-
- Relations
intraspécifiques
-
- L'hippopotame est un animal social. Mais
l'organisation de sa société, de
même que les relations entre les membres
d'un même groupe sont encore très
imparfaitement connues Cela tient d'une part
à certains auteurs qui prétendent
que la biologie de l'hippopotame est bien connue
et, d'autre part, à l'animal
lui-même. L'étude
éthologique pprofondie d'une
espèce à moeurs nocturnes et qui
en plus hante l'eau n'est en effet point facile
à entreprendre.
-
- L'hippopotame, en tant que sujet
d'étude, ne m'était pas
étranger. Au cours de mon séjour
au Parc National de l'Upemba, j'avais
déjà fait la connaissance de ce
pachyderme fort intéressant, mais c'est
au cours de la rédaction de mes notes
(VERHEYEN, 1951) que différents
problèmes se sont posés auxquels
il ne m'était pas possible de fournir
d'explication. Il se conçoit que,
dès mon arrivée au Parc National
Albert, où précisément les
hippopotames étaient extrêmement
abondants, je n'ai pas tardé à
sacrifier une partie de mes loisirs à
observer ces animaux avec beaucoup plus de
patience que j'en avais témoigné
précédemment.
-
- Dans les relations sociales, il importe de
reconnaître à coup sûr les
mâles des femelles. Au Parc National de
I'Upemba, il m'était assez facile de les
distinguer, attendu que les hippopotames y
étaient peu abondants; mais à
Ishango, le long de la Haute-Semiiki, ces
animaux étaient tellement nombreux que
chaque individu y semblait disposer de
différents sosies, ce qui était
particulièrement déroutant. C'est
la raison pour laquelle, au début de mes
investigations, je me suis principalement
intéressé aux individus
aisément reconnaissable à l'une ou
l'autre infirmité ou
caractéristique: par exemple à
l'absence d'une seule ou des deux oreilles,
à la présence de l'une ou l'autre
entaille profonde sur le col ou le dos, à
la mâchoire inférieure
déformée, aux défenses
saillantes, à la coloration
particulière de la tête et à
la longueur totale du corps. En combinant
plusieurs de ces caractéristiques, il
m'était finalement possible de
reconnaître individuellement bon nombre de
pensionnaires dont je surveillais le
comportement. Plus tard, d'autres
particularités sont encore venues
s'ajouter, comme, par exemple, la façon
de bâiller, le timbre et la
sonorité de la voix, la manière
d'attaquer, de se défendre et de
réagir, parce qu'il m'était devenu
clair que chaque individu, malgré sa
grande ressemblance avec ses
congénères, avait sa «
personnalité ». Dès qu'un
individu était reconnaissable il fallait
déterminer le sexe sur le vif.
-
- Les particularités qui
caractérisent les mâles adultes par
rapport aux femelles sont les suivantes
-
- 1°) Chez les mâles il n'y a pas
de scrotum, les testicules étant
logés sous la peau de l'abdomen. Au
moment de la défécation, le
pénis recourbé vers
l'arrière devient visible. Quand les
excréments sont évacués,
l'urine est lancée en direction de la
queue.
-
- 2°) Chez le mâle adulte, le
pénis est rarement rentré
complètement; il est visible quand
l'animal se promène sur la terre ferme
à pas lents. Les mamelles inguinales,
même chez les femelles de grande taille et
qui ont des jeunes à charge, sont
petites. A distance, la distinction entre les
deux sexes est donc parfaitennt possible si l'on
met suffisamment de temps à
observer.
-
- 3°) Le mâle adulte évacue
ses excréments d'une façon tout
à fait particulière. Lors de la
défécation, aussi bien dans l'eau
peu profonde que sur la terre ferme, le dos est
faiblement arqué et les pattes
postérieures portées
légèrement en avant. Au cours de
la première phase de la
défécation, la queue
exécute une série de balancements
lents mais s'amplifiant brusquement quand les
excréments sont lâchés. Au
lieu de tomber, ceux-ci sont pris dans le
va-et-vient de la queue courte et musclée
qui les disperse avec force. En même temps
apparaît l'urine, dont le jet est parfois
brisé par les excréments solides
qui, malgré les oscillations de la queue,
tombent perpendiculairement. Les
excréments se dispersent surtout dans un
plan perpendiculaire à l'axe de l'animal,
mais il y a toujours quelques mottes qui lui
tombent sur la croupe.
- Les individus adultes qui vivent dans
l'isolement et qui charrient sur le dos des
parcelles de bouse sont invariablement des
mâles. Il n'en est pas de même pour
les individus réunis en groupe, parce
que, en plus d'une occasion, j'ai vu un
mâle évacuer ses excréments
au-dessus d'un individu couché, de sorte
qu'après la défécation
certains membres de la « crèche
» avaient le dos et la tête
émaillés de parcelles
d'excréments. La scène
était particulièrement grotesque,
puisque tous ces hippopotames sommeillants se
réveillèrent et regardèrent
dans la direction de celui qui venait de les
arroser copieusement. Toutefois l'avalanche ne
semblait les déranger nullement et
après le départ de son auteur,
j'ai observé des jeunes qui allaient
patiemment renifler les parcelles tombées
sur le dos d'un congénère et
parfois aussi les lécher. Dans une file
d'hippopotames qui se serraient de près,
la défécation se déroulait
d'une manière identique.
L'arrière-train était toujours
soulevé au-dessus de l'eau et
l'évacuation s'effectuait alors sous le
nez du suivant. Ce dernier essayait bien de
reculer un tant soit peu, et j'en ai vu
également qui, vers la fin de,
l'opération, plongeaient la tête
sous l'eau.
-
- De leur côté, les femelles
balancent également la queue au moment
même de l'évacuation des
excréments, mais les mouvements
s'effectuent si lentement que les
déjections tombent sans dévier.
Remarquons que le jeune mâle
impubère et celui dont le rang social est
très bas évacuent leurs
excréments à la manière des
femelles, ce qui, évidemment, peut donner
lieu à des déterminations,
erronées.
-
- 4°) Tous les hippopotames effectuent un
bâillement caractéristique.
Il est vraisemblablement en rapport avec
l'évacuation des gaz dus à la
fermentation des aliments dans l'estomac. Mais
le bâillement complet n'est le fait
que des mâles adultes. La première
phase consiste à étendre le cou
dans le prolongement de la ligne du dos,
à ouvrir la bouche à moitié
et de rester ainsi immobile pendant quelques
instants. Souvent la dentition de la
mâchoire inférieure
n'apparaît point à la surface de
l'eau et de ce fait n'attire guère
l'attention.
-
- Il s'agit du bâillement
incomplet tel que l'exécutent les
femelles, les jeunes et les mâles
subadultes. De la première phase, le
mâle adulte passe souvent à la
deuxième, qui consiste à lever la
tête au-dessus du niveau du dos, à
écarter les mâchoires le plus
largement possible, à découvrir la
denture et ensuite à faire
exécuter à la tête un
mouvement circulaire, ce qui constitue la fin du
bâillement complet. Ceci peut
être effectué par tous les
mâles adultes, mais il existe encore une
différence notable, entre le degré
d'écartement, des mâchoires, d'un
individu à l'autre. Il se conçoit
qu'il est en fonction de l'âge de
l'animal, donc de la taille. Le
bâillement complet s'observe
surtout vers la tombée de la nuit chez
les mâles qui ont recherché
l'isolement et qui ont un rang social
élevé.
-
- 5°) L'hippopotame mâle adulte est
sensiblement plus grand et plus volumineux que
la femelle de même âge, ce qui se
remarque aussi à la configuration de la
tête, qui, chez le mâle, offre un
aspect plus massif. En outre les canines,
à croissance illimitée, sont de
loin plus longues et plus robustes chez les
mâles. Toutefois, ces
caractéristiques ne permettent pas de
discerner les femelles des mâles presque
adultes.
-
- 6°) Un individu qui se trouve à
l'écart du troupeau et qui est
flanqué d'un ou de plusieurs sujets de
petite taille est invariablement une femelle,
plus précisément une mère.
Le mâle adulte ne manifeste aucun
intérêt bienveillant à
l'égard des nouveau-nés ni
à celui des jeunes déjà de
grande taille. Inversement un individu
isolé qui a son reposoir dans une
baignoire quelque part à
l'intérieur des terres et mêm celui
qui, dans La Haute Semiiki ou dans le lac
Edouard, dort paisiblement à une dizaine
de pas seulement d'un autre ou d'un troupeau est
invariablement un mâle. Les femelles se
rencontrent isolément quand la veille de
la parturition elles se rendent à un
endroit propice pour aménager "le nid"
destiné à accueillir le jeune.
Dans ce dernier cas, il est aisé de se
rendre compte du sexe de l'individu, vu sa
corpulence, son agressivité et son
inquiétude.
-
- 7°) Chez tous les couples
composés d'éléments adultes
de sexe différent, le mâle tient le
rang social le plus élevé. S'ils
se rendent vers les lieux d'accouplement, la
femelle suit de près ou de loin son
partenaire.
-
- Si le couple est constitué
d'individus de même sexe, le plus jeune
(donc celui qui est le moins élevé
en grade) se trouve toujours en deuxième
position. Au repos dans l'eau, ce dernier pose
fréquemment la tête sur
l'arrière-train de son compagnon plus
âgé, et sur la terre ferme il lui
est permis de marcher dans le sillage de son
supérieur. Cette hiérarchie est
rigoureusement respectée chez les couples
de mâles et il est remarquable que, sur
terre, quand l'adulte s'arrête pendant de
longues minutes pour humer l'une ou l'autre
empreinte, le subadulte refuse de se placer
à côté de son compagnon
hiérarchiquement supérieur ou de
le devancer. Souvent il préfère
circuler un peu plus en arrière et
même se coucher en attendant que l'autre
veuille bien se remettre en marche. De
même quand ce dernier apporte son tribut
à un dépotoir, le jeune attend
patiemment son tour pour faire de même
avec la même concentration dans
l'accomplissement de cet acte. Par rapport
à son supérieur, le jeune
paraît joueur; tous ses mouvements sont
moins lourds, moins graves, plus
folâtres.
-
- Chez les couples constituées de
femelles, la plus jeune peut se permettre la
fantaisie de se placer à
côté de son aînée et
même prendre les devants, bien que dans ce
dernier cas, l'aînée exécute
souvent une manoeuvre de dépassement pour
ramener la cadette dans son sillage.
-
- Quand un adulte et un subadulte se
déplacent ensemble dans l'eau et
lorsqu'ils sont accueillis par un autre adulte
qui, soit se lève pour disperser
énergiquement ses déjections, soit
marche posément à leur rencontre,
on voit alors la couple exécuter une
manoeuvre qui a pour résultat que le
subadulte se trouvera partiellement caché
derrière le corps de son compagnon plus
âgé par rapport au
troisième. Dans ce cas l'adulte est une
mère, le subadulte un jeune male et le
troisième un mâle adulte.
-
- 8° Quand deux individus se livrent un
combat acharné et quand d'autres
hippopotames adultes s'approchent de
différents côtés à
pas lents et mesurés pour assister au
spectacle, les deux combattants sont
invariablement des mâles. Mais si l'un des
antagonistes est rejoint par un troisième
individu (accompagné d'un jeune ou non)
qui fait également face à l'autre,
le sujet secouru est invariablement une
mère qui se trouve aux prises avec un
mâle.
-
- 9° Les individus qui présentent
sur l'un ou sur les deux flancs des blessures
dues au rabotage de la peau par des sabots sont
des femelles récemment couvertes par le
mâle.
-
- 10° Un individu isolé est
rejoint par un autre qui sort d'un groupe. Ce
dernier approche de face l'isolé quit
soulève la croupe pour disperser ses
déjections avec farce, à quoi
l'arrivant répond en agitant la queue
lentement. L'isolé écarte, ses
mâchoires .et,.s'apprête à
attaquer; son visiteur toutefois ne
répond qu'en tournant sa tête de
côté. C'est l'acte de soumission de
la femelle qui signale l'approche du rut au
mâle.
-
- 11° Les mâles adultes ont en
outre la voix plus grave, plus sonore que les
autres individus de la tribu et souvent une peau
densément balafrée. Ces
particularités sont toutefois d'ordre
secondaire et elles ne se prêtent
guère à une détermination
rigoureuse du sexe. Il apparaît ainsi
clairement que la vie sociale de l'hippopotame
est beaucoup plus compliquée qu'on a
tendance d'admettre et que son étude est
infructueuse aussi longtemps qu'on ne parvient
pas à démêler les sexes et
les subadultes des adultes.
-
- Suite à une série
d'observations soutenues pendant deux mois,
j'étais arrivé à
reconnaître une vingtaine d'hippopotames
que j'avais numérotés ou
surnommés grâce à quelque
détail frappant dans leur physionomie ou
leur comportement. Divers croquis de situations
complexes ont été pris sur le vif
et j'ai même réussi à filmer
en partie un combat spectaculaire entre un
mâle et une mère défendant
son jeune contre ses atteintes. Pour satisfaire
à la méthode statistique, tous les
événements ont été
notés et répétés
à satiété. Ilen est
résulté une abondante
documentation dont on trouvera le
résumé et l'essentiel dans les
paragraphes ci-après.
-
-
- Signaux
avertisseurs
-
- Pour signaler sa présence, pour
situer sa position dans l'eau, pour avertir la
société de l'approche de quelque
chose d'insolite, l'hippopotame émet des
signaux qui, d'accord avec HEDIGER (pp. 59-60,
1951), sont souvent mal
interprétés.
-
- 1°) Emissions vocales.
- L'expiration sèche et rude qui chasse
bruyamment l'air, suivie d'une inspiration
saccadée, est bien connue. Cette
émission vocale peut être
comparée à un hennissement grave.
Aussi DioDORE de Sicile, MEROLLA, SCHOUTEN et
ADANSON, cités par DRAPIEZ (1853),
s'accordent sur cette ressemblance de la voix de
l'hippopotame avec le hennissement du cheval. Le
nom grec «cheval de rivière »
est vraisemblablement basé sur ce cri,
bien qu'un cheval à la nage, vu de
côté et avec les oreilles
couchées, ressemble à s'y
méprendre à notre gros amphibie
(dr. SPARRMAN, p. 198, 1787). Le hennissement
est aussi produit quand l'hippopotame se trouve
sur sol ferme et quand un sujet insolite y
surgit qui l'oblige à reculer. Il est
curieux de constater qu'il sait tourner l'une de
ses petites oreilles vers l'avant et l'autre
vers l'arrière, tout comme font les
antilopes et les chevaux qui se trouvent
alertés.
-
- Dans les poursuites à terre et dans
les préludes au combat, on entend assez
souvent un grognement qui rappelle le cri
émis par le porc domestique ou le
potamochère. Attendu que la forme du
corps, l'aspect de la peau, la conformation des
pattes, l'habitude de se vautrer dans la boue,
mais aussi son anatomie générale
(cfr. GRATIOLET, 1867) rappellent le porc
domestique en plus gros, la dénomination
égyptienne "cochon d'eau" n'est pas non
plus dépourvue de fondement.
-
- Le mugissement (du buffle) et le rugissement
(du lion), qu'on entend de temps à autre,
se confondent. L'appréciation est en
effet fonction de la distance. La ressemblance
de cet appel particulier avec les
émissions vocales des deux ténors
de la brousse, dont il est question plus haut,
est réellement frappante et a
déjà donné lieu à de
nombreuses confusions, surtout quand, la nuit,
des séries de ces appels résonnent
gravement dans le lointain. De même que le
grognement, le mugissement n'est entendu que
pendant les combats. Il est émis par le
mâle adulte cherchant à intimider
son adversaire. Rien d'étonnant alors que
les Arabes et les Hottentots appellent
l'hippopotame "buffle d'eau" et les
Zuid-Afrikaanders "vache de mer".
-
- Reste le cri émis par le mâle
pendant l'accouplement. Il consiste en une
série d'appels composés de trois
syllabes (mouh-mouh-mouh). Le cri peut
être comparé au bruit produit par
le moteur d'une voiture automobile quand,
pendant un débrayage pour changer de
vitesse, la pression sur
l'accélérateur n'est pas
diminuée.
-
- Le hennissement est le seul signal
avertisseur à caractère social :
il signale à la communauté
l'apparition de quelque chose de suspect; si
l'appel est répété par un
deuxième et par un troisième
individu, l'attention se
généralise et l'état
d'alerte s'ensuit automatiquement. Le signal
retentit aussi quand brusquement une poursuite
débute dans l'eau ou quand deux
mâles s'approchent en silence avec des
allures menaçantes.
-
- 2.) Le bâillement.
- Nous avons déjà
effleuré le sujet
précédemment et, dans l'immense
majorité des cas, il n'a nullement le
caractère du bâillement de
colère, comme le prétend HEDIGER.
Il ne peut pas être confondu avec
l'attitude offensive de l'hippopotame qui
s'apprête à charger, sa redoutable
armature disposée en ordre de bataille.
Le bâillement peut être
observé aussi bien sur terre que dans
l'eau.
-
- 3) Le redressement.
- "Les mâles se redressent parfois, les
pattes postérieures sur le fond de la
rivière, l'avant du corps
étonnamment haut au-dessus de la surface
et ils peuvent alors en y joignant le
mugissement présenter un aspect
réellement terrible" (HEDIGER, 1951, p.
59). Je n'ai observé cette attitude que
lorsque l'animal mâle ou femelle est
réellement prêt à bondir sur
un ennemi quelconque. Il ne s'agit donc
aucunement d'une pose d'intimidation.
-
- 4°) Ejection d'eau.
- Comme nous l'avons vu
précédemment, les hippopotames
peuvent utiliser l'eau comme projectile, mais
dans bon nombre de cas observés, il m'a
été impossible de définir
exactement si le geste de lancer de l'eau avait
réellement pour but d'effrayer et de
chasser la cause du dérangement ou bien
s'il avait intention de jouer et de s'amuser. En
tout cas, j'ai vu presque tous les
éléments d'une bande
éjecter de l'eau par les narines
lorsqu'ils furent survolés par un avion
à basse altitude.
-
- 5)° Les bulles d'air et la
plongée en direction de l'ennemi sont
considérés par HEDIGER (p. 60,
1951) également comme signaux
avertisseurs. Très souvent j'ai
observé des hippopotames isolés
qui émettaient des bulles d'air sans
qu'ils aient été le moins du monde
dérangés. Au début, j'avais
l'impression que l'émission des bulles
d'air faisait partie des jeux d'amusement des
hippopotames, mais finalement je me suis
rangé à l'avis que les bulles
d'air sont des gaz formés par la
fermentation dans l'estomac et
évacués par la bouche. La
plongée en direction de l'ennemi, si
combat ou pourchasse s'ensuit, est un signal
avertisseur important. Alors il fait
intégralement partie du rituel de combat,
bien qu'il arrive aussi qu'il s'agisse tout
simplement d'une manifestation de
curiosité, pour voir notamment quelles
seront les réactions de l'intrus, parce
que l'hippopotame aime jouer avec ses semblables
mais aussi dans son imagination.
-
- 6. La défécation.
- Dans les relations intraspécifiques,
celle-ci est le signal avertisseur le plus
important. Les mâles adultes la mettent
très souvent en exécution et leur
rang dans la hiérarchie sociale est
d'autant plus élevé qu'ils peuvent
disperser leurs excréments un plus grand
nombre de fois par unité de temps. La
défécation a lieu chaque fois
qu'une rencontre dans l'eau se produit à
laquelle se trouve mêlé un
mâle adulte, peu importe que l'autre soit
un autre mâle, une femelle ou un jeune. La
défécation fait ainsi partie du
rituel de l'entrée en relations dans la
société des hippopotames
-
- Un mâle adulte se
déplaçant dans l'eau s'approche du
refuge d'un autre mâle : 1° Celui-ci
se lève et s'en va précipitamment.
Il n'y a pas eu de défécation.
2° Il se lève à courte
distance et s'oriente dans la direction de
l'arrivant. Ce dernier s'arrête et il y a
défécation par l'un et par
l'autre. Après quelques échanges
de politesses, les deux animaux se couchent et
se regardent attentivement. L'arrivant se
lève enfin et retourne d'où il est
venu. 3° Mais ce dernier s'approchera du
propriétaire du refuge si celui-ci, sous
l'effet de la peur, ne répond plus
à l'échange de saluts odorants. Un
combat peut s'engager quand le
propriétaire refuse de se retirer, mais
en général il ne s'agit là
que d'un simulacre de combat, un cas
d'humiliation devant la société
réunie en spectateur. Ensuite, le
supérieur hiérarchique
s'éloigne sans oublier de parfumer l'air
de ses déjections. Quand il se trouve
suffisamment loin, sur le chemin du retour, il
arrive que l'humilié reprenne possession
de ses moyens et lui rende le salut.
-
- Une femelle adulte en promenade dans l'eau
s'approche d'un mâle. Ce dernier devinant
sans doute les intentions de la visiteuse se
dresse instantanément pour la saluer sous
une pluie d'excréments. La femelle lui
rend le salut en fouettant
légèrement l'eau à l'aide
de la queue. Ce qui met le mâle en
confiance. Il perd tout de suite son attitude
agressive en adoptant une pose moins
contractée. La tête se lève,
les excréments continuent à
pleuvoir de tous côtés et il ne
manque pas de s'approcher de la femelle, qui, de
son côté, continue à lui
envoyer des saluts de queue.
-
-
-
- Le combat
-
- Le combat fait intégralement partie
du comportement social de l'hippopotame. Les
hiérarchies sont en effet rigoureusement
établies d'après les
résultats des joutes que les membres du
clan se livrent fréquemment entre eux et
dans lesquelles interviennent le style, le
poids, le développement de la denture,
ainsi que l'expérience et le
tempérament (audace, endurance,
opportunité). J'ai assisté
à de nombreux combats dont la plupart
étaient liquidés après
quelques secondes à peine. Mais il y en
avait aussi bien d'autres (cfr. HUBERT, 1947;
PITMAN, 1945) qui ne se terminaient
qu'après l'épuisement complet des
antagonistes. Le plus souvent ils
n'étaient que deux à se battre,
mais de temps à autre il arrivait aussi
qu'un seul individu devait tenir tête
à l'assaut de deux et de trois
adversaires, rarement de toute une bande.
-
- Mais les hippopotames sont bien
adaptés au combat et à toutes les
conséquences qui en découlent.
Nous avons vu que leur peau est très
épaisse aux endroits où les coups
de dents sont généralement
portés (dos, flancs, séant,
queue), tandis que les blessures
guérissent étonnamment vite.
-
- Dans chaque combat, il y a lieu de
distinguer différentes phases. Il importe
de les connaître, puisqu'à chacune
d'elles il peut s'interrompre.
-
- 1° phase : Il s'agit de l'intimidation
pure avec la conséquence que l'un des
deux antagonistes se hâte d'abandonner son
observatoire. Elle peut se présenter sous
forme d'enchaînements : un mâle
charge un deuxième en courant; ce dernier
se sauve mais traverse le territoire d'un
troisième; celui-ci se lève et
fait stopper le poursuivant. Le fait de se lever
constitue une menace pour un quatrième
qui s'avance sur le troisième. Entretemps
le deuxième est pris en chasse par un
cinquième et il arrive ainsi que tous les
mâles adultes d'un clan d'hippopotames
soient alertés pendant que de tous
côtés des hennissements graves
résonnent.
-
- 2° phase : Deux sujets s'approchent,
s'arrêtent, dispersent leurs
excréments et bâillent. En
voici un exemple typique (fig. 28)
-
- Ishango, 10.XI.1953 à 11 h : quatre
mâles adultes ont pris possession de leur
reposoir et semblent dormir. Le n° 1 se
lève et se dirige lentement vers l'espace
compris entre le n° 3 et l'île. Le
n° 3 se lève à son tour et
laisse approcher le n° 1 jusqu'à 10
m de distance environ. Le n° 3 disperse
énergiquement ses excréments. Le
n° 1 s'arrête, bâille,
se détourne et disperse ses
déjections dans la direction du n°
3. Il s'avance vers le n° 4, qui se
lève également. Le n° 1
s'arrête, se retourne et rejoint lentement
son territoire, où il disperse ses
excréments contre la paroi de la berge.
Il exécute ensuite une attaque
simulée en direction du n° 3, les
mâchoires à moitié
écartées et en fauchant de la
tête. Mais le n° 3 continue à
s'approcher très lentement.
Inquiétude du n° 1 qui se dirige
vers le n° 2, qui se lève à
son tour. Le n° 1 change alors de direction
et se place entre les n° 2 et 3, où
il s'arrête. Le n° 3 se retourne et
réintègre lentement son refuge, ce
que fait le n° 1 également. Tout le
monde se couche et plus rien ne se passe.
Durée des manoeuvres : 10 minutes
environ.
-
- 3e phase : Deux sujets s'approchent
davantage, narines à ras de l'eau, les
oreilles tournées en avant, les yeux
largement écarquillés.
-
- 4e phase : A un ou deux mètres de
distance, ils s'arrêtent net,
bâillent et fauchent de la
tête.
-
- 5e phase : La tête haute, la denture
en ordre de bataille, l'un d'eux fait
brusquement un ou deux petits pas en avant, tout
en écartant largement les
mâchoires.
-
- 6° phase : Ils foncent l'un sur
l'autre, soit en avançant à petits
pas, soit en bondissant. Entrechoquement des
dents, reculs, mugissement ou grognement.
-
- 7e phase : Fuite du plus faible; il est
talonné de près par le vainqueur,
lui s'attaque au séant du fuyard en lui
assénant des coups de bélier. A
terre, la poursuite se termine rapidement, parce
que le vaincu (en général plus
petit et plus léger) ne manquera pas de
se détacher. Mais elle peut aussi durer
des heures quand les deux adversaires tournent
en rond. Dans l'eau, toutefois, et cela
malgré ses plongées et ses
crochets, le fuyard est durement rossé et
son seul salut consiste alors à se
précipiter dans une crèche
où les mères, en se levant, ne
tarderont pas à prendre la défense
du plus faible.
-
- Lors du combat dans l'eau, les avantages des
mâles adultes sont considérables.
Leurs canines sont en effet plus longues, leurs
mâchoires peuvent s'écarter plus
fort et leur poids corporel est de loin
supérieur à celui de leurs jeunes
adversaires. Dès lors il se comprend
pourquoi les mâles adultes luttent la
gueule largement ouverte, les femelles et les
jeunes mâles avec les mâchoires
légèrement écartées,
mais en fauchant continuellement. La tactique du
mâle adulte est claire. Il essaie de
saisir entre ses canines redoutables la
tête ou le cou de l'adversaire et s'il y
parvient des morsures cruelles en
résultent (oeil
énucléé, luxation ou bris
de la mâchoire inférieure,
blessures graves au cou, trachée ou
carotides tranchées). S'il parvient
à renverser l'adversaire, il ne manquera
pas de lui briser l'une des pattes de devant
pour lui administrer ensuite le coup de
grâce. L'immobilité relative du
mâle adulte permet par contre à
l'adversaire femelle ou jeune mâle
d'attaquer latéralement et de toucher la
poitrine ou la base du cou, à l'endroit
donc où la peau est assez mince.
-
- Les issues fatales ne sont pas rares et les
cinq cadavres d'hippopotames que j'ai pu
examiner correspondaient à quatre jeunes
mâles et à une femelle. Trois
montraient des blessures profondes à la
base du cou et deux avaient le thorax
perforé. Dans un cas la pointe du coeur
avait été touchée (Cfr.
PITMAN, pp. 77-78, 1945). Deux d'entre eux
avaient en outre une patte antérieure
brisée. Mais en général les
deux adversaires, même après des
heures de combat acharné, s'en tirent
avec des blessures saignantes à la
tête, au cou et aux flancs qui,
après l'interruption du combat et la
plongée, les font rugir et sursauter de
douleur.
-
- Le combat à trois ou davantage est de
courte durée, le solitaire se retirant
à reculons le plus rapidement
possible.
-
- Pourquoi les hippopotames se battent-ils ?
Question troublante.
-
- 1. Dès leur bas âge, les
hippopotames se battent déjà entre
eux. Il est vrai qu'il ne s'agit alors que d'un
simulacre de combat, d'un jeu à
proprement parler, bien que les feintes, les
préludes et tous les coups classiques
soient déjà de la partie. Le
combat que les jeunes se livrent entre eux
parfait donc leur éducation
physique.
-
- 2. Quand deux mâles adultes se battent
entre eux, on a nettement l'impression qu'ils
veulent terroriser et ridiculiser l'adversaire
sous les yeux de l'assistance composée en
ordre principal de jeunes et de femelles. Il en
résulte que les vaincus n'osent parfois
plus se rapprocher de leur clan d'origine
où les vainqueurs règnent en
maître. Dans ce cas, il est clair que le
but du combat consiste à écarter
un rival dans les relations sexuelles. Mais
alors comment expliquer le fait que de deux
à trois semaines plus tard le mâle
vainqueur va parfois relancer le vaincu pour
l'emmener avec lui vers son refuge aquatique
où ils vivront dorénavant en paix
aussi longtemps que le plus faible respectera la
hiérarchie sociale établie sur la
force ?
-
- 3. Quand un mâle et une femelle sont
aux prises, la vie du nouveau-né est en
jeu. Logiquement il n'est question ni de
rivalité sexuelle, ni de jalousie,
puisque les jeunes tués appartiennent
aussi bien au sexe mâle qu'au sexe
femelle. Et que penser du comportement d'un
père qui lèche le
nouveau-né quand ils se trouvent sur la
terre ferme et qui, par contre, se
précipite sur son rejeton pour
l'écraser dès qu'il se trouve
à l'eau ? Et il n'est nullement question
d'imitation, puisque les jeunes femelles
élevées dans les jardins
d'acclimatation manifestent, elles aussi, une
vigilance féroce à l'égard
de leurs compagnons mâles à
l'occasion de la naissance du premier jeune.
J'ai réussi à filmer un combat
particulièrement violent.
-
- Voici mes notes prises sur le terrain.
-
- Lomera, 9.X.1953, à 10 h le cadavre
d'un hippopotame dans l'eau à 3 m du bord
attire notre attention. La peau est
blanchâtre et il montre à la base
du cou une profonde blessure. Nous nous
approchons de la rive, mais nous sommes surpris
par une charge brusque d'un hippopotame qui se
lève à 5 m du cadavre, où
il se tenait dissimulé sous une frange
d'lniperata surplombant l'eau. Il s'agit d'un
acte d'intimidation et nous nous retirons pour
contourner l'agresseur, qui montre une multitude
de griffes au cou et deux blessures
allongées sur le flanc droit. Il n'est
peut-être pas étranger au cadavre
qui gît à proximité de son
refuge. En nous approchant de la rive, nous
voyons, une cinquantaine de mètres plus
loin, deux hippopotames s'affronter dans une
partie de la Semiiki où la profondeur de
l'eau ne dépasse pas les 50 cm.
-
- Celui de gauche est un mâle, celui de
droite, plus petit, est une femelle. Un jeune
nage nerveusement à proximité de
la queue de la mère. Le mâle
bâille et s'approche dangereusement
de la femelle qui, le mufle entr'ouvert,
l'attaque rageusement. Par deux fois en quelques
secondes les deux antagonistes usent de tout
leur poids pour faire reculer l'adversaire. Ils
bondissent hors de l'eau comme pour s'embrasser,
le mâle essayant de saisir la femelle par
la tête et la femelle labourant celle du
mâle à coups de défenses.
Touché, le mâle recule de quelques
pas; sur quoi la femelle se retourne comme pour
s'éloigner. Enragé, le mâle
reprend l'assaut, mais la femelle l'évite
de justesse et le frappe durement sur le flanc
droit. Là-dessus il y a une pause pendant
laquelle les deux hippopotames, la bouche
largement ouverte, s'affrontent à un
mètre de distance.
-
- Après quelques secondes, la femelle
recule lentement vers la berge. Le mâle la
serre de près pendant qu'il émet
un grognement terrifiant. Toutefois il n'attaque
pas. A un moment donné, la mère
touche la ceinture de phragmites et fait halte,
ce qui met le mâle en colère. Il
charge gueule ouverte mais la femelle ne bronche
plus, bien qu'elle continue à parer les
coups. Entretemps un troisième individu,
accompagné d'un jeune déjà
assez grand, traverse lentement le fleuve.
Arrivé à la ceinture de roseaux,
il longe le bord et fait front au mâle en
se plaçant à côté de
la femelle refoulée. La-dessus, le
mâle baisse pavillon. Il recule, se
retourne, disperse ses excréments en
direction de la couple de femelles et
bâille encore une fois dans Ieur
direction pour s'éloigner enfin.
-
- Il porte une large entaille sur le flanc
droit et le sang lui coule de deux blessures
à la tète qui le font rugir de
douleur quand, à l'occasion d'une
plongée, elles viennent au contact de
l'eau. Quelques minutes après, les deux
femelles, accompagnées de leurs jeunes,
traversent lentement le fleuve en direction de
la « crèche », qui pendant le
combat avait attentivement suivi toutes les
manoeuvres.
-
- Il en ressort que le refuge aquatique
constitue le vrai territoire du mâle dans
lequel il peut tolérer la présence
de la femelle mais nulle autre, pas même
celle de son propre jeune.
-
- Ce comportement bizarre est donc
inné.
-
- Le combat chez l'hippopotame est, à
défaut d'ennemis naturels, au service de
la sélection naturelle, basée sur
l'élimination des individus physiquement
faibles; d'où il résulte que les
jeunes mâles sont exclus de la
reproduction et que les femelles trop jeunes
resteront temporairement sans
progéniture.
-
- Tous les auteurs sont d'avis que chaque
troupeau est placé sous la surveillance
d'un mâle adulte. Je ne partage pas cette
opinion. Dans la Haute Semliki, chaque troupeau
composé de femelles et de jeunes est en
effet entouré de deux à six
mâles adultes qui sont approximativement
de même rang social. Chacun de ceux-ci ne
règne en despote que dans un petit
secteur avoisinant son reposoir. Chacun
contrôle les allées et venues des
composants du groupe et souvent il ne se prive
pas du plaisir de se coucher au beau milieu de
la partie du groupe qui a élu domicile du
côté de leur refuge aquatique.
-
- H0IER (p. 152, 1950) n'exclut pas la
possibilité de l'existence d'une
consanguinité prononcée chez
l'hippopotame. Je me range à son avis,
quoique l'exclusion des jeunes mâles et le
rassemblement des femelles ayant des jeunes
d'âge approximativement égal ne
permettent vraisemblablement qu'une
consanguinité limitée qui,
d'ailleurs, est naturelle chez des animaux
grégaires et de caractère
sédentaire.
-
- La combativité innée chez
l'hippopotame est donc un facteur limitatif qui
empêcherait l'établissement d'une
hétérozygotie et un
affaiblissement physique de l'espèce
résultant d'une consanguinité trop
poussée.
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