- Quoi qu'il fut le fils de simples gens, il
portait en lui les tendances qui
cractérisèrent la plupart des
Césars romains, ceux qui furent des
modèles de férocité.
-
- De bonne heure, il sentit les besoins de son
être, mais comme le Destin ne lui avait
pas donné le Monde pour jouet, il chercha
comment les satisfaire.
-
- La tyrannie, telle qu'elle fut
pratiquée autrefois, n'étant plus
possible, il fallait trouver d'autres moyens
d'être tyran.
-
- Et il trouva sans hésitation.
Guidé par un sûr instinct, il
choisit la seule carrière moderne
où la cruauté peut s'exercer sans
contrôle et sans limite, avec la certitude
de l'impunité et les garanties du
Pouvoir.
-
- C'était un nouvel avatar du despote
cruel.
-
- Autrefois, les Rois qui abusèrent de
leur puissance ne le firent pas sans danger, et
plus d'un paya de sa vie les autres vies qu'il
avait supprimées sans ménagement
et sans justice.
-
- Pour cela, comme pour le reste ce qu'on
appelle le Progrès avait marché,
et l'Homme était resté le
même. Seulement il avait revêtu d'un
manteau d'hypocrisie ses instincts toujours
aussi lâches.
-
- Les Cruels étaient toujours cruels.
Mais, instruits par l'histoire, ils avaient
appris à craindre les représailles
des persécutés et à les
éviter.
-
- Ils ne cherchaient plus à être
souverains. C'était trop dangereux:
habiles comme les félins donc il portait
les tendances, ils avaient trouvé le
moyen de les satisfaire impunément, sous
le nom de Religion, de Vertu, de Science et
d'Amour de l'Humanité.
-
- Et ne pouvant plus être tyrans
avoués, ils le furent de fait, sans le
titre.
-
- Longtemps, ils trouvèrent dans la
situation de Prince de l'Eglise un vaste champ
où s'exercer.
-
- Il serait inutile de rappeler les noms de
tous les tortionnaires qui, sous prétexte
d'orthodoxie, torturèrent avec
délices leurs bien-aimées
victimes. Quoiqu'ils se dirent ses
Prêtres, jamais le Christ ne les connut
pour siens, ces loup dévorants.
-
- Puis, cette forme de la Puissance
s'épuisant par ses propres excès,
la révolution vint à point fournir
de nouveaux sujets aux perpétuels
bourreaux.
-
- Mais, si il fut plus intense que nul autre,
ce règne de la cruauté n'eut que
son heure. Et, le cycle fermé, la marche
ordinaire des choses ayant repris son cours, les
appétits durent se couvrir d'un autre
masque.
-
- Les prétextes de Religion et de Vertu
était épuisés. Alors parut
celui qui devait être la nouvelle
Incarnation de la Férocité.
-
- Il se réclamait de l'Amour de la
Science, et sous prétexte de l'enrichir
de nouvelles lumières, il tortura
impunément et joyeusement les Etres qui
tombèrent en son pouvoir,
bénévolement se livrèrent
à lui et cela avec d'autant plus de
délectations qu'il ne fut jamais
troublé par aucune inquiétude,
ayant non seulement la certitude de
l'impunité, mais des disciples
empressés à célébrer
les louanges du maître,- du bourreau.
-
- Et il marcha ainsi dans la vie glorieuse et
incontestée; il avait su atteindre le
suprême pouvoir: celui d'échapper
à toute critique.
-
- Jamais il ne se démentit, remplissant
son rôle jusqu'au bout. Car, pour
être complet, il fut cabotin. Et, à
sa dernière heure, lui aussi eût pu
crier: « Qualis artifex
pereo ! ».
-
- Il avait inventé le Sadisme
scientifique.
-
- L'avignonnais, son précurseur,
s'était contenté de faire
rôtir à la broche de vulgaires
filles enrubannées de faveurs roses, ce
qui lui valut d'être enfermé dans
une maison de fous.
-
- Il fallait éviter une semblable fin.
-
- Il se fit le soi-disant médecins des
déments; il monopolisa
l'aliénation, et, servi pour de
nombreuses et incontestables facultés,
comme Néron sur sa tour, d'où, au
son de la Lyre, assistait à l'embrasement
de Rome, il monta à un tel sommet qu'il
fut inaccessible à l'examen des hommes.
-
- Il soutint son personnage avec tant d'art
que personne ne put le pénétrer,
et connaître que la fascination qu'il
exerçait sur ses malades était le
résultat même de l'intensité
même de sa maladie: il avait le
délire de la torture.
-
- Et ainsi il fut Néron, et si bon
comédien que nul ne s'en doute.
-
- Bernadette de Courrière
- 17 août 1893
-
- Alfred Jarry
parle de Berthe...
-
- Pour ceux qui, par
exception, n'auraient pas
fréquenté Berthe de
Courrière, remémorons vite qu'elle
était de taille imposante ; qu'elle
chaussait du 42 fillette mais
préférait porter des cothurnes;
qu'elle naquit à Lille en 1852, et non
point Berthe, mais plus simplement Caroline,
Louise, Victoire, et dépourvue de
particule qui, du reste, n'a jamais
constitué une preuve de noblesse (pensez
aux Chabot, une des plus anciennes familles de
l'aristocratie française).
-
- Berthe,
lancée fort jeune à la
conquête de Paris, se glissera dans le lit
du général Boulanger et de
quelques ministres. Le sculpteur, en ce
temps-là fort réputé,
Jean-Baptiste, dit Auguste (quelle idée
!) Clésinger, natif &emdash; en 1814
&emdash; de la vieille ville espagnole de
Besançon, adorateur des grosses formes,
remarquera Berthe, la fourrera sur sa couche, en
fera son modèle pour quantité de
personnages allégoriques, notamment la
Marianne du Sénat &emdash; laquelle
subsiste &emdash; et la République
gigantesque de l'exposition universelle de 1878
qu'il nous fut interdit de voir, faute d'en
avoir l'âge, et dont nous ignorons le
sort.
-
- À sa mort,
en 1883, Clésinger dotera Berthe d'une
assez jolie fortune. Quatre ans après son
veuvage &emdash; qui ne fut sûrement pas
une période de viduité &emdash;,
elle rencontre un jeune hobereau
décavé, fonctionnaire à la
Bibliothèque Nationale, Remy de Gourmont,
de six ans son cadet. Il vivra chez elle
jusqu'à sa mort en 1915 ; Berthe le
suivra de près (14 juin 1916) et le
rejoindra dans le caveau de Clésinger au
Père-Lachaise où, en toute
impudeur, elle avait fait déposer
Gourmont.
-
-
|