Le
dysfonctionnement néonatal isolé
du tronc
cérébral
V Abadie, G Chéron, S
Lyonnet, P Hubert, MP Morisseau-Durand, D Jan, Y
Manac'h, G Couly
Départ
pédiatrie, clinique chirurgicale
infantile, s d'ORL et s chirurgie
maxillo-faciale
Hôpital
Necker-Enfants Malades, 149. rue de
Sèvres, 75743 Paris cedex
15
Les difficultés de
succion-déglutition du nourrisson peuvent
être secondaires à des causes
variées, mécaniques,
neuromusculaires ou cardiorespiratoires. Dans
d'autres cas, elles apparaissent comme
primitives, qu'elles soient dues à une
atteinte du tronc cérébral et/ou
du cortex intégrée à un
ensemble malformatif, ou qu'il s'agisse d'un
défaut isolé de maturation du
tronc cérébral.
Le dysfonctionnement néonatal du
tronc cérébral (DNTC) se
traduit par un ensemble de symptômes
témoignant d'un défaut
d'organisation embryonnaire de la
succion-déglutition- ventilation. Il
associe une dysoralité, une
dysmotricité
glosso-pharyngo-sophagienne et
laryngée, ainsi qu'une
dysrégulation du rythme cardiaque.
La dysoralité est un trouble de la
succion-déglutition qui se traduit par
une succion absente ou trop lente, responsable
d'ingesta insuffisants, de fausses routes ou de
malaises au biberon. La dysmotricité
glosso-pharyngo-laryngo-sophagienne donne
une symptomatologie de reflux
gastro-sophagien et pharyngonasal,
associée à des signes
d'obstruction ventilatoire plus marqués
dans le sommeil et à l'effort. La
dysrégulation du rythme cardiaque
s'exprime par des bradycardies et des malaises ;
elle s'objective par des signes
d'hyperréactivité vagale au ROC
Holter.
Le dysfonctionnement néonatal du
tronc cérébral a été
initialement décrit chez les enfants
atteints de séquence de Pierre-Robin.
L'étude des malformations
latérofaciales secondaires à un
trouble du développement de la
crête neurale rhombencéphalique a
permis une meilleure compréhension de la
relation entre anomalies anatomiques de la face
et déficit fonctionnel du tronc
cérébral. L'organisation
métamérique du
rhombencéphale explique pourquoi,
à une malformation faciale
localisée, peut s'associer une
défaillance des nerfs crâniens
issus des rhombomères correspondants
(fig). Ainsi, la triade malformative faciale de
la séquence de Pierre-Robin
(rétrognathisme, glossoptose, fente
vélopalatine postérieure
médiane ogivale) serait la
conséquence de la défaillance de
la succion ftale assurée par les
structure neurologiques issues des
rhombomères 6, 7 et 8. De fait, la
gravité du Pierre-Robin ne tient pas
à l'importance des malformations faciales
mais à la sévérité
de l'atteinte fonctionnelle du tronc
cérébral, dont la prise en charge
en a radicalement transformé le
pronostic.
Fig 1. Schéma des
huit rhonihomères du tronc
cérébral (RI, R8) au niveau
desquels sont représentés les
corps cellulaires d'origine des nerfs branchiaux
(V : trijumeau : VII et VIII : facial et
acoustique ; IX : glossopharyngien ' X : pneu
niogastrique ; 111, IV et VI : nerfs somatiques
de l'il ; XII : nerfsoinatique de la
langue). Les divers syndromes malformatifs
latéraux de la face sont
mentionnés en corrélation aux
niveaux rhomboinériques des nerfs et les
niveaux d'origine de la crête neurale
migrant dans les arcs branchiaux. P :
prosencéphale M :
mésencéphale R :
rhombencéphale ; BF : bourgeon frontal
IA, 2A, 3A et 4A les quatre premiers arcs
branchiaux. D'après Couly et
al.
Mais l'atteinte fonctionnelle
néonatale du tronc cérébral
existe également chez des nourrissons qui
n'ont ni syndrome de Pierre-Robin, ni fente
vélopalatine, mais qui posent des
problèmes du même ordre et
justifient la dénomination de «
para-Robin » parfois donnée à
ces situations.
Beaucoup de ces enfants sont atteints de
syndromes polymalformatifs mais la question qui
se pose est de savoir si l'on peut ou non isoler
un groupe homogène d'enfants atteints
d'un dysfonctionnement du tronc
cérébral sans malformation
associée et quel en est le pronostic
fonctionnel et neurologique. De l'analyse
rétrospective d'une série de 48
enfants atteints de DNTC, dont 15 n'ont pas de
malformations associées, nous
espérons aboutir à une
démarche mieux codifiée permettant
d'améliorer la prise en charge de ces
nourrissons et l'évaluation
précoce de leur pronostic.
syndrome
de Pierre Robin, en Echo 3D intra utérin,
naissance et à 2 ans
DISCUSSION
Le DNTC existe chez des enfants nés
sans fente vélo-palatine médiane
de type « Robin ». Ce diagnostic
repose sur un interrogatoire et un examen
clinique orientés associés
à trois examens complémentaires
simples : manométrie sophagienne,
laryngosopie dynamique et ROC-holter.
Le DNTC s'associe le plus souvent à
un ensemble malformatif complexe touchant
principalement le système nerveux central
et les organes issus de la crête neurale
céphalique mais pouvant être plus
polytopique sur le plan embryonnaire. Ces
syndromes sont cliniquement et
génétiquement
hétérogènes et souvent de
pronostic médiocre. Dans ces syndromes
malformatifs, le DNTC est sévère
et d'amélioration tardive (> 24 mois),
ce d'autant que le développement
psychomoteur est altéré.
Le DNTC s'observe aussi chez des enfants
sans malformation ni fente vélopalatine,
constituant alors une entité clinique
apparemment homogène. Il s'agit d'enfants
dans la famille desquels on retrouve parfois un
antécédent de difficulté
«d'élevage» mais qui n'ont pas
histoire anté- ou périnatale
notable. L'atteinte embryonnaire semble
précoce car ces nourrissons ont une
morphologie de visage témoignant d'une
pauvreté de la succion ftale :
mandibule peu développée, langue
en position verticalisée telle qu'elle
est chez l'embryon au moment où la
succion se met en place et conduisant à
un palais profond ogival.
Ce morphotype est une déformation
fonctionnelle et non une malformation faciale
proprement dite. Il n'y a pas de
proportionnalité évidente entre la
dysmorphie et la sévérité
du trouble fonctionnel. Il n'y a habituellement
pas d'incident reconnaissable susceptible
d'expliquer le défaut
d'embryogenése survenu chez ces enfants,
hormis une grossesse menée sous
benzodiazépines, non reconnues à
ce jour par les centres de pharmacovigilance
pour provoquer ce type de troubles.
Si dans cette série, les nourrissons
ont été inclus à partir du
trouble de la succion-déglutition, il est
certain qu'un DNTC doit être
évoqué chez un nourrisson
exploré pour malaise, stridor,
pneumopathie de déglutilion ou troubles
du comportement alimentaire. Le tableau clinique
peut n'être patent qu'au bout de quelques
semaines de vie, après une sorte de
«lune de miel».
L'immaturité du vague et du
glossopharyngien est objectivée par
la manométrie oesophagienne qui montre
des anomalies spécifiques, par le holter
avec recherche du réflexe oculocardiaque
qui montre une fréquente
hyperréactivité vagale, et par la
laryngoscopie qui met en évidence un
trouble dynamique de la base de la langue, du
pharynx ou du larynx. Les autres explorations
sophagiennes (TOGD, pHmétrie,
fibrescopie) ne sont pas utiles au diagnostic
positif mais peuvent aider à
évaluer l'intensité et les
conséquences du reflux
gastro-sophagien constamment
présent chez ces enfants.
La polygraphie de sommeil a un
intérêt majeur dans l'analyse de
l'obstruction ventilatoire et
l'évaluation de son retentissement sur
l'hématose. L'électromyogramme de
déglutition par enregistrenient de
surface pourrait avoir un intérêt
dans l'analyse du mécanisme du
déficit. Les résultats des
potentiels évoqués auditifs du
tronc cérébral peuvent être
intéressants (allongement de l'intervalle
entre les ondes 1 et 5 mais leur
interprétation est difficile dans cette
tranche d'âge et la sédation
nécessaire à leur
réalisation fait risquer une
décompensation respiratoire.
Les nouveau-nés et nourrissons
atteints de dysfonctionnement néonatal
isolé du tronc cérébral
doivent être identifiés pour trois
raisons principales. Il s'agit tout d'abord
d'enfants à risque de complications
nutritionelles et respiratoires, à risque
de malaises, voire de mort subite. Il a en effet
été montré par
l'équipe du centre de
référence sur la mort subite de
Port-Royal que les enfants explorés pour
«near miss» avaient un reflux
gastro-sophagien et/ou une
hyperréactivité vagale, dans une
proportion plus importante que la population
générale. Par ailleurs, une
étude réalisée en
Nouvelle-Zélande a montré
l'association entre une faible utilisation de la
«sucette» et le risque de mort subite,
sans que l'on puisse conclure à l'effet
protecteur de la « sucette » ou au
fait que les nourrissons à risque ont une
médiocre succion.
La seconde raison est que des
difficultés de succion-déglutition
néonatales, quand elles ne sont pas
majeures, peuvent être
considérées à tort par les
mères ou par les médecins comme
des troubles comportementaux d'origine
psychogène, responsables alors d'un
sentiment maternel de culpabilité
susceptible d'aboutir à des perturbations
réelles de la relation
mère-enfant. Il est essentiel de pouvoir
expliquer le caractère organique de ces
troubles, d'en connaître
l'évolution favorable et de les prendre
en charge convenablement.
La troisième raison est que
quelques-uns de ces enfants peuvent avoir des
difficultés de développement
psychomoteur. Le diagnostic de DNTC doit donc
conduire à une évaluation
neurologique fine et inciter à une
certaine prudence pronostique. Le trismus
néonatal doit être connu comme un
signe de mauvais pronostic comme nous l'avions
montré dans une étude
antérieure. Pour les autres, il faut se
donner quelques mois avant d'être
totalement rassuré et rassurant. Deux des
enfants de notre série
évoluèrent vers un autisme
infantile. Ce chiffre est trop important pour ne
pas nous alerter.
La similitude entre ces enfants atteints de
DNTC sans fente vélopalatine et les
enfants atteints de syndrome de Pierre-Robin est
frappante et explique la dénommation de
« para-Robin » employée par les
premiers auteurs et encore utilisée dans
le langage courant. Les enfants atteints de
syndrome de Pierre-Robin pur, c'est
à-dire sans malformation associée
ont une symptomatologie fonctionnelle et une
évolution semblables à celle des
nourrissons atteints de DNTC isolé,
l'existence d'une fente vélopalatine
permettant de les reconnaître plus
facilement à la naissance.
De même, une séquence de
Pierre-Robin peut s'intégrer à un
cortège polymalformatif de pronostic plus
réservé et dépendant de
l'ensemble malformatif en cause. On parle alors
de séquence de Pierre-Robin, le terme de
syndrome ne devant être
réservé qu'aux formes pures. Nous
ignorons les raisons de l'existence ou non d'une
fente palatine chez des enfants par ailleurs
assez semblables. S'agit-t-il d'un accident
embryonnaire du développement de la
crête neurale de moindre gravité ou
survenant un peu plus tard dans
l'embryogenèse, une fois le palais
secondaire fermé ? Nous ne connaissons
pas les mécanismes maturatifs qui
permettent à ces DNTC de
s'améliorer, mais en ce qui concerne
l'alimentation, un relais cortical prend
physiologiquement le contrôle de la praxie
orale au cours du 2e semestre de vie et permet
le passage à l'alimentation volontaire
à la cuillère. Ce relais
s'effectue mal chez les enfants retardés,
ce qui explique la pérennisation des
troubles.
Les données de la littérature
concernant ces questions sont assez
imprécises, bien que les premiers travaux
essayant de classifier les causes des troubles
de succion-déglutition du nourrisson
soient anciens. Certains auteurs ont
parlé de «syndrome de retard de
maturation de la
succion-déglutition» pour
décrire des nourrissons ayant des points
communs avec ceux que nous rapportons; d'autres
auteurs se sont interrogés sur les
raisons des difficultés d'alimentation
rencontrées chez certains enfants
atteints de reflux gastro-oesophagiens sans
sophagite patente.
Seul un effort de classification
phénotypique de ces nourrissons atteints
de dysfonctionnement néonatal du tronc
cérébral, avec ou sans fente, avec
ou sans malformation nous permettra de
progresser, d'en comprendre les
mécanismes et d'en faire l'analyse
génétique. Isolé, le DNTC
est une entité mal connue,
homogène, prohablement fréquente
chez des nourrissons explorés pour des
signes aussi banals que des difficultés
alimentaires, des rejets, des malaises, des
obstructions des voies aériennes
supérieures mais dont l'association doit
évoquer un trouble fonctionnel global et
justifier une analyse fine afin de pouvoir
conclure le plus souvent à un pronostic
favorable, même si la gravité
initiale des troubles peut conduire à des
thérapeutiques agressives.