Le bâillement, du réflexe à la pathologie
Le bâillement : de l'éthologie à la médecine clinique
Le bâillement : phylogenèse, éthologie, nosogénie
 Le bâillement : un comportement universel
La parakinésie brachiale oscitante
Yawning: its cycle, its role
Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
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Warum gähnen wir ?
 
Fetal yawning assessed by 3D and 4D sonography
Le bâillement foetal
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mystery of yawning 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

mise à jour du
8 septembre 2014
 
Documenta Geigy
n°3 PDF
Animaux endormis
Le bâillement
 
Heni Hediger (1908-1992)
Zürich
 
Bâle Suisse 1955

Chat-logomini

Lorsqu'on y songe, il est étonnant que le monde scientifique ait voué si peu d'attention au bâillement et que ce dernier n'ait suscité aucune étude approfondie. Il s'agit pourtant d'un phénomène extraordinairement répandu, des plus manifestes, qui, journellement, est constaté chez soi, observé chez les autres et chez de nombreux animaux de notre entourage. Le bâillement est fort intéressant, non seulement par son aspect physiologique, mais peut-être plus encore par ses répercussions psychologiques.
 
Aucun des grands dictionnaires ou traités ne donne une monographie du bâillement; l'Encyclopaedia Britannica, pourtant rarement en défaut, ne mentionne même pas le mot. Le grand « Brockhaus » (1930) définit comme suit le bâillement: « profonde et lente inspiration, bouche grande ouverte et narines fortement dilatées; le voile du palais est fortement incurvé vers le haut, la lumière des cordes vocales ouverte au maximum; à cette profonde inspiration succède une expiration lente, le plus souvent brève et bruyante. Toute fatigue du système nerveux prédispose au bâillement ». Le grand dictionnaire de Herder (1932) précise que « le bâillement est une inspiration involontaire, profonde, la bouche ouverte, suivie d'une expiration rapide; se manifeste lors de fatigue ou de détente mais est aussi un symptôme pathologique après d'importantes hémorragies, lors de lésions organiques cérébrales, en particulier des tumeurs et des abcès du cervelet ». Pour le grand Larousse: « Ouvrir largement la bouche et aspirer, puis expirer l'air avec une contraction particulière des muscles de la face. On bâille de sommeil, de fatigue, de faim, d'ennui.» Enfin le Dictionnaire encyclopédique Quillet dit: «Inspiration longue et profonde, faite involontairement et accompagnée d'une expiration quelquefois bruyante. Le sommeil, l'ennui, le désoeuvrement, la faim, les digestions laborieuses, un certain nombre d'affections diverses déterminent le bâillement.» Aucun de ces dictionnaires ne mentionne le fait que le bâillement est contagieux, caractéristique pourtant très remarquable. Une remarque dans ce sens se trouve dans le « Meyers Lexikon » (1926); le bâillement y est défini comme « une crispation des muscles de la face, large ouverture de la bouche, profonde inspiration suivie d'une expiration souvent bruyante. Le bâillement est provoqué par la fatigue, la faim, la maladie (migraine, prélude à un évanouissement ou à une crampe) ; il y a aussi « contagion psychique » par la vue d'une personne bâillant ou d'une conversation sur ce sujet. De véritables accès, c'est-à-dire de nombreux bâillements eu succession rapide, accompagnent parfois l'anémie, la débilité nerveuse, l'hystérie et les maladies mentales ». Le « Schweizerlexikon » (1946) parle du bâillement chez l'Homme: «Réflexe moteur du bulbe, analogue au réflexe de la tétée, au réflexe tussigène et à l'éternuement. Le bâillement est déterminé par la fatigue, la faim et de nombreux autres états. Il est facilement provoqué par l'imagination; on l'observe fréquemment chez les Mammifères et les Oiseaux. Sa cause et ses manifestations sont essentiellement les mêmes chez les animaux que chez l'Homme ».
 
Il est intéressant de noter que le bâillement chez l'Homme ne peut être expliqué, ou n'a des chances de l'être, que si on le compare au bâillement de l'animal. On se pose alors tout naturellement la question de savoir quelle importance attribuer au bâillement chez l'animal et quelle est sa fréquence. Il ne se rencontre en tout cas pas chez les seuls Mammifères et Oiseaux, mais aussi chez les autres classes de Vertébrés: Reptiles, Batraciens et Poissons. Les zoologistes et les savants s'occupant de psychologie animale ont souvent abordé le sujet du bâillement chez l'animal, le plus souvent d'ailleurs, à la suite d'observations occasionnelles, dont une riche moisson fut récoltée dans les jardins zoologiques. Friedrich Hempelmann, dans son traité de psychologie animale (1926) « Tierpsychologie vom Standpunkte des Biologen » note que le bâillement chez les Mammifères est assez répandu, surtout chez les Singes, les Carnivores et les Ongulés. « Le bâillement est particulièrement net chez les Carnivores. Il suffit de penser au Chien: il ouvre la gueule, sa langue s'incurve, tout son corps s'étire en un mouvement qui se propage jusqu'à l'extrémité des doigts, qui s'écartent les uns des autres sous l'effort. Cet étirement du corps tend les muscles au maximum; c'est une réaction nécessaire à la suite d'une longue période de repos ou de sommeil pendant laquelle l'animal a conservé une même posture. Le sang, accumulé dans les veines, et enfin libéré, peut à nouveau circuler et irriguer toutes les parties du corps. » Cette explication de Hempelmann est aussi admise par de nombreux autres auteurs.
 
Le bâillement est en effet souvent accompagné par l'étirement, mais pas toujours. Quelques auteurs pensent que les profondes inspirations apportent au sang un supplément d'oxygène et que le bâillement comblerait avant tout une insuffisance de cet ordre. Cette interprétation peu satisfaisante n'explique pas la nature même du bâillement; elle ne tient aucun compte de son aspect contagieux L'hippopotame, par exemple, bâille de façon très spectaculaire sans qu'il ait auparavant pris une posture ramassée: il flotte paresseusement et bâille à gorge déployée. Certains animaux (Poissons, Batraciens aquatiques), bâillent même sous l'eau, ainsi que nous le verrons plus loin. Il est fort douteux que l'ouverture de la bouche, dans l'eau, détermine une plus forte oxygénation, comme il est naturel de le penser lorsqu'il s'agit d'animaux aériens. Le physiologiste Hans Winterstein (1932) dans son livre sur le sommeil et les rêves, ne mentionne le bâillement que dans une brève note; il le considère comme un vague symptôme de somnolence. Il se demande quelle signification il faut attribuer au bâillement, à l'étirement et à l'amélioration apportée à la circulation. Le bâillement n'aurait pas pour but de provoquer le sommeil, mais au contraire de le rendre superflu ou de le retarder en améliorant l'apport d'oxygène au cerveau fatigué. Winterstein arrive à la conclusion que nous bâillons quand nous sommes fatigués, mais non quand nous voulons dormir, donc lorsque nous sommes obligés de rester éveillés malgré la fatigue. «Nous bâillons probablement pour combattre le sommeil.» Cette interprétation peut être admise dans bien des cas chez l'Homme, mais n'est pas valable pour les animaux. Le psychiatre bâlois Hans Christoffel, bien connu pour la diversité de ses intérêts et de ses talents, a consacré en 1951 une importante communication au bâillement. II considère que le bâillement et l'étirement sont une forme primitive d'un phénomène respiratoire rencontré chez le foetus, qui peut boire et inhaler le liquide amniotique. Le bâillement dû à la faim prend une nouvelle signification lorsqu'on tient compte, à la fois, de ses deux aspects: le digestif et le respiratoire. Le bâillement dû à la somnolence est décrit comme phénomène régressif et le bâillement par ennui exprime une attitude négative. Il serait contagieux à cause de son caractère primitif.
 
Le bâillement chez les animaux peut avoir d'autres causes encore. En psychologie animale on en parle souvent en rapport avec la colère, c'est-à-dire que le bâillement peut exprimer une menace; de telles attitudes correspondent à des gestes agressifs plus ou moins symboliques ou préparent une agression. Le directeur du jardin zoologique de Londres, A. D. Bartlett, attira l'attention de Charles Darwin sur ce comportement chez les Babouins et Darwin, tout d'abord sceptique, finit par accepter cette explication, qu'on retrouve dans son important ouvrage sur l'expression des sentiments chez l'Homme et l'animal. Bartlett avait prétendu que deux Babouins mâles, enfermés dans la même cage, ouvrent la bouche et « se bâillent contre » mutuellement. Il pensait que ces animaux cherchaient par ces gestes à découvrir leur terrible dentition en un geste menaçant. Darwin ne crut pas à cette sorte de bâillement, mais dut se rendre à l'évidence lorsque Bartlett le lui fit voir. Il excita un vieux Babouin jusqu'à ce que le singe se mît en colère et bâillât de façon caractéristique. Plus tard, Darwin remarqua que ce même bâillement se rencontre aussi chez d'autres singes, par exemple les Macaques et les Cercopithêques.
 
Le bâillement de l'Hippopotame est également une manifestation menaçante, un rite par lequel il découvre ses puissantes et dangereuse canines. Celles-ci sont de véritables défenses, terriblement efficaces, que l'animal n'utilise pas pour mastiquer sa nourriture, mais bien pour combattre. Brisées au cours d'une lutte, elles repoussent rapidement. Les défenses de l'hippopotame croissent pendant toute la vie de l'animal. On sait aujourd'hui que le bâillement de l'hippopotame mâle, si souvent imputé par les voyageurs à la somnolence, n'est en vérité que l'une des six façons qu'il a de se faire menaçant. Dans les jardins zoologiques on voit souvent des hippopotames bâiller, ce qui est d'ailleurs très contagieux; il en est de même d'un de leurs proches parents, l'hippopotame nain, mais chez qui le bâillement a pris secondairement la signification d'un geste de mendicité.
 
D'après Hempelmanu les Oiseaux bâillent beaucoup moins que les Mammifères. Cet auteur cite cependant le cas de Perroquets, d'Amazones et de Cacatoès qui bâillent nettement; les Mégapodides fraîchement éclos, quittent la couvée en bâillant largement; les Pingouins bâillent également. Jean Cendron raconte, dans son récit sur l'expédition française dans l'Antarctique en 1949-1952, qu'il a vu bâiller le Pingouin royal en liberté; il put même le photographier dans cette attitude. Chez les Reptiles, Hempelmann mentionne surtout les Crocodiles, qui ouvrent parfois la gueule toute grande. « De temps en temps même, ils la laissent ouverte, comme s'ils avaient oublié de la fermer. » Cette attitude des Crocodiles et des espèces parentes, qui peut durer des heures, a été prise à tort pour un bâillement; il s'agit en fait d'un halètement, analogue à celui du Chien, souvent considéré comme une manifestation de la soif, ce qui est faux. Chez les Crocodiles et les Alligators, on observe ce phénomène lorsqu'ils sont étendus sur la rive et se chauffent au soleil. Les muqueuses humides de leur cavité bucco-pharyngienne sont ainsi exposées à l'évaporation et se refroidissent (chaleur de vaporisation empruntée au milieu ambiant), ce qui peut être d'importance vitale pour ces animaux. Ils évitent, ce faisant, un échauffement dangereux. Ces Crocodiles, en ouvrant la bouche de la sorte, ne sont pas non plus en posture de défense car ils la referment toujours lentement sans jamais claquer brusquement leurs mandibules. A. E. Mellhenny, un des savants qui connaissent probablement le mieux les moeurs de l'Alligator du Mississippi, pense que ces Reptiles ouvrent la gueule pendant leurs bains de soleil, non seulement pour éviter un échauffement, mais aussi pour provoquer la dessiccation et la mort de divers parasites de leur cavité buccale, en particulier des Sangsues. Le professeur Hans Krieg eut l'occasion d'observer très exactement le Caïman à lunettes lors de nombreuses expéditions en Amérique latine, et il exprime la même opinion. II a remarqué, de plus, que ces Caïmans se couchent sur la berge, de préférence la gueule ouverte contre le vent. Cette orientation favorise encore l'effet rafraîchissant et desséchant. On observe assez souvent le bâillement chez les Tortues; les amateurs d'animaux les préfèrent généralement aux Crocodiles pour agrémenter leur jardin. Je surpris une fois avec mon appareil photographique une Tortue géante alors qu'elle bâillait. Elle mangeait, mais s'interrompit soudain, ouvrit la gueule dans laquelle il y avait encore de la nourriture, bâilla largement, crispée dans une attitude caractéristique, puis continua tranquillement son repas.
 
Lorsque les grands Serpents bâillent, chose que j'ai constatée à mainte reprise, on voit admirablement la dentition, la langue fourchue et surtout, ce qui est fort instructif, l'ouverture de la trachée, située sur le plancher buccal. Le bâillement des Serpents dure parfois presqu'une minute; on peut donc examiner à loisir tous les détails, si l'animal est bien en vue dans le terrarium. Le bâillement des Serpents venimeux revêt un intérêt tout spécial, surtout si ce sont des Vipéridés ou des Crotalidés, qui ont des dents à venin ou crochets venimeux mobiles, creusés d'un canal. Deux opinions s'opposent en effet, dont il faut tenir compte lorsqu'il s'agit d'expliquer le fonctionnement de l'appareil vulnérant. Certains observateurs disent que ces Serpents, quand ils bâillent, redressent automatiquement leurs crochets venimeux, qui sont appliqués contre le palais tant que la bouche est fermée. D'autres supposent que les crochets ne se redressent pas obligatoirement pendant le bâillement. Des observations récentes ont montré que chez les Ophidiens solénoglyphes (par exemple la Vipère de bérus ou Péliade, la Vipère heurtante, le Serpent à sonnettes, l'ouverture de la gueule n'est pas nécessairement liée au redressement des crochets à venin. On voit parfois dans les collections scolaires un modèle en carton d'une tête de Serpent venimeux; en tirant sur une ficelle on fait manoeuvrer les mandibules, ce qui entraîne mécaniquement le mouvement des crochets venimeux; dès que les mâchoires s'ouvrent, les crochets se redressent. D'après ce qui précède, ce modèle ne correspond donc pas exactement à la réalité. Les rapports entre les divers os (maxillaire, transverse, ptérygoïde, os carré, angulaire) et l'arc qu'ils forment, sont loin d'être aussi rigides que ce modèle le laisse à croire. Le bâillement, mieux que toute autre attitude, met en évidence ce mécanisme. La cavité buccale n'est pas, alors, remplie par la proie comme c'est le cas lorsque l'animal s'alimente; les mouvements des crochets ne sont pas aussi instantanés que lors de la morsure, ils sont beaucoup plus lents, comme vus au ralenti. On constate dans le bâillement que les branches droite et gauche de la mandibule inférieure se meuvent indépendamment et que les crochets venimeux peuvent se redresser séparément ou même rester rabattus. Le redressement des crochets, ainsi que leur rabattement, sont très souvent accompagnés d'un tremblement analogue à celui qui a été décrit pour le bâillement.
 
Quant aux Batraciens, il est faux de prétendre avec Hempelmann qu'on ne leur connaît aucun mouvement ou geste rappelant le bâillement. II serait étonnant, en effet, que cette classe des Vertébrés fasse ainsi exception à la règle. Hempelmann lui-même admet le bâillement fréquent chez les Poissons. Olga Helma consacra, eu 1914 déjà, tout un passage au bâillement de l'Axolotl dans un travail sur la psychologie et la biologie de ce Batracien. Le bâillement fut déjà observé chez des Salamandres indigènes et Olga Helma vit souvent bâiller ses Axolotls, le plus souvent lorsque ces animaux étaient placés dans de l'eau bouillie, en l'absence de plantes aquatiques. Leffler en conclut que ces mouvements de la bouche doivent provenir d'un apport insuffisant en oxygène et pense que « le bâillement chez l'Homme étant attribué à une carence en oxygène et les mouvements de la bouche chez l'Axolotl étant très semblables, on peut les assimiler au bâillement ». Leffler cite cependant, en note, les résultats contradictoires de Babak. Cet auteur n'observa aucun bâillement chez l'Axolotl placé dans l'eau bouillie, niais bien chez la Grenouille quand on lui obstrue les narines. Leffler tenta alors de provoquer le bâillement chez l'Axolotl amené à un état de fatigue par l'administration de petites doses de véronal introduites dans des morceaux de viande. Les Axolotls manifestèrent bien des symptômes de fatigue mais ne bâillèrent pas. K. M. Schneider observa d'ailleurs à plusieurs reprises le bâillement chez une vieille Salamandre géante originaire du Japon (Megalobatrachus maximus) mesurant 1,35 m et ayant vécu plusieurs décennies au jardin zoologique de Leipzig; ce Batracien bâillait sous l'eau et ouvrait la gueule au point que ses mandibules étaient écartées d'environ 20 cm. La respiration cutanée joue un rôle primordial chez cette Salamandre, comme aussi chez d'autres Batraciens, dont certains n'ont ni poumons, ni branchies. La Salamandre géante de Leipzig, du poids respectable de 45 kg, respirait en moyenne une fois toutes les 23 minutes et faisait émerger ses narines. Il semble douteux, dès lors, que son bâillement sous l'eau soit en rapport avec une amélioration de la circulation et du ravitaillement en oxygène. On admet enfin que les Poissons bâillent. Hernpelmann le mentionne, d'autres auteurs également (Dexler, Féré) et des documents photographiques le prouvent. On essaya même d'interpréter le bâillement humain comme une réminiscence atavique de la respiration branchiale; B. R. Fick (1928), par exemple, écrit dans son ouvrage sur l'expression et les jeux de physionomie: « Les considérations sur la phylogénie des traits du visage peuvent mener à des absurdités, comme le montre le mot d'un anatomiste par ailleurs des plus compétents; il affirme que le bâillement est une survivance de la respiration branchiale car, en bâillant, on oblige l'air à pénétrer jusque dans tous les recoins de la gorge largement ouverte». Notons au passage que ce raisonnement ne tient aucun compte du fait que les animaux à respiration branchiale puisent l'oxygène, non dans l'air, mais dans l'eau.
 
Si nous récapitulons brièvement, nous voyons que le bâillement a été constaté fréquemment chez tous les Vertébrés, du Poisson à l'Homme; malgré cela il a encore été très peu étudié et les interprétations proposées diffèrent ou même, s'opposent. En général le bâillement est mis en corrélation avec l'ennui ou la somnolence, considérée comme étape vers le sommeil ou comme réaction contre le sommeil. De nombreux auteurs ont cependant remarqué que le bâillement peut aussi coexister avec des états d'excitation. H. Dexler donne les exemples suivants dans son travail sur les symptômes les plus importants dans les troubles du psychisme chez les animaux. Les Chiens habitués à vivre en appartement s'excitent, et bâillent, lorsque leur maitre est habillé pour sortir et les fait attendre devant la porte; il en est de même quand on les empêche d'approcher de leur écuelle ou lorsqu'on leur montre une friandise sans la leur donner. Le bâillement est encore déclanché par la faim, la colère et certains états pathologiques. Nous devons, récemment, à Albrecht Peiper, directeur de la clinique universitaire de pédiatrie à Leipzig, une importante contribution à l'étude du bâillement (1949). Il traite à fond du bâillement chez le nouveau-né dans son ouvrage sur l'activité cérébrale de l'enfant. Il a aussi cherché à préciser la localisation cérébrale du centre du bâillement, et obtint des indications précises par l'examen d'avortons humains nés sans hémisphères. Peiper estime que le centre du bâillement doit être voisin du centre de la respiration, donc dans le bulbe, quoique le bâillement puisse être suscité par un stimulus au niveau des hémisphères. Le bâillement est aussi sous la dépendance de réflexes conditionnés, puisqu'il est contagieux. « Pour bâiller il suffit qu'on en parle, qu'on lise quelque chose à ce sujet, ou qu'on y pense » Pour cet auteur il s'agit d'un processus nerveux, aux origines très anciennes, et il en veut pour preuve que les jeunes enfants bâillent et qu'on rencontre ce phénomène tout au long de la série des Vertébrés. K. M. Schneider, directeur du jardin zoologique de Leipzig, observa en 1950, et montra par de nombreuses photographies, que les Chimpanzés bâillent dès les premiers jours de leur existence. Pour Peiper, le bâillement est provoqué par une suprématie du centre du bâillement sur le centre respiratoire voisin, à la suite de fatigue ou d'affaiblissement. On ne bâille pas pour ne pas être fatigué, mais parce qu'on est fatigué. A l'état normal, ce phénomène respiratoire, assez semblable à la respiration par déglutition (forme primitive), est inhibé par les éléments supérieurs du centre respiratoire. D'une façon générale, la nature du bâillement est à peine élucidée et Peiper lui-même, l'un des spécialistes les mieux documentés, dit: « On se perd encore en conjectures sur le but du bâillement. »
 
Fig. 1 Chat domestique baillant. Fig. 2 Tapir américain. Fig. 3 Même les Poissons bâillent: un Dipueuste, le Protoptère africain. Fig. 4 Chameau baillant. De la série: Animaux endormis par le prof. 24. Hediger, Zurich. Photographie: Risbeth Siegrist, Bale. Copyright 1955 by J. R. Geigy S. A., Basle. Printed h Switzerland. 2266 f