Le bâillement est une inspiration
grande et forte indépendante de la
volonté, avec écartement plus ou
moins considérable des mâchoires et
suivie d'une expiration prolongée
(Littré). C'est
une contraction spasmodique de tous les muscles
inspirateurs qui est
précédée et
provoquée par une période de
respiration superficielle (1) exprimant un
besoin d'air, et plus facile à constater
chez certains malades sujets au bâillement
fréquent.
Le bâillement est provoqué par
la fatigue, le besoin de dormir, l'ennui, la
faim, la digestion laborieuse, la monotonie des
sensations ou des actes. Il se présente
dans des conditions très variables :
Buffon l'attribue
à la douleur ou au plaisir. Cette
dernière cause peut inspirer le doute ;
pourtant on peut vérifier l'observation
de Mantegazza
signalant que des jeunes filles qui voient
entrer dans un salon une personne sympathique de
l'autre sexe étouffent des
bâillements ; ce phénomène
n'est pas exclusif aux jeunes sujets du sexe
féminin. Il peut exprimer la
contrainte.
Le bâillement est contagieux,
l'imitation le produit: excité par la vue
ou par l'ouïe il peut être
provoqué par une image mentale (Ch.
Richet). Cette circonstance peut laisser un
doute sur l'origine des bâillements que je
vais signaler; mais leur association a
peut-être plus d'intérêt que
leur cause.
Quand on répète à
l'ergographe l'effort a des intervalles courts
et égaux, il se produit des oscillations
du travail, des alternatives de baisse et de
relèvement, généralement
peu marquées sauf dans le cas
d'échauffement, et dont on ne peut pas
toujours déterminer la cause
(distractions, images, excitations sensorielles,
etc.); mais au cours d'expériences nous
avons relevé une cause
particulière constamment provocatrice de
baisse notable et momentanée du
travail.
J'étais resté dans le doute
sur les résultats des expériences
relatives à l'orientation (2); j'en ai
fait d'autres et en particulier dans lesquelles
j'ai travaillé les yeux clos pendant
toute l'expérience comprenant vingt
efforts séparés par une minute de
repos. Au cours de ces expériences se
sont manifestés
généralement plusieurs fois des
bâillements inusités dans les
expériences analogues, à
défaut de l'obscurité dont l'effet
est dépressif (3). Le bâillement ne
s'est jamais produit pendant le travail, mais
seulement pendant les intervalles de repos.
Quand le bâillement se manifeste dans la
dernière moitié du temps de repos,
il est suivi par une dépression du
travail très notable (1/4 à 1/3).
Quand on constate une dépression moindre
mais suffisante pour caractériser une
fatigue inusitée, c'est que le
bâillement va se produire et accentuera la
dépression à l'effort suivant.
Dans tous les cas il se fait un
relèvement consécutif, à
moins que les bâillements se
succèdent en prolongeant la
dépression.
La réalité de la
dépression de l'activité
volontaire corrélative avec le
bâillement n'a pas seulement un
intérêt physiologique, mais aussi
un intérêt clinique. Je connais un
épileptique qui est
débarrassé de ses grands
accès convulsifs mais il est sujet
à des bâillements à propos
desquels il lui arrive assez souvent de
lâcher un objet qu'il tenait à la
main ; il prétend qu'il ne perd pas
connaissance. Il faut attendre les effets du
traitement sur les bâillements
parétiques, avant de juger leur nature:
ils peuvent constituer une exagération
d'un état normal, et non pas d'un
symptôme épileptique.
(1) Ch. Féré. Bâillement
chez un épileptique (Nouvelle
Iconographie de la Salpêtrière,
1888, p. 165). - Les épilepsies et les
épileptiques, 1890, p. Ob.
(2) Note sur l'influence de l'orientation
sur l'activité, Comptes rendus de la Soc.
de Biologie, 1901, t. LVII, p. 244. - Les
expériences récentes ne font que
confirmer les anciennes, elles seront
communiquées.
(3) Ch. Féré. Travail et
plaisir etc., in-8, 1904, p. 102, 119-121.