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Mise à jour le
2 janvier 2001
Lexique
Texte expliquant l'anatomie clinique
le syndrome frontal
Sémiologie neuropsychologique
par C. Derouesné
 Revue du Praticien 21 juin 1979, t 29, n°35
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L'analyse des troubles consécutifs à des lésions situées dans les régions frontales du cerveau constitue un des aspects les plus complexes de la neurologie. Le clinicien se heurte en effet à deux difficultés majeures : l'examen neurologique habituel ne montre bien souvent aucune anomalie, même lorsque les lésions se révèlent importantes. D'autre part, les lésions frontales se traduisent volontiers par des troubles du comportement qu'il est aisé de méconnaître, ou d'interpréter à tort comme des manifestations psychiatriques.(...) Le but de l'examen neuropsychologique est identique à celui de l'examen neurologique habituel : il est de rapporter le symptôme observé à une localisation anatomo-fonctionnelle. Mais la complexité des fonctions supérieures explique à la fois la difficulté de l'analyse séméiologique et les obstacles rencontrés par là démarche anatomo -clinique. Il nous paraît ainsi nécessaire, avant d'aborder la séméiologie des syndromes frontaux, de s'arrêter un instant sur la structure des fonctions supérieures et sur l'organisation des mécanismes anatomo-fonctionnels cérébraux qui les sous-tendent.

1°) LA STRUCTURE DES FONCTIONS SUPÉRIEURES

Les fonctions supérieures (activité motrice, perception, langage, mémoire ... ) ne peuvent plus aujourd'hui être considérées comme des entités indissociables liées à, l'activité d'un « centre ». Comme les autres grandes fonctions de l'organisme (digestion, respiration ... ) ce sont des systèmes fonctionnels. Très souples, ils sont constitués par un ensemble dynamique de processus interconnectés et définis par leurs buts.

L'activité motrice par exemple ne saurait être limitée aux seules efférences du cortex moteur. Ces effèrences sont déterminées par un programme, la tâche motrice, élaborée à partir d'un processus d'analyse et de synthèse des afférences provenant du milieu intérieur et du milieu extérieur, qui constituent la base de la motivation. La tâche motrice nécessite pour sa réalisation la mise en jeu d'automatismes organisés dans le temps ainsi que la régulation du tonus de fond et la coordination nécessaire à l'exécution du mouvement. Des systèmes d'affèrences fonctionnant en feedback contrôlent en permanence son exécution et permettent de la modifier ou de l'arrêter par comparaison des résultats avec le but initial. Il est bien évident qu'une telle organisation est incompatible avec la notion d'un « centre moteur ». Chaque opération est sous-tendue par un système de liaisons spécifiques correspondant à des mécanismes anatomo-fonctionnels différents.

Deux points particuliers restent à considérer :

- La psychologie génétique nous apprend que le développement de ces systèmes est progressif et se fait par stades. A chaque stade correspond l'acquisition de nouvelles liaisons, donc un support anatomo-fonctionnel différent. Les conséquences d'une lésion cérébrale sur une fonction varient ainsi avec l'âge, mais aussi avec le nombre et la qualité des liaisons acquises par l'apprentissage;

- Chez l'homme, le comportement n'est plus, comme chez l'animal, directement issu d'un besoin biologique ou d'une réaction au milieu extérieur. Il est déterminé par des intentions, des motivations créées par des facteurs sociaux sur la base de la vie affective. Le langage joue un rôle déterminant dans l'acquisition puis dans la structuration de toutes les fonctions supérieures. C'est la médiatisation des fonctions supérieures par le langage intérieur qui donne à l'activité psychique de l'homme son caractère conscient et volontaire.

Cette structure des fonctions supérieures permet de comprendre qu'il ne saurait exister de lien direct entre une lésion cérébrale et la perturbation neuropsychologique qu'elle provoque. Un même symptôme peut être sous-tendu par des mécanismes différents. Il est essentiel de distinguer si la perturbation d'une fonction relève de la perte d'une liaison spécifique (trouble primaire) ou si elle ne traduit que le retentissement sur cette fonction d'une perturbation plus générale (trouble secondaire).

CONCLUSION : reconnaître en clinique qu'une fonction supérieure est perturbée constitue une approche insuffisante. Ce n'est pas la présence ou l'absence d'un signe, l'existence ou non d'erreurs dans une épreuve mais l'analyse qualitative de la structure des erreurs qui permet de rapporter une perturbation à son mécanisme donc à l'organisation anatomo-fonctionnelle qui la sous-tend.

 

2°) L'ORGANISATION FONCTIONNELLE DU CORTEX

La division macroscopique du cerveau, à laquelle se réfère le terme de syndrome frontal, n'est en réalité qu'une convention purement topographique. En se fondant sur des critères morphologiques et physiologiques, Luria propose une division du cortex cérébral en trois grandes régions fonctionnelles.

a) Les divisions médiobasales, unité de régulation de l'activité générale.

De structure hétérogène les divisions médiobasales comprennent une partie de la face interne (cortex cingulaire, hippocampique) et de la face inférieure du cerveau (cortex orbitaire). Ces divisions sont étroitement connectées avec les formations réticulaires du thalamus et du tronc cérébral. Leur rôle principal est de maintenir l'activité fonctionnelle du cortex à un certain niveau et de la moduler en fonction des besoins. L'activité fonctionnelle du cortex est d'abord régulée en fonction des besoins internes de l'organisme. Cette régulation est assurée au niveau métabolique par les formations réticulaires du tronc cérébral. Mais ses formes les plus complexes, les plus sélectives nécessitent l'intégrité du cortex orbitaire (intégration des bases biologiques de l'humeur, de l'affectivité) et du cortex limbique (réalisation de certains comportements alimentaires, sexuels, déterminés génétiquement).

La seconde source d'activation du cortex médiobasal est l'arrivée de stimulus en provenance du monde extérieur. Cette arrivée déclenche une réaction non spécifique au niveau de la formation réticulaire ascendante (réaction d'éveil). Cette réaction est modulée de façon spécifique par le cortex limbique. Cette réaction spécifique, la réaclion d'orientation (RO) ne survient que si le stimulus est reconnu comme nouveau, donc après une comparaison avec l'expérience passée, et s'atténue rapidement avec la répétition du stimulus.

Chez l'homme, une troisième source d'activation prend une importance considérable : c'est la formation d'intentions, de plans à l'aide du langage. Le langage modifie profondément les caractères de la réaction d'orientation. : une consigne verbale stabilise la RO et la fait réapparaître en cas d'accoutumance. Les divisions médiobasales jouent donc un rôle essentiel dans la régulation de l'activité fonctionnelle du cortex. Elles sont également liées aux mécanismes corticaux qui sous-tendent la base de l'affectivité et, par la réaction d'orientation, aux mécanismes élémentaires de l'attention et de la mémoire.

 

b) Les divisions postéro-latérales, unité de réception, d'analyse et de stockage de l'information.

Cette seconde unité est constituée par la partie du cortex de la face externe située en arrière de la scissure de Rolando; elle déborde sur la face interne et la face inférieure de l'hémisphère. Elle correspond aux analyseurs visuels (région occipitale), auditifs (région temporale), et sensitifs (région pariétale). La région d'association pariéto-temporo-occipitale assure la liaison entre ces télérécepteurs et joue un rôle essentiel dans l'organisation de l'espace intra et extra-corporel. Elle permet d'effectuer la synthèse simultanée des différentes informations et assure leur organisation symbolique et leur stockage.

c) Les divisions antéro-latérales : unité de régulation et contrôle de l'activité motrice.

La dernière unité fonctionnelle est constituée par le cortex de la face externe situé en avant de la scissure de Rolando. Cette unité appartient donc entièrement au lobe frontal. Elle est en étroite connexion avec les deux premières ainsi qu'avec les noyaux gris centraux et constitue l'unité motrice. Outre le cortex moteur primaire, elle comprend deux régions distinctes. La région prérolandique joue un rôle déterminant dans l'accomplissement des mouvements complexes nécessitant l'action conjointe de différents groupes musculaires et leur organisation dans le temps. La région frontale antérieure présente un développement considérable chez l'homme. Elle paraît indispensable pour formuler des programmes de comportement.

Cette organisation appelle deux remarques supplémentaires :

- Chez l'homme, l'apparition du langage introduit une spécialisation dans l'organisation du travail des hémisphères, l'hémisphère gauche représentant la base anatomo-fonctionnelle du langage chez 98 p. 100 des sujets droitiers et 70 p. 100 des gauchers,

- Nous avons vu qu'une fonction ne pouvait être étroitement localisée dans une région du cortex. A l'inverse, à l'exception des zones sensorielles et motrices primaires, aucune région corticale n'est liée à une seule fonction. La lésion d'une aire déterminée conduit le plus souvent à l'apparition, non pas d'un symptôme isolé, mais d'un groupe de perturbations qui peuvent paraitre assez différentes les unes des autres. Seule l'analyse qualitative de ces perturbations permet de mettre en évidence le lien primaire qui la réunit et qui renvoie à une localisation précise.

CONCLUSION : l'hétérogénéité des structures du lobe frontal, leur rôle dans les activités les plus élaborées explique la complexité des perturbations observées dans les syndromes frontaux. Les troubles principaux portent sur la régulation du comportement et de l'activité motrice, de la mémoire, du langage et des processus intellectuels.