; soit de tumeurs de voisinage,
entraînant une réaction
épendymaire du III° ventricule
(tubercules quadrijumeaux, glande
pinéale). - Les traumatismes
crâniens : en apparence peu importants,
ils peuvent plus ou moins tôt (Souques,
Lhermitte),
par simple ébranlement de la tige
cérébrale. entraîner des
accès de bâillements et de
narcolepsie. - Les
artérioscléreux, présentant
des lésions vasculaires
mésodiencéphaliques ou
pédonculaires (calotte), peuvent
présenter, de ce fait, des troubles du
sommeil avec bâillements. - Les
équivalents épileptiques, à
type de bâillements, sont exceptionnels ;
par contre, une série de
bâillements réitérés
avec tendance au sommeil, peuvent être un
signe avant-coureur d'une crise comitiale.
2) Affections du lobe frontal. - Le
bâillement d'origine frontale a
été principalement
étudié par Delmas-Marsalet.
Il apparaît surtout à l'occasion
d'un effort intellectuel et diminue quand cet
effort cesse ; d'où sa fréquence
au cours de l'examen du malade. Il est
incoercible, ne peut être modifié,
et les patients éduqués s'en
excusent. Il survient le plus souvent
indépendamment de toute som. nolence. Il
existe aussi bien dans les lésions
frontales droites que dans les gauches. Il ne
paraît pas lié à une action
indirecte de l'H.I.C. sur les centres du
sommeil, puisqu'on peut le rencontrer dans des
lésions non hypertensives. Il
paraît dû à un état de
fatigabilité physique spécial,
déterminé par la présence
d'une lésion préfrontale
importante.
Etiologie : au premier rang, se placent les
tumeurs frontales. On peut citer ensuite les
traumatismes du lobe frontal avec
hématomes, les lésions vasculaires
frontales, hématomes spontanés,
ramollissements .
3) Souffrance bulbaire. - Les
bâillements ont été
constatés par Macewen au cours des
tumeurs cérébelleuses
entraînant la compression ou le
ramollissement des noyaux bulbaires ; dans la
myasthénie d'Erb-Goldflam, avec troubles
respiratoires importants (apnée,
respiration périodique). Les syndromes
vasculaires bulbaires peuvent également
inscrire dans leur tableau clinique des
bâillements, dont l'intensité et la
profondeur sont très variables.
4) Affections médullaires. - Chez un
malade de Furtado présentant une
poliomyélite antérieure aiguë
cervico-bulbaire, apparait, après quinze
jours d'évolution, un curieux
réflexe de bâille. ment
provoqué par l'abduction passive du bras
des deux côtés. Ce bâillement
était en tout point semblable au
bâillement spontané du malade et
s'accompagnait d'une sensation de sommeil. Il
exis. tait une période réfractaire
de vingt à trente secondes après
chaque bâillement provoqué. Il
disparut au bout d'une semaine. J. Paillas
constate le même phénomène
au cours d'une sclérose médullaire
cervicale. La reproduction passive de
l'ouverture des bras, classique au cours de
bâillement physiologique,
déclencherait l'excitabilité
supralésionnelle (Foerster),
conditionnée par les syndromes
transversaux de la moelle cervicale. La
sclérose en plaques (Guillain
et Alajouanine), le tabès peuvent
s'accompagner, au cours de leur
évolution, de bâillements avec
somnolence : mais, il s'agit alors d'un
processus secondaire
mésodiencéphalique (lésion
pédonculaire haute ; arachnoidite
opto-chiasmatique).
III) Causes psychiques. - L'ennui est cause
de bâillements. Le plaisir et la douleur,
l'angoisse et l'anxiété en sont
parfois la raison. Ils peuvent survenir
après de violents accès de
colère ou des périodes
d'excitation mentale. Le bâillement
d'imitation est bien classique. Le
bâillement hystérique a
été reconnu de longue date
(Charcot, Gilles
De La Tourette, Quinon et Huet, Déjérine).
Son importance paraît avoir
été exagérée, C'est
un accident qui se présente à
l'état permanent ou paroxystique ;
permanent, le bâillement ne cesse que
pendant le sommeil, pouvant durer des mois et
des années, et s'associant volontiers
à des quintes de toux ; paroxystique, il
évolue par accès pouvant
dépasser la demi-heure.