- Seul Antoine Bernard (1853-1891),
interne en 1883, reste méconnu. Né
à Marseille, il soutient sa thèse,
devant Charcot, en 1885 « De l'aphasie et
de ses diverses formes » où
apparaît le célèbre dessin
explicatif imaginé par Charcot dit «
La Cloche », montrant les versants
perceptifs et d'expression de l'aphasie. Deux
éditions commerciales de sa thèse,
paraitront, en 1885 et 1889, relatant « des
expériences pratiquées à la
Salpêtrière devant Charcot ».
Sa seule autre publication, alors qu'il
était interne en 1883, relate « Un
cas de suppression brusque et isolé de la
vision mentale des signes et des objets ».
Il meurt à 38 ans.
-
- Georges Guinon, interne en
1885
- ©
Extrait de l'Album de l'internat de La
Salpêtrière conservé
à la Bibliothèque Charcot à
l'hôpital de la
Salpêtrière
- (Université
Pierre et Marie Curie, Paris)
-
- A la suite de Bernard, Georges Guinon
(1859-1932), reçu à l'internat en
1883, entre chez Charcot en 1885, alors que
Freud passe quatre mois à La
Salpêtrière et commence la
traduction, en allemand, du troisième
volume des maladies du système nerveux de
Charcot. Guinon succédera à
Georges Gilles de la Tourette comme chef de
clinique en 1888-1890. Quand Charcot
était à l'apogée de sa
carrière, il sentit le besoin
d'être aidé dans son exercice
privé, en ville, étant devenu
médecin des grands du Monde, par «
un secrétaire », en fait un de ses
assistants de La Salpêtrière qui
examinait les patients avant lui et se trouvait
ainsi mêlé intimement à sa
vie familiale, personnelle et professionnelle.
Guinon fut le dernier des quatre ayant tenu ce
rôle, après Charles
Féré, Pierre Marie et Georges
Gilles de la Tourette (3).
-
- Dans son « Charcot intime »,
publié en 1925 pour le centenaire de la
naissance de Charcot, il témoigne des
interférences que son statut engendrait :
« Charcot ressentait comme une
responsabilité paternelle vis à
vis de ses élèves qui
l'appellaient « patron » comme le
faisait toute sa famille. Madame Charcot
était « la patronne », qui
aidait les internes dans leurs
expériences et tribulations. Quand nous
souhaitions obtenir quelque chose du patron et
doutions qu'il accepte, nous prions Madame
Charcot d'en faire la demande à notre
place. Et c'était toujours avec
succès si, bien sûr, nous ne
demandions pas l'impossible » (49).
Léon Bernard (1872-1934) écrit :
« Tout l'être de Guinon, son
être sentimental comme son être
spirituel, avait été comme
absorbé par la haute personnalité,
dont il considérait l'estime comme
l'honneur de sa vie. Le souvenir en était
resté vivace chez lui, comme celui d'un
grand amour. Âme simple et droite, Guinon,
lorsque soudainement Charcot mourut, chancela;
toute la construction prévue, toutes les
chères espérances de sa vie
s'effondrèrent; il partit » (50). Ce
témoignage éclaire le sens si
affectueux du « Charcot intime ». Ce
deuil profond devait donner à sa
carrière un inattendu et singulier
parcours, vraiment inhabituel pour un brillant
élève de Charcot.
-
- En effet, peu après le
décès du maître, il partit
s'installer comme médecin de famille,
d'abord en Normandie, puis en Bretagne, dans le
port de Douarnenez, où il exerça
avec discrétion et un extrême
dévouement jusqu'en 1919, y consolant les
familles éprouvées par les morts
de la Grande Guerre. En 1919, il rejoint
Léon Bernard et la lutte contre la
tuberculose, en devenant médecin
inspecteur de l'Office Public d'Hygiène
du département de La Seine qu'une loi,
dite de Léon-Bourgeois, venait
d'instituer dans chaque département
français. Léon Bernard
témoigne qu'il souhaitait servir les plus
nécessiteux et premières victimes
de ce fléau très répandu
à l'époque. Pourtant sa
carrière de neurologue à La
Salpêtrière avait brillamment
commencé. C'est lui qui a rapporté
que Charcot « n'admettait pas qu'on
touchât aux doctrines de la
Salpêtrière, c'est à dire
aux siennes ».
-
- Guinon s'intéressa d'abord à
la Malade des Tics Convulsifs que Gilles le
Tourette venait de décrire, en ajoutant,
à la description initiale, la
fréquente association de troubles
psychiatriques à type phobique « les
idées fixes » comme l'arithmomanie
ou l'onomatomanie, d'épisodes
dépressifs et de comportements
d'agressivité non contrôlée.
Cette analogie, qu'il reconnut, entre les tics
moteurs et les tics comportementaux
épuisants, a retrouvé tout son
sens, à notre époque, où
les techniques d'électrostimulation de
noyaux gris centraux permettent de les
améliorer, les uns comme les autres. Dans
le titre de son travail princeps, Gilles de la
Tourette avait noté «
l'incoordination motrice ». Guinon
contestera ce terme montrant qu'il s'agit de
mouvements involontaires mais correctement
coordonnés. Alors que Gilles de la
Tourette décrivait l'évolution de
la maladie comme continue et d'aggravation
progressive, Guinon indiqua que
l'évolution était fluctuante avec
possibilité de périodes de
rémissions peu symptomatiques. Par contre
et en contradiction avec Charcot, Guinon pensait
qu'elle était une forme
d'hystérie. Guinon est l'auteur du
chapitre « Tics » dans le Dictionnaire
Encyclopédique des Sciences
Médicales de Dechambre en 1887; il y
précise mieux que Gilles de la Tourette
les diagnostics différentiels notamment
les dyskinésies, les névralgies du
trijumeau et des chorées. On peut noter
qu'il suggère de maintenir le terme de
maladie des tics convulsifs alors que Charcot
parlait de la maladie de Gilles de la Tourette
(52). Acrimonie rentrée ?
-
- extrait de
- Une
leçon de Charcot à La
Salpêtrière
- tableau de André
Brouillet 1887
-
- Pourtant, lorsque Gilles de la Tourette fut
victime des coups de feu tirés par la
malade Rose Kamper, c'est lui qui arriva le
premier au secours de « son ami »
comme il le relate, en termes chaleureux, dans
l'article du Progrès Médical
consacré à cet épisode,
quelques jours plus tard. Guinon soutint sa
thèse en 1888, éditée en
livre en 1889 : « Les agents provocateurs
de l'hystérie ». Il y indique
clairement que Charcot envisageait
l'hystérie comme une conséquence,
un mode de résistance à une cause
externe infligée au malade, en passant en
revue « le shock nerveux »
(traumatisme, tremblements de terre, foudre),
les maladies infectieuses graves, le surmenage,
les intoxications chroniques (alcool, plomb,
mercure), ou une autre maladie organique (tabes,
sclérose en plaques). Il n'oublie pas de
mentionner l'existence d'une hystérie
masculine, décrite par Charcot, et
mentionne une impressionnante statistique,
évaluant que le diagnostic
d'hystérie a été
porté 244 fois sur les 3168 consultations
de l'année 1886 à La
Salpêtrière.
-
- On peut noter qu'il se démarque,
légèrement, en estimant important,
comme le fit Gilles de la Tourette, le
rôle de l'hérédité
dans cette pathologie alors que Charcot
l'estimait modeste et liée à une
« lésion dynamique » acquise.
C'est Guinon qui reçut, peu avant sa
mort, la confidence de Charcot « ma
conception de l'hystérie est
dépassée et la description de la
pathologie nerveuse doit être
révisée » (53). En juillet
1886, il publie, avec Pierre Marie dans la Revue
de Médecine, une mise au point
intitulée : « Sur la perte du
réflexe rotulien dans le diabète
sucré » dans laquelle ils donnent
une description de la neuropahie
diabétique et expliquent le diagnostic
différentiel avec le tabes : «
Supposons nous en face d'un malade qui
présente les phénomènes
suivants : abolition des réflexes
rotuliens, douleurs fulgurantes,
légère titubation les yeux
fermés, baisse graduelle de la vue,
troubles de la miction, diminution de la
puissance génitale. Il y a tout ce qu'il
faut pour constituer un tabes. Mais que l'on
vienne à examiner les urines, on trouve
du sucre; ce n'est plus à un tabes mais
au diabète qu'on a affaire ».
-
- Enfin par son activité de
secrétaire de Charcot, il tint un
rôle majeur dans les publications de La
Salpêtrière. Il contribua à
la rédaction des « Leçons sur
les maladies du système nerveux faites
à La Salpêtrière » et
à la Nouvelle Iconographie de La
Salpêtrière. Ainsi dans le
troisième tome paru en 1890, il cosigne
avec Georges Gilles de Tourette et Ernest Huet
une « contribution à l'étude
des bâillements hystériques »,
inspirée de la Leçon du Mardi de
Charcot, le 23 octobre 1888, décrivant
une jeune femme, aménorrhéique
avec amputation bitemporale du champ visuel, qui
bâillait 480 fois à l'heure de
l'éveil à l'endormissement (54).
Enfin, il est l'auteur de plusieurs chapitres du
traité de médecine de Charcot,
Bouchard, Brissaud de 1891 : maladies de la
protubérance annulaire, des
pédoncules cérébraux, et du
bulbe rachidien; maladies extrinsèques de
la moelle épinière; maladie des
méninges.
-
- 49. Souques A. Charcot intime. Paris.
Masson. 1925.
-
- 50. Bernard L. Georges Guinon. La Presse
Médicale. 1932;39:541-542.
-
- 51. Lereboulet P. Georges Guinon. Paris
Médical. 1932;22:593.
-
- 52. Kushner HI, Kiessling LS. The
controversy over the classification of Gilles de
la Tourette's syndrome, 1800-1995. Perspect Biol
Med. 1996;39:409-35.
-
- 53. Guinon G. Charcot intime. Paris
Médical. 1925;26:511-516.
-
- 54. Gilles de la Tourette G, Huet E, Guinon
G. Contribution à l'étude des
bâillements hystériques. Nouvelle
Iconographie de La Salpêtrière.
Paris. Lecrosnier et Babé. 1890;3:97-119.
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