Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
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 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
http://www.baillement.com

mystery of yawning 

 

 

 

mise à jour du
11 juin 2024
Gazette médicale de Picardie
1913
31 année
UN CAS DE BAILLEMENT HYSTÉRIQUE
M. DESMARQUEST
1913

Chat-logomini

Qu'il trahisse l'ennui ou annonce le sommeil, le bâillement, s'il n'est pas réprimé au nom du savoir vivre, éveille une sensation plutôt agréable ; mais que par suite d'un mécanisme pathologique, ce bâillement se répète impérieux, plusieurs fois par minute, nuit et jour, au point de devenir permanent, on songe aux suppliciés mythologiques, condamnés à perpétuité au même geste éreintant et stérile, et on s'explique que la seule préoccupation de la victime soit d'être débarrassée au plus vite de cette obsession.
 
Aussi est-ce sans tarder que je me rendis le 19 août dernier, à l'appel du Dr Boquet. Dans un village situé aux environs de Beaucamps-le-Vieux, une femme de 35 ans, Mme P..., bâillait sans discontinuer depuis 4 jours et 4 nuits, et malgré de fortes doses de chloral et de bromure fort justement ordonnées, le terrible symptôme persistait, excitant la curiosité et les commentaires de tous les habitants du pays. En effet, à peine entré dans la maison de la malade, je me heurtai à une assistance nombreuse de parents et d'amis qui écoutaient silencieusement une mélodie peu ordinaire : de l'étage situé au-dessus, parvenait très régulièrement 2 à 3 fois par minute, une sorte de chant très sonore, soutenu sur une note assez élevée pendant 3 secondes environ, et se terminant assez brusquement par une note basse.
 
Je constate en arrivant près de la malade qu'elle bâille, suivant une expression populaire, à se décrocher la mémoire ; tant qu'elle a la bouche ouverte, on entend un son aigu dont je viens de parler, tandis que le son grave tombe en decrescendo au moment de la fermeture de bouche. J'apprends de Mme P… que les bâillements ont débuté le 15 août au matin, lors de son réveil, et qu'ils persistent depuis cette date, toujours aussi réguliers, aussi bruyants et aussi larges empêchant le sommeil et l'alimentation ; Mme P... boit seulement un peu de limonade ; elle se plaint de fatigue dans les muscles de la mâchoire et de la nuque ; elle parait fatiguée et garde le lit. Ses réponses sont fréquemment interrompues par les bâillements ; cependant, au cours de mon interrogatoire, je m'aperçois qu'en précipitant les questions et en retenant fortement l'attention de la malade, je détruis un peu la cadence régulière des bâillements. Bien que je ne trouve à l'examen aucun antécédent pathologique, aucun des stigmates sans lesquels on ne concevait pas d'hystérie possible, il y a quelques années encore, l'allure générale des phénomènes observés me fait penser au pithiatisme, et immédiatement j'entreprends le traitement.
 
Je dis à la malade que ces bâillements très pénibles et en apparence très tenaces ne m'inquiètent pas du tout, qu'ils ne correspondent à aucune lésion des organes et que je vais certainement en triompher ; je lui explique que le bâillement est un spasme respiratoire, et lui certifie qu'en régularisant par la volonté l'inspiration et l'expiration, tout va rentrer dans l'ordre ; aussi, je prie la malade de faire tranquillement de larges inspirations suivies également de longues expirations, et d'insister surtout au moment où survient le besoin de bâiller.
 
Au début, le bâillement est un instant retardé et réprimé, mais il revient plus impérieux que jamais ; la malade s'agite dans son lit ; la respiration est irrégulière et saccadée, mais cette dyspnée apparente détruit le rythme des bâillements, et peu à peu, ceux-ci s'espacent, la malade résiste mieux. Je m'appuie aussitôt sur cette amélioration, et félicitant la malade de m'avoir bien compris, je lui montre qu'elle peut avoir prise sur les bâillements, ce qu'elle ne croyait pas, et surtout qu'il faut persévérer.
 
Aussitôt qu'une contraction des mâchoires se dessine, je demande à la malade de penser sans effort à autre chose et je lui affirme qu'elle ne bâillera plus. En effet, après un quart d'heure de ce traitement psychothérapique, Mme P... ne bâille plus et même n'a plus envie de bâiller ; cependant en présence de son incrédulité sur la persistance du résultat, et pour consolider la guérison, je reste près l'elle une demi-heure encore, en lui parlant de toute autre chose ; je lui fais avaler du lait en ma présence, pour lui prouver qu'elle peut s'alimenter sans crainte, et quand je la quitte elle me dit qu'elle ne sent plus le besoin de bâiller. Il est vrai d'ajouter que gagnés par ce geste contagieux, le mari, le médecin et moi-même, ne pourrions en dire autant.
 
Bref, je recommande de suspendre tout traitement médicamenteux, et je conseille la reprise de la vie ordinaire dès le lendemain ; en même temps, j'interdis les visites inutiles et toute conversation pouvant ramener dans l'esprit de Mme P... l'idée du bâillement. La guérison est bien réelle puisque 6 semaines ont passé sur ces événements, sans qu'il y ait eu la moindre menace de rechute.
 
On a signalé des bâillements dans l'hémiplégie organique, chez les épileptiques et chez les hystériques. Ici l'étiologie ne me semble pas douteuse : les bâillements, dont j'ai été le témoin, appartiennent bien à ces troubles que la suggestion réalise et que la persuasion guérit, au pithiatisme.
 
Il existe une forme paroxystique où les bâillements surviennent par crises espacées durant 1/4 d'heure ou 1/2 beure, et une forme permanente, celle que j'ai décrite, avec ses caractères de durée, d'écartement excessif des mâchoires, de cadence et de bruit, très caractéristiques. Cependant les auteurs signalent ordinairement l'interruption des bâillements pendant le sommeil ; ici, ils persistaient nuit et jour, excepté la nuit qui précéda ma visite où ils avaient été interrompus une heure, pendant laquelle la malade avait sommeillé.
 
Ce sont des spasmes respiratoires de la même famille que le hoquet, les aboiements, les accès de rire. Le mécanisme de leur apparition est simple ; il a été bien expliqué par Janet : sous l'influence d'une légère sensation de dyspnée, le sujet fait une inspiration profonde ; un degré de plus, et cette inspiration devient un soupir ; chez un sujet prédisposé, le soupir s'accentue et se transforme en bâillement ; si celui-ci se répète plusieurs fois, le malade croit volontiers qu'il ne cessera plus, et de fait, il persiste tant qu'un traitement psychothérapique bien conduit n'aura pas brisé le cycle pathologique. Quoi qu'il en soit, on a rarement l'occasion d'observer des crises semblables à celle-ci ; ainsi Gilles de la Tourette, Huet et Guinon en ont fait une étude qui ne porte que sur six cas.
 
Je n'insisterai pas sur le traitement ; il consiste en somme à faire de l'orthopédie mentale ; l'hystérique est subconsciente ; elle ressemble à une actrice qui a perdu la tête et joue son rôle en s'imaginant qu'elle est dans la réalité; il faut lui montrer son erreur en lui parlant avec douceur, mais avec fermeté, lui rendre la confiance en elle qu'elle a perdue, ne pas la traiter de malade imaginaire, ni exiger de violents efforts de volonté, mais plutôt chercher à calmer l'émotion primaire : la crainte de la maladie.
 
Ce sont là les moyens thérapeutiques qui donnent des résultats certains, plus ou moins rapides suivant les malades mais assurément plus actifs dans les cas de névroses que les médicaments ordinairement employés.