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mise à jour du 13 mars 2002
 Acta Neurol Belg
1994;94(3):150-1
lexique
 
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Naturaliser l'empathie
Empathy naturalized
Jean Decety
Professeur à l'Université de Washington et Directeur du Laboratoire de Neurosciences Seattle Ð Etats-Unis
 
What imitation tells us about social cognition: a rapprochement between developmental psychology and cognitive neuroscience
Andrew N. Meltzoff & Jean Decety
Phil. Trans. R. Soc. Lond. B 2003; 358, 491-500
 
Empathy: Its ultimate and proximate bases
Preston SD, de Waal F
 
Empathy and contagion of yawning: a behavioral continuity related to a behavioral discontinuity
Deputte BL , Walusinski O
Neural mechanisms of empathy in humans: A relay from neural systems for imitation to limbic areas Laurie Carr, Marco Iacoboni

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Résumé : L'empathie, capacité à partager les émotions avec autrui, est reconnue comme un puissant moyen de communication interindividuelle et l'un des éléments clés dans la relation thérapeutique. Elle est au cœur de la perspective humaniste en psychologie clinique, qui est généralement considérée comme la moins scientifique. L'approche naturaliste développée dans cet article avance l'idée que l'empathie repose surdes mécanismes de traitement de l'information qui ont été façonnés au cours de l'évolution permettant une communication implicite avec autrui et qui seraient à la base de l'intersubjectivité. Cette perspective s'articule avec les théories de l'esprit (théorie de la simulation et théorie théorique) qui tentent de rendre compte, chez l'homme, de la capacité à comprendre les autres comme des agents intentionnels, c'est-à-dire dotés d'intentions, de désirs et de croyances. Dans ce contexte, l'empathie peut être considérée comme un processus de simulation nécessaire pour comprendre autrui mais pas suffisant pour interpréter son comportement.
 
Summary : Empathy is the ability to share emotions with others. It is acknowledged to be a powerful means of tacit communication, a key ingredient in any therapeutic relationship as well as in psychotherapy. Empathy is the comerstone in the humanist perspective (Ego-psychology) in clinicat psychology. This approach is often considered as poorly grounded on scientific and objective evidence. It is however acknowledged that empathetic therapists are more effective than less empathetic therapists.I shall argue that this paradox, i.e. it is the least scientific and the less validated psychotherapeutic approach that is the most efficient, can be eliminated if one considers the nature of empathy, its biological foundation, its evolutionary origin and its cognitive architecture.
In this paper I will suggest that empathy is based on specific information processing modules which have been designed by natural selection to cope with social regularities in expressing and reading emotional states. This has provided adaptive benefits to individuels living in large groups bestowing them with mechanisms for cooperativity, altruism and more generally various aspects of prosocial behaviour. The capacity to express emotions, and to read and understandemotions of others also ensures implicit communication with others and may be at the root of intersubjectivity. This perspective on empathy is then articulated with two concurrent hypotheses regarding theory of mind (the simulation and the theory-theory) which aim to explain the human capacity to understand that the behaviors of other intelligent agents are caused by intentions, desires and beliefs. In this context, empathy can be considered as a simulation (or analogical) process that is necessary to understand but not sufficient to interpret other people. This last issue is relevant to clinical practice.
L'empathie est-elle une simulation mentale de la subjectivité d'autrui ?

L'empathie, définie comme la capacité à se mettre à la place d'une autre personne pour comprendre ses sentiments, repose sur des systèmes neurologiques que l'on commence à comprendre. L'empathie n'implique pas seulement une réponse affective déclenchée par l'état émotionnel d'autrui. Elle nécessite également une compréhension minimale des états mentaux de cette personne.

Je proposerai, à partir d'arguments théoriques [1, 2] et expérimentaux [3-6], que l'empathie est fondée sur notre capacité à reconnaître qu'autrui est semblable à soi mais sans confusion entre soi-même et l'autre. Par conséquent, une caractéristique essentielle de l'empathie réside dans la distinction entre soi et l'autre, et ce en parallèle avec l'expérience d'un partage affectif.

Je développerai l'idée que l'empathie est une simulation mentale de la subjectivité d'autrui. Cette simulation est possible parce que nous possédons une disposition innée à ressentir que les autres personnes sont "comme nous" et parce que nous développons rapidement au cours de l'ontogenèse la capacité à nous mettre mentalement à la place d'autrui [7]. Deux composants fondamentaux interagissent pour créer l'empathie : d'une part, un composant de résonance motrice dont le déclenchement est le plus souvent automatique et non intentionnel ; d'autre part, la prise de perspective subjective de l'autre qui est plus contrôlée et intentionnelle. Le premier composant apparaît en premier au cours du développement et plonge ses racines dans l'histoire évolutive de nos ancêtres les primates non humains. Le second est plus récent et semblerait même être propre à l'espèce humaine.

L'une des implications de ce modèle est que l'on ne devrait pas parler d'empathie en l'absence de l'un ou l'autre de ses éléments, ce qui est tout à fait possible car ils sont dissociables. On peut aussi à partir de ce modèle, prédire des troubles du comportement social distincts selon que l'un ou l'autre des composants est endommagé ou non opérationnel.

Références

  1. Decety, J. 2002. Le sens des autres ou les fondements naturels de la sympathie. In : Qu'est-ce que la vie psychique? Y. Michaud (ed.), pp. 71-101. Paris: Editions Odile Jacob.
  2. Decety, J. 2002. Naturaliser l'empathie. L'Encéphale, 28 : 9-20.
  3. Decety, J. & Chaminade, T. 2003. Neural correlates of feeling sympathy. Neuropsychologia - Special issue on Social Cognition, 41(2) : 127-138.
  4. Decety, J. et al. 2002. A PET exploration of the neural mechanisms involved in reciprocal imitation. NeuroImage. 15 : 265-272.
  5. Ruby, P. & Decety, J. 2001. Effect of the subjective perspective taking during simulation of action: a PET investigation of agency. Nature Neuroscience, 4 : 546-550.
  6. Ruby, P. & Decety, J. 2003. What do you believe versus what do you think they believe? A neuroimaging study of perspective taking at the conceptual level. European Journal of Neuroscience, in press.
  7. Meltzoff, A.N. & Decety, J. 2003. What imitation tells us about social cognition: a rapprochement between developmental psychology and cognitive neuroscience. Philosophical Transactions of the Royal Society, London: Biological Sciences, 358: 491-500.