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- p 51-52
- LETTRE VII.
- Sur la faim, l'abstinence et la
diète.
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- Chacun connaît la signification de ce
mot : iI sert exprimer le vif désir
d'aliments nécessaires. Mais il est
souvent usurpé par des appétits
factices, par des goûts capricieux; on
confond ainsi les saillies de la
sensualité avec l'aiguillon du besoin. Il
est en effet des personnes qui, ignorent
absolument ce que c'est que la faim, tant
l'inertie, née du désoeuvrement,
rend leurs digestions interminables.
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- Il en est qui ne se donnent quelque
mouvement hors de leurs habitations somptueuses
qu'afin de dîner avec attrait, ou du moins
sans répugnance; car si la faim assaille
sans cesse l'indigence, comme perspective
inconjurable, si ce n'est comme
réalité, la satiété
gâte les délices de l'opulence
désuvrée. Tous ces
promeneurs si brillants et si enviés qui
inondent de poussière la banlieue des
capitales ,vous pensez peut-être que la
vanité, l'amour de la campagne ou de la
dissipation les poussent ainsi, vers le milieu
de chaque beau jour, au delà des remparts
d'une grande cité! erreur, c'est
uniquement la gourmandise.
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- Réveillés un peu avant midi,
ces malheureux Sybarites, au plus léger
coup de clochette, voient apparaître sur
un guéridon gracieux, et tout près
de leur chevet, assiégé d'ombres
et d'ennuis, une coupe séduisante dont la
vapeur parfumée n'éveille en eux
nulle tentation, tant leur appétit, la
nuit précédente, s'est
profondément assoupi au sein d'un
médianoche bruyant ou d'un souper
mystérieux. Cependant viennent les
nouvelles de la veille, la gazette, la
correspondance : on se met à lire.
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- Mais, pour un billet qui fera sourire ou
espérer, d'autres lettres sont là
qui ramènent à la vie
réelle et rendent le front soucieux :
alors on bâille, on se
détire, on récapitule ses
chagrins, et, pendant cela, le déjeuner
refroidit et la faim reste endormie:
- Parmi les voluptés dont ils croient
s'enivrer,
- Malheureux! ils n'ont pas le temps de
désirer.
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- Vous donc qui voulez savourer à longs
traits toutes les jouissances d'une vie
fortunée , fuyez les excès, fuyez
la mollesse. Tout se flétrit sous leurs
mains, tout se glace et meurt à leur
souffle. Pour jouir, il faut désirer. Or,
naît-il des désirs sans travail et
sans tempérance? Le bonheur est comme le
ciel , qui sans doute l'éternise on ne le
conquiert que par des sacrifices, et l'on en
jouit déjà du moment qu'on
l'espère. Une des consolations de
l'artisan, assurément c'est la faim, cet
ardent appétit que le travail fait
naître et satisfait.
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- Un Dieu qui prit pitié de la nature
humaine,
- Mit auprès du plaisir le traavail et
la peine;
- La crainte l'éveilla, l'espoir guida
ses pas,
- Ce cortége aujourd'hui l'accompagne
ici-bas.
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- p 56-59
- Phénomènes et dangers de la
faim.
-
- Ceux qui ont décrit les effets de la
faim en ont presque toujours
exagéré les souffrances. Quand on
interroge les hommes qui ont
éprouvé de longs jeûnes, on
acquiert la certitude que les mauvaises
digestions sont souvent plus douloureuses qu'une
faim de plusieurs jours. L'essentiel alors est
de rester en repos, de dormir de temps en temps,
et d'avoir un peu d'eau pour se
désaltérer, car le grand tourment
résultant de l'inanition, c'est la soif.
L'heure des premiers repas est la plus difficile
à traverser, surtout si celui qui
pâtit a des habitudes
régulières, s'il est jeune,
robuste, impatient, mais principalement s'il
agit plus qu'il ne pense et ne
médite.
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- Alors il survient des bâillements,
des pandiculations; les intestins se
contractent avec bruit, et bientôt le
sentiment de la faim s'affaiblit un peu : mais
le corps a déjà perdu de son
énergie, et l'on sent quelque propension
à prendre du repos et à dormir. Le
sommeil est alors plus profond, et
peut-être plus prolongé que de
coutume; il est néanmoins plus souvent
interrompu, plus troublé par les songes,
et il se compose de petits sommes, coupés
par des intervalles inégaux. Quand
ensuite on se réveille
décidément, on est tout
étonné de I'éprouvér
qu'une faim si tolérable après un
jeune de vingt à trente heures; mais le
lendemain, les lassitudes augmentent, les
somnolences sont plus fréquentes; alors
aussi le visage se décolore et
s'affaisse, et, comme il perd son expression en
même temps que sa couleur, cette froide
uniformité de tous les traits fait
paraître la figure plus
allongée.
-
- Voilà pourquoi l'on use de cette
dernière épithète pour
caractériser la physionomie de ceux qui
endurent la faim. Cependant, d'autres
symptômes apparaissent : le sang
étant plus appauvri et réparti par
un coeur plus faible, toutes les
sécrétions languissent, tout se
dessèche : la peau, la bouche, le gosier,
les intestins, la vessie. Les urines sont
épaisses, colorées et presque
taries, alors même qu'on aurait bu
abondamment. La constipation devient de plus en
plus absolue; le ventre, après chaque
assoupissement, se retire et se concentre, comme
s'il était pressé dans un
étau, et de la sorte le corps
n'éprouve plus presque aucune
déperdition, si ce n'est par la
transpiration pulmonaire, c'est-à-dire
par l'haleine.
-
- Mais la soif, une soif vive et
perpétuellemeni renaissante, voilà
le véritable supplice de ceux qui
endurent la faim. La bouche et la gorge se
dessèchent alors comme dans la
fièvre; la langue est comme collée
au palais, tant la salive est devenue rare, et
cela même est un bienfait de la
prévoyance suprême, car ce presque
entier tarissement de la salive, et cette
viscosité de la langue et du palais, tout
cela amortit le sentiment de la faim, à
la manière des maladies aigu. Le coeur
est alors sensiblement affaibli. Si l'on essaie
de mesurer le pouls au moyen du
sphygtnomètre, on voit qu'il ne
communique plus à la colonne de mercure
d'aussi grandes oscillations, et qu'il se laisse
plus aisément déprimer que de
coutume.
-
- L'inanition affaiblit également la
chaleur vitale aux corps
éjeûnés, il faut des
vêtements plus chauds, des couvertures
plus épaisses, encore a-t-on souvent
beaucoup de peine à réchauffer les
extrémités. Assurément, la
privation d'aliments lors de la retraite de
Moscou, multiplia les cas de congélation
mortelle.
-
- Quant à l'esprit, on serait souvent
étonné de la lucidité des
idées en des personnes qui supportent
l'abstinence sans l'avouer; on serait surpris de
la précision lumineuse de leurs discours
leur discernement, leur sagacité, leurs
à-propos ont parfois la soudaineté
du génie. II eu est de même du
caractère : leur langueur, leur
tristesse, se transforment souvent tout à
coup en élans de joie, en puérils
éclats de gaieté. La faiblesse
née de l'inanition favorise
l'instabilité de l'humeur et les subites
vicissitudes de l'âme. L'imagination de
ceux qui jeûnent a la même
mobilité que celle des enfants, que celle
de convalescents et des femmes; mais prompte
à s'enflammer, elle s'éclipse
l'instant d'après : toute application
d'esprit est alors impossible.
-
- Toutefois, le Corse Viterbi a
conservé assez de force de tête
jusqu'au seizième jour de sa lente
agonie, pour décrire heure par heure les
tourments de l'inanition volontaire qui devait
le préserver d'une mort infamante.
Près de s'éteindre, et quoique
totalement privé de nourriture depuis
seize jours, cet homme énergique
conservait encore sa raison, et donnait à
sa haine envers des ennemis acharnés
autant qu'implacables, des expressions d'une
horrible justesse. On voit l'exaspération
et le désespoir dans le journal où
il décrit l'agonie de la faim : on n'y
voit nulle part la déraison on la
douleur.
-
- Toutefois, l'inanition portée
à un certain degré
détermine assez fréquemment des
souffrances vers cette partie du ventre qu'on
nomme épigastre; et comme la gastrite
donne lieu à une douleur analogue, on a
vu plus d'un médecin
inexpérimenté ou
systématique s'autoriser de ce
symptôme d'inanition pour rendre la
diète des malades inopportunément
plus rigoureuse.
-
- Lettre XXIII
- Sur le sommeil (31 octobre 1829)
- p 360
-
- Vous connaissez les préludes du
sommeil: ces langueurs, cette faiblesse
paresseuse, cet abattement des forces, cette
mollesse et cet embarras des pensées qui
précèdent l'assoupissement. On
bâille, on détire le membres,
on s'allanguit; la mémoire se perd, on
balbutie des expressions incohérentes,
les idées n'ont plus ni suite ni
justesse. Remarquez que les approches du sommeil
sont analogues à celles de la mort, dont
le sommeil est véritablement l'image
assez ressemblante.
-
- p 366
- Le sommeil avait débuté par
une expiration subite, et c'est une profonde
inspiration qui le termine. Le réveil est
l'image de la vie commençante, comme
l'assoupissement ressemble à la mort. On
exécute alors des
demi-bâillements, des pandiculations
des efforts à glotte fermée, et
cela débarrasse instinctivement les
poumons du sang trop abondant qui les
opprime.
-
- Remarquez, Camille que les sens et la
pensée ne reprennent pas aussitôt
leur plein exercice et leur entière
lucidité. Le sommeil a son
crépuscule comme le jour
commençant, sa convalescence comme les
maladies. Les premières heures du
réveil ressemblent à une sorte
d'enfance.
-
- Dictionnaire physiologique
- p 411
- BAILLEMENT: est toujours
accompagné de l'élévation
du voile du palais et de la contraction des
muscles internes de l'oreille; d'où
résulte une sorte de bruissement confus.
Signe d'ennui, de langueur et d'abattement;
moyen propre à déguiser les vives
émotions. On ne bâille
involontairement ni dans les vives agitations de
l'âme ni pendant le règne des
souffrances. Voilà pourquoi l'on
bâille quelquefois pour feindre
l'indifférence et dissimuleer de
réelles émotions.
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