- Les auteurs qui ont écrit sur la
neurasthénie sont très brefs sur
les troubles respiratoires observés dans
cette névrose. A peine signalent-ils une
certaine sensation d'oppression, de la toux
nerveuse et l'asthme des foins. Il y a
là, à mon avis, une
véritable lacune et j'ai acquis, par de
nombreuses observations, la certitude que les
neurasthéniques éprouvent
fréquemment une dyspnée
singulière, d'ordre très
probablement psychique, s'accompagnant d'une
véritable angoisse et indépendante
de toute lésion pulmonaire, cardiaque ou
artérielle.
-
- Il s'agit là, bien certainement, d'un
symptôme accessoire, et je ne
prétends pas lui assigner l'importance
d'un stigmate, mais son existence habituelle et
la facilité de sa constatation lui
donnent une bonne place parmi les
phénomènes de second ordre. Il
n'est donc pas à dédaigner, en
raison surtout des souffrances morales dont il
est l'occasion chez un grand nombre de
malades.
-
- Il n'y a pas à invoquer, pour
expliquer son apparition, l'existence d'une
hystérie concomitante. La dyspnée
ou plutôt la tachypnée
hystérique, comme l'appelle très
justement M. Gilles
de la Tourette, existe sans
anxiété et sans douleur, se
manifeste par une constriction à la
gorge, suivie de bourdonnements d'oreilles ainsi
que de battements dans les tempes et se termine
par des pleurs. Rien de tout cela dans la
dyspnée neurasthénique.
-
- Le trouble en question est
caractérisé par une sensation
d'angoisse respiratoire avec soif d'air et
nécessité pour le malade de faire,
volontairement d'ailleurs, des inspirations
profondes, répétées,
entrecoupées parfois de
bâillements et provoquant à la
fin un état de fatigue douloureux des
muscles thoraciques. Il suffit au sujet
d'être distrait,de se livrer à un
travail pressant, à une lecture
obligatoire, pour être
débarrassé de cette obsession. Une
dame de 40 ans, chez qui j'observe ce
phénomène porté à
son apogée et qui en est très
affectée, a pu, il y a quelques semaines
à peine, éprouver un
allègement inespéré en
lisant quelques-unes de mes observations.
-
- Les circonstances qui donnent naissance
à ces petites crises sont variables, tel
névropathe, après l'ascension
rapide d'un escalier, éprouvera un
certain degré d'essoufflement,
bientôt suivi d'une sensation d'angoisse
respiratoire avec inspirations
répétées qui persistera
plusieurs heures.
- Un autre éprouve le même
phénomène par suite de la
réplétion gazeuse de l'estomac
après le repas, celui après une
petite crise de
- névralgie intercostale, tel autre
après la lecture dun chapitre de
pathólogie; il n'existe souvent aucune
cause appréciable. En
résumé, un trouble passager et de
minime importance met en jeu un état
dyspnéique qui sera prolongé
indéfiniment par l'obsession. Les
malades, d'un commun accord, se plaignent de ce
qu'ils appellent leurs crises
d'étouffement. La dyspnée des
chlorotiques est un peu de même nature,
mais elle est plus continue et beaucoup moins
angoissante. Les sujets distinguent aussi
très bien de cet état les
palpitations cardiaques qui existent quelquefois
parallèlement.
-
- Voici, d'après les détails que
je relève dans mes observations, la
physionomie de cette dyspnée :
après quelques moments d'affaissement
inexplicable, le malade est obligé de
s'asseoir; il a à peine la force de
parler, et il est bientôt après
assailli par une dypnée angoissante, une
veritable soif d'air qui le force à faire
des inspirations profondes. Tel autre est pris
fréquemment en se couchant d'une
espèce de bâillement suivi
d'une respiration angoissante et
douloureuse.
-
- J'ai constaté assez
fréquemment la production de ce
phénomène dans la
neurasthénie post-grippale. J'ai vu des
malades, des femmes plus
particulièrement, affolés
littéralement par la crainte d'une grave
affection du coeur. Sans compter que
l'énergie déployée dans ces
inspirations profondes occasionne une
véritable courbature des muscles du
thorax.
-
- Certains malades éprouvent de temps
en temps comme une commotion précordiale,
avec arrêt respiratoire, sensation
absolument analogue à celle que provoque
une douche froide.
-
- Une jeune fille de 21 ans, atteinte depuis
quelque temps de cette dyspnée
paroxystique, se croit atteinte d'une affection
cardiaque et est fort troublée par cet
état qui a surgi chez elle
inopinément à la vue de plusieurs
personnes atteintes de maladies cardiaques et
habitant comme elle la petite ville de M...,
dans l'Ariège. Sa tante, qui assiste
à la consultation, est convaincue que
cette espèce d'asthme est le produit de
son imagination.
-
- Je pourrais multiplier ces observations
à l'infini, car je considère ce
phénomème comme à peu
près constant dans la
neurasthénie. Je le recherche maintenant
systématiquement, mais le plus souvent
les malades s'en plaignent spontanément
.
-
- Les symptômes concomitants que je
relève dans mes notes sont toujours les
mêmes: céphalée. vertiges,
insomnie, névralgies intercostales,
dyspepsie, douleurs spinales, prurit
cutané, dermographisme, urticaire,
obsessions diverses, entéroptose, vertige
de Ménière, alcoolisme
léger chez certaines femmes du monde,
etc.
-
- La pathogénie de ce singulier
phénomène ne m'arrêtera pas
longtemps. Il ne s'agit très probablement
pas d'un trouble fonctionnel du bulbe
actionné par les réflexes divers
partant de l'estomac, du coeur, des nerfs
thoraciques ou de la muqueuse des bronches. Il
s'agit. plutôt, sans nul doute, d'une
hyperexcitabilité ou de quelque autre
désordre dynamique des neurones de la
substance corticale provoquant en dernier
ressort un état de phobie ou d'obsession
neurasthénique.
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