resolutionmini
 
 
 
Nouvelle Iconographie de La Salpêtrière
 
 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
haut de page
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
haut de page
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 mise à jour du
 27 novembre 2003
Cinquante ans de sommeil
Oliver Sacks
Edition française 1987 le Seuil
Cas n°4 Robert O
pages 105-108

logo

M. O. naquit en Russie en 1905, mais émigra aux États-Unis alors qu'il était encore bébé. Élève remarquablement doué (il fut bachelier à quinze ans), il jouit d'une santé excellente jusqu'à dix-sept ans, âge auquel il contracta une encéphalite léthargique de type soporeux compliquée d'une grippe, qui le plongea dans un état de somnolence (non stuporeuse) durant six mois. Sitôt après s'être rétabli de cet accès initial, il constata qu'il souffrait de troubles du sommeil et de l'humeur, et de certains désordres psychiques.
 
Entre 1922 et 1930, son problème majeur fut sans doute l'inversion de son rythme de sommeil : il avait tendance à avoir extrêmement sommeil et à tomber dans une sorte de torpeur le jour, et à être, la nuit, très énervé et insomniaque. Il fut également sujet à de soudains accès de bâillements, à de la narcolepsie, à des accès de somnambulisme et de somniloquisme, à des paralysies se déclarant pendant le sommeil et à des cauchemars.
 
Alors qu'il était jusque-là d'un tempérament parfaitement équilibré, M. O. commença après son encéphalite à être sujet à des sautes d'humeur assez marquées (consistant le plus souvent en de soudains accès de dépression, et quelquefois en de l'exaltation) qui lui paraissaient « tomber du ciel » et n'avoir aucun lien avec sa vie sociale ou affective ; il traversa de brèves périodes d'agitation et d'impulsivité au cours desquelles il se sentait «forcé d'aller et venir, de faire n'importe quoi», et qu'il ne pouvait pas davantage rattacher aux circonstances de sa vie quotidienne. Et il s'aperçut également, à la même époque, que « quelque chose était arrivé » à son esprit. Sa mémoire, son amour de la lecture, son vocabulaire, sa finesse et son intelligence étaient intacts, mais il était devenu incapable de se concentrer longtemps, car, ou bien il était submergé par des idées qui lui semblaient étrangères (il me dit : «des flots de pensées me traversaient l'esprit comme une flèche, des pensées qui n'étaient pas les miennes, qui n'étaient pas délibérées, si vous voyez ce que je veux dire»), ou bien au contraire ses pensées « s'évanouissaient brusquement, quelquefois en plein milieu d'une phrase... Elles se retiraient, laissant comme un cadre qui aurait perdu son tableau». M. O. se contentait en général d'imputer ces caprices de sa pensée à la maladie du sommeil, mais il avait parfois aussi la conviction d'être sous l'« influence » de forces diverses qui «trafiquaient» ses pensées.
 
cinquante ans de sommeil
 
Vers 1926, il commença à souffrir de contractions musculaires et de tremblements dans les deux bras, et cessa de balancer le bras droit en marchant. En 1928, il alla passer des examens au Pennsylvania Hospital, où les médecins observèrent «des tremblements fins des doigts et de la langue ( ... ) des contractions fibrillaires des muscles de l'avant-bras ( ... ) un faciès figé ( ... ) des clignements constants des deux yeux». A aucun moment, durant les quatre ans durant lesquels il fut suivi à cet hôpital, ses facultés mentales ne parurent altérées, mais il souffrit néanmoins périodiquement d'accès de dépression ou (plus rarement) d'euphorie.
 
Malgré ces symptômes, M. O. continua à travailler comme vendeur dans un magasin jusqu'en 1936. Subsistant ensuite grâce à une petite pension d'invalidité, il mena une vie indépendante jusqu'en 1956, évitant l'hospitalisation mais devenant, au fil des années, de plus en plus solitaire et reclus, de plus en plus excentrique dans ses paroles comme dans ses pensées, et presque stéréotypiquement obsessionnel, voire religieux, dans ses activités quotidiennes.
 
Lors de son admission à Mount Carmel, M. O. était encore capable de marcher sans aide, mais il avait le tronc légèrement plié en avant. Un tremblement accusé et intermittent agitait son bras et sa jambe gauches, tous ses membres étaient raides et laissaient voir un phénomène de « roue dentée », son faciès était figé et son regard ne pouvait plus se diriger vers le haut. Il me déclara, d'un ton ferme mais poli, que ses sautes d'humeur s'expliquaient par les interactions des protons et des neutrons dans l'atmosphère, et que ses problèmes neurologiques étaient la conséquence d'une ponction lombaire qu'il avait subie en 1930.
 
Au début des années soixante, M. O. fut atteint de deux nouveaux symptômes baptisés par les autres patients «grimaces» et «monologues». Ses imiques ne ressemblaient en fait guère à des grimaces normales, mais évoquaient plutôt la maladie : ses haut-le-cœur, sa langue tirée, ses paupières crispées faisaient tout à fait penser à un malade en train d'agoniser. Il ne prononçait pas non plus de vraies paroles lorsqu'il « monologuait », mais émettait à chaque expiration une sorte de ronflement étouffé assez agréable à entendre, faisant penser au bruit lointain d'une scierie, au bourdonnement d'un essaim d'abeilles, ou aux feulements de satisfaction d'un lion repu. Il est intéressant de noter que, bien qu'il fût sujet à ces «compulsions» à grimacer ou à faire des bruits depuis au moins trente ans, M. O. avait réussi à les contrôler jusqu'en 1960. Ces symptômes se manifestaient tout particulièrement quand il était fatigué, excité ou malade ; et ils semblaient également s'intensifier dès que nous y prêtions attention, ce qui engendrait naturellement le processus de cercle vicieux habituel.
 
 
A la même époque, sa rigidité et sa dystonie, ainsi que sa tendance à la précipitation et à la festination, s'aggravèrent progressivement. Ayant souvent eu l'occasion de le voir entre 1966 et 1968 (c'est-à-dire avant le début de son traitement à la L-DOPA), j'avais fini par le connaître très bien. C'était une sorte de petit gnome étrange et charmant qui prononçait souvent des phrases surprenantes, parfois très drôles et d'autres fois sans aucun rapport avec le fil de son discours ; le «désordre de sa pensée», ses points de vue originaux et quelquefois très choquants et son humour gouailleur formaient un mélange inextricable - comme chez tant de schizophrènes doués - qui donnait à sa pensée et à sa conversation une saveur étrangement gogolienne. Lorsqu'il parlait, son visage n'exprimait quasiment aucun affect : au cours de ces trois ans durant lesquels j'appris à le connaître, je ne le vis pas une seule fois «s'énerver». Mais, tout en ne se montrant jamais en colère, agressif, angoissé ou exigeant, il n'était cependant pas apathique à la manière, par exemple, de Mme B. J'avais plutôt l'impression que ses affects avaient été fragmentés, déplacés et dispersés d'une façon incroyablement complexe, à des fins défensives. C'était un homme très narcissique, que le monde n'intéressait pas beaucoup.
 
Il parlait vite, d'une voix douce, grave et bredouillante, un peu comme s'il était très pressé et avait toujours un important secret à confier. Son tronc était extrêmement rigide et plié en avant par une dystonie de flexion assez handicapante, qui lui faisait faire un angle aigu avec les jambes. M. O. était totalement incapable de se redresser volontairement - tout effort en ce sens avait plutôt pour effet d'aggraver sa dystonie -, et ne pouvait relever le dos que lorsqu'il était couché ou endormi. Ses membres avaient une rigidité plastique prononcée, sans composante dystonique, et étaient sporadiquement agités par un astérixis. Il se mettait debout sans difficulté, et marchait d'un pas assez rapide. Il était incapable de marcher lentement et, une fois lancé, avait du mal à s'arrêter. Il était facilement sujet à la propulsion et à la rétropulsion. Ses grimaces et ses ronflements s'accompagnaient de toutes sortes de mouvements plus petits des oreilles, des sourcils et des muscles peauciers; du cou ou du menton. Sauf quand il grimaçait ou était sujet à l'une de ses rares crises de blépharospasme clonique, son regard était aussi fixe que celui d'un lézard et il clignait très peu des yeux. Mais il était aussi malgré tous ces symptômes, l'un de nos patients les plus actifs et les plus indépendants : il ne nécessitait aucun soin hospitalier particulier, demeurait capable de se déplacer et vaquait sans relâche à toutes sortes de singulières activités sociales consistant à nourrir les pigeons, à donner des bonbons aux enfants ou à bavarder avec les vagabonds qui passaient le long de la route.
La scopolamine et divers autres anticholinergiques atténuaient un peu sa rigidité; le recours à la chirurgie n'avait jamais été envisagé. Dans la mesure où sa motilité n'était pas trop atteinte et où certaines de ses tendances pathologiques risquaient d'être aggravées par la L-DOPA, j'hésitais à essayer ce produit sur lui. Mais il nous dit que l'inclinaison de son dos «le tuait», et je me résolus donc, pour cette raison, à lui administrer de la L-DOPA.
 
Encéphalite léthargique Cruchet, Moutier, Calmettes Soc méd hop Paris 27 avril 1917
Fou rire syncopal et bâillements au cours de l'encéphalite épidémique Sicard JA et Paraff A Bulletins et Mémoires de la Société médicale des hôpitaux de Paris 1921; 45; 232
L'encéphalite épidémique Reys L. Maloine. 1922
Manifestations tardives de l'encéphalite épidémique (observations de bâillements n° 7, 49, 61) G Lévy Travail de la clinique des maladies du système nerveux Prof Pierre Marie Vigot ed, Paris 1922
L'encéphalite létharique Lhermitte J 1922
Des altérations psychiques dans la névraxite épidémique et la maladie de Parkinson post-encéphalitique Thèse 28 mars 1923 D. Nestorovith Montpellier
Encéphalite léthargique E. May Nouveau Traité de Médecine t4; Masson 1925
Respiratory disorders in epidemic encephalitis Turner A, Critchley M Brain; 1925; 48; 72-104
Postencephalitic respiratory disorders, phenomology. Jelliffe SE 1927
Postencephalitic respiratory disorders case report. Jelliffe SE 1927
L'encéphalite épidémique ses origines, les 64 premières observations connues R. Cruchet Doin Ed Paris 1928
Mouvements involontaires de la face et de la tête, à allure de spasmes rythmiques, survenant chez un malade atteint d'encéphalite léthargique Crouzon et Ducas. La Revue Neurologique Mai 1928, n°5
Sleep as a problem of localisation von Economo 1930 - pdf
Encephalitis lethargica, Its sequelae and treatment Von Economo C 1931
Encephalitis lethargica, Its sequelae and treatment Von Economo C 1931 (part 2)
Les séquelles neurologiques de l'encéphalite épidémique Riser et Mériel Revue Oto Neuro Ophtalmologie 1931; n°4; 297-322 et n°5 p323-348
Les séquelles de l'encéphalite épidémique G Guillain, P Mollaret 1932
 
M. Baron Constantin von Economo and encephalitis lethargica JM Pearce JNNP 1996; 60; 167
von Economo Encephalitis Morris S Dickman Arch Neurol 2001; 58; 1696-1698
Influenza RNA not detected in archival brain tissues from acute encephalitis lethargica cases or in postencephalitic Parkinson cases McCall S, Henry JM, Reid AH, Taubenberger JK J Neuropathol Exp Neurol. 2001; 60; 11; 1121-2 
Cortical arousal induced by microinjection of orexins into the paraventricular nucleus of the rat Ikuko Sato-Suzuki Behavioural Brain Research 2002; 28; 169-177
Encephalitis lethargica: part of a spectrum of post-streptococcal autoimmune diseases? A Vincent (editorial) Brain 2004; 127; 1; 2 - 3
Encephalitis lethargica syndrome: 20 new cases and evidence of basal ganglia autoimmunity RC Dale, AJ Church, RA Surtees, AJ Lees, JE Adcock, B Harding, BG Neville, G Giovannoni Brain 2004; 127; 1; 21-33
 
 
Baron Constantin von Economo1876 - 1931
 
Sleep as a problem of localisation von Economo 1930 - pdf