- Lorsqu'on y songe, il est étonnant
que le monde scientifique ait voué si peu
d'attention au bâillement et que ce
dernier n'ait suscité aucune étude
approfondie. Il s'agit pourtant d'un
phénomène extraordinairement
répandu, des plus manifestes, qui,
journellement, est constaté chez soi,
observé chez les autres et chez de
nombreux animaux de notre entourage. Le
bâillement est fort intéressant,
non seulement par son aspect physiologique, mais
peut-être plus encore par ses
répercussions psychologiques.
-
- Aucun des grands dictionnaires ou
traités ne donne une monographie du
bâillement; l'Encyclopaedia Britannica,
pourtant rarement en défaut, ne mentionne
même pas le mot. Le grand « Brockhaus
» (1930) définit comme suit le
bâillement: « profonde et lente
inspiration, bouche grande ouverte et narines
fortement dilatées; le voile du palais
est fortement incurvé vers le haut, la
lumière des cordes vocales ouverte au
maximum; à cette profonde inspiration
succède une expiration lente, le plus
souvent brève et bruyante. Toute fatigue
du système nerveux prédispose au
bâillement ». Le grand dictionnaire
de Herder (1932) précise que « le
bâillement est une inspiration
involontaire, profonde, la bouche ouverte,
suivie d'une expiration rapide; se manifeste
lors de fatigue ou de détente mais est
aussi un symptôme pathologique
après d'importantes hémorragies,
lors de lésions organiques
cérébrales, en particulier des
tumeurs et des abcès du cervelet ».
Pour le grand Larousse: « Ouvrir largement
la bouche et aspirer, puis expirer l'air avec
une contraction particulière des muscles
de la face. On bâille de sommeil, de
fatigue, de faim, d'ennui.» Enfin le
Dictionnaire encyclopédique Quillet dit:
«Inspiration longue et profonde, faite
involontairement et accompagnée d'une
expiration quelquefois bruyante. Le sommeil,
l'ennui, le désoeuvrement, la faim, les
digestions laborieuses, un certain nombre
d'affections diverses déterminent le
bâillement.» Aucun de ces
dictionnaires ne mentionne le fait que le
bâillement est contagieux,
caractéristique pourtant très
remarquable. Une remarque dans ce sens se trouve
dans le « Meyers Lexikon » (1926); le
bâillement y est défini comme
« une crispation des muscles de la face,
large ouverture de la bouche, profonde
inspiration suivie d'une expiration souvent
bruyante. Le bâillement est
provoqué par la fatigue, la faim, la
maladie (migraine, prélude à un
évanouissement ou à une crampe) ;
il y a aussi « contagion psychique »
par la vue d'une personne bâillant ou
d'une conversation sur ce sujet. De
véritables accès,
c'est-à-dire de nombreux
bâillements eu succession rapide,
accompagnent parfois l'anémie, la
débilité nerveuse,
l'hystérie et les maladies mentales
». Le « Schweizerlexikon » (1946)
parle du bâillement chez l'Homme:
«Réflexe moteur du bulbe, analogue
au réflexe de la tétée, au
réflexe tussigène et à
l'éternuement. Le bâillement est
déterminé par la fatigue, la faim
et de nombreux autres états. Il est
facilement provoqué par l'imagination; on
l'observe fréquemment chez les
Mammifères et les Oiseaux. Sa cause et
ses manifestations sont essentiellement les
mêmes chez les animaux que chez l'Homme
».
-
- Il est intéressant de noter que le
bâillement chez l'Homme ne peut être
expliqué, ou n'a des chances de
l'être, que si on le compare au
bâillement de l'animal. On se pose alors
tout naturellement la question de savoir quelle
importance attribuer au bâillement chez
l'animal et quelle est sa fréquence. Il
ne se rencontre en tout cas pas chez les seuls
Mammifères et Oiseaux, mais aussi chez
les autres classes de Vertébrés:
Reptiles, Batraciens et Poissons. Les
zoologistes et les savants s'occupant de
psychologie animale ont souvent abordé le
sujet du bâillement chez l'animal, le plus
souvent d'ailleurs, à la suite
d'observations occasionnelles, dont une riche
moisson fut récoltée dans les
jardins zoologiques. Friedrich Hempelmann, dans
son traité de psychologie animale (1926)
« Tierpsychologie vom Standpunkte des
Biologen » note que le bâillement
chez les Mammifères est assez
répandu, surtout chez les Singes, les
Carnivores et les Ongulés. « Le
bâillement est particulièrement net
chez les Carnivores. Il suffit de penser au
Chien: il ouvre la gueule, sa langue s'incurve,
tout son corps s'étire en un mouvement
qui se propage jusqu'à
l'extrémité des doigts, qui
s'écartent les uns des autres sous
l'effort. Cet étirement du corps tend les
muscles au maximum; c'est une réaction
nécessaire à la suite d'une longue
période de repos ou de sommeil pendant
laquelle l'animal a conservé une
même posture. Le sang, accumulé
dans les veines, et enfin libéré,
peut à nouveau circuler et irriguer
toutes les parties du corps. » Cette
explication de Hempelmann est aussi admise par
de nombreux autres auteurs.
-
- Le bâillement est en effet souvent
accompagné par l'étirement, mais
pas toujours. Quelques auteurs pensent que les
profondes inspirations apportent au sang un
supplément d'oxygène et que le
bâillement comblerait avant tout une
insuffisance de cet ordre. Cette
interprétation peu satisfaisante
n'explique pas la nature même du
bâillement; elle ne tient aucun compte de
son aspect contagieux L'hippopotame, par
exemple, bâille de façon
très spectaculaire sans qu'il ait
auparavant pris une posture ramassée: il
flotte paresseusement et bâille à
gorge déployée. Certains animaux
(Poissons, Batraciens aquatiques),
bâillent même sous l'eau, ainsi que
nous le verrons plus loin. Il est fort douteux
que l'ouverture de la bouche, dans l'eau,
détermine une plus forte
oxygénation, comme il est naturel de le
penser lorsqu'il s'agit d'animaux
aériens. Le physiologiste Hans
Winterstein (1932) dans son livre sur le sommeil
et les rêves, ne mentionne le
bâillement que dans une brève note;
il le considère comme un vague
symptôme de somnolence. Il se demande
quelle signification il faut attribuer au
bâillement, à l'étirement et
à l'amélioration apportée
à la circulation. Le bâillement
n'aurait pas pour but de provoquer le sommeil,
mais au contraire de le rendre superflu ou de le
retarder en améliorant l'apport
d'oxygène au cerveau fatigué.
Winterstein arrive à la conclusion que
nous bâillons quand nous sommes
fatigués, mais non quand nous voulons
dormir, donc lorsque nous sommes obligés
de rester éveillés malgré
la fatigue. «Nous bâillons
probablement pour combattre le sommeil.»
Cette interprétation peut être
admise dans bien des cas chez l'Homme, mais
n'est pas valable pour les animaux. Le
psychiatre bâlois Hans Christoffel, bien
connu pour la diversité de ses
intérêts et de ses talents, a
consacré en 1951 une importante
communication au bâillement. II
considère que le bâillement et
l'étirement sont une forme primitive d'un
phénomène respiratoire
rencontré chez le foetus, qui peut boire
et inhaler le liquide amniotique. Le
bâillement dû à la faim prend
une nouvelle signification lorsqu'on tient
compte, à la fois, de ses deux aspects:
le digestif et le respiratoire. Le
bâillement dû à la somnolence
est décrit comme phénomène
régressif et le bâillement par
ennui exprime une attitude négative. Il
serait contagieux à cause de son
caractère primitif.
-
- Le bâillement chez les animaux peut
avoir d'autres causes encore. En psychologie
animale on en parle souvent en rapport avec la
colère, c'est-à-dire que le
bâillement peut exprimer une menace; de
telles attitudes correspondent à des
gestes agressifs plus ou moins symboliques ou
préparent une agression. Le directeur du
jardin zoologique de Londres, A. D. Bartlett,
attira l'attention de Charles Darwin sur ce
comportement chez les Babouins et Darwin, tout
d'abord sceptique, finit par accepter cette
explication, qu'on retrouve dans son important
ouvrage sur l'expression des sentiments chez
l'Homme et l'animal. Bartlett avait
prétendu que deux Babouins mâles,
enfermés dans la même cage, ouvrent
la bouche et « se bâillent contre
» mutuellement. Il pensait que ces animaux
cherchaient par ces gestes à
découvrir leur terrible dentition en un
geste menaçant. Darwin ne crut pas
à cette sorte de bâillement, mais
dut se rendre à l'évidence lorsque
Bartlett le lui fit voir. Il excita un vieux
Babouin jusqu'à ce que le singe se
mît en colère et
bâillât de façon
caractéristique. Plus tard, Darwin
remarqua que ce même bâillement se
rencontre aussi chez d'autres singes, par
exemple les Macaques et les
Cercopithêques.
-
- Le bâillement de l'Hippopotame est
également une manifestation
menaçante, un rite par lequel il
découvre ses puissantes et dangereuse
canines. Celles-ci sont de véritables
défenses, terriblement efficaces, que
l'animal n'utilise pas pour mastiquer sa
nourriture, mais bien pour combattre.
Brisées au cours d'une lutte, elles
repoussent rapidement. Les défenses de
l'hippopotame croissent pendant toute la vie de
l'animal. On sait aujourd'hui que le
bâillement de l'hippopotame mâle, si
souvent imputé par les voyageurs à
la somnolence, n'est en vérité que
l'une des six façons qu'il a de se faire
menaçant. Dans les jardins zoologiques on
voit souvent des hippopotames bâiller, ce
qui est d'ailleurs très contagieux; il en
est de même d'un de leurs proches parents,
l'hippopotame nain, mais chez qui le
bâillement a pris secondairement la
signification d'un geste de
mendicité.
-
- D'après Hempelmanu les Oiseaux
bâillent beaucoup moins que les
Mammifères. Cet auteur cite cependant le
cas de Perroquets, d'Amazones et de
Cacatoès qui bâillent nettement;
les Mégapodides fraîchement
éclos, quittent la couvée en
bâillant largement; les Pingouins
bâillent également. Jean Cendron
raconte, dans son récit sur
l'expédition française dans
l'Antarctique en 1949-1952, qu'il a vu
bâiller le Pingouin royal en
liberté; il put même le
photographier dans cette attitude. Chez les
Reptiles, Hempelmann mentionne surtout les
Crocodiles, qui ouvrent parfois la gueule toute
grande. « De temps en temps même, ils
la laissent ouverte, comme s'ils avaient
oublié de la fermer. » Cette
attitude des Crocodiles et des espèces
parentes, qui peut durer des heures, a
été prise à tort pour un
bâillement; il s'agit en fait d'un
halètement, analogue à celui du
Chien, souvent considéré comme une
manifestation de la soif, ce qui est faux. Chez
les Crocodiles et les Alligators, on observe ce
phénomène lorsqu'ils sont
étendus sur la rive et se chauffent au
soleil. Les muqueuses humides de leur
cavité bucco-pharyngienne sont ainsi
exposées à l'évaporation et
se refroidissent (chaleur de vaporisation
empruntée au milieu ambiant), ce qui peut
être d'importance vitale pour ces animaux.
Ils évitent, ce faisant, un
échauffement dangereux. Ces Crocodiles,
en ouvrant la bouche de la sorte, ne sont pas
non plus en posture de défense car ils la
referment toujours lentement sans jamais claquer
brusquement leurs mandibules. A. E. Mellhenny,
un des savants qui connaissent probablement le
mieux les moeurs de l'Alligator du Mississippi,
pense que ces Reptiles ouvrent la gueule pendant
leurs bains de soleil, non seulement pour
éviter un échauffement, mais aussi
pour provoquer la dessiccation et la mort de
divers parasites de leur cavité buccale,
en particulier des Sangsues. Le professeur Hans
Krieg eut l'occasion d'observer très
exactement le Caïman à lunettes lors
de nombreuses expéditions en
Amérique latine, et il exprime la
même opinion. II a remarqué, de
plus, que ces Caïmans se couchent sur la
berge, de préférence la gueule
ouverte contre le vent. Cette orientation
favorise encore l'effet rafraîchissant et
desséchant. On observe assez souvent le
bâillement chez les Tortues; les amateurs
d'animaux les préfèrent
généralement aux Crocodiles pour
agrémenter leur jardin. Je surpris une
fois avec mon appareil photographique une Tortue
géante alors qu'elle bâillait. Elle
mangeait, mais s'interrompit soudain, ouvrit la
gueule dans laquelle il y avait encore de la
nourriture, bâilla largement,
crispée dans une attitude
caractéristique, puis continua
tranquillement son repas.
-
- Lorsque les grands Serpents bâillent,
chose que j'ai constatée à mainte
reprise, on voit admirablement la dentition, la
langue fourchue et surtout, ce qui est fort
instructif, l'ouverture de la trachée,
située sur le plancher buccal. Le
bâillement des Serpents dure parfois
presqu'une minute; on peut donc examiner
à loisir tous les détails, si
l'animal est bien en vue dans le terrarium. Le
bâillement des Serpents venimeux
revêt un intérêt tout
spécial, surtout si ce sont des
Vipéridés ou des
Crotalidés, qui ont des dents à
venin ou crochets venimeux mobiles,
creusés d'un canal. Deux opinions
s'opposent en effet, dont il faut tenir compte
lorsqu'il s'agit d'expliquer le fonctionnement
de l'appareil vulnérant. Certains
observateurs disent que ces Serpents, quand ils
bâillent, redressent automatiquement leurs
crochets venimeux, qui sont appliqués
contre le palais tant que la bouche est
fermée. D'autres supposent que les
crochets ne se redressent pas obligatoirement
pendant le bâillement. Des observations
récentes ont montré que chez les
Ophidiens solénoglyphes (par exemple la
Vipère de bérus ou Péliade,
la Vipère heurtante, le Serpent à
sonnettes, l'ouverture de la gueule n'est pas
nécessairement liée au
redressement des crochets à venin. On
voit parfois dans les collections scolaires un
modèle en carton d'une tête de
Serpent venimeux; en tirant sur une ficelle on
fait manoeuvrer les mandibules, ce qui
entraîne mécaniquement le mouvement
des crochets venimeux; dès que les
mâchoires s'ouvrent, les crochets se
redressent. D'après ce qui
précède, ce modèle ne
correspond donc pas exactement à la
réalité. Les rapports entre les
divers os (maxillaire, transverse,
ptérygoïde, os carré,
angulaire) et l'arc qu'ils forment, sont loin
d'être aussi rigides que ce modèle
le laisse à croire. Le bâillement,
mieux que toute autre attitude, met en
évidence ce mécanisme. La
cavité buccale n'est pas, alors, remplie
par la proie comme c'est le cas lorsque l'animal
s'alimente; les mouvements des crochets ne sont
pas aussi instantanés que lors de la
morsure, ils sont beaucoup plus lents, comme vus
au ralenti. On constate dans le bâillement
que les branches droite et gauche de la
mandibule inférieure se meuvent
indépendamment et que les crochets
venimeux peuvent se redresser
séparément ou même rester
rabattus. Le redressement des crochets, ainsi
que leur rabattement, sont très souvent
accompagnés d'un tremblement analogue
à celui qui a été
décrit pour le bâillement.
-
- Quant aux Batraciens, il est faux de
prétendre avec Hempelmann qu'on ne leur
connaît aucun mouvement ou geste rappelant
le bâillement. II serait étonnant,
en effet, que cette classe des
Vertébrés fasse ainsi exception
à la règle. Hempelmann
lui-même admet le bâillement
fréquent chez les Poissons. Olga Helma
consacra, eu 1914 déjà, tout un
passage au bâillement de l'Axolotl dans un
travail sur la psychologie et la biologie de ce
Batracien. Le bâillement fut
déjà observé chez des
Salamandres indigènes et Olga Helma vit
souvent bâiller ses Axolotls, le plus
souvent lorsque ces animaux étaient
placés dans de l'eau bouillie, en
l'absence de plantes aquatiques. Leffler en
conclut que ces mouvements de la bouche doivent
provenir d'un apport insuffisant en
oxygène et pense que « le
bâillement chez l'Homme étant
attribué à une carence en
oxygène et les mouvements de la bouche
chez l'Axolotl étant très
semblables, on peut les assimiler au
bâillement ». Leffler cite cependant,
en note, les résultats contradictoires de
Babak. Cet auteur n'observa aucun
bâillement chez l'Axolotl placé
dans l'eau bouillie, niais bien chez la
Grenouille quand on lui obstrue les narines.
Leffler tenta alors de provoquer le
bâillement chez l'Axolotl amené
à un état de fatigue par
l'administration de petites doses de
véronal introduites dans des morceaux de
viande. Les Axolotls manifestèrent bien
des symptômes de fatigue mais ne
bâillèrent pas. K. M. Schneider
observa d'ailleurs à plusieurs reprises
le bâillement chez une vieille Salamandre
géante originaire du Japon
(Megalobatrachus maximus) mesurant 1,35 m et
ayant vécu plusieurs décennies au
jardin zoologique de Leipzig; ce Batracien
bâillait sous l'eau et ouvrait la gueule
au point que ses mandibules étaient
écartées d'environ 20 cm. La
respiration cutanée joue un rôle
primordial chez cette Salamandre, comme aussi
chez d'autres Batraciens, dont certains n'ont ni
poumons, ni branchies. La Salamandre
géante de Leipzig, du poids respectable
de 45 kg, respirait en moyenne une fois toutes
les 23 minutes et faisait émerger ses
narines. Il semble douteux, dès lors, que
son bâillement sous l'eau soit en rapport
avec une amélioration de la circulation
et du ravitaillement en oxygène. On admet
enfin que les Poissons bâillent.
Hernpelmann le mentionne, d'autres auteurs
également (Dexler, Féré) et
des documents photographiques le prouvent. On
essaya même d'interpréter le
bâillement humain comme une
réminiscence atavique de la respiration
branchiale; B. R. Fick (1928), par exemple,
écrit dans son ouvrage sur l'expression
et les jeux de physionomie: « Les
considérations sur la phylogénie
des traits du visage peuvent mener à des
absurdités, comme le montre le mot d'un
anatomiste par ailleurs des plus
compétents; il affirme que le
bâillement est une survivance de la
respiration branchiale car, en bâillant,
on oblige l'air à pénétrer
jusque dans tous les recoins de la gorge
largement ouverte». Notons au passage que
ce raisonnement ne tient aucun compte du fait
que les animaux à respiration branchiale
puisent l'oxygène, non dans l'air, mais
dans l'eau.
-
- Si nous récapitulons
brièvement, nous voyons que le
bâillement a été
constaté fréquemment chez tous les
Vertébrés, du Poisson à
l'Homme; malgré cela il a encore
été très peu
étudié et les
interprétations proposées
diffèrent ou même, s'opposent. En
général le bâillement est
mis en corrélation avec l'ennui ou la
somnolence, considérée comme
étape vers le sommeil ou comme
réaction contre le sommeil. De nombreux
auteurs ont cependant remarqué que le
bâillement peut aussi coexister avec des
états d'excitation. H. Dexler donne les
exemples suivants dans son travail sur les
symptômes les plus importants dans les
troubles du psychisme chez les animaux. Les
Chiens habitués à vivre en
appartement s'excitent, et bâillent,
lorsque leur maitre est habillé pour
sortir et les fait attendre devant la porte; il
en est de même quand on les empêche
d'approcher de leur écuelle ou lorsqu'on
leur montre une friandise sans la leur donner.
Le bâillement est encore
déclanché par la faim, la
colère et certains états
pathologiques. Nous devons, récemment,
à Albrecht Peiper, directeur de la
clinique universitaire de pédiatrie
à Leipzig, une importante contribution
à l'étude du bâillement
(1949). Il traite à fond du
bâillement chez le nouveau-né dans
son ouvrage sur l'activité
cérébrale de l'enfant. Il a aussi
cherché à préciser la
localisation cérébrale du centre
du bâillement, et obtint des indications
précises par l'examen d'avortons humains
nés sans hémisphères.
Peiper estime que le centre du bâillement
doit être voisin du centre de la
respiration, donc dans le bulbe, quoique le
bâillement puisse être
suscité par un stimulus au niveau des
hémisphères. Le bâillement
est aussi sous la dépendance de
réflexes conditionnés, puisqu'il
est contagieux. « Pour bâiller il
suffit qu'on en parle, qu'on lise quelque chose
à ce sujet, ou qu'on y pense » Pour
cet auteur il s'agit d'un processus nerveux, aux
origines très anciennes, et il en veut
pour preuve que les jeunes enfants
bâillent et qu'on rencontre ce
phénomène tout au long de la
série des Vertébrés. K. M.
Schneider, directeur du jardin zoologique de
Leipzig, observa en 1950, et montra par de
nombreuses photographies, que les
Chimpanzés bâillent dès les
premiers jours de leur existence. Pour Peiper,
le bâillement est provoqué par une
suprématie du centre du bâillement
sur le centre respiratoire voisin, à la
suite de fatigue ou d'affaiblissement. On ne
bâille pas pour ne pas être
fatigué, mais parce qu'on est
fatigué. A l'état normal, ce
phénomène respiratoire, assez
semblable à la respiration par
déglutition (forme primitive), est
inhibé par les éléments
supérieurs du centre respiratoire. D'une
façon générale, la nature
du bâillement est à peine
élucidée et Peiper lui-même,
l'un des spécialistes les mieux
documentés, dit: « On se perd encore
en conjectures sur le but du bâillement.
»
-
- Fig. 1 Chat domestique baillant. Fig. 2
Tapir américain. Fig. 3 Même les
Poissons bâillent: un Dipueuste, le
Protoptère africain. Fig. 4 Chameau
baillant. De la série: Animaux endormis
par le prof. 24. Hediger, Zurich. Photographie:
Risbeth Siegrist, Bale. Copyright 1955 by J. R.
Geigy S. A., Basle. Printed h Switzerland. 2266
f
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