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les articles sur la contagion du
bâillement
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articles about contagious
yawning
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- L'explication
de la contagion du bâillement au
Moyen-Âge
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- Le phénomène de la contagion
du bâillement touche aux limites de
l'explication scientifique. Il interroge
aujourd'hui les biologistes et les
spécialistes des neurosciences et fait le
miel d'ouvrages de vulgarisation à
succès, comme le best-seller de Francesca
Gould Pourquoi bâiller fait
bâiller.
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- Dans le même temps, sociologues et
historiens du monde contemporain enquêtent
sur la souffrance à distance, l'empathie,
le « concernement ». Nous ne sommes
pourtant pas les premiers à nous
interroger sur cette étrange
transmission. Au Moyen Age, déjà,
l'imitation spontanée du bâillement
intriguait les savants. Ils l'inscrivaient dans
une galaxie de situation comparables que
certains philosophes et médecins ont
rassemblées sous le terme de «
compassion ».
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- Le cas du bâillement
représentait pour eux l'exemple par
excellence de ce phénomène. Le
sens courant de « compassion » est le
même au Moyen Age qu'aujourd'hui : un
élan de commisération, une
solidarité dans la douleur, la
capacité à souffrir avec autrui.
Mais le mot a aussi un sens plus large dans le
latin médiéval, comme l'indique
l'étymologie, com-passio est le
d'éprouver ensemble une passion. La
passio désigne toute forme d'affection
subie, ce que l'on elle aujourd'hui
émotion. La compassion est donc une
émotion reçue en partage, une
réaction psychique ou corporelle
provoquée par un mouvement
extérieur et consistant en une imitation
involontaire de ce mouvement.
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- Pour les auteurs médiévaux, le
bâillement contagieux et les exemples
apparentés incarnent aspect
inexpliqué des relations humaines qu'il
s'agit d'éclairer par la raison. Comment
une passion peut-elle se transmettre sans le
moindre contact entre les personnes ? Quels sont
les effets physiques de la perception
sensorielle ? Quel est le rôle de
l'âme dans cette interaction ? Leurs
réponses apportent un éclairage
vif sur la culture savante du Moyen Age.
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- « Pourquoi, en présence de gens
qui bâillent, bâille-t-on
également de manière
répétée ? » La
question est posée par Aristote dans la
section VII des Problèmes, compilation de
textes originaux, d'écrits hippocratiques
et de textes postérieurs,
assemblés entre le Ier et le Ve
siècle de notre ère. La section
VII comprend quatre problèmes sur la
contagion du bâillement ou de l'envie
d'uriner, un sur le frisson, un sur la
souffrance à distance, deux sur la
contagion des maladies, le tout rassemblé
sous le titre De la sympathie.
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- Vers 1310, le médecin et philosophe
Pietro d'Abano compose le premier commentaire
intégral des Problèmes, en
utilisant la traduction latine effectuée,
dans les années 1260, à la cour du
roi Manfred de Sicile, par
Barthélémy de Messine. Le texte de
Pietro d'Abano fait des émules : au cours
du XIVe siècle cinq nouveaux commentaires
sont réalisés - quatre en latin,
un en français. Dans la version latine,
l'intitulé de la section VII est devenu
De la compassion. La notion grecque initiale de
« sympathie » s'est enrichie au
passage de résonances
spécifiquement chrétiennes pour
former la matrice d'un questionnement
philosophique et médical propre à
l'époque médiévale.
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- Pour le commentateur médiéval
d'Aristote, la compassion prend
différentes formes. Elle peut consister
en un mouvement de l'âme : c'est la «
condouleur », cette douleur psychologique
que l'on ressent lorsque l'on est témoin
de la souffrance physique endurée par une
autre personne. Pietro d'Abano l'explique de
manière imagée :
- « Si nous avons vu quelqu'un être
incisé et coupé par un objet
aiguisé, comme cela arrive dans les actes
de chirurgie ou les châtiments corporels,
ou brûlé par le feu comme dans les
tortures et les cautérisations, ou
contusionné comme lorsque quelqu'un est
lapidé ou écrasé entre les
deux surfaces planes de corps durs, ou bien,
plus généralement, lorsque
quelqu'un subit des choses dangereuses et
effroyables, comme d'être mutilé,
blessé, jeté d'une hauteur etc.,
nous souffrons en esprit. »
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- Mais, le plus souvent, la compassion vient
du corps. Tantôt elle est l'imitation
involontaire d'un mouvement observé chez
l'autre et qui provoque le soulagement : l'envie
de bâiller, d'uriner, le désir
sexuel, l'appétit de nourriture, se
transmettent à celui qui les observe.
Tantôt elle est un mouvement physique
d'horripilation qui reproduit, toujours
involontairement, une sensation
déplaisante : c'est le cas des frissons
provoqués par un son perçant, un
goût acide, par le spectacle d'un autre
réagissant à ces sensations. Dans
cette catégorie, un commentateur anonyme
mentionne « le grincement de la scie, des
dents et des roues des chars » ; Pietro
d'Abano évoque « nos dents qui se
congèlent et deviennent insensibles quand
nous avons regardé avec attention des
gens qui mangent des choses acides ».
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- Tantôt, enfin, la compassion est une
affection corporelle transmise par une personne
malade à une personne saine par la voie
du regard, du souffle ou du contact physique.
« Pourquoi certaines maladies rendent-elles
malades ceux qui s'approchent, alors que
personne n'est guéri par la santé
? » demande Aristote (Problèmes VII,
4). Il énumère des affections
contagieuses et d'autres qui ne le sont pas. Ses
questions ont amené les commentateurs
médiévaux à
réfléchir à l'articulation
entre transmission des maladies et
compassion.
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- Revivre une sensation
- Décrire le phénomène ne
suffit pas. Les commentateurs des
Problèmes entendent aussi en
déceler les causes. Partant des
suggestions d'Aristote, ils avancent trois
manières de comprendre la contagion
émotionnelle. Le premier modèle
est philosophique. Il met en avant l'idée
d'une concordance naturelle qui unirait tous les
hommes et rendrait possible la participation des
uns au comportement des autres. La souffrance
partagée par deux individus prend une
dimension universelle, voire cosmique. Elle
n'est pas expliquée par le biais de
traits individuels mais par un statut commun a
tous les hommes, une connivence entre les
vivants qui seule rend possible le transfert des
comportements. L'homme est un microcosme
plongé dans le macrocosme. Il
perçoit les vibrations d'un monde
d'échanges, de correspondances et
d'harmonies. Ce phénomène banal de
la contagion du bâillement invite ainsi
à méditer sur l'écart entre
l'humain et l'animal. Il s'intègre
à un système de
représentation du monde qui en rend
compte et le justifie.
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- Le deuxième modèle
d'explication est physiologique. Les
commentateurs mettent en évidence la
mobilité des flux corporels à
l'intérieur du corps : des fumées,
des vapeurs et des esprits circulent. Le
souffle, qui est une matière «
rapide et facile à mettre en mouvement
», est prompt à sortir. On
bâille facilement, pour autant qu'il y ait
un élément déclencheur.
Cela peut être la perception d'une
ressemblance avec autrui, ou encore le souvenir
du plaisir éprouvé à
bâiller. Les facultés de
l'âme, ses sens internes, jouent un
rôle dans le processus - en particulier
l'imagination. Lorsqu'une personne voit
quelqu'un d'autre bâiller elle revit cette
sensation. Son imagination réactive les
impressions sensibles qu'elle avait
stockées, ce qui produit un effet sur son
corps et l'incite à bâiller
à son tour. Les commentateurs
s'intéressent aussi aux sens externes :
la vue, expliquent-ils, est capable de Prendre
le relais des autres sens et de concentrer en
l'âme une série d'impressions
sensorielles de diverses natures. Voilà
pourquoi on frissonne en voyant une craie qui
crisse, même si l'on n'entend pas le son
qu'elle produit. Le troisième
modèle explicatif est médical, il
Applique spécifiquement aux maladies
contagieuses. La transmission du mal est
notamment due à l'air, qui transporte
l'infection d'une personne à une
autre.
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- Ces explications variées se
rejoignent sur deux points : la ressemblance et
l'imagination. La ressemblance joue un
rôle essentiel dans toutes les situations
de compassion. Dans certains cas, elle
intervient en amont du processus. Il existe un
lien antérieur, une connivence entre les
êtres vivants, qui fait le terreau de la
compassion : « Ce qui est semblable
compatit naturellement envers ce qui est
semblable » (Pietro d'Abano). Dans d'autres
cas la ressemblance est un outil dont use
involontairement l'observateur gagné par
la compassion. Elle lui sert de critère
pour comparer ce qui est perçu à
l'extérieur et ce qui est stocké
dans sa mémoire. Comme l'indique, en
1355, le médecin Jean de Spello,
l'observateur se remémore « à
partir du semblable ». Il se souvient que
le bâillement lui avait permis d'expulser
des éléments nuisibles, et ce
souvenir l'incite à bâiller
à son tour.
- L'autre trait commun des explications
concerne le pouvoir de l'imagination. Vers 1380,
le médecin et poète Évrart
de Conty résume d'une phrase l'importance
de cette faculté de l'âme : «
L'imagination est dame des autres vertus et leur
commande en moult de cas. » En plus de sa
prééminence parmi les sens
internes, l'imagination est capable d'induire
des mouvements corporels. Sa position est
centrale à la fois pour l'articulation du
corps et de l'âme et pour le branchement
de l'homme sur le monde extérieur. Tous
les mouvements de compassion dépendent,
d'une manière ou d'une autre, de
l'activité de l'imagination. Elle est la
clé qui permet de comprendre comment un
être vivant peut être mis en
mouvement par les émotions d'un autre.
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- La notion de « compassion » a
connu un succès inégal
auprès des savants
médiévaux. Elle a
été proposée et largement
utilisée par les commentateurs des
Problèmes d'Aristote. Ces médecins
ou philosophes ont vécu en Angleterre, en
Allemagne, en France et en Italie. Ils venaient
de différents milieux culturels et
parlaient des langues différentes. Leur
diversité atteste la large diffusion de
cet emploi du mot en Europe au XIVe
siècle.
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- Des thérapies spécifiques
- Pour autant, cette tradition n'a pas fait
école. L'innovation lexicale de Pietro
d'Abano et de ses successeurs, leurs efforts
communs pour faire de la compassion une
catégorie analytique des comportements
humains sont demeurés ignorés.
L'histoire de la notion de compassion, au Moyen
Age, est celle d'un désaveu. Est-ce
à dire que la contagion du
bâillement était une
préoccupation excentrique pour
l'époque ? L'intérêt pour ce
phénomène est-il resté
cantonné aux réflexions d'un
groupe restreint d'auteurs rassemblés par
la lecture d'un texte unique? Certainement pas.
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- Entre le XIIe et le XVe siècle
d'autres médecins ont également
étudié les mécanismes de
contagion émotionnelle en dehors du cadre
des Problèmes, sans reprendre à
leur compte la catégorie de «
compassion ». Ils ont associé le
bâillement à des exemples qui
n'étaient pas chez Aristote : voir
quelqu'un manger un mets acide provoque
l'agacement des dents ; l'imagination maternelle
imprime sa marque sur le corps de l'enfant ; le
flux de sang augmente quand on regarde
attentivement une chose rouge ; en cas de
jaunisse l'excès de bile jaune est
purgé par l'observation de choses jaunes.
Ces constations ont conduit des praticiens
à prooser à leurs atients des
thérapies spécifiques
fondées sur un principe de sympathie.
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- Jacques de Forli, maître en
médecine à l'université de
Padoue dans les années 1400-1414,
recommande ainsi d'envelopper les femmes
souffrant de la rougeole et les enfants malades
de la variole dans un tissu rouge, ou encore de
les installer dans une maison peinte en rouge.
L'immersion dans la couleur rouge,
explique-t-il, stimulera l'imagination. Celle-ci
mettra en mouvement les esprits et la chaleur du
corps, et permettra au malade d'expulser les
matières rouges malsaines qui sont
à l'origine de son mal.
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- L'exemple du bâillement a ainsi servi
de creuset pour réfléchir à
la manière dont les émotions se
transmettent d'un homme à l'autre et de
l'âme au corps. Les intellectuels
médiévaux étaient
très conscients des effets puissants des
passions humaines, qu'ils supposaient à
la fois actives au sein du combiné
âme/corps et en interaction avec le monde
extérieur. Leurs interprétations
sont évocatrices aussi pour le monde
actuel, car elles font de l'homme un être
à la fois singulier et connecté
avec ses semblables, dans son âme et dans
son corps.
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