- Augustin
Morvan de Lannilis (1819-1897), a little-known
rural physician and
neurologist
- Walusinski O.,
Honorat J.
- Rev Neurol
(Paris). 2013;169(1):2-8
-
- Abstract
- Augustin Morvan (1819-1897) was a
contemporary of Jean-Martin Charcot who
practised medicine in rural Brittany. A
perspicacious and astute clinician, he described
three clinical pictures not previously isolated:
in 1875 the semiology of myxoedema, in 1883 the
neurological semiology of syringomyelia which he
called "paretic analgesia of the upper
extremities", and finally in 1890 the semiology
of "fibrillary chorea", currently considered a
model of synaptic pathology involving
immunological damage to potassium channels and
causing (as perfectly described by Morvan)
myokymia, autonomic nervous system disturbances
and agrypnia. "Fibrillary chorea" is today known
as Morvan's syndrome and linked to limbic
encephalitis.
-
- Résumé
- Contemporain de Jean-Martin Charcot,
Augustin Morvan (1819-1897) exerça, lui,
la médecine dans la campagne bretonne.
Perspicace et fin clinicien, il décrivit
trois tableaux cliniques non
individualisés auparavant: en 1875 la
sémiologie du myxdème, en
1883, la sémiologie neurologique de la
syringomyélie qu'il baptisa
« paréso-analgésie des
extrémités supérieures
», puis, en 1890, la sémiologie de
« la chorée
fibrillaire », reconnue actuellement
comme un modèle de pathologie synaptique
par atteinte immunitaire de l'activité
des canaux potassiques, responsable comme
l'avait parfaitement décrit Morvan, de
myokimies, de troubles
neuro-végétatifs, d'agrypnie et
apparentée à "l'encéphalite
limbique".
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- Etre médecin de campagne en Bretagne
au XIXe siècle et avoir encore, au XXIe
siècle, son nom reconnu comme
« syndrome de » dans une
banque de données médicales comme
PUBMED, voilà le destin exceptionnel
d'Augustin Morvan, de Lannilis en Bretagne
(1819-1897). Observateur sagace et fin
clinicien, il décrit, en 1875, la
sémiologie du myxdème, puis
les signes cliniques de la syringomyélie
qu'il nomme, en 1883,
« paréso-analgésie des
extrémités
supérieures » devenant
« la maladie de Morvan »
pour ses contemporains, puis, en 1890, une
pathologie musculaire qu'il nomme « la
chorée fibrillaire »,
actuellement reconnue comme syndrome de Morvan
ou canalopathie auto-immune, apparentée
à l'encéphalite limbique.
-
- Morvan de la Bretagne à
Paris.
- Morvan s'éteint le 20 mars 1897,
à Douarnenez, à l'âge de 78
ans, après cinq ans d'un déclin
physique et intellectuel progressif secondaire
à une hémiplégie. Ses
obsèques rassemblent une foule immense de
paysans, de confrères et de notables
bretons. Tous les discours prononcés ce
jour là témoignent de son
dévouement sans faille, de sa vaste
notoriété et d'un grand savoir
médical, reconnu après 45 ans
d'exercice. Né le 7 février 1819
au village de Foz-Nevez en Lannilis (Aberwrach,
Bretagne), ce fils d'un couple de paysans, est
l'ainé de huit enfants. Sorti de l'Ecole
de Médecine de la Marine de Brest, il est
nommé le 18 juin 1839, chirurgien de La
Marine mais démissionne quelques mois
plus tard devant son incapacité à
supporter le mal de mer ! Après
avoir complété sa formation
à Paris, il est reçu à
l'internat de Paris en 1844, en compagnie de
Ludger Lunier (1822-1885) et Paul Broca
(1824-1880). Il soutient sa thèse le 11
mars 1847, intitulée « De
l'anévrysme variqueux » devant
son maître Auguste Nélaton
(1807-1873). Malgré l'attrait d'exercer
à Paris, il envisage d'ouvrir un cabinet
à Brest. Exposant ce projet à sa
mère, il la voit fondre en larmes. La
légende raconte que, n'écoutant
que son amour filial, il dételle sur le
champ son cabriolet et décide de se fixer
définitivement à Lannilis, gros
bourg de 3 000 âmes.
-
- Sa renommée, vite établie, ses
concitoyens le poussent d'abord à devenir
maire puis conseiller général en
1857. Elu député du
Finistère, en 1871, il inaugure la
première chambre de la nouvelle IIIe
République au sein de la « Liste
républicaine de l'ordre et de la
paix ». Célèbre pour
n'avoir donné que des soins gratuits
pendant tout le temps de sa députation,
Morvan vote pour la démission d'Adolphe
Thiers (1797-1877), soutient la
légalisation des obsèques civiles
mais son nom reste surtout attaché
à une loi dite loi Morvan-Roussel,
premier texte législatif se
préoccupant de l'enfance malheureuse,
protégeant les enfants abandonnés
et les « filles-mères ».
Cette loi qu'il avait personnellement
conçue, bravait une opinion publique
exagérément pusillanime, et
donnait un esprit social au pouvoir
législatif, inspirant plus tard d'autres
médecins progressistes comme
Désiré-Magloire Bourneville
(1840-1909). Elle est à l'origine de la
Loi sur l'Assistance Publique obligatoire
(Anonyme, 1897; Le Gallo, 1992; Létienne,
1897; Robert, 1889). Constamment en butte aux
superstitions de ses patients et la pression du
clergé, ce praticien distingué qui
ne souhaitait qu'atténuer les souffrances
et les injustices de la vie, eut à
souffrir de campagnes de dénigrement et
de manifestations hostiles, jusque sous ses
fenêtres. On pouvait entendre ce type de
slogans: « Laninisiliens, vous avez
élu un maire indigne, vous avez
voté pour le défenseur des
putains. Le docteur Augustin Morvan, de
Lannilis, est le père des
putains » (Desse, 1957). Sans doute
à la suite de ces médisances, il
échoue lors du renouvellement de son
mandat et cesse son activité politique.
Jusqu'à la fin de sa vie, il soigne
inlassablement; son nom était connu dans
toute la Bretagne « An aotrou
Morvan », Monsieur Morvan,
prononcé avec ferveur et respect par
d'innombrables patients.
-
- Le myxdème en
Basse-Breagne.
- Après avoir écrit à
Jean Martin Charcot (1825-1893) en 1875, Morvan
publie sa correspondance dans la Gazette
Hebdomadaire de Médecine et de Chirurgie
en 1881: « Je crois avoir
observé en Bretagne une maladie non
encore décrite; mais je crains que mes
connaissances ne soient en défaut et je
viens recourir à vos lumières.
Elle est spéciale à la femme, du
moins jusqu'à présent je ne l'ai
pas rencontrée chez l'homme. Elle est
caractérisée par l'anasarque et
par une paralysie incomplète, mais sans
atrophie musculaire, sans altération des
facultés mentales, ne s'expliquant en un
mot par aucune maladie connue, pas plus
d'ailleurs que l'dème ne s'explique
par une infection du coeur ou des reins. La
bouffissure de la face, coïncidant avec un
certain parler lent et une certaine
raucité de la voix, est
pathognomonique.[...] L'affaiblissement
musculaire, toujours prononcé, ne l'est
cependant jamais au point d'empêcher la
marche.[...] Toutes nos malades sont
très sensibles au froid ». Morvan
décrit ainsi, le premier dès 1875,
la sémiologie de ce qui deviendra
l'hypothyroïdie. Il poursuit:
« Si cette affection n'a pas
été décrite, je me
réserve de réunir mes huit
observations et d'en faire l'objet d'un petit
travail. Je vous serai infiniment obligé
de vouloir bien me permettre de puiser à
votre érudition, le cas
échéant.[...] N'obtenant
pas de réponse assez tôt à
notre gré, pensant d'ailleurs que M.
Charcot, auquel nous étions un inconnu,
réservait son temps pour des occupations
plus pressantes, nous eûmes recours
à l'obligeance de notre vieux camarade
Verneuil.[...] Nous reçûmes
une réponse de Mr le docteur Charcot. Il
s'excusait de ne pas avoir répondu plus
tôt; mais le temps avait été
mis à profit; il avait fouillé
dans ses souvenirs, avait fait et fait refaire
des recherches, il n'avait rien trouvé de
semblable dans les publications
médicales. Il concluait en nous engageant
à publier nos observations. Nous n'avions
encore rien publié et nous n'aurions
même rien publié de si tôt,
trouvant notre bagage insuffisant, et voulant
laisser au temps le soin de le grossir lorsque,
en mai de cette année, nos yeux
tombèrent sur un article du Dr Merklen,
publié, reproduit plutôt, dans la
Gazette Hebdomadaire de Médecine et de
Chirurgie sous le titre de "Cachexie
pachydermique (état
crétinoïde, myxdème)".
La Gazette, au fond des campagnes que nous
habitons, est notre seul journal ».
Après avoir remarqué que William
Gull (1816-1890) avait présenté
des observations semblables à Londres en
1873, il expose, en 1881, quinze observations de
femmes aux alentours de la cinquantaine,
atteintes des mêmes symptômes. Il
note la sensibilité au froid et mesure
à 36° leur température; il
n'oublie pas de noter la constipation
opiniâtre, le pouls ralenti à 50,
la lenteur de la pensée. Il note que,
contrairement à son idée initiale,
l'homme et l'enfant peuvent être atteints.
Il termine par une discussion
physioptahologique: « ce serait un
dème d'origine
neuro-paralytique avec paralysie des
vaso-moteurs » [...]
« Nous concluons que le
myxdème est une névrose du
système nerveux central n'affectant de ce
système que la portion afférente
aux nerfs moteurs, tant de la vie animale, que
de la vie organique, lesquels sont
frappés de paralysie, et laissant par
conséquent indemne toute la portion
afférente aux facultés mentales et
aux nerfs sensitifs ». Il conclue ces
observations princeps du myxdème,
cliniquement parfaitement pertinentes, par sa
déception devant l'échec de toutes
ses tentatives thérapeutiques (Morvan,
1881).
-
- De la parésie analgésique
à panaris des extrémités
supérieurs à la
syringomyélie.
- Doté des qualités de fin
clinicien et d'observateur précis qui
faisaient la renommée, à cette
époque, de Jean-Martin Charcot
(1825-1893) à La
Salpêtrière, il collecte une
série d'observations de malades atteints
d'une affection lui paraissant, là
encore, jusque là non
individualisée. Dès sa
première publication, parue en 1883 dans
la Gazette Hebdomadaire de Médecine et de
Chirurgie, il use du style romanesque dont il ne
se départira jamais pour décrire
l'histoire de son premier patient: « Le
premier cas soumis à notre observation
remonte à 25 ou 30 ans. C'était un
homme de 60 ans qui se présentait avec un
panaris à l'un des doigts de la main. La
main et tout l'avant-bras étaient
enflés. Nous constatons la nécrose
de la phalange unguéale et lui proposons
de pratiquer une incision pour arriver à
l'extirpation. Et comme le malade n'acceptait
qu'avec un entrain modéré, nous
ajoutons que l'incision serait comme un
éclair, qu'il n'aurait pas le temps de
souffrir. Nous procédons à
l'incision qui fut une assez large entaille.
Quelle ne fut pas notre surprise de voir le
calme de ce brave homme qui, à nos yeux,
n'était pas précisément un
héros et qui cependant n'avait pas
sourcillé. Pas une plainte. Il eut
été de bois qu'il n'en eut pas
été autrement. Il n'avait pas du
tout souffert, affirmait-il. Nous étions
tombés pour la première fois sur
un de ces panaris analgésiques des
extrémités
supérieures ». En cinq
communications successives adressées de
1883 à 1889 à l'Académie de
Médecine et publiées dans le
même journal, il brosse un tableau
clinique original d'une maladie
caractérisée par l'apparition
successive de panaris multiples,
entraînant la nécrose des
phalanges, des déformations
définitives des extrémités
digitales, s'accompagnant d'atrophie musculaire
de la main et du membre supérieur, de
troubles de la sensibilité tactile et
thermique. Il complète sa description
initiale en notant l'apparition progressive
d'une fragilité osseuse, d'hyperhydrose,
d'hémorragies sous cutanées, de
déformations ostéo-articulaires et
remarque la marche progressive des
déficits: « La maladie que nous
avons en vue d'étudier consiste dans la
parésie avec analgésie des
extrémités supérieures,
d'abord limitées à l'un des
côtés, passant ensuite le plus
souvent à l'autre côté et
aboutissant toujours à la production d'un
ou de plusieurs panaris » (Morvan,
1883, 1890).
-
- Bien au fait des derniers travaux
anatomo-pathologiques de la neurologie
parisienne, il va jusqu'à proposer une
explication physio-pathologique, en s'inspirant
de la première publication d'Augusta
Klumpke 1859-1927), future Madame Dejerine,
consacrée à l'étude des
paralysies radiculaires du plexus brachial:
« le mal a débuté par le
cordon postérieur et, probablement
à une période plus avancée,
devra passer au cordon antérieur. J'ai
une tendance à croire que là est
la marche naturelle de la maladie: 1°)
l'analgésie, une analgésie
commençante, car elle est
incomplète peut se rencontrer seule,
jamais la parésie; 2°) quand les
deux ordres de nerfs sont
intéressés, la paralysie du
sentiment est toujours d'un degré plus
avancé que celle du mouvement, la
première étant complète
quand la seconde ne l'est pas encore et ne le
deviendra peut-être jamais »
(Klumpke, 1885; Morvan, 1886). Par son seul
raisonnement clinique, Morvan situe la cause des
troubles au niveau de la mlle
épinière, alors qu'il ignore
l'anatomo-pathologie de l'affection qu'il
décrit, aucun de ses patients
n'étant décédé et
autopsié. Ce travail lui vaut
d'être élu membre correspondant de
l'Académie de Médecine. Matthieu
Prouff (1849-1931), interne des hôpitaux
de Paris, originaire de Morlaix, et donc breton
lui-aussi, publie, en 1889, avec l'aide de son
maître Albert Gombault (1844-1904), la
première observation anatomo-pathologique
d'une maladie de Morvan, mais l'importance de la
scoliose, reconnue comme secondaire à
l'atrophie musculaire, ne permet pas une
extraction de la mlle sans
l'altérer. Ils notent, néanmoins,
que « le canal central est très
volumineux [...]. Sur beaucoup de
coupes, on constate un effondrement de la
région centrale qui est réduite en
détritus; souvent cette région
centrale est occupée par une
cavité émettant en arrière,
de chaque côté, un prolongement qui
suit la direction de la corne
postérieure » (Prouff, 1889).
Forme de reconnaissance universitaire, deux
thèses soutenues à Paris, ont pour
titre « Contribution à
l'étude de la maladie de
Morvan », celle de Georges-Charles
d'Oger de Spéville,
présidée le le 28 juillet 1888 par
Paul-Georges Dieulafoy (1839-1911), et celle
d'Henri Louazel, présidée le 11
juin 1890 par Charcot (d'Oger de
Spéville, 1888; Louazel, 1890).
-
-
- En 1882, von Otto Kahler (1849-1893),
à Prague, et Friedrich Schultze
(1848-1934), à Dorpat en Allemagne,
publient des observations de malades atteints
d'une parésie amyotrophiante
associée à une
thermo-anesthésie d'un membre,
symptômes qu'ils expliquaient par la
découverte autopsique d'une cavité
médullaire verticale anormale. Ils
baptisent
« syringomyélie »
cette pathologie, en adoptant l'appellation
forgée par Charles-Prosper Ollivier
d'Angers (1796-1845) en 1827 (von Kahler, 1882;
Schultze, 1882). A cette époque,
naissent, en France, des débats voyant
s'opposer les tenants et les opposants, comme
Morvan lui-même, à l'unicité
de la maladie de Morvan et de la
syringomyélie d'une part, et des
discussions étiologiques voyant
s'affronter les conceptions de Jules Dejerine
(1849-18917) évoquant une névrite
périphérique toxique (le plomb) ou
infectieuse (la lèpre) et celles de
l'école de Charcot
représentées par ses internes Paul
Blocq (1860-1896), Adolphe Dutil (1862-1899) et
leur chef de clinique Georges Guinon
(1859-1932). Ceux-ci apportent la
démonstration anatomo-pathologique d'une
cavité médullaire anormale en 1890
(Dejerine, 1890; Guinon, 1890). Alors que dans
sa leçon du Mardi 28 juin 1889, Charcot
« paraît peu favorable à
la doctrine unitaire », dans sa
leçon de mars 1891, il dit
« Les discussions se sont
élevées à propos de ces
deux états morbides sur la question de
savoir s'ils doivent représenter de
maladies autonomes parfaitement
séparées l'une de l'autre,
malgré les analogies extérieures
qui peuvent les rapprocher, ou, si il s'agit
là, au contraire, tout simplement d'une
seule et même affection. Dans ce cas, le
groupe morbide dit maladie de Morvan ne serait
plus qu'un épisode, une forme, une
variété de la
syringomyélie. Il est devenu
évident à un moment donné
que seule l'anatomie pathologique pouvait
fournir au problème une solution
définitive. Elle a parlé, et
à mon avis, d'une façon
péremptoire dans le sens de la doctrine
unitaire » (Charcot, 1889).
-
- Alors que Guillaume Duchenne de Boulogne
(1806-1875) en 1860, Alfred Vulpian (1826-1887)
en 1870, et Charcot en 1887 avaient
été confrontés à des
patients atteints de syringomyélie sans
en percevoir la spécificité
sémiologique, Morvan sut, lui, en
identifier la symptomatologie clinique entre
1860 et 1882. Mais ce sont Schultze et Kahler en
Allemagne qui établirent la description
complète clinique et anatomo-pathologique
de la syringomyélie en 1882 (Achard,
1890; Bruhl, 1890; Walusinski, 2012).
-
- De la chorée fibrillaire à
la pathologie auto-immune des canaux
ioniques.
- Le 12 avril 1890, Morvan publie, à
nouveau dans La Gazette Hebdomadaire de
Médecine et de Chirurgie, une description
clinique originale, précisant avec sa
modestie habituelle: « Cette fois
encore j'ai été favorisé
par le hasard qui s'est plu, comme toujours,
à semer sur ma route les cas rares peu
connus ». Il détaille
l'observation du premier patient:
« Paul Ernest de Plabennec,
cultivateur fortement constitué, se
présente à ma consultation le 18
juillet 1885. [...] Huit jours avant ma
consultation, il est pris d'une espèce de
tremblement, de contractions fibrillaires aux
muscles des mollets. Ces tressaillements, au
moment de mon examen, occupent principalement
les jumeaux; ils s'en produit aussi cependant
par intervalles dans les muscles
postérieurs des cuisses. [...] Le
21 juillet, les tressaillements se sont
étendus à d'autres régions
du corps; ils tendent à se
généraliser. [...] Les
tressaillements fibrillaires donnent lieu
à des saillies qui, dans les muscles
longs des membres, n'occupent que des points
limités de la longueur des faisceaux,
apparaissant et disparaissant aussitôt
avec la plus grande irrégularité
sur les divers éléments du muscle,
et faisant à ces endroits des
élevures comparables aux reliefs connus
sous le nom de myoïdèmes.
[...] L'irrégularité et la
multiplicité des tressaillements sur les
divers points du corps sont telles qu'il est
impossible d'en apprécier la
fréquence dans un moment donné, il
faudrait avoir l'il partout à la
fois. [...] Ces contractions,
malgré les saillies prononcées
qu'elles déterminent sous la peau,
n'entraînent ni tremblement ni de
déplacement d'aucune partie du corps;
elles s'éteignent sur place, c'est un
travail sans effet utile. Le malade peut,
d'ailleurs, exécuter comme auparavant
tous les mouvements de préhension et de
locomotion. Il y a mieux; les tressaillements
cessent ou du moins diminuent très
notablement quand un muscle entre en contraction
volontaire. [...] Il y a constamment des
élancements douloureux dans toutes les
régions du corps, mais principalement
dans les muscles qui sont le siège des
tressaillements. Ils sont assez prononcés
pour troubler le sommeil. On dort mal depuis
trois jours ». En quelques jours le
malade s'affaiblit: « Par suite d'une
agitation qu'on ne s'explique pas, on ne peut
rester longtemps au lit, on se couche et on se
lève sans cesse. Transpiration excessive;
on est en nage, la chemise est trempée
comme si on la sortait de l'eau ». A partir
du début août, l'état du
patient se détériore rapidement,
ne lui permettant plus de se déplacer,
gardant une sudation importante, il se met
à délirer puis devient comateux et
meurt après moins d'un mois de maladie.
Morvan décrit quatre autres cas moins
sévères puisque d'évolution
spontanément favorable
caractérisés par « des
contractions musculaires fibrillaires »
siégeant d'abord aux membres
inférieurs puis se
généralisant « en marche
ascendante, sans tremblement ni de
déplacement d'aucune partie du corps
». Dans trois cas, il note des douleurs, de
l'agitation souvent insomniante et « une
transpiration générale excessive
».
-
- Morvan estime que « la
chorée fibrillaire est une lésion
de la corne antérieure de la substance
grise. [...] Limitée d'abord aux
colonnes des cellules motrices, elle ne s'y
confine pas toujours; on la voit alors
s'étendre en profondeur, atteindre les
centres excito-sudoraux et
accélérateur du cur, et
arrivant jusqu'au cordon
intermédio-latéral,
intéresser le centre vaso-moteur
lui-même que Pierret place à ce
niveau ». (Antoine-Auguste Pierret
1845-1920, interne de Charcot en 1874, fera sa
carrière à l'asile de Bron).
Morvan compare ensuite ses observations aux
symptômes de la chorée de Sydenham,
spécifiant que cette pathologie est
caractérisée par les mouvements
désordonnés et sa survenue
fréquente dans l'enfance, tous
éléments différents de la
chorée fibrillaire (Coirault, 1946;
Morvan, 1890). Il note, par contre, des
ressemblances avec le paramyoclonus multiplex,
pathologie décrite en 1881, en Allemagne,
par Nikolaus Friedreich (1825-1882) et
analysée par Pierre Marie (1853-1940)
dans le Progrès Médical de 1886,
terme tombé de nos jours en
désuétude. A l'époque, de
nombreux tableaux cliniques voisins sont
décrits en Europe et regroupent des
secousses musculaires variées:
chorée électrique
d'Henoch-Bergeron ou de Dubini ou de Begdie,
myoclonus fibrillaris de Kny, myokymie de
Schultze, myoclonie épidémique
familiale d'Unverricht. L'interne de Joseph
Babinski (1857-1932), Edouard Krebs en a fait
une revue comparative dans sa remarquable
thèse en 1922, et établit un
parallèle prémonitoire, entre la
description de Morvan et les formes agrypniques
de l'encéphalite de von Economo (Krebs,
1922). Morvan concluait, lui, en
1890: « Je serais assez
disposé à admettre que la
chorée fibrillaire, malgré
certaines particularités, ne serait
qu'une variété du paramyoclonus de
Friedreich, la variété sans
mouvements, sans déplacement d'aucune
partie du corps, et avec, parfois, troubles
sudoraux et vasomoteurs ». Il ne manque pas
de souligner la similarité de ces
troubles sudoraux avec les troubles vaso-moteurs
qu'il a décrit dans « la
paréso-analgésie » qu'il
accepte, ici, d'assimiler à la
syringomyélie (Friedreich, 1881; Marie,
1886; Morvan, 1890).
-
- Toute la fin de son article est
consacré à l'origine
physiopathologique des troubles, mais
curieusement, il écarte rapidement
l'origine de la chorée fibrillaire, qu'il
place dans la corne antérieure de la
moelle, pour s'intéresser principalement
à l'origine de l'hyper sudation qui lui
permet de discuter le trajet des nerfs sudoraux
et surtout de discuter une théorie qui
lui tient à cur sur l'existence de
deux faisceaux
« excito-sudoraux » et
« fréno-sudoraux ». Ses
observations de chorée fibrillaire lui
semble permettre de placer ces faisceaux dans la
corne postérieure de la mlle et
leur voie efférente dans les racines
postérieures. Morvan avait une forte
culture de physiologie expérimentale
apprise sur les bancs de la faculté
parisienne et il est plaisant de constater qu'il
a voulu vérifier son hypothèse. En
toute fin de son article, il décri,t de
façon savoureuse, la dissection
médullaire de deux chevaux de 20 ans,
maintenus vivants sous anesthésie. La
première expérimentation est
difficile car l'anesthésie du cheval est
délicate. De plus,
l'expérimentation ayant lieu en hiver et
commencée tardivement, il manque de
lumière en fin de procédure. Il la
reprend donc avec un autre cheval. L'ensemble
lui permet de conclure sur le trajet
médullaire des voies de la sudation...
Cette description, étonnante et quelque
peu surréaliste, illustre la puissance du
courant physiologiste de la fin du XIXe
siècle et son impact sur les esprits.
Nous sommes aux fins fonds de la Bretagne et
pourtant, il s'y trouve un esprit pétri
des idées des lumières, convaincu
de la puissance de l'expérimentation
arrivant à convaincre le
vétérinaire "son ami Bergot"qui
partageait probablement ses idées, de lui
fournir chevaux et moyens
d'expérimentation (Morvan, 1890).
-
- Cette publication de Morvan n'eut pas le
même retentissement que celle de la
syringomyélie. Ce n'est qu'en 1930 que
Pierre Mollaret (1898-1987) et Georges Guillain
(1876-1961) présentent, pour la
première fois depuis Morvan, dans La
Revue Neurologique, un cas tout à fait
similaire: « il existe avant tout des
secousses fibrillaires dont les unes sont
limitées, naissant et disparaissant sur
place et donnant par leurs combinaisons
incessantes une véritable impression de
grouillement vermiculaire ». Ils
constatent « l'existence de grands
accès de transpiration » et
évoquent comme facteur déclenchant
une possible scarlatine par un mécanisme
de « toxi-infection » qui
sera repris dans les années suivantes
(Mollaret, 1930). En effet, en 1934, Jean-Albert
Chavany (1892-1959) et André Chaignot
décrivent l'observation de leur patient
tuberculeux qui, après avoir reçu
en trois mois 1,45 g de sels d'or,
développe une insomnie complète,
une hypersudation et « de nombreuses
secousses musculaires » (Chavany,
1934). L'équipe d'Henri Roger et Joseph
Alliez de Marseille passe en revue, en 1953, 70
cas connus collectés, sans modifier la
clinique décrite par Morvan et propose
une explication physio-pathologique basée
sur une intoxication par les métaux,
faisant le parallèle avec l'acrodynie au
mercure, déjà décrite en
1946, par Michel-Pierre Coirault dans sa
thèse (Roger, 1953; Coirault, 1946). Ce
mécanisme d'intoxication par les
métaux fera, à la suite, l'objet
de plusieurs articles et thèses avec
revue de littérature (Lambrechts, 1934;
Dujardin, 1944; Paris, 1957; Dore F, 1967).
Néanmoins, la physiopathologie reste
imprécise jusqu'à ce qu'Hyam
Isaacs suggère, en 1961, que
l'hyperactivité spontanée des
fribrilles musculaires, qu'il nomme
neuromyotonie, sans jamais évoquer le
très ressemblant syndrome de Morvan,
siège au niveau de la jonction
neuro-musculaire (Isaacs, 1961). La
première observation complète avec
exploration du sommeil et de l'activité
musculaire par EMG ne paraît qu'en 1974,
à Lyon, grâce à Michel
Jouvet et son équipe, cherchant, bien
sûr, une explication à l'agrypnie.
Malgré leur déception de n'avoir
retrouvé aucune lésion
spécifique à l'autopsie, ils
évoquent une atteinte fonctionnelle des
neurones sérotoninergiques
(Fischer-Perroudon, 1974).
-
- Le syndrome de Morvan, tel qu'il est
accepté dans les publications
internationales actuelles, associe tous les
symptômes que présentait le premier
malade décrit par Morvan en 1890. Le mot
chorée fibrillaire a été
remplacé par fasciculations ou myokimies,
visibles cliniquement, et enregistrables par
électromyographie, prédominantes
aux membres
inférieurs associées à
des crampes, des perturbations du système
nerveux autonome avec une hyperhydrose
importante de la tête et des mains, une
tachycardie sinusale, une pollakiurie avec
urgences mictionnelles et une impuissance. Des
symptômes encéphaliques combinent
une insomnie sévère (Agrypnia
Excitata), des hallucinations et une
désorientation (Cornelius, 2011;
Lugaresi, 2011; Provini, 2011). Ces signes
centraux partagent des traits communs avec
l'encéphalite limbique et rappelle les
descriptions de l'encéphalite de von
Economo. Ces pathologies sont parfois
associées à des thymomes (syndrome
paranéoplasique) ou à des
pathologies auto-immunes comme la
myasthénie (Lüscher, 2010). La
physiopathologie, jusqu'à peu retenue,
s'expliquerait par la présence
d'anticorps perturbant le fonctionnement des
canaux ioniques potassiques (voltagegate
potassium channels antibodies, VGKC-antibodies),
qui par leurs interactions avec ces canaux
conduiraient à une dépolarisation
prolongée expliquant
l'hypercontractilité musculaire
désordonnée et les
désordres neuro-végétatifs.
Cette hypothèse a été
remise en cause récemment par la
démonstration que ces auto-anticorps ne
se fixent pas directement sur le canal ionique
mais plus précisément sur deux
protéines récemment
identifiées et co-précipitant avec
le canal ionique, que sont Lgi1 pour Leucin-rich
Glioma inactivated 1, une protéine
synaptique fortement exprimée dans
l'hippocampe, et CASPR2 pour Contactin
Associated Protein 2, qui est fortement
exprimée au niveau des nuds de
Ranvier (Lai, 2010). Il est intéressant
de noter que des mutations au sein des
gènes codant pour ces protéines
sont également retrouvées dans des
formes héréditaires
d'épilepsie (Loukaides, 2012;
Newsom-Davis, 2007; Serratrice, 2004, 2011;
Vincent, 2011). De nombreux travaux restent
à mener pour comprendre le rôle
exact et spécifique de ces autoanticorps,
mais un intérêt croissant est
porté au syndrome de Morvan car il est
considéré comme un modèle
de pathologie des maladies neurologiques
à auto anticorps et permet
d'appréhender de multiples pathologies
affectant la synapse et la jonction
neuro-musculaire, que l'origine en soit
génétique, auto-immune ou toxique.
Cette actualité en neurosciences
moléculaires ne doit pas occulter la
mémoire d'Augustin Morvan qui, le
premier, décrivit avec précision
les cas princeps, non seulement sans omettre
aucun signe clinique, mais en discutant tous les
aspects physiologiques et physio-pathologiques
de ses observations.
-
- Patient depicted by Jean-Martin
Charcot during the tuesady's lesson 1889 28 juni
by Paul Richer
(1849-1933)
- « Cas de syringomyélie
gliomateuse »
-
-
- Une autre célébrité
posthume d'Augustin Morvan
- L'hôpital de Brest, construit entre
1937 et 1949, fut baptisé Hôpital
Augustin Morvan en 1950, en hommage à ce
grand clinicien. Hélas, cette appellation
a disparu lors de sa transformation en Centre
Hospitalier Universitaire pour n'être
attribuée qu'à une de ses
unités.
-
- Cette évocation de Morvan serait
incomplète sans rappeler une
actualité récente. Le 9 mai 2011,
décédait à 90 ans son
arrière petite fille, Colette Destouches
(mariée à Mr Yves Turpin),
née à Rennes en 1920. Surprenant
hasard, Louis-Ferdinand Destouches, plus connu
sous son nom d'écrivain
« Céline » avait
épousé le 10 août 1919,
Edith Follet, fille de Marie-Louise Morvan et
d'Anasthase Follet, lui aussi médecin et
qui deviendra directeur de l'école de
médecine de Rennes. Céline
bénéficie de l'aide et de
l'entregent de son beau-père pour devenir
médecin en un cursus éclair
autorisé aux anciens combattants de la
grande guerre. Céline écrit son
premier livre pour Colette, sa fille unique,
« Le petit Mouck », illustrée
par sa femme, petite-fille de Morvan,
dessinatrice réputée à
« La Semaine de Suzette» (Guitton,
2009). Pense-t-il à Morvan quand il
écrit dans « Voyage au bout de
la nuit »
l'expression: « aimable comme un
panaris » ?
- On ne peut rendre meilleur hommage à
Morvan qu'en transcrivant la notice
biographique, publiée anonymement dans le
Bulletin de l'Académie de Médecine
du 23 mars 1897: « Le Dr Morvan a eu
le grand mérite, quoique vivant dans un
coin reculé de Bretagne, en dehors de
tout mouvement scientifique, d'aimer la science
et d'attacher son nom à plusieurs
découvertes ».
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