-  
 
                     
                     - Résumé
 
                     
                     - Le bâillement est une
                     stéréotypie comportementale
                     observée chez tous les
                     vertébrés, qu'ils vivent dans les
                     airs, sur terre ou sous l'eau, qu'ils soient
                     homéothermes ou poïkilothermes. Cet
                     article propose une mise au point de la
                     physiologie du bâillement et des
                     différentes pathologies qui lui sont
                     associées. L'évolution du
                     bâillement au cours de la vie ftale,
                     la place qu'il occupe dans la physiologie de
                     l'intéroception complète cette
                     revue. Enfin, une théorie de sa
                     finalité physiologique est
                     proposée abordant les échelons
                     comportementaux et cliniques, l'échelon
                     des réseaux neuronaux et l'échelon
                     moléculaire qui le sous-tendent.  
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Abstract
 
                     
                     - Yawning is a behavioral stereotypy observed
                     in all vertebrates, whether they live in the
                     air, on land or underwater, and whether they are
                     homeotherms or poikilotherms. This article
                     reviews the physiology of yawning and the
                     various pathologies associated with it. The
                     evolution of yawning during fetal life and its
                     place in the physiology of interoception
                     complete this review. Finally, a theory of its
                     physiological purpose is proposed, addressing
                     the behavioral and clinical, neural network and
                     molecular levels that underlie it.
 
                     
                     - 
                     
                     
 
                     
                      
                     
                     - Le bâillement est une
                     stéréotypie comportementale
                     observée chez tous les
                     vertébrés, qu'ils vivent dans les
                     airs, sur terre ou sous l'eau, qu'ils soient
                     homéothermes ou poïkilothermes. Ces
                     caractéristiques attestent de son
                     ancienneté phylogénétique
                     qui est corrélée à sa
                     précocité ontogénique.
                     Malgré son apparition quotidienne
                     associée aux rythmes veille-sommeil et
                     fin-satiété chez tous les
                     vertébrés, le bâillement
                     demeure un objet de très peu
                     d'études scientifiques, sauf,
                     peut-être parmi nos collègues
                     éthologues [1].
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Description d'un
                     bâillement
 
                     
                     - Comportement involontaire, paroxystique et
                     stéréotypé, le
                     bâillement se caractérise par une
                     large ouverture de la bouche accompagnée
                     d'une profonde inspiration, suivie d'une
                     brève acmé en apnée
                     à thorax plein, puis d'une expiration
                     passive. Ce grand mouvement buccal n'est qu'un
                     élément d'un mouvement
                     coordonné complexe associant une flexion
                     suivie d'une extension du cou, simultanée
                     d'une ample dilatation du pharyngo-larynx qui
                     s'abaisse alors à son maximum. La
                     puissante contraction diaphragmatique
                     associée permet l'ample inspiration,
                     celle-ci contribuant à une redistribution
                     du surfactant alvéolaire
                     améliorant la compliance pulmonaire. Les
                     muscles faciaux se contractent. Les mouvements
                     de la tête font partie intégrante
                     du cycle ouverture/fermeture de la bouche
                     nécessaire à la mastication,
                     à la déglutition, à
                     l'élocution, au chant comme au
                     bâillement [2]. D'un point de vue
                     phylogénétique, chez toutes les
                     espèces, ce couplage fonctionnel a une
                     valeur adaptative, sélectionnée,
                     car elle assure une meilleure capacité
                     à saisir des proies mais aussi à
                     se défendre et à combattre. La
                     contraction de l'orbiculaire de l'il
                     explique l'épiphora temporaire,
                     résultant de la compression du canal
                     lacrymo-nasal. L'ouverture de la trompe
                     d'Eustache contemporaine aboutit à une
                     baisse de l'audition et un sentiment d'isolement
                     du monde environnant [3,4]. Notamment
                     après l'éveil, la puissante
                     contraction de tous les muscles du corps luttant
                     contre la pesanteur enclenche un
                     étirement des quatre membres et une
                     hyperlordose qui, associés au
                     bâillement, se nomme une pandiculation. Ce
                     phénomène est fréquemment
                     observé chez les mammifères
                     carnivores au sortir du sommeil
                     post-prandial.
 
                     
                     - Un bâillement dure 5 à 10
                     secondes. Cinq à dix bâillements
                     quotidiens sont une moyenne. Il existe des
                     petits bâilleurs et des grands
                     bâilleurs à l'image des petits et
                     des grands dormeurs [5,6]. Les
                     bâillements surviennent surtout
                     après l'éveil et dans la
                     période précédant le
                     sommeil, lorsque la faim se fait sentir ou en
                     période post-prandiale [7].
                     Bâiller est le plus souvent associé
                     à une brève sensation de
                     bien-être. Très
                     stéréotypé lors de son
                     déclenchement involontaire, le
                     bâillement, chez l'Homme, peut être
                     volontairement limité dans l'amplitude de
                     son extériorisation mais pas
                     inhibé totalement [8].
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Différents
                     bâillements
 
                     
                     - Une des caractéristiques de ce
                     comportement est d'être transitionnel
                     entre deux états [8]. Les
                     organismes vivants, en particulier les
                     vertébrés, exhibent des
                     comportements variés, essentiels à
                     leur survie, caractérisés par
                     leurs récurrences cycliques [9].
                     Ont cette caractéristique deux
                     comportements fondamentaux de la vie : la
                     vigilance (être apte à survivre
                     face aux prédateurs alors que le sommeil
                     est indispensable à l'homéostasie
                     du cerveau) et l'alimentation (capter de
                     l'énergie). Les bâillements et les
                     pandiculations, en restant morphologiquement
                     identiques, apparaissent associés
                     à tous les états transitionnels
                     des rythmes infradiens et circadiens qui
                     caractérisent ces comportements. Les
                     transitions comportementales des animaux ne
                     résultent pas d'une adaptation passive
                     aux conditions d'environnement mais
                     obéissent à des stimuli internes
                     caractérisant les adaptations
                     homéostasiques
                     générées par l'hypothalamus
                     (noyaux suprachiasmatiques, noyaux
                     paraventriculaires). Les horloges biologiques
                     internes autorisent une adéquation
                     précise entre besoins métaboliques
                     (faim / satiété), les rythmes
                     veille / sommeil (fonction de l'alternance
                     lumière / obscurité) et les
                     conditions d'environnement (avec entre autres,
                     une adaptation musculaire tonique à la
                     pesanteur) [10].
 
                     
                     -  
 
                     
                     - La reprise de la capacité motrice des
                     reptiles, poïkilothermes et ectothermes,
                     une fois atteinte la température
                     corporelle adéquate grâce au
                     réchauffement solaire,
                     s'extériorise par un bâillement
                     avant d'entamer leur locomotion
                     [1].
 
                     
                     - Seulement reconnaissables chez les
                     mammifères et certains oiseaux, des
                     bâillements apparaissent après un
                     épisode de stress, témoignant de
                     l'effet apaisant qu'ils procurent.
                     L'éthologie qualifie de «
                     displacement activity » ce type de
                     comportement [11]. Observés, par
                     exemple, chez les chiens dans une salle
                     d'attente de vétérinaires, chez
                     des chimpanzés trop nombreux dans un
                     enclos de captivité, ces
                     bâillements, contrebalançant le
                     stress, sont aussi exprimés par des
                     sportifs avant une compétition ou les
                     gens du spectacle avant d'entrer en scène
                     [12]. Générés par
                     l'hypothalamus et régulés par le
                     système limbique [13], ces types
                     de bâillements peuvent être
                     rapprochés de ceux associés
                     à la sexualité dans certaines
                     espèces telles certains rats ou des
                     macaques. Le mâle dominant bâille
                     avant le bref accouplement comme pour afficher
                     son statut au sein d'un groupe
                     hiérarchisé. Le caractère
                     testostérone dépendant de ce type
                     de bâillements a pu être
                     démontré [14].    
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Enfin, certaines rares espèces sont
                     capables d'une réplication
                     comportementale ou échokinésie du
                     bâillement, alias contagion (terme
                     inadéquat puisqu'il n'y a pas de
                     transmission de pathogènes)
                     [15,16]. 
 
                     
                     - Les grands singes dont l'Homme, les
                     éléphants, peut-être
                     certaines espèces de rats, sont
                     doués de cette capacité. Dans
                     certaines conditions de dressage et de vie
                     commune prolongée, certains chiens et
                     certains perroquets semblent sensibles aux
                     bâillements de leur maître mais pas
                     à ceux de leurs congénères.
                     Notons, néanmoins, que certains rares
                     auteurs contestent le rôle de l'empathie
                     comme mécanisme neuropsychologique
                     nécessaire à la réplication
                     du bâillement. [17]. Ils proposent
                     de ne voir dans ce phénomène qu'un
                     mécanisme de mimétisme moteur
                     automatique de bas niveau, sans lien avec la
                     théorie de l'esprit, c'est-à-dire
                     la capacité cognitive d'inférer
                     l'état mental de l'autre. Mais, dans ce
                     cas, comment comprendre l'absence de
                     généralisation de ce
                     phénomène à de nombreuses
                     espèces ? En effet, seules les
                     espèces en capacité de se
                     reconnaître dans un miroir, c'est à
                     dire d'avoir une certaine capacité de
                     raisonner sur elles-mêmes, sont aussi
                     sensibles à la réplication du
                     bâillement de l'autre,
                     phénomène apparaissant au sein
                     d'une vie d'interactions sociales
                     élaborées et
                     hiérarchisées (et lire
                     ci-après) [18].
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Les modalités de cette
                     réplication sont visuelles, auditives ou
                     olfactives [19]. Les animaux vivant en
                     groupe sociaux ont des rythmes d'activité
                     plus ou moins synchrone. Leurs éveils
                     simultanés, accompagnés de
                     bâillements, peuvent être
                     interprétés à tort comme
                     des réplications alors qu'il ne s'agit
                     que de synchronies d'états physiques.
                     
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Chez l'Homme seulement 70% de la population
                     est sensible au bâillement d'autrui. Les
                     traits de personnalité empathique versus
                     personnalité alexithymique expliqueraient
                     cette proportion [20,21]. Il n'existe
                     pas de différence en fonction du sexe
                     biologique chez l'Homme alors qu'une telle
                     différence existe chez les
                     chimpanzés et les bonobos. Le dominant
                     déclenche plus de bâillements chez
                     ses congénères de sa troupe que
                     les autres membres [22]. 
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Cette capacité mimétique
                     n'apparaît chez l'enfant qu'après
                     l'âge de trois ans. Cette maturation
                     neuropsychologique nécessaire
                     témoigne de l'acquisition de la
                     capacité d'inférer l'état
                     mental d'autrui, de façon automatique et
                     involontaire, c'est-à-dire d'activer les
                     circuits corticaux et sous corticaux
                     sous-tendant la théorie de l'esprit
                     [23,24]. 
 
                     
                     -  
 
                     
                     - Ces bâillements
                     répliqués sont un mode de
                     communication non verbal adapté à
                     une vie sociale en groupe des grands singes et
                     des éléphants. Dans ces deux cas,
                     le bâillement d'un gardien ou d'un cornac
                     peut enclencher le bâillement d'un
                     chimpanzé captif ou de
                     l'éléphant cornaqué
                     [25]. Le bâillement illustre ainsi
                     comment l'Évolution a pu recycler un
                     comportement, conservé morphologiquement
                     à l'identique, dans des fonctions
                     différentes.
 
                     
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