- Voici un nouveau cas d'encéphalite
épidémique qui présente
un symptôme intéressant, tant au
point de vue clinique, que pathogénique.
Le jeune homme que nous vous présentons,
Meg..., est âgé de dix-huit ans. Il
a été soigné au
début du mois de janvier dernier, il y a
six semaines environ, par notre confrère,
le Dr Estioule. Il s'agissait de
névraxite classique du type
occulo-léthargique. La diplopie a
persisté plusieurs jours. La
léthargie a été d'une
durée de deux semaines et se prolonge
encore à l'heure actuelle sous forme de
petits incidents d'hypersomnie diurne.
-
- C'est au début de la convalescence,
au décours de la période
aiguë qu'est apparu le symptôme
suivant : brusquement, suivant l'état de
prédisposition, à l'occasion d'un
rien, d'une futilité ce jeune malade est
pris d'un fou rire inextinguible, qui lui coupe
bras et jambes, l'obnubile momentanément
et le fait choir en tendance syncopale.
L'accès de fou rire est, du reste, tout
transitoire, deux ou trois minutes à
peine. Puis l'épisode spasmodique est
clos et le retour à l'état normal
complet. Les récidives, assez
fréquentes lors des premières
apparitions du fou rire, quatre à cinq
fois dans les vingt-quatre heures, tendent
à s'espacer et on ne note plus
guère actuellement qu'une ou deux crises
quotidiennes. Il ne s'agit évidemment pas
de manifestations comitiales ou pithiatiques. On
ne note ni morsure linguale ni miction
involontaire, et l'attitude du jeune malade, sa
mimique ne rappellent en rien la symptomatologie
de la grande névrose. La
pathogénie est autre. Elle se rapproche
très vraisemblablement de celle du rire
spasmodique des pseudobulbaires ou des
scléreux en plaques, c'est-à-dire
qu'elle est conditionnée par la
lésion ou la réaction du corps
strié. Ne connait-on pas suffisamment
l'électivité et l'affinité
toutes particulières du virus
vis-à-vis de cette région centrale
pédonculo-striée?
-
- Mais il est surtout dans notre observation
une notion intéresante celle de voir
l'accès de fou rire évoluer
séparément, à titre de
symptôme isolé,
indépendamment de toute
hypertonicité, de toute rigidité
musculaire, de tout autre agitation motrice,
tremblement ou
choréo-athétose.
-
- Nous regrettons qu'un autre malade, jeune
homme de vingt-six ans, n'ait pu se rendre
également à notre convocation.
Nous désirions vous montrer chez lui
une crise de bâillements qui se
reproduit avec prédilection entre la
seizième et la dix-huitième heure.
Ici encore, il ne s'agit pas
d'encéphalite-pithiatisme (Briand et
Rouquier, Etienne de Nancy, Laignel-Lavastine,
etc.), mais bien de réactions organiques
d'ordre spasmodique. Nous avons également
noté des crises de bâillements chez
trois hoqueteux, bâillements
pathologiques se produisant sous forme
d'accès et récidivant par
trois à quatre reprises dans la
journée. Nous avons vu ces crises de
bâillements précéder,
accompagner les salves de hoquets ou leur
succéder à titre
d'équivalent. Du reste le
bâillement, comme le hoquet n'est
qu'une modification de l'acte respiratoire. Ce
sont les mêmes muscles qui y concourent,
mais avec une plus grande amplitude de mouvement
et surtout avec le type spasmodique qui en
constitue le caractère essentiel. Tous
les muscles respirateurs et expirateurs directs
ou auxiliaires, diaphragme, intercostaux,
scalènes, trapèze, pectoraux, etc
entrent en contraction successivement dans les
deux temps du bâillement. Un grand nombre
des muscles de la face et même les muscles
de la nuque participent également
synergiquenient à cet épisode du
bâillement.
-
- Dans ce même ordre d'idées, si
nous n'avons pas observé chez nos
encéphalitiques, des
pandiculations, c'est-à-dire des
mouvements automatiques des bras en haut avec
renversement du tronc et de la tête en
arrière et extension des membres
inférieurs, acte prolongé et
complémentaire pour ainsi dire du
bâillement; si nous n'avons pas non plus
observé de soupir-sanglot,
c'est-à-dire la brusquerie inspiratoire
aussitôt suiivie de la secousse
expiratoire cahotée et heurtée,
nous avons par contre noté le
gémissement incessant, surtout dans les
formes parkinsoniennes soudées avec
grande prostration, avec une plainte monotone de
même modulation, indéfiniment
répétée suivant un rythme
invariable, «ou un frisson, ou un
tremblement avec des pandiculations,
bâillements, gémissements»,
disait Ambroise Paré.
-
- Le bâillement peut dans
quelques circonstances, par son
intensité, sa répétition,
devenir prétexte à luxation de la
mâchoire, à luxation
récidivante, comme nous l'avons
observé dans un cas d'encéphalite
léthargo-myoclonique avec nos
collègues Rosenthal et Robineau, chez une
jeune fille (*). Ainsi, ces actes moteurs, fou
rire, hoquet, bâillement,
pandiculation, soupir-sanglot,
gémissement, malgré leur
diversité apparente, ont un lien
pathogènique commun. Ils sont sous la
dépendance d'un trouble de la fonction
respiratoire, perturbation passagère et
épisodique. Reconnaissaient-ils
également - au moins dans
l'encéphalite épidémique -
une origine commune? corps strié?
mésencéphale nucléaire?
fibres d'association
strio-mésencéplialique? racines
médullo-cervicales? On ne sait. Mais ce
qu'on peut affirmer, c'est qu'ils ont un air de
famille qui ne saurait tromper. Ils se
réunissent et se groupent dans la
même lignée spasmodique de cette
encéphalite myoclonique dont la
symptomatologie s'enrichit chaque jour
davantage.
-
- M. NETTER. Le 22 décembre, j'ai
été appelé par le Dr Prost,
de Vincennes, auprès d'une jeune fille
qui était prise de fou rire depuis
trente-six heures. Comme notre confrère,
je rapprochais ce rire spasmodique du hoquet et
même de l'encéphalite. Il
n'était pas possible d'ailleurs de se
montrer plus affirmatif. Les symptômes
observés en dehors du fou rire
consistaient seulement en agitation plus grande,
insomnie, hallucinations. La guérison
s'établit d'ailleurs rapidement. Je
profite de cette occasion pour signaler un point
qui m'avait échappé. Economo
nous apprend en effet que trois semaines avant
la nouvelle épidémie
d'encéphalite de 1920, encéphalite
à type surtout myoclonique et
choréique, on avait observé
à Vienne des cas nombreux de hoquet
constituant une véritable
épidémie.
-
- (*) Nous signalons incidemment les
excellents effets obtenus par l'alcoolisation
locale unilalérale des muscles
ptérygoïdiens, au niveau de la face
externe de l'apophyse ptérygoïde.
La
luxation de la mâchoire se
reproduisait ici si fréquemment
malgré tous les moyens utilisés de
contention, que notre collègue Robineau
allait opérer cette jeune malade.
L'alcoolisation locale profonde que l'un de nous
mit en pratique, en provoquant un certain
degré de rétraction des muscles
contenteurs de la mâchoire, fit cesser
d'une façon définitive,
semble-t-il (l'alcoolisation date de six mois)
toute velléité de nouvelle
luxation. On avait été
obligé de chloroformer auparavant
à maintes reprises cette malade pour
réduire sa luxation.
-
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