Les signaux échangés peuvent
appartenir à différentes
modalités sensorielles. Chez les
mammifères, ils peuvent être
visuels, auditifs, tactiles ou olfactifs. Un
signal est un évènement
différencié, de durée
brève (caractère phasique). Green
et Marler (1) soulignent que sa production
s'accompagne d'un changement d'état,
observable chez l'émetteur (mimiques
faciales, vocalisations, postures
particulières ... ). Le signal s'oppose
ainsi à l'« indice » qui, soit
se maintient tout au long de la vie de l'animal,
soit est strictement dépendant de
l'âge (caractère tonique : couleur
du pelage, bruit produit par la locomotion ...
). Le terme de « communication » ne
recouvre que l'échange de signaux. Les
« indices » ne représentent que
des composantes contextuelles ou secondaires.
Ils n'interviennent que dans une «
communication passive » (2). Au cours de
l'évolution, un comportement «
ordinaire » peut donner naissance à
un comportement « informatif »
(signal), par le biais de la «
ritualisation ». Le signal se distingue du
comportement originel par une plus grande
stéréotypie dans son expression et
par une liaison plus étroite avec un
contexte déterminé. Cette faible
variabilité permet au récepteur
une meilleure prédiction du comportement
à venir de son partenaire et lui permet
de produire d'emblée la réponse la
plus adaptée.
Un émetteur produit
généralement,
simultanément, plusieurs signaux
appartenant à des canaux
différents (par exemple, un signal sonore
et un signal optique).
Chaque signal véhicule un certain
nombre d'informations qui sont communes à
celles transmises par un autre signal. Cette
redondance des signaux, associée à
la présence d'éléments
contextuels (indices), constitue un immense
potentiel informatif. La durée d'un
signal peut être prolongée par sa
répétition ou par son
incorporation dans une séquence complexe
dont l'enchaînement peut être
modifié ou non par la réponse d'un
ou plusieurs congénères. Quant aux
signaux chimiques, ils présentent la
particularité de pouvoir être
perçus longtemps après leur
émission : c'est le cas de la
défécation des Ongulés, de
la miction des carnivores et de certains
primates. La portée d'un signal varie
avec le canai qui les véhiculent et avec
le milieu dans lequel il est émis. Les
signaux visuels sont mieux adaptés aux
échanges en milieu ouvert ou/et à
courte distance, les signaux sonores en milieu
fermé,et/ou à longue distance. Le
nombre et le degré de
spécialisation des signaux communicatifs
dépendent du degré
d'évolution des espèces et de
l'environnement physique dans lequel les
espèces ont évolué. Par
exemple, les singes forestiers mâles
adultes possèdent un répertoire de
communication sonore moins diversifié,
plus spécialisé que celui
d'espèces de même degré
évolutif vivant en milieu ouvert
(savane), et si le répertoire sonore des
mâles cercopithèques forestiers
tend à se spécialiser au cours de
leurs développements, celui des
mâles chimpanzés (espèce
plus évoluée) reste aussi
diversifié quel que soit l'âge. La
production d'un signal peut être
liée à une stimulation externe
provenant soit du milieu soit des
congénères. Elle peut aussi
dépendre plus directement de
l'émetteur luimême, de son
état hormonal ou/et de. son niveau
d'éveil (cas des signaux liés au
comportement sexuel). Les vocalisations des
mâles cercopithèques en sont une
illustration. Elles apparaissent «
brutalement » dans le répertoire de
ces individus à leur maturité
sexuelle. De plus, chez certaines
espèces, ces vocalisations ne sont
émises que si le mâle a atteint sa
maturité sexuelle et qu'il est le
mâle « alpha » (dominant) (il
peut en effet exister une véritable
inhibition psychologique de l'émission
des signaux sonores).
Comment étudie-t-on la
communication chez les animaux ?
Jusqu'à une époque
récente, la plupart des travaux portait
sur la description des signaux et sur la
constitution de catalogues où l'aspect
fonctionnel était seulement
envisagé. D'autres études avaient
pour objet l'enchaînement des
séquences de signaux au cours
d'interactions. Ces dernières
années, les recherches sur la
communication se focalisent sur l'aspect
fonctionnel des signaux. On analyse alors plus
particulièrement les réponses des
individus à un signal donné. Une
approche expérimentale consiste à
présenter un signal soit « naturel
» soit synthétique, entier, ou
découpé en ses composantes
élémentaires. Elle permet
d'évaluer l'ensemble de la valeur
sémantique d'un signal, ses
caractéristiques individuelles ou
dialectales et sa valeur adaptative dans la vie
de l'espèce. Cette méthode est
utilisée aussi bien en laboratoire que
sur le terrain. Au laboratoire, elle permet
d'analyser les capacités perceptives des
animaux (par exemple, les capacités de
localisation des signaux) ou de rechercher les
modalités de traitement d'un signal,Pour
savoir par exemple, si les primates
infra-humains traitent les signaux sonores
spécifiques de la même
manière que l'homme traite les
informations du langage parlé (3, 4).
Le problème particulier des
primates
Comme nous l'avons signalé plus haut
chez les primates, espèces hautement
sociales, l'échange d'informations
atteint un haut degré de
spécialisation et de diversité. Si
toutes les modalités sensorielles sont
utilisées, ce sont
généralement les signaux visuels
et sonores qui prédominent
(particulièrement chez les Simiens).
Toutefois, on peut penser qu'en
général, l'importance des
informations olfactives est souvent
sous-estimée. Celà provient du
fait que, mis à part les Prosimiens et
certains Platyrrhiniens (singes
sud-américains), il n'y a pas de
spécialisation anatomique dans la
production des signaux chimiques. On doit donc
les considérer comme des indices. Ils
possèdent une valeur hautement
individuelle et informent sur l'état
émotionnel et sexuel de l'individu. Ces
informations sont acquises par de simples
fiairages ou associés à des
postures plus ou moins
spécialisées où des signaux
tactiles, olfactifs et sonores sont
échangés. Cette
multimodalité est un des traits de la
communication à courte distance au sein
d'un groupe social.
Le nombre et la complexité des
expressions faciales, considérés
comme les plus différenciés des
signaux visuels, croissent avec le degré
d'évolution des espèces. Comme
pour les vocalisations, ces mimiques faciales
sont plus diversifiées chez les
espèces de milieu « ouvert »
(savane) que chez celles de milieu «
fermé » (forêt). Une mimique
faciale, le baîllernent, présente
un « statut » ambigu. De nombreux
auteurs en font une menace « intense »
dans la mesure oÙ au cours du baillement,
les mâles adultes « montrent n leurs
canines, généralement très
développées. Ils
considèrent que, pour ces espèces
essentiellement frugivores ou folivores et
exceptionnellement carnivores, « montrer
ses canines » doit être une «
exhibition » des armes potentielles (fig.
3). A l'inverse, d'autres auteurs ne font pas du
baffiernent une mimique faciale.
Chez les Macaques à longue queue et
chez les Mangabeys à joues blanches, nous
avons pu montrer que le bafflement ne
possédait qu'une valeur secondaire de
signal, c'est-à-dire qu'il n'a pas de
valeur communicative en soi. Celle-ci ne lui est
conférée que parce qu'il
apparaît après un certain nombre
d'autres signaux, comme les comportements
locomoteurs bruyants et qu'il est lié au
statut de mâle « alpha ». On a
pu ainsi distinguer deux types de
baîllements selon leur contexte
d'apparition : le baffiernent
d'inactivité lié aux situations de
sommeil et de repos (il est commun à
toutes les classes d'âge et aux deux
sexes, mais est plus fréquent chez les
mâles), et le baîllement
d'émotivité lié aux
interactions sociales (il caractérise les
mâles adultes « alpha »). Dans
les deux cas, il apparaît comme lié
aux mécanismes régulateurs des
niveaux de vigilance. Il ne donne lieu, chez les
deux espèces étudiées,
à aucune contagion comme celà
existe chez l'homme.
Une technique nouvelle pour l'étude
de la communication sonore : la
biotélémétrie
En forêt équatoriale, le canal
acoustique est un canal privilégié
pour communiquer dans un milieu optiquement
encombré. Les signaux sonores ne servent
pas tous à la communication à
distance, et de nombreuses vocalisations
participent au maintien de la cohésion du
groupe social. La richesse des échanges
vocaux au sein d'une unité sociale, leur
brièveté, le fait qu'ils soient
produits le plus souvent sans modification
apparente de l'aspect de la face, nous a conduit
à envisager un système
d'enregistrement individuel des vocalisations
par télémétrie (5).
Cette technique a été mise au
point, non seulement pour analyser de
manière exhaustive, l'activité
vocale d'un groupe, mais plus encore pour
rechercher l'organisation des échanges
interindividuels. Chaque individu d'un groupe
est équipé d'un harnais comprenant
un collier avec un microphone plaqué sur
le larynx, et le harnais proprement dit
comprenant un émetteur VHF-FM et les
piles de l'alimentation (fig. 4). Cet
équipement est bien toléré
et peut être porté plus d'un mois.
A chaque émetteur FM, donc à
chaque individu, est attribué une'
fréquence particulière et un
récepteur calé sur cette
fréquence. Les récepteurs sont
reliés à un magnétophone
multipiste (fig. 5) qui assure l'enregistrement
synchrone sur toutes les pistes. L'analyse se
fait après transcription de la bande
sonore sur un enregistreur graphique. Au cours
de la transcription, les types vocaux et les
différents bruits sont
identifiés.
Le groupe captif étudié est
composé d'une femelle adulte,
Cercopithecus ascanius, d'un mâle adulte,
Cercopithecus pogonias, et de leurs quatre
enfants, deux mâles et deux femelles (fig.
6). Le mâle adulte présente non
seulement la plus faible activité vocale
lors des activités de «'routine
» du groupe, mais de plus sa participation
est la moins impliquée dans les
interactions vocales. Toutefois, il a des
échanges vocaux privilégiés
avec la femelle adulte. A l'opposé, les
vocalisations de la femelle adulte sont les plus
susceptibles d'induire des réponses de la
part de ses enfants. Enfin, ceux-ci communiquent
plus entre eux qu'avec les autres membres du
groupe.
Dans un contexte d'alarme, tous les cris
émis apparaissent hautement contagieux.
Les vocalisations des adultes et de la femelle
sub-adulte provoquent plus de réponses
que celles émises par les individus les
plus jeunes. Le schéma d'interactions
vocales, mis en évidence lors des
conditions de vie « ordinaire » du
groupe, ne se retrouve pas dans les situations
d'alarme, tous les individus se « mettent
en état » d'alerte, sans tenir
compte des liens privilégiés. Les
vocalisations d'alarme ne semblent donc pas
avoir de valeur sociale de communication, ni
d'effet organisateur au sein de l'unité
sociale. Ils n'interviennent que pour permettre
à tous les individus d'être en
état de répondre de manière
adéquate à un danger
extérieur.
Quand le singe grandit, les
systèmes de communication
s'organisent
Le fait qu'un jeune singe grandisse au sein
d'un groupe social organisé,
confère une importance fondamentale au
développement du comportement social et
des systèmes de communication qui le
sous-tendent. D'une manière
générale, quel que soit le canai
de communication envisagé, on trouve des
signaux spécifiques des stades
précoces du développement.
D'autres signaux se modifient pour atteindre
leurs caractéristiques à
l'âge adulte, d'autres apparaissent
précocement sous leur « forme adulte
», - seul le contexte fonctionnel
diffère, - d'autres enfin, absents chez
le jeune, apparaissent « brutalement »
à un certain stade de maturité
hormonale et/ou sociale.
Le système de communication sonore
subit, à lui seul, ces différentes
modifications. Précocement, le jeune
émet essentiellement vis-à-vis de
sa mère des vocalisations «
d'inconfort » ou de « blotissement
». Celles-ci induisent chez la mère
un rétablissement du contact. Ces
vocalisations atteignent une fréquence
maximum au moment du « sevrage »,
époque au cours de laquelle la
mère « ignore » les
vocalisations du jeune.
Généralement, ce type de
vocalisations, soit disparaît du
répertoire sonore adulte, soit se modifie
au cours de la maturation en vocalisations de
« contact » (pour les vocalisations de
blotissement ou de recherche de contact), soit
en vocalisations d'alarme ou de fuite (pour les
vocalisations d'inconfort).
La plupart des postures manifestées
dans la communication posturo-tactile (voire
olfactive) chez les Mangabeys à joues
blanches, sont issues des comportements de
transport et de « ramener » du jeune
en position ventro-ventrale, normale ou
inversée (« transporteur » et
jeune sont alors tête-bêche). Tous
ces types de contact subsistent chez les adultes
(plus particulièrement chez les
femelles). Ils ne possèdent plus alors
leur fonction de transport ou de protection. Ils
sont de durée brève et leur
initiation est soit réciproque soit
univoque, selon la qualité de la relation
qui lie les deux protagonistes et ils ne
dépendent plus de la différence
d'âge... et de taille (fig. 2).
Le canal visuel présente, chez cette
espèce, peu de signaux
différenciés, mais comme
chertoutes les autres espèces, un grand
nombre d'« indices ». L'attention
sociale, révélée par le
comportement visuel adressé aux membres
du groupe, est un processus univoque
d'acquisition et de stockage d'informations en
dehors des interactions proprement dites.
L'« attention » qu'un jeune porte
à ses congénères et
à la vie du groupe en
général, participe à un
apprentissage par observation des comportements
communicatifs, alimentaires, etc., et des
relations qui lient entre eux les autres membres
du groupe (fig. 7). L'attention sociale
constitue un préalable à tous les
types d'interactions sociales et est un
élément central dans leur
déroulement.
L'importance d'appréhender les
relations entre les individus, quel que soit
leur niveau de sociabilité, fait que
l'étude de la communication est une des
préoccupations centrales de
l'éthologie. Comprendre le fonctionnement
des systèmes de communication permet
d'analyser les relations interindividuelles, la
dynamique des structures sociales (famille,
groupe, colonie), ainsi que leurs «
réponses » aux contraintes de
l'environnement. C'est vers ce but que
s'orientent les recherches sur la communication.
Au niveau de l'individu, la technique
biotélémétrique ouvre des
perspectives nouvelles vers l'acquisition
simultanée des vocalisations et de
paramètres physiologiques, liés
à l'émotion, qui permettrait de
mieux cerner, cette fois, le niveau causal de la
communication.
BIBLIOGRAPHIE