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- Imitation du dedans au dehors
- p211-213
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- Ce serait le moment, si je ne reculais
devant les difficultés d'un tel labeur,
de défricher un champ tout à fait
inexploré, en comparant les diverses
fonctions de la vie, organique ou psychologique
au point de vue de leur tendance plus ou moins
accusée, dans la moyenne des cas,
à se transmettre par imitation. Cette
transmissibilité relative est fort
variable d'une époque à l'autre,
d'une nation à l'autre. Elle ne deviendra
mesurable avec, quelque précision que le
jour où, la statistique aura tenu toutes
ses promesses. II nous suffira donc de dire
quelques mots à ce sujet.
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- La soif n'est-elle pas plus contagieuse par
imitation que ne l'est la faim? Il me le semble.
Ainsi peuvent s'expliquer les progrès si
rapides de l'alcoolisme; si la gourmandise a
progressé aussi, comme on en peut juger
par l'alimentation plus copieuse et plus
variée du bourgeois de l'ouvrier et du
paysan, sa marche à coup sûr a
été plus lente. Sur un grand
territoire on voit les mêmes boissons
répandues (ici le thé, là
le vin, ailleurs la bière, le
maté, etc.), alors que la plus grande
diversité de mets locaux règne
encore. La soif est-elle plus ou moins
contagieuse que les désirs sexuel? Elle
l'est moins, je crois. Le premier vice qui se
développe dans les grands rassemblements
d'hommes et de femmes, dans les villes en voie
de peuplement, c'est la débauche, avant
même I'alcoolisme.
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- Plus aisément communicables encore
sont les mouvements des jambes et, surtout, ceux
des membres supérieurs.
L'entraînement des marches d'ensemble est
une des grandes forces militaires. Le penchant
à marcher du même pas et de la
même manière est inné avant
d'être obligatoire dans les armées.
Il a été prouvé, par des
mesures délicates, que, dans une
même ville, tout le monde marche, en
moyenne, avec une même rapidité.
Quant aux gestes et aux manières, bien
plus rapidement encore que les
particularités de la locomotion, ils se
transmettent aux personnes habituées
à vivre ensemble et servent à les
caractériser. En partie pour cette cause,
les convulsions hystériques dans nos
maisons de santé affectent
aisément le caractère d'une
épidémie, comme jadis les
possessions diaboliques dans les convents.
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- La fonction vocale est éminemment
imitative, comme d'ailleurs toutes les fonctions
de relation, mais surtout en ce qu'elle a de
spirituel, la diction et la prononciation, non
le timbre de la voix. L'accent aussi se
transmet, mais avec lenteur, et pendant la
jeunesse. Chaque ville conserve son accent
particulier, longtemps après qu'elle
s'alimente et s'habille comme toutes les autres.
Le bâillement, j'entends le
bâillement d'ennui, qui a une cause
mentale, se transmet bien plus contagieusement
que l'étérnuement ou la toux.
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- Les fonctions des sens supérieurs
sont plus transmissibles imitativement que
celles des sens inférieurs. Si l'on voit
quelqu'un regarder ou écouter on est bien
plus porté à l'imiter que si on le
voyait flairer une fleur ou goûter un met.
Voilà pouquoi dans le grandes villes un
rasseblement est sitôt formé autour
d'un badaud. On se précipite à la
porte du théâtres où l'on
voit faire la queue bien plus que dans les
restaurants à travers les vitrines
desquels on voit des consommateurs manger de
grand appétit.
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