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 L'histoire des neurosciences à La Pitié et à La Salpêtrière J Poirier
The history of neurosciences at La Pitié and La Salpêtrière J Poirier 
 
 
 

mise à jour du
4 novembre 2007
LE BÂILLEMENT
L' Académie des Jeux floraux
en séance ordinaire, le 9 juillet 1852
 
Par M. le Vicomte DE MAC CARTHY
un des quarante Mainteneurs
 
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L' Académie des Jeux floraux est une société littéraire fondée à Toulouse au Moyen Âge, sans doute la plus ancienne du monde occidental, en 1323, lors de la venue à Toulouse de Charles IV le Bel, dernier des capétiens directs.

Oui, Messieurs, c'est trop vrai; l'appel est entendu;
Mon pauvre esprit se trouble et reste suspendu,
Redoutant votre arrêt, et n'osant s'y soustraire !..
Dès qu'lsaure convoque au banquet littéraire,
Sous peine de passer pour rebelle ou pour sot,
Chacun doit à son tour apporter un écot.
Voici le mien.... Hélas! c'est une oeuvre d'urgence;
Qui, sans la mériter, réclame l'indulgence;
Mélange improvisé de traits, de tons divers;
Bizarre mosaïque, en quatre ou cinq cents vers!!...
Mais déjà j'aperçois s'allonger maint visage;
Quelques chuchotements de sinistre présage
M'ôtent jusqu'à l'espoir d'un favorable accueil;
Plus d'un membre s'apprête à quitter son fauteuil!...
 
Entendre cinq cents vers, débités d'une haleine! .....
Bourreau! nous allons tous succomber à la peine!
Cinq cents vers , dites-vous !... quelle imposition !
Mais c'est de quoi troubler notre digestion!
N'entendez-vous donc pas l'écho qui vous répète
(Du sentiment commun trop fidèle interprète)
Votre front est ridé, vos cheveux blanchissants
Solve senescentem; de la prose et du sens! ....
 
Chers Confrères, de gräce, arrêtez vos murmures;
Je serai raisonnable, et ferai des coupures;
D'ailleurs , ici chacun se doit exécuter
Je suis tenu de lire, et vous de m'écouter;
Académiciens, on sait notre courage;
Nous en avons naguère enduré davantage !...
 
Le sujet du Poème est neuf assurément;
 
C'est... - Voyons.-Devinez.- Quoi donc? -Le Bâillement!
Inspiré par la grippe, et fruit de longues veilles! ....
Voici comme il débute; ouvrez bien les oreilles ! ....
 
Je chante, non Achille et sa noire fureur;
Non le pieux Enée infidèle et pleureur;
La boucle de Belinde (« The rape of the lock. » Pope.), en astre transformée;
Ni, pour un seau ( La Secchia rapita. Tassoni.), la guerre à Bologne allumée !...
Je ne puis emboucher le clairon des combats,
Ni peindre en traits piquants le burlesque et le bas ....
 
Salut, ô Bâillement! source de jouissance!
Plaisir qui, chaque soir, à mon gré prend naissance!
 
Thème soporifique, il s'accorde à ma voix;
D'une Muse indolente il est le digne choix!
 
O Muse , éveille-toi ! ranime mon vieil âge;
Fais d'un triste cerveau jaillir le badinage:
Qu'il ressente une fois l'haleine du printemps Et puis dorme engourdi sous les glaces du temps!
 
J'ose du Bäillemeni célébrer l'origine;
Au monde mal instruit prouver qu'elle est divine:
Un jour l'Altitonant , trop coutumier du fait,
Aigrement à Junon reprochait un méfait
Qui d'un mari mortel eût compromis la gloire...
Emporté par son ire, il remet en mémoire
Mainte légèreté, dont l'Olympe se rit,
Qu'en fidèle espion Mercure découvrit.
Le Dieu, qui n'avait pas mis un frein sur sa langue,
Outre toute mesure allongeait sa harangue,
Et même on eût pu craindre, à la péroraison
Qu'il ne la termninât par une pendaison!!....
La déesse accrochée eût fait piteuse mine,
Et subi de Vénus l'humeur railleuse et
Lors un beau désespoir lui prêta son secours ....
La conjugale bile ayant tari son cours;
Jupiter, de la main qui lance le tonnerre,
Allait sur sa moitié décharger sa colère;...
Quand Junon, d'une bouche ouverte largement,
Fit partir en trois temps le premier bâillement!...
Bâillement de déesse; il fut irrésistible,
Long et contagieux, solennel et risible;
Toute la cour céleste en ressentit l'effet;
Le bras du grand Zeus tombe; il reste stupéfait
Si des cieux par un signe il ébranle l'empire,
Junon en fait frémir la voûte d'un fou rire; ....
Dans le ménage ainsi le pouvoir partagé,
On n'y vit plus dès lors de débat engagé.
 
Voilà, femme incomprise, un fait incontestable,
Enregistré dûment aux fastes de la Fable;
C'est un exemple à suivre; et du tyran jaloux,
Vous verrez à l'instant s'éteindre le courroux.
 
Du ciel le Bâillement descendu sur la terre,
D'un pôle à l'autre étend sa vertu salutaire;
Quelques docteurs pourtant (tout se nie aujourd'hui),
Sans remonter si haut, le font fils de l'Ennui;
Né pour remédier au mal que fait son père,
Il relâche des nerfs l'étreinte trop sévère;
Pour calmer des vapeurs l'accès capricieux,
Le beau sexe en connaît le secret précieux.
 
Hélas! il est des jours dans cette pauvre vie,
Où des horreurs du spleen notre âme est poursuivie;
Par un rude labeur, trop d'application,
L'esprit est affaissé, le corps sans action;
Un malaise inconnu les saisit, les oppresse !...
Le bâillement survient .... Soudain la crise cesse ....
 
O toi, dont le premier je chante les bienfaits!
En quels termes louer tes merveilleux effets,
Et ton aide assurée à l'humaine faiblesse,
Succombant sous l'ennui, le malheur, la tristesse?
Je veux en traits d'airain graver ton souvenir,
Et te faire honorer des Ages à venir!
 
Qu'il s'annonce avec bruit, qu'il surprenne on silence,
Le Bâillement à tous fait sentir sa puissance;
 
Philosophe, héros, nul ne s'en raillera;
Tout bâille en ce bas monde, a bâillé, bâillera!
 
Le roi sous les lambris de son splendide Louvre,
"Le pâtre en la cabane où le chaume le couvre (Malherbe), »
La carpe sous les eaux, le lion dans les bois,
Le dogue à nos foyers, le matou sur les toits!
 
Admirez dans les rangs de la foule pressée,
D'un profond bâillement l'influence excercée !...
Ces murmures plaintifs.., ces sons entrecoupés! ....
Spectacle varié, dont les yeux sont frappés!
Ici de haut en bas; plus loin de droite à gauche,
Mollement il balance une tête qui hoche,
Se penche, se redresse, oscille sans effort,
Et poussant un bruit sourd, reste fixe, et s'endort!
Des malveillants à tort ont voulu faire croire
Qu'un trop long bâillement disloque la mâchoire;
Non, gracieusement il veut s'épanouir
Par un lent hialus dont on aime à jouir.
Aussi de proche en proche il gagne, il se propage,
Comme un sourire court de visage en visage !...
 
Dans un affreux malheur des coeurs désespérés
En le voyant paraître, ont été rassurés.
 
Un homme est retiré des abîmes d'un fleuve;
Il laisse des amis, des enfants, une veuve:
O désolation! ô mortelles douleurs!
L'air retentit au loin de prières, de pleurs!
Par les plus prompts secours, l'amour et la science,
Cherchent à rappeler cette chère existence;
 
Vains efforts! Il est là, sans pouls, sans mouvement.
Les amis consternés s'éloignent lentement;
La tombe le réclame et le convoi s'apprête; ....
Sa femme d'un oeil fixe à l'observer s'arrête;...
 
Soudain, elle croit voir ses lèvres s'entrouvrir;...
Elle crie !... elle appelle! et chacun d'accourir!
On redouble de soins;... on prend à l'espérance !
Le ciel bénira-t-il tant de persévérance? ....
Quelque peu de chaleur parait être excité ....
On doute... on tremble... Il bâille;
il est ressuscité!!...
 
Faut-il d'un importun abréger la visite,
Ou se débarrasser d'un fâcheux parasite?
Il suffit de bâiller à chaque mot qu'il dit;
Il part pétrifié, tout confus, interdit;
Et libre vous rentrez dans votre solitude!...
Porter un ennuyeux !... la charge est par trop rude!
Vous serez affranchi du plus lourd des impôts,
Si vous apprenez l'art de bâiller à propos.
Horace l'ignorait; s'il a craint pour sa vie,
Quand par un sot parleur sa route fut suivie;
Le salut était là; car, sans tant batailler,
Au nez de l'assassin il n'avait qu'à bâiller!
 
Ce Tyrcis doucereux qui soupire et s'empresse,
Fatigué d'encenser sa stupide maîtresse,
Met la main sur sa lèvre, et bâille à chaque instant:
Pour tromper son ennui la belle en fait autant.
 
Souvent d'un désoeuvré la faconde odieuse
Consume en verbiage une heure précieuse;
Le savant, qu'elle arrache à d'utiles travaux,
A force de bâiller recouvre son repos.
 
Climène hait d'un fat l'incessante poursuite;
Pour lui fermer la bouche et pour le mettre en fuite,
Qu'elle use contre lui du plus sûr talisman;
Il sera médusé par un long bâillement !
 
Muse, reprends haleine, et poursuis ta carrière,
Sans crainte d'épuiser cette riche matière!
 
Qu'un bavard vétéran, pour la centième fois,
Aux grands combats du Nil rabâche ses exploits;
Et, noyant l'intérêt dans un flux de paroles,
Assomme ses amis d'anecdotes frivoles:
Quelle digue opposer à ce débordement?
Rien n'y fait, ni la toux, ni le chuchotement!
Chacun maudit tout bas sa langue et sa mémoire !...
Le bâillement survient et gagne la victoire !..
Hommage, gratitude au puissant enchanteur:
Il coupe le sifflet à l'éternel conteur !...
 
Souvent un pauvre élève, aux arrêts, tout en transe,
Subissant du Mentor la rude remontrance,
Se soulage en gémisssant, à l'insu du bourreau,
Un bâillement furtif, sous son discret chapeau !...
 
Quels ennuis, le dirai-je? assiègent la tribune !
Oui, l'éloquence même est parfois importune
D'un auditeur forcé qui ne plaindrait l'état,
Dans le cours prolongé d'un fatigant débat ?
Le député, cloué sur son banc de détresse,
Se tord! , en maudissant l'écrivain de la presse,
Qui se croit orateur: et toujours assommant,
Défile en chapelet un plat raisonnement;
Et, malgré des couteaux l'ordinaire refuge,
De mots creux, de vains sons fait pleuvoir un déluge!!...
Écoutons;... c'est la voix d'un fougueux montagnard,
Arborant sans pudeur son sanglant étendard!
Émule du chacal redemandant sa proie,
Il hurle, et sa fureur en cris sourds se déploie !...
A nos coeurs indignés quel doux soulagement
De lui lancer en face un bruyant bâillement!
 
Lorsqu'à tous les partis ce harangueur mobile
Se tourne sans grincer, girouette docile,
Défendant aujourd'hui, sur le ton le plus lier,
Ceux qu'avec violence il réprouvait hier;
Et du soleil levant adorateur quand même,
En un style embrouillé se réfute soi-même;...
 
Quand tel autre, abusant de sa position,
Outrage le bon sens, fausse la question ;...
A l'heure du dîner, pérore et se démène,
Bravant des estomacs le murmure et la peine;
N'omet pas un feuillet de son lourd manuscrit,
Et se livre aux écarts du plus vulgaire esprit!...
Pauvre représentant! esclave volontaire
Du devoir imposé par un mince salaire,
Malheur! trois fois malheur! si contre ces discours,
De fréquents bâillements ne te prêtaient secours !!
 
Mais d'où vient, Bâillement , que ton pouvoir expire,
Quand la Jugie, aux sons de sa pieuse lyre,
Nous transmet, en des vers sublimes et touchants,
Du Prophète royal les poétiques chants?
 
Quand Ducos, inspiré du Génie homérique,
Fait revivre chez nous la poésie. épique;
Chante du grand Raymond les malheurs, les exploits,
Et les vaillants combats de héros et de rois
Se disputant l'empire et les murs de Toulouse,
Dont la France est si fière et l'Europe jalouse?...
 
Lorsque, levant un front large et majestueux,
Roulant son éloquence en flots impétueux,
Feral de la chicane expose l'artifice,
Fait triompher le droit, et trembler l'injustice?
 
Que Decampe, avec goût, sous des jours tout nouveaux,
Des écrivains fameux discute les travaux
Place sur leurs beautés l'auréole éclatante,
Et note leurs défauts d'une main indulgente;
Ou qu'Apôtre en la chaire, un orateur sacré,
Nous charme par son luth ou sa plume à son gré ?..
 
Souvent je t'ai vu fuir à la voix de du Mège,
Que le ciel a doué du rare privilège,
Comme artiste, savant, barde, commentateur,
Dans ses nombreux écrits d'attacher le lecteur,
Et d'avoir, éclairé par sa sûre critique,
Donné du Languedoc une histoire authentique;
 
Quand Barbot, méditant l'homme et sa vanité,
Dieu, le monde, le ciel, le temps, l'éternité,
Fait pénétrer la foi dans les âmes sensées,
Et grave en traits de feu ses profondes pensées !....
 
Et toi, dont l'esprit fin, brillant et gracieux
Peut élever si haut son vol audacieux;
Plus souvent enjoué, parfois grave et sévère;
Prosateur, ou Poête, et toujours sûr de plaire:
Non, jamais tu ne vis bâiller ton auditeur!...
Permets, au nom d'Isaure, une plainte à mon coeur:
Dans ma voix reconnais la voix de tes confrères;
Je ne suis que l'écho de leurs regrets sincères.
Ton aimable entretien, si vif et si piquant,
Dans nos réunions n'est pas assez fréquent:
(Notre Doyen doit être en tout notre modèle),
Sans parler de devoir, nous comptons sur ton zèle;
Viens, reviens; lis, relis; sois toujours notre appui
Contre l'invasion de l'enfant de l'Ennui!!...
 
Grâce à tes Mainteneurs, heureuse Académie,
(Malgré les quolibets d'une plume ennemie,)
Jamais le Bâillenwnt n'osa franchir ton seuil;
Tant Clémence avec soin l'écarte du fauteuil
Si le perfide rôde autour de ton enceinte,
On te verra toujours repousser son atteinte.
 
O précieuse Bouche ah I qui ne te doit pas
Les plaisirs les plus vifs que l'on goûte ici-bas?
Chacun des autres sens n'est que d'un seul usage;
Tu l'emportes sur tous par un triple avantage:
Mille fois on a peint ta fraîcheur, ta beauté; ....
Mais ton plus beau triomphe a-t-il été chanté?...
La Narine à flairer seulement peut prétendre;
Notre OEil ne sait que voir, et L'Oreille qu'entendre : ....
Oh! par toi, nous sablons le Champagne mousseux;
Nous goûtons de Strasbourg les pâtés si fameux;
Du canard limousin nous savourons le foie!...
Par toi d'un doux baiser la mère sent la joie;
La fille boude et cause , et l'homme est orateur
Sur tes lèvres on lit l'esprit et la candeur !...
Si nos fronts soucieux se couvrent d'un nuage,
Ton sourire si doux éclaire le visage;
Et pour tout réunir en un groupe charmant
C'est par toi qu'on jouit du divin Bâilement !!!
 
Quel vertige subit de mon esprit s'empare?
En de vagues pensers il se trouble, il s'égare ;...
Téméraire! pourquoi choisir un tel sujet?
Sur-moi-même il exerce un léthargique effet:
Je ne puis conjurer la force de ses charmes! ....
La lutte est inutile:... il faut rendre les armes ! ....
Une torpeur étrange engourdit tous mes sens!
Et des vers du Poême il me reste deux cents! ....
Pardonnez..., prenez part au chagrin que j'endure;...
Ma langue se refuse à finir la lecture I .....
Sur mes veux clignotants s'abaisse un voile épais!
Le manuscrit m'échappe,.. et bâillant je me tais!