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- Les
biographies de
neurologues
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- Résumé
- Henri Duret (1849-1921) est un chirurgien
dont la formation commence au laboratoire de
Jean-Martin Chacot et Alfred Vulpian à La
Salpêtrière en 1874. Utilisant des
injections de gélatine colorée,
Duret réalise la description princeps de
la distribution « des artères
nourricières » du tronc
cérébral puis du cortex,
corrélant les territoires
irrigués, les zones infarcies et les
déficits neurologiques secondaires.
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- Il consacre sa thèse, en 1878,
à des études expérimentales
des conséquences des traumatismes
cérébraux, localisant l'origine
des troubles neurovégétatifs et de
la vigilance au niveau du tronc
cérébral qu'il rapporte à
des micro-hémorragies
bulbo-protubérantielles,
dénommées maintenant
hémorragies de Duret.
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- Pendant 40 ans, il consacre de très
nombreuses publications à la chirurgie
digestive et gynécologique et à
son enseignement. C'est en 1905, que
paraît un autre de ses ouvrages novateurs,
consacré aux tumeurs de
l'encéphale, à leurs
manifestations cliniques, aux
conséquences physio-pathologiques de
l'hypertension intra-crânienne et à
leurs traitements chirurgicaux. Ce
traité, resté méconnu, en
fait un pionnier de la neurochirurgie, bien
avant les livres plus connus de Victor Horsley
et d'Harvey Cushing.
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- Henri Duret (1849-1921) est un chirurgien
qui nous a laissé des travaux
consacrés à la chirurgie
digestive, gynécologique,
sénologique ('les crêtes de Duret')
et oto-rhino-laryngée. Mais beaucoup plus
originales, ses recherches en neurologie en font
un pionnier méconnu de la pathologie
neuro-vasculaire et de la neuro-chirurgie.
Après une biographie de Duret, nous
présentons ici ses découvertes
afin de leur redonner la place éminente
qu'elles méritent dans l'histoire de la
neurologie [1].
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- Un brillant parcours
universitaire
- Né le 7 juillet 1849 à
Condé-sur-Noireau, en Normandie (France),
fils d'un marchand de coton filé, Duret
commence ses études de médecine
à l'école de médecine de
Caen en 1867 puis les poursuit à la
faculté de médecine de Paris
à partir de 1869. Reçu 23è
au concours de l'externat de 1869, il s'oriente
vers la chirurgie auprès de Simon Duplay
(1836-1924), mais la guerre avec la Prusse
interrompt ses débuts. Ce bref parcours
lui permet néanmoins d'être
reçu au concours 'd'aide major
auxiliaire' à l'hôpital militaire
du Val de Grâce, et deux mois plus tard
devenir 'aide chirurgien'. Il participe à
toute la campagne de la guerre de 1870 de Sedan
jusqu'à la bataille finale du Tertre de
Changé au Mans, le 12 janvier 1871. A la
suite, il s'occupe des blessés, jour et
nuit, pendant plusieurs semaines. Le
général Chanzy le propose pour la
'Légion d'honneur', à 21 ans, mais
sans qu'elle lui soit attribuée
effectivement. A son retour des armées,
il est reçu 49è à
l'internat des Hôpitaux de Paris, au
concours de 1871, dans la promotion de Fulgence
Raymond (1844-1910), Louis Landouzy (1845-1917)
et Jules Voisin (1844-1920). Il débute en
1872 chez Ulysse Trélat (1795-1879), chef
d'un service d'aliénées de
l'hôpital de La Salpêtrière.
Ce maître se félicite de « son
exactitude et son amour de l'étude
». La proximité des lieux lui permet
de travailler au laboratoire annexé au
service de Jean-Martin Charcot (1825-1893).
Quand il publie ses premiers travaux, il
précise être «
élève du service de M. Le
Professeur Charcot, (où) nous avons
été souvent témoin de
l'insuffisance des connaissances actuelles sur
la circulation cérébrale, pour
l'intelligence de la forme, du siège et
de la disposition de certaines lésions du
cerveau, en particulier de l'hémorrhagie
et du ramollissement » [2]. Il est
nommé 'aide préparateur' à
l'amphithéâtre d'anatomie le 30
avril 1873 et poursuit sa formation de chirurgie
auprès de Paul-Jules Tillaux (1834-1904),
Duplay et Aristide Verneuil (1823-1895) dont il
devient le chef de clinique. Verneuil qualifie
son élève de: « très
laborieux, très instruit,
extrêmement dévoué à
la science. J'en suis aussi satisfait que
possible sous tous rapports » [3].
Il soutient sa thèse le 22 février
1878, présidée par Verneuil devant
Alfred Vulpian (1826-1887), Jacques Grancher
(1843-1907) et Samuel Pozzi (1846-1918). Dans
ses remerciements, il prie « de vouloir
bien agréer l'hommage de ce travail M.
Charcot, M. Verneuil et M. Vulpian, professeurs
à la Faculté de Médecine,
qui nous ont inspiré et guidé dans
la voie élevée de la science
». Consacrée à des «
Etudes expérimentales sur les
traumatismes cérébraux »,
elle lui vaut le prix de physiologie
expérimentale de l'Institut
[4].
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figure 1
-
- Une carrière de chercheur et
professeur de chirurgie à Lille
- Classé premier au concours de
chirurgien des hôpitaux de Paris en 1882,
il échoue à deux reprises à
l'agrégation. En 1880, le jury
composé de Jules Levrat (1850-1895) et
Georges Bouilly (1893-1903) lui
préfère Pierre Budin (1846-1907)
et Paul Reclus (1847-1914) [5]. Pourtant
Duret présente « le premier travail
d'ensemble sur les contre-indications à
l'anesthésie chirurgicale
[
] le travail de M. Duret
résume, de la façon la plus
heureuse, la foule énorme des recherches
sur l'action des anesthésiques sur
l'organisme, et les cas de mort ou d'accidents
graves ». Cette thèse, très
novatrice, publiée en livre, passe, entre
autres, « en revue 135 cas de mort par le
chloroforme; il s'attache surtout à
rechercher dans quels cas la mort est imputable
au seul agent anesthésique ou à
son mode d'emploi » mais aussi à
l'état clinique du malade !
[6,7]. A sa deuxième tentative,
le 30 juin 1883, le jury choisit Edouard
Kirmisson (1848-1924), Victor Campenon
(1846-1916) et Paul Segond (1851-1912)
malgré la belle présentation de
Duret consacrée aux formes rares des
hernies inguinales [8]. Certains
attribuent ses échecs aux convictions
religieuses qu'il manifeste à une
époque d'anticléricalisme
[9]. Pourtant, Duret a travaillé
avec Charcot et Vulpian. Il a publié dans
les journaux que ceux-ci dirigent, notamment
'Les Archives de Physiologie normale et
pathologique' dès 1873, et a très
régulièrement collaboré au
'Progrès Médical' de 1873 à
1882, dirigé par
Désiré-Magloire Bourneville
(1840-1909) aux convictions
anti-cléricales affichées et que
Duret présente comme « son
collègue et ami ».
-
- Réalisant que la carrière
universitaire lui était fermée
à Paris, il intègre, aidé
par son frère l'abbé Joseph Duret,
la faculté de médecine catholique
de Lille fondée en 1875, non sans
quelques oppositions de la hiérarchie
catholique du Nord de la France
justifiées, justement, par sa
collaboration avec l'Ecole de La
Salpêtrière. Il est d'abord
nommé à la chaire de pathologie
générale puis à celle de
clinique chirurgicale, lui donnant un lustre
exceptionnel de 1885 à 1911. Une
puissance de travail peu commune, une
volonté de fer, une maîtrise
parfaite dans ses opérations, un sens
pédagogique remarquable lui valent
l'admiration de tous ceux qui l'ont
approché et de ses élèves
en particulier : « la puissante
activité du Maître entraînait
dans un tourbillon irrésistible la
jeunesse qui l'entourait [
]. Sa
hardiesse opératoire était connue
de tous, son sang-froid qui n'était pas
toujours calme, était proverbial et le
récit de certaines de ses
opérations restera légendaire
» [10]. Doyen de la Faculté
libre de médecine de Lille à trois
reprises (1890, 1899 et 1905), il crée
pour les étudiants « La
Socité Anatomo-clinique de Lille »,
sur le modèle de celle de Paris, qu'il
préside lui-même de 1886 à
1905. Il ne néglige pas pour autant
« La Société des Sciences
médicales de Lille » qu'il
préside aussi à plusieurs
reprises. Afin d'améliorer les soins
donnés par « La
société de Secours aux
Blessés Militaires », il fonde le
Dispensaire-Ecole de La Croix Rouge de Lille en
1905. Associé à un collègue
professeur de paléobotanique à la
Faculté des Sciences et prêtre,
Jean Boulay (1838-1905), Duret fonde «
L'Ecole d'Anthropologie » à
finalité apologétique
[1,9,10]. Duret est élu membre
correspondant de l'Académie de
médecine en 1900, puis membre
associé en 1907. Membre actif de La
Société de Neurologie de Paris,
fondée en 1899, il continue de
fréquenter aussi, tout au long de sa
longue carrière, La Société
de Biologie devant laquelle il expose ses
premiers travaux dès 1873. Il est
correspondant de l'Académie Royale de
Belgique, docteur honoris causa de
l'Université de Louvain, Commandeur de
Saint Grégoire le Grand.
-
- Retraité depuis 1911, non mobilisable
pendant la guerre 1914-1918, il reprend du
service en dirigeant les hôpitaux
militaires auxiliaires 4 et 10, dans les locaux
de la faculté catholique de Lille et dans
un collège voisin et « a
retardé pied à pied, avec la plus
grande énergie, jusqu'à
l'extrême du possible, la main mise par
l'autorité allemande sur nos
hôpitaux auxiliaires ». Duret est
promu Chevalier de la Légion d'Honneur le
23 février 1921, à titre
militaire. Il meurt le 7 avril 1921 après
une douloureuse agonie d'un cancer
[10,11].
-
- Dans l'éloge qu'il prononce à
la Société de Neurologie le 5 mai
1921, Henri Claude (1869-1945) dit qu'il doit
« rappeler l'uvre formidable
entreprise pendant la guerre par ce travailleur
acharné et qui porte comme titre:
'Traumatismes cranio-cérébraux'.
L'épithète de formidable n'est pas
excessive pour qualifier une pareille
publication. Trois énormes volumes de
1500 pages ont déjà parus ».
Le quatrième est terminé en 1922
par ses collaborateurs lillois Jules-Alfred
Voituriez (1858-1938) et Joseph Delépine
(1877-1923). Claude poursuit : « dans la
préface du premier volume, nous
retrouvons ces phrases émouvantes qui
font suite à l'exposé en raccourci
de l'uvre: 'nous remercions le ciel de
nous avoir permis l'achèvement
malgré les horreurs et les souffrances
d'une longue guerre et d'une occupation de
quatre années persécutrices et
cruelles'. C'est en effet pendant l'occupation
allemande que Duret avait travaillé
à cet ouvrage, et il note que c'est
seulement après de longues
démarches que l'autorité
allemande, 'par humanité', renonça
à détruire la composition
déjà faite du livre! »
[12]. Au début 1921, quelques-uns
de ses collègues de la faculté
libre de médecine de Lille proposent la
candidature de Duret au prix Nobel de
médecine et de physiologie. Sa mort
interrompt la démarche. Coïncidence
ou conséquence, le prix n'est pas
attribué cette année-là
[1,9] (fig.1).
-
-
figure 2
-
- Sur les artères
nourricières du cerveau
- La thèse d'Etienne Lancereaux
(1829-1910), soutenue en 1862, est une des
premières mises au point complète,
en français, de la physio-pathologie des
accidents vasculaires-cérébraux,
intitulée « De la thrombose et de
l'embolie cérébrales
considérées principalement dans
les rapports avec le ramollissement du cerveau
» [13]. En Allemagne, Julius
Cohnheim (1839-1884), élève de
Rudolf Virchow (1821-1902), bâtit et
nomme, en 1872, les concepts modernes
d'infarctus cérébral d'origine
embolique, 'd'artères terminales' et
d'anastomoses de suppléance. Pourtant,
aucun de ces auteurs n'associe une localisation
avec une artère nourricière
précise [14,15].
-
- C'est Duret qui présente le 7
décembre 1872, à la
Société de Biologie, la
première étude « sur la
distribution des artères
nourricières du bulbe rachidien ».
Il écrit: « les progrès
récemment accomplis dans la pathologie du
bulbe demandaient une étude plus
complète de la circulation de cet organe
que celle contenue dans les traités
d'anatomie descriptive. C'est pour combler cette
lacune, que, sous la direction de M. Charcot,
nous avons entrepris cette étude ».
En effet, « il n'existe aucune description
des artères nourricières du bulbe
que nous nommerons artères
médianes ou des noyaux [
].
La distribution du sang artériel dans un
organe aussi important que le bulbe n'est pas
abandonnée au hasard; elle obéit
à des lois ». Il distingue et
décrit avec une extrême
précision des artères radiculaires
destinées aux racines des nerfs
émergeant du bulbe, des artères
des noyaux du tronc, et d'autres
destinées « aux autres parties du
bulbe » montrant, de façon novatrice
« la disposition terminale des
artères médianes des noyaux
[
]. Cette étude de la
distribution des artères
nourricières du bulbe peut donner une
explication très satisfaisante de
certains phénomènes des maladies
bulbaires » lui permettant de confronter
ses constatations anatomiques avec les
observations décrites par Adrien Proust
(1834-1903) dans sa thèse
d'agrégation soutenue en 1866 et celles
de son collègue André Huret
[16,17,18].
-
- Paraissant d'abord dans 'Le Mouvement
Médical' de 1873, puis 'Le Progrès
Médical' de 1873 et enfin, en
détail, à nouveau dans 'Les
Archives de Physiologie normale et
pathologique', Duret complète ses
descriptions, en 1874: « notre but
spécial est de décrire les
artères nourricières du cerveau
[
]. Les anatomistes qui nous ont
précédés se sont
contentés de décrire l'origine et
la distribution des vaisseaux du cerveau d'une
manière générale ».
Lui propose une étude précise et
détaillée de la distribution
territoriale de chaque artère « en
s'aidant d'injections colorées ». Il
distingue, là aussi de façon
novatrice, « les artères des noyaux
cérébraux et les artères
des circonvolutions ». Pour la
première fois, Duret décrit «
les branches nourricières du corps
strié et des couches optiques ». Il
distingue notamment « une qui longe, dans
une certaine longueur, la base du noyau
lenticulaire sur la limite de la capsule externe
pour se porter en avant et en dedans vers le
noyau gris extra-ventriculaire où elle se
divise en 4 ou 5 branches terminales. C'est
cette artère qui, d'après nos
études à La
Salpêtrière, et d'après les
renseignements de M. Charcot, est le
siège de prédilection des
hémorrahagies du corps strié
[
]. On peut désigner ce
groupe des artères externes sous le nom
d'artères lenticulo-striées; les
autres vont en arrière, à
l'extrémité postérieure du
noyau lenticulaire et se terminent dans la
couche optique qui se trouve au-dessus et n'en
sont séparées que par la couronne
de Reil, artères lenticulo-optiques
» [19] (fig.2).
-
- Sans qu'apparemment il le sache, peu
auparavant, en Allemagne, Otto Heubner
(1843-1926), travaillant au laboratoire
d'anatomie d'Ernst Leberecht Wagner
(1829&endash;1888), avait publié en 1872
« On the topography of the nutritional
zones of the individual brain arteries »
précisant la vascularisation de la partie
antérieure du noyau caudé: «
From the base of the arteria cerebri anterior,
which lies between the arteria cerebri media and
the arteria communicans anterior, there
constantly arises a very little artery, close to
the latter that provides blood to the head of
the corpus striatum ». Cette artère
médiale du striatum est une branche du
segment A2 de l'artère
cérébrale antérieure
qu'Hamlet-Frederick Aitken (1872-1939),
dessinateur anatomique au Massachusetts General
Hospital nomme en 1909, 'artère
d'Heubner', importante à repérer
dans la chirurgie des anévrysmes. Aitken
dit ne pas trouver d'artères
lenticulo-optiques de Duret et précise
que la description d'Heubner est seule valable
[20,21,22,23]. Malgré cette
polémique naissante qui perdurera depuis
la mort de Duret jusqu'à maintenant, ces
deux publications valent à Duret
d'être honoré du Prix Ernest Godard
(1826-1862) délivré par la
Société de Biologie de Paris en
1874 [15,24,25] (fig.3).
-
- figure
3
-
- Les travaux de Duret ont donné corps
à la théorie 'uniciste' des
accidents vasculaires cérébraux,
c'est à dire 'chaque infarctus
cérébral résulte d'une
thrombose d'une seule artère'. Elle est
à l'origine de multiples études,
publiées au début de XXè
siècle. Dans les quelques exemples
suivants, l'argumentaire des différents
auteurs se développe toujours par rapport
à la publication princeps de Duret,
montrant bien ainsi la place
prééminente de ses recherches
novatrices. En 1916, John Sebastian Bach
Stopford (1888-1961), professeur d'anatomie
à Manchester, discute et reprend
l'étude de la vascularisation du tronc
cérébral en se mettant dans les
pas de Duret pour les commenter [26].
Alexander Kolisko (1857-1918), à Vienne,
conteste, lui en 1891, l'origine carotidienne de
l'artère choroïdienne
antérieure telle que décrite par
Duret en 1874 [27,28]. Charles Edward
Beevor (1854-1908), auteur du
célèbre axiome, « the brain
does not know muscles, only movements »,
passe 7 ans à injecter une centaine de
cerveaux et établit ainsi la
première cartographie artérielle
de l'encéphale. Perfectionnant la
technique de Duret, consistant à injecter
de micro-particules solides de gélatine
colorée d'une seule teinte, Beevor
injecte simultanément plusieurs troncs
artériels, au lieu d'un seul, en usant
d'une gélatine soluble et de
différentes teintes. La phrase «
according to Duret » apparaît
plusieurs fois à chaque page de ses
descriptions [29,30]. Charles Foix
(1882-1927) et Pierre Hillemand (1895-1979),
véritables pionniers de la neurologie
vasculaire en France, au début du
XXè siècle, complètent et
précisent, en 1925, la description de la
circulation du tronc cérébral et
du diencéphale initiée par Duret,
50 ans plus tôt
[31,32,33,34].
-
- Duret reprend, à nouveau, l'ensemble
de ses descriptions en 1910: « la
distribution des artères corticales,
telle que nous l'avions établie dans
notre mémoire de 1873-1874, a
été reconnue exacte par les
anatomistes qui se sont occupés de la
question: Testut, Charpy, Lucas, Bissons, Looten
etc. Nos descriptions concordaient d'ailleurs
assez bien avec celles qui avaient
été données vers la
même époque par Heubner ». Il
précise la nomenclature à adopter
pour la description des artères et ne
manque pas de souligner combien il est à
l'origine des idées émises par
Charcot sur les localisations
cérébrales: « ces
acquisitions nouvelles dans la topographie et
les fonctions des diverses régions de
l'écorce cérébrale,
accrurent encore l'importance de nos recherches
sur la circulation des
hémisphères, fait que le
professeur Charcot établit, avec sa
maîtrise ordinaire, dans ses belles
leçons sur 'la localisation dans les
maladies du cerveau' (1876) » [35].
Les illustrations photographiques, jointes
à cet article de 1910, restent d'une
extrême netteté et semble
être des images d'une
artériographie contemporaine
(fig.4).
-
-
figure 3 bis
-
- Des localisations
cérébrales
- Duret, encore jeune interne, permet aux
lecteurs francophones, dès 1874, de
prendre connaissance des recherches novatrices
de physiologie cérébrale,
publiées en Angleterre, par David Ferrier
(1843-1928), en assurant leur traduction pour le
Progrès Médical [36]. Cet
opuscule est comme une entrée en
matière pour un travail beaucoup plus
ambitieux paraissant l'année suivante.
Camille-Henri Carville, élève de
Vulpian, préparateur de son cours de
pathologie expérimentale, et Duret
présentent, en 1875, « une histoire
critique des recherches expérimentales
sur les fonctions des hémisphères
cérébraux » [37].
Après avoir décrit les
expériences d'ablation localisée
de cortex chez le lapin ou le pigeon,
réalisées, par Pierre Flourens
(1794-1867), Vulpian et Ernest Onimus
(1840-1915) puis celles par injections
localisées 'interstitielles' d'Henry
Beaunis (1830-1921) et Hermann Nothnagel
(1841-1905), ils décrivent les tous
récents progrès apportés
par l'utilisation de la stimulation corticale
par courants galvaniques, non destructeurs, mise
au point par Gustav Fritsch (1838-1927) et
Edouard Hitzig (1838-1907) en Allemagne et ceux
utilisant des courants faradiques par Ferrier en
Angleterre. Ils critiquent ces travaux: «
il est singulier que ces éminents
expérimentateurs n'aient pas
essayé d'établir leur
méthode expérimentale sur une base
solide. Ne devaient-ils pas redouter
d'être conduits à des
déductions entachées d'erreur par
le mode d'expérimentation dont ils
faisaient usage? Est-il bien certains, en
suivant fidèlement les
procédés décrits par ces
auteurs, de localiser le courant ? Celui-ci
n'agit-il exclusivement que sur la couche grise
des circonvolutions et dans des points
circonscrits de cette couche grise? ».
-
- Reprenant ces expérimentations
eux-mêmes, ils constatent que «
pendant l'excitation électrique, la
substance grise concoure pour une part aux
mouvements produits, mais les expériences
démontrent que son
intégrité n'est pas indispensable
pour produire des mouvements localisés
à l'aide de courants électriques
». Ils confirment « qu'il existe une
conductibilité physique de la fibre
nerveuse de l'encéphale, elle se fait
dans un certain sens, et ce sens est toujours le
même » empruntant les faisceaux de la
substance blanche. « Les recherches de
Hitzig et de Ferrier ont mis certainement sur la
voie des localisations cérébrales,
mais l'application des courants
électriques n'est qu'un mode d'excitation
spécial qui, à notre avis, ne
saurait indiquer d'une façon certaine la
signification véritable des mouvements
qu'ils ont observés, et le
véritable rôle des centres
encéphaliques qu'ils ont décrits
les premiers. Les électrodes
appliquées dans certains points de la
surface encéphalique déterminent
des mouvements spéciaux, des mouvements
localisés, mais rien ne démontre
d'une manière directe que les courants ne
produisent pas ces mouvements par action
à distance sur les centres
bulbo-médullaires, et que la localisation
de ces mouvements soit en rapport avec des
centres volontaires situés dans
l'écorce grise » [37].
Carville et Duret suspectent l'importance des
noyaux gris et évoquent l'importance du
noyau caudé et du tronc
cérébral dans la coordination des
gestes. Ils tentent de conclure en proposant une
cartographie motrice corticale, en confrontant
leurs recherches personnelles avec celles,
résumées dans sa thèse, par
leur collègue Jules Gromier comparant le
cerveau de l'homme et du singe [38].
Leurs vues nous semblent bien obsolètes
car plus hypothétiques que
démontrées. Par contre, les
explications physiopathologiques des
observations cliniques qu'ils donnent en
dernière partie de leur article, fournies
par Charcot qu'ils remercient, apparaissent
encore pertinentes comparant déficits
cliniques, territoires artériels
concernés et structures
lésées.
-
-
-
figure 4
-
- Les traumatismes
cérébraux
- Duret soutient sa thèse en 1878
« Des Etudes expérimentales et
cliniques sur les traumatismes
cérébraux », se justifiant:
« on ignore encore les signes exacts qui,
pendant la vie du blessé, permettent de
reconnaître sûrement la commotion,
la compression et la contusion du cerveau
[
]. Nous nous sommes
proposés principalement, de chercher
quelques indications qui puissent renseigner le
chirurgien sur l'état pathologique des
centres nerveux pendant la vie du blessé,
le guider dans son intervention, et la justifier
». Duret mène ses recherches de
neuropathologie expérimentale dans le
laboratoire de Vulpian. Il propose un concept
nouveau: « nous employons les mots 'choc
céphalo-rachidien' pour indiquer que
l'arrêt ou la suppression brusque du
fonctionnement encéphalique, survenant
à la suite d'un choc sur le crâne,
est produit par l'intermédiaire du
liquide céphalo-rachidien transmettant
l'action vulnérante à des
régions de l'encéphale, capables
d'engendrer tous les phénomènes
observés ». Il s'oppose à la
notion de vibrations
délétères et aux
théories des « contre-coups »
évoquées au XVIIè et au
XVIIIè siècle par François
Pourfour du Petit (1664-1741), Giovani Morgagni
(1681-1737), Antonio Valsalva (1666-1723), Jakob
Winslow (1669-1760 ou Dupré-De-Lisle
[39,40]. Duret conçoit la perte
de connaissance et l'arrêt
cardio-respiratoire, par un dysfonctionnement du
tronc cérébral où il situe
les centres de commande du cur et de la
ventilation mais aussi de la conscience: «
il contient des fibres qui mettent en relation
les centres intellectuels avec le monde
extérieur, relations, selon nous,
nécessaires à leur fonctionnement
». Il poursuit: « le bulbe est un
centre de la vie viscérale »;
[
] le bulbe résiste plus
longtemps, c'est 'l'ultimum moriens' des centres
nerveux, suivant le mot pittoresque de notre
savant maître, M. Charcot »
[4].
-
- Suivant la voie ouverte, en Allemagne, par
Arnold Friedrich Pagenstecher (1837-1913) dans
l'étude des compressions
cérébrales localisées, et
afin de confirmer expérimentalement sa
théorie, Duret teste, chez le chien et le
cheval, l'effet d'injections d'eau ou de cire
dans la boîte crânienne qui lui
semblent mimer les symptômes
observés chez l'homme après un
traumatisme crânien [41]. Puis il
essaie une compression
hémisphérique par des esquilles
osseuses ou des morceaux de liège,
simulant ainsi, expérimentalement,
l'effet compressif d'épanchements
sanguins, localisés,
méningés notamment, dans des
localisations variées, convexité,
base du crâne, sous la tente du cervelet.
Il en déduit que le traumatisme engendre
des variations de la répartition du
liquide cérébro-spinal et donc des
pressions dans les espaces où il circule,
comme l'aqueduc de Sylvius. Il y voit l'origine
des lésions tissulaires du tronc
cérébral qu'il y constate, «
hémorragies microscopiques », que
Theodor Kocher (1841-1917), chirurgien suisse,
couronné du Prix Nobel en 1909, nommera
« hémorragies de Duret » (Fig.
5). Ces hémorragies, actuellement
décelables par imagerie
cérébrale, reconnues comme
secondaires à des troubles
métaboliques ou traumatiques, sont, dans
ce dernier cas, associées à la
compression du tronc cérébral par
le processus d'engagement que Duret
n'individualise pas. Lui y voit une
démonstration de sa théorie «
de l'action d'une augmentation de la pression du
liquide céphalo-rachidien accumulé
subitement » dont l'effet est « un
pointillé hémorrhagique sur le
plancher de l'épaisseur du bulbe et
autour du canal central [
] car au
moment du choc, le liquide des ventricules
cérébraux exerce un effet sur
l'aqueduc de Sylvius, le quatrième
ventricule et le canal central de la moelle
surtout ». Sa description de saignements
tissulaires diffus, au niveau du tronc
cérébral, est exacte mais le
mécanisme physiopathologique qu'il
élabore et pense avoir prouvé
expérimentalement, chez l'animal, est
erroné [42,43].
-
- Duret remarque avec précision l'effet
de l'augmentation de la pression
intra-crânienne sur la circulation
artérielle: « il résulte de
nos expériences qu'il y a arrêt du
cours du sang dans les artères de
l'encéphale, au moment du choc et dans
les minutes qui suivent ». Il confirme
ainsi les observations recueillies par Ernest
von Leyden (1832-1910) en 1866 [44].
Duret note qu'avant la phase ultime de
l'arrêt de la circulation
intra-crânienne se produit une
élévation de la pression
artérielle systémique,
phénomène connu sous le nom de
'Cushing reflex', alors que Harvey Cushing
(1869-1939) ne décrira ce
phénomène qu'en 1901, soit 24 ans
après Duret, lors de sa description 'de
l'engagement' [45,46]. Duret passe
ensuite en revue les différences
liées à la localisation de
l'impact du traumatisme et conçoit des
mécanismes de chocs directs et indirects.
Il pose clairement la question des
conséquences de l'hypertension
intracrânienne: « le crâne est
une cavité fermée, si vous mettez
en contact avec elle une source de pression, il
est évident que vous y gênez le
cours du sang, dès que la pression est
supérieure à la pression
artérielle ». Il en déduit
que la circulation sanguine et la
sensibilité des méninges en sont
altérées, expliquant ainsi, et par
l'atteinte surajoutée des structures du
bulbe, les troubles de la vigilance et
neuro-végétatifs du
traumatisé crânien. A aucun moment,
Duret ne décrit la notion d'engagement
temporal sous la tente du cervelet ou
l'engagement des amygdales
cérébelleuses dans le trou
occipital mais évoque la
nécessité pour le chirurgien
d'ouvrir la boîte crânienne afin de
diminuer la compression du système
nerveux [47].
-
-
figure 5
-
- Les tumeurs de
l'encéphale
- Au début du XXè siècle,
le seul livre exclusivement consacré aux
tumeurs cérébrales, écrit
en français, est celui de Maurice Auvray
(1868-1945) paru en 1896. Edouard Brissaud
(1852-1909) y a consacré, en 1894, un
chapitre du traité de médecine dit
'Traité de Charcot, Bouchard, Brissaud';
Fulgence Raymond (1844-1910) en donne 'des
leçons', à La
Salpêtrière, publiée en
1898. Bien sûr, il faut évoquer le
monumental traité, visionnaire,
'Chirurgie opératoire du système
nerveux' qu'Antony Chipault (1866&endash;1920)
fait paraître en 1894 mais qui laisse une
plus large place à la chirurgie des
infections d'origine ORL qu'aux tumeurs
cérébrales proprement dites.
-
- C'est en Grande &endash;Bretagne qu'est
née la neuro-chirurgie avec William
Macewen (1848-1924) qui publie en 1879 le compte
rendu de l'exérèse d'un
méningiome [48]. Alexander Hughes
Bennett (1848-1901) localise, en 1885, une
tumeur dont Rickman Godlee (1849-1925) assure
l'exérèse avec succès
[49,50]. Victor Horsley (1857-1916) est
le premier à opérer des
épileptiques et publie, en 1887, une
série de dix exérèses
tumorales, en précisant les moindres
détails de sa technique [51].
Après s'être consacré aux
localisations cérébrales et
à l'hypertension intra-crânienne,
il est logique que Duret étudie les
tumeurs cérébrales. Son livre,
'Les tumeurs de l'encéphale,
manifestations et chirurgie' paraît en
1905, complétant le rapport qu'il avait
présenté en 1903 au Congrès
français de chirurgie. Cette revue de la
littérature mondiale lui permet de
rapporter 400 observations de tumeurs
intra-crâniennes [52]. Ce
monumental ouvrage de 835 pages, illustré
de 297 figures, est divisé en quatre
parties: manifestations générales,
manifestations localisées, diagnostic,
chirurgie (fig. 6).
-
- Duret essaie de répondre aux
préoccupations du médecin: «
le problème à résoudre,
pour l'opérateur, est triple. Existe-t-il
une tumeur ? Quel est son siège ? Quelle
est sa nature ? ce sont là les trois
questions préalables qu'il doit
résoudre ». Chaque signe clinique
est étudié avec une extrême
précision de détails
sémiologiques, céphalées,
vomissements, vertiges, crises convulsives,
'torpeur cérébrale' etc. Il
insiste sur la valeur de l'dème de
la papille optique, précisant la notion
de stase 'Stauungspapille' pour les allemands,
l'étranglement du disque optique 'Choked
disk' pour les anglais, sans manquer de donner
l'historique de ce symptôme et de
l'illustrer macro et microscopiquement. Il
indique toute la difficulté d'identifier
les tumeurs longtemps latentes ou dissimuler par
une clinique d'allure psychiatrique. Tant pour
chaque signe clinique que pour la
corrélation entre signes cliniques et
localisations, Duret propose une explication
physiopathologique et histopathologique, citant
une multitude d'auteurs étrangers comme,
par exemple, Albert Adamkiewicz (1850-1921),
Ernst von Bergmann (1836-1907), Ludwig Neumayer
(1868-1934), Carl Wernicke (1848-1905) etc. Il
n'oublie pas de mentionner les apports de Pierre
Marie (1853-1940) et Joseph Babinski (1857-1932)
dans la description de l'engagement des
amygdales cérébelleuses en cas
d'hypertension intra-crânienne. Duret
souligne l'apport des travaux princeps d'Henri
Parinaud (1844-1905) concernant les paralysies
oculaires; d'Edouard Brissaud (1852-1909) sur
'la localisation cérébrale des
mouvements de la face'; de Fulgence Raymond
(1844-1910) sur les tumeurs de la base du
crâne; de Babinski à propos du
syndrome cérébelleux. Il ne manque
pas de décrire la possibilité de
troubles métaboliques à la suite
des publications de Pierre Marie et Georges
Marinesco (1863-1938) lors de tumeurs
hypothalamo-hypophysaires.
-
- Il peut nous paraître surprenant de
lire un chapitre consacré à la
percussion des os du crâne mais c'est bien
là le témoignage de la
difficulté rencontrée alors dans
la localisation des tumeurs
cérébrales. Les diagnostics
différentiels comprennent notamment la
tuberculose, soit méningée, soit
sous forme de tuberculomes ('les gommes'), les
abcès infectieux ou parasitaires, les
encéphalites, l'hydrocéphalie, la
syphilis, l'épilepsie, l'urémie,
l'hystérie etc. Duret conseille la
ponction lombaire et n'illustre son livre que
par deux radios du crâne très
floues, bien peu contributives.
-
- Duret plaide, enfin, pour une chirurgie de
l'encéphale: « la chirurgie des
tumeurs est délicate et difficile mais
elle arrivera bientôt à la
période des succès
fréquents » donnant tort à
ceux comme Ferrier qui déclarent que
« la chirurgie des tumeurs
cérébrales est une triste
chirurgie et qu'elle ne donne que des
déceptions » [53]. Il
témoigne du tribut qu'il doit à
Ludwig Bruns (1858-1916) [54], à
Moses Allen Starr (1854-1932), croisé
à La Salpêtrière, auteur
d'un des premiers traités de chirurgie de
l'encéphale [55] et à Just
Lucas-Championnière (1843-1913),
inventeur du trépan qu'il utilise
[56] et surtout à Chipault et
Horsley pour leur hardiesse et les instruments
qu'ils ont conçus pour réaliser
les craniectomies. Son livre passe en revue tous
les instruments inventés de par le monde,
avec leurs dessins et leurs techniques de
manipulation. Il conclut en établissant
des statistiques à partir des 400
interventions collectées. Il est
surprenant que cet ouvrage monumental soit
resté méconnu, notamment qu'il ne
soit jamais cité par Cushing,
malgré la richesse des données
collectées et si richement
illustrées.
-
- Pour conclure
- L'éloge d'Henri Duret lue par Henri
Claude, à l'Académie de
médecine, après son
décès, explique un peu l'oubli
illégitime de ce précurseur:
« Duret vivait peut-être un peu trop
à l'écart, absorbé par son
enseignement et ses recherches, aussi n'a-t-il
pas joui de toute la faveur que sa haute
autorité eût dû lui attirer,
et que l'opinion accorde trop facilement
à d'autres plus bruyants. Il laissera le
souvenir d'une personnalité d'une grande
valeur morale, et son uvre demeurera car
elle fut celle d'un maître »
[12].
-
Griffe
consécutive a une lésion
traumatique du nerf cubital. Henry
Duret
- Journal : Revue photographique des
hôpitaux de Paris vol. 4.
- Paris. Adrien Delahaye, 1872.
- 71-77 p. 1 phot 24.5 cm.
- Photograph: 1 mounted albumen.
- Subject: Hand - Ulnar nerve; Guyon canal
stenosis.
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