Résumé : L'empathie,
capacité à partager les
émotions avec autrui, est reconnue comme
un puissant moyen de communication
interindividuelle et l'un des
éléments clés dans la
relation thérapeutique. Elle est au
cur de la perspective humaniste en
psychologie clinique, qui est
généralement
considérée comme la moins
scientifique. L'approche naturaliste
développée dans cet article avance
l'idée que l'empathie repose surdes
mécanismes de traitement de l'information
qui ont été façonnés
au cours de l'évolution permettant une
communication implicite avec autrui et qui
seraient à la base de
l'intersubjectivité. Cette perspective
s'articule avec les théories de l'esprit
(théorie de la simulation et
théorie théorique) qui tentent de
rendre compte, chez l'homme, de la
capacité à comprendre les autres
comme des agents intentionnels,
c'est-à-dire dotés d'intentions,
de désirs et de croyances. Dans ce
contexte, l'empathie peut être
considérée comme un processus de
simulation nécessaire pour comprendre
autrui mais pas suffisant pour
interpréter son comportement.
Summary : Empathy is the ability to
share emotions with others. It is acknowledged
to be a powerful means of tacit communication, a
key ingredient in any therapeutic relationship
as well as in psychotherapy. Empathy is the
comerstone in the humanist perspective
(Ego-psychology) in clinicat psychology. This
approach is often considered as poorly grounded
on scientific and objective evidence. It is
however acknowledged that empathetic therapists
are more effective than less empathetic
therapists.I shall argue that this paradox, i.e.
it is the least scientific and the less
validated psychotherapeutic approach that is the
most efficient, can be eliminated if one
considers the nature of empathy, its biological
foundation, its evolutionary origin and its
cognitive architecture.
In this paper I will suggest that empathy is
based on specific information processing modules
which have been designed by natural selection to
cope with social regularities in expressing and
reading emotional states. This has provided
adaptive benefits to individuels living in large
groups bestowing them with mechanisms for
cooperativity, altruism and more generally
various aspects of prosocial behaviour. The
capacity to express emotions, and to read and
understandemotions of others also ensures
implicit communication with others and may be at
the root of intersubjectivity. This perspective
on empathy is then articulated with two
concurrent hypotheses regarding theory of mind
(the simulation and the theory-theory) which aim
to explain the human capacity to understand that
the behaviors of other intelligent agents are
caused by intentions, desires and beliefs. In
this context, empathy can be considered as a
simulation (or analogical) process that is
necessary to understand but not sufficient to
interpret other people. This last issue is
relevant to clinical practice.
L'empathie
est-elle une simulation mentale de la
subjectivité
d'autrui ?
L'empathie, définie comme la
capacité à se mettre à la
place d'une autre personne pour comprendre ses
sentiments, repose sur des systèmes
neurologiques que l'on commence à
comprendre. L'empathie n'implique pas seulement
une réponse affective
déclenchée par l'état
émotionnel d'autrui. Elle
nécessite également une
compréhension minimale des états
mentaux de cette personne.
Je proposerai, à partir d'arguments
théoriques [1, 2] et
expérimentaux [3-6], que
l'empathie est fondée sur notre
capacité à reconnaître
qu'autrui est semblable à soi mais sans
confusion entre soi-même et l'autre. Par
conséquent, une caractéristique
essentielle de l'empathie réside dans la
distinction entre soi et l'autre, et ce en
parallèle avec l'expérience d'un
partage affectif.
Je développerai l'idée que
l'empathie est une simulation mentale de la
subjectivité d'autrui. Cette simulation
est possible parce que nous possédons une
disposition innée à ressentir que
les autres personnes sont "comme nous" et parce
que nous développons rapidement au cours
de l'ontogenèse la capacité
à nous mettre mentalement à la
place d'autrui [7]. Deux composants
fondamentaux interagissent pour créer
l'empathie : d'une part, un composant de
résonance motrice dont le
déclenchement est le plus souvent
automatique et non intentionnel ; d'autre part,
la prise de perspective subjective de l'autre
qui est plus contrôlée et
intentionnelle. Le premier composant
apparaît en premier au cours du
développement et plonge ses racines dans
l'histoire évolutive de nos
ancêtres les primates non humains. Le
second est plus récent et semblerait
même être propre à
l'espèce humaine.
L'une des implications de ce modèle
est que l'on ne devrait pas parler d'empathie en
l'absence de l'un ou l'autre de ses
éléments, ce qui est tout à
fait possible car ils sont dissociables. On peut
aussi à partir de ce modèle,
prédire des troubles du comportement
social distincts selon que l'un ou l'autre des
composants est endommagé ou non
opérationnel.
Références
Decety, J. 2002. Le sens des autres ou les
fondements naturels de la sympathie. In :
Qu'est-ce que la vie psychique? Y. Michaud
(ed.), pp. 71-101. Paris: Editions Odile
Jacob.
Ruby, P. & Decety, J. 2001. Effect of
the subjective perspective taking during
simulation of action: a PET investigation of
agency. Nature Neuroscience, 4 : 546-550.
Ruby, P. & Decety, J. 2003. What do you
believe versus what do you think they believe? A
neuroimaging study of perspective taking at the
conceptual level. European Journal of
Neuroscience, in press.