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- Les recherches effectuées par
Béatrice Delaurenti portent sur les
relations entre religion, science et magie
à l'époque médiévale
sous l'angle d'une histoire intellectuelle de
l'action à distance. Elle étudie
les discussions médiévales
relatives au pouvoir de l'imagination et aux
notions de sympathie et de compassion, comprises
dans le sens d'une imitation à distance
du comportement d'autrui.
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Beatrice Delaurenti publie, en janvier 2016,
dans la collection des Classiques Garnier un
ouvrage savant : « La contagion des
émotions, Compassio, une énigme
médiévale ». Pour
simplifier le cheminement, ce texte est
l'aboutissement d'un long travail de recherche
débuté avant 2006, à
l'Université de Louvain, dont est
déjà issu cet article : «
Jalons pour une histoire de la compassio.
Controverses philosophiques et
théologiques sur la contagion
du bâillement dans les
commentaires aux 'Problèmes' d'Aristote
au XIVe siècle » (Recherches de
Théologie et Philosophie
médiévales 2012;79(1):149-194)
.
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- Il y a sept siècles, la
réplication, alias contagion, du
bâillement suscitait de savantes
controverses et stimulait le raisonnement
scientifique. Le latin médiéval
utilise le mot « Compassio »
afin de désigner la contagion des
émotions, dans deux sens
différents : soit l'empathie actuelle,
soit éprouver ensemble une passion (c'est
l'étymologie même de compassio). En
effet, les textes de l'époque scolastique
(on désigne par époque
scolastique la fin de la période
médiévale, qui commence au
début du XIIIe siècle avec la
formation des premières
universités, et qui s'achève
à la fin du XVe siècle avec
l'invention de l'imprimerie et la Renaissance.
L'expression désigne une période
pendant laquelle les universités et les
universitaires sont florissants) n'utilisent
pas le mot émotion mais passion. «
Une passio est un état passif du corps
ou de l'âme répondant à un
principe de sympathie », c'est à
dire un mimétisme comportemental
involontaire auquel s'associe un langage non
verbal. L'auteur se range à l'avis
actuellement accepté que les
émotions participent à la
communication et sont «pleinement
façonnées par la culture et le
contexte». Aussi, voit-elle l'objet
'compassio' «comme le miroir des
préoccupations d'une
société», c'est à
dire comme une manière de connaître
la conception du monde, produit d'une
époque et d'un mode de penser, ici, pour
son étude, le Moyen-Âge. Ce sont,
en effet, les discours médiévaux
sur la compassion, la balance dialectique entre
volonté et passions, plaisir et
désir qui sont l'objet de ce livre
à la lecture ardue.
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- En cette époque
médiévale, les savants discutent,
le plus fréquemment en latin, de comment
certaines 'passions', nos émotions du
XXIe siècle, peuvent se transmettre
à distance, de façon
imprévisible, instantanée.
L'énigme est double. En premier, comment
s'imbrique le corps et l'âme, c'est
à dire comme le psychisme agit sur le
corps. En second, comment une relation humaine,
aussi intime, peut-elle témoigner d'une
action à distance, d'un individu à
un individu.
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- La première partie du livre est
centrée sur la traduction des 'Problemata
physica' attribués à Aristote. Les
commentateurs ou les traducteurs et leurs
écrits sont présentés :
Barthélémy de Messine dans les
années 1260, puis Pietro d'Albano vers
1310, Jean de Spello (qui définit,
en1355, le bâillement comme un acte
d'expulsion d'un souffle bloqué dans la
mâchoire) et Evrart de Conty vers 1400
sans négliger les auteurs arabes tel
Al-Kindi de Bagdad au IXe siècle.
L'ouvrage prend également en compte
l'influence de certains auteurs arabes comme
al-Kindi ou Avicenne sur les penseurs du monde
latin.
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- Quatre formes de compassion sont
analysées : la souffrance à
distance, la contagion du bâillement, le
frisson de compassion et la contagion des
maladies. La seconde partie évoque ces
penseurs médiévaux, les extensions
des concepts à d'autres champs culturels
en suivant les écrits des maîtres
par exemple ceux de l'Ecole de Salerne au XIIe
siècle, puis Galien et Avicenne et qui
seront les sources de références
des médecins jusqu'au XVIe
siècle.
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- Le plus impressionnant est de constater que
les questions posées aux neurosciences
actuelles sont de tenter de répondre aux
mêmes questions que celles posées
voici sept siècles ! Mais l'imagination
sans limite des anciens semblent
incomparablement plus riche et facétieuse
que les articles des psychologues actuels.
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- Beatrice Delaurenti.
La contagion des émotions, Compassio, une
énigme médiévale.
- Paris : Classiques
Garnier « Savoirs anciens et
médiévaux ». 2016.
- ISBN
978-2-8124-5056-3
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Évrart de Conty
(1330?-1405)
- Originaire d'Amiens, membre de la
Faculté de Médecine de Paris
(maître régent de 1353 à
1405), médecin de Charles V, roi de
France, et de Blanche de Navarre, veuve de
Philippe VI, Évrart de Conty (1330?-1405)
est l'auteur de trois uvres à
caractère encyclopédique, qui
toutes trois s'articulent entre elles et
multiplient les emprunts d'une à l'autre:
le Livre des problèmes, traduction et
commentaire des Problemata
pseudo-aristotéliciens (comptant
près de 500 folios dans la copie
autographe); les Eschés amoureux,
poème allégorique de plus de 30000
vers récrivant le Roman de la Rose, et
leur commentaire en prose, le Livre des Eschez
amoureux moralisés (352 folios) : «
Quant on voit aucun baaillier, on baaille
samblablement aussi aucune fois, mais non mie
tousdis, et c'est quant li cors est a ce
disposés et la matere preste, pour la
mémoire et pour l'ymagination qui les
autres vertus esmouvent qui sont desoubs elles,
et lor commandent, comme il fu dit devant
». Son interprétation est toute
entière construite autour de
l'imagination. L'homme qui regarde quelqu'un
bâiller se remémore le soulagement
que procure le bâillement et imagine le
profit qu'il pourrait en tirer : « pource
dont avient il, quant aucuns baaille ou ha
baailié et li autres s'en recorde, qu'il
ymagine lors, espoir, et pense aussi comme
soubdainnement que nature le fait en celi qui
baaille pour son pourfit et que c'est bon de
faire le samblable, et pource en est il
esmeûs aucune fois et sambablement aussi
baaille ».
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Jean de
Spello
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- Jean de Spello, médecin de
Pérouse : « bâiller
surviendrait en réaction à une
gêne pour débarrasser le corps d'un
élément qui perturbe son
fonctionnement ; la faculté expulsive
n'est mise en mouvement qu'une fois la nuisance
perçue, et cette nuisance est
perçue sous l'effet de la
remémoration qui se fait à partir
d'un semblable ».
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Pietro d'Abano
(1250-1316)
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- Pietro d'Abano (1250-1316), né
à Abano Terme près de Padoue, en
Vénétie, est un médecin,
philosophe et astrologue italien du
Moyen-Âge. Il s'intéresse à
la distinction entre les mouvements 'naturels'
(involontaires) et les mouvements volontaires.
Cela l'amène à distinguer les
bâillements qui sont contagieux alors que
les étirements ne le sont pas : «
il faut dire qu'il n'y a pas de ressemblance
entre le bâillement et l'extension des
mains et des pieds, puisque ce sont les
opérations de facultés
différentes visant tel ou tel but
distinct : bâiller, uriner et les autres
choses du même genre sont plutôt des
opérations de la faculté
naturelle, surtout bâiller, alors
qu'étendre les mains ou les pieds sont
plutôt des opérations de la
faculté animale ».
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