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mise à jour du 22 mai 2003
La Nouvelle Presse Médicale
24/04/1982, 11, n 19
lexique
Hypersensibilité dopaminergique dans la migraine: un test diagnostique ?
A. Bès, G. Géraud, A. Güell, M.C. Arné-Bès
Service de Neurologie, CHU Rangueil, F 31054 Toulouse Cedex

Chat-logomini

Pharmacologistes et cliniciens entrevoient depuis plusieurs années que les vaisseaux cérébraux des migraineux répondent différemment de ceux du sujet normal à différents stimuli en particulier aux amines vaso-actives. Edvinsson et MacKenzie, Harper et McCulloch ont montré parmi les premiers que l'artère isolée du migraineux manifestait une contractilité différente de celle du sujet indemne à la noradrénaline et à la doparnine.

C'est dans cette voie que nous avons dirigé notre recherche, en ayant recours in vivo à la mesure du débit sanguin cérébral (D. S. C.), comme critère d'activité vaso-motrice des amines étudiées, comptant observer chez les migraineux une réponse de la circulation cérébrale différente de ce qu'elle est chez le sujet normal.

MALADES ET METHODES

L'agoniste dopaminergique administré est le piribédil choisi parce qu'il traverse la barrière hémato-encéphalique ; ses effets périphériques sont moins marqués que ceux de l'apomorphine ; il peut être administré en perfusion, à doses appropriées, de manière à n'entraîner que des troubles légers et normalement acceptables. Le protocole a été le suivant : sujet en décubitus, enregistrement chaque minute de la pression artérielle par voie non sanglante ; électrocardiogramme en continu ; mesure en continu de la pCO2 dans l'air expiré à l'aide d'un capnographe ; perfusion de 125 ml de sérum glucosé isotonique en 30 minutes contenant 0J mg par kilo de poids de piribédil.

Deux types d'observations ont été pratiquées chez tous les sujets de la présente étude

- mesure du débit sanguin cérébral (D.S.C.), par inhalation de Xénon 133 (appareillage Inhamatie) selon la technique d'Obrist et Risberg. Les valeurs rapportées ici sont celles de Fl (débit cortical); le D.S.C. est mesuré avant la perfusion et 10 minutes après l'arrêt de celle-ci ;

- appréciation de l'abaissement tensionnel et des troubles végétatifs, nausées et éventuellement vomissements. La survenue de ces manifestations entraîne habituellement l'arrêt de la perfusion dont la durée est notée.

Dix sujets normaux, exempts de toute céphalée, même épisodique, ont été explorés et constituent le groupe témoin.

Vingt migraineux ont été parallèlement étudiés ; leur moyenne d'âge est comparable à celle du groupe témoin. Ils présentéint les signes fondamentaux de la migraine, de telle sorte qu'aucune hésitation clinique ne soit possible. A cet effet, une échelle fondée sur l'interrogatoire a été appliquée, le score maximum étant de 14. Les sujets retenus atteignent un total se situant autour de 12.

Chez 5 sujets migraineux, ayant présenté des effets secondaires marqués, un bloqueur dopaminergique périphérique a été administré (dompéridone), et le test au piribédil a été de nouveau pratiqué.

RESULTATS

Action sur le débit sanguin cérébral Chez les sujets témoins, la perfusion de piribédil n'entraîne pas d'augmentation significative du D. S. C. à la dose de 0, 1 mgikg en 30 minutes. Dans ce groupe, la valeur moyenne du débit sanguin cortical est de 81, 8 ± 8,8 ml/100 gimn avant la perfusion, et de 80,8 ± 9,1 ml/100 gimn après l'administration du produit, les valeurs de la pCO2 étant superposables.

Chez les migraineux en revanche, la valeur moyenne du D. S. C. passe de 75,6 ± 10 ml/100 gimn à 89,2 ± 7,8 ml/100 gimn soit une augmentation moyenne de 18,5 % (fig. 1 et 2). Cette augmentation est présente dans 18 cas sur 20 (valeurs extrêmes de + 10,3 % à + 39 %) alors qu'aucun sujet témoin n'a présenté d'augmentation appréciable du D.S.C. Deux sujets migraineux, pourtant aussi caractérisés cliniquement que les autres, n'ont toutefois pas manifesté cet accroisement; : dans 1 cas, le D. S. C. reste identique, dans le deuxième cas, il diminue de 14 %.

Les 5 sujets migraineux chez lesquels le test au piribédil a été refait après administration de dompéridone ont continué d'accuser la même augmentation du D. S. C. (20 % en moyenne).

Actions périphériques Si l'on administre le piribédil en perfusion chez des si~et;s non migraineux à la dose de 0,2 mgikg de poids en 30 minutes, on observe habituellement des nausées entre la 20e et la 30e minute, voire des vomissements, sans que l'on se trouve dans l'obligation d'interrompre la perfusion. A la dose de 0,1 mg/kg de poids, la perfusion est bien supportée, les sujets témoins ont subi l'administration de la totalité de la dose avec rarement de légères nausées en fin de perfusion. C'est cette dose que nous avons choisie pour la pratique du test.

Chez les migraineux, la même dose de 0,1 mg/kg est beaucoup moins bien supportée. Les nausées obligent habituellement à interrompre la perfusion autour de la 17e minute en moyenne. Certains malades n'ont toléré la perfusion que 8 à 10 minutes, 2 sujets sur 20 seulement ont pu recevoir l'intégralité de la dose prévue.

L'abaissement tensionnel est l'autre signe végétatif important chez les migraineux. Chez les sujets témoins, aucune modification tensionnelle n'est enregistrée. La valeur moyenne de la pression artérielle moyenne (P. A. M.) est de 9,2 cmHg avant la perfusion, de 9,1 cmHg en fin de perfusion. Chez les migraineux en revanche, l'abaissement tensionnel est évident et suit de près les nausées, ou bien même s'installe progressivement dès le début de la perfusion. La valeur moyenne de la P. A. M. est de 6,9 emHg en fin de perfusion contre 10 cmHg avant, ce qui représente une diminution moyenne de 32 %. Aucun sujet migraineux n'a conservé de valeurs normales de pression artérielle pendant le test.

Les cinq sujets qui ont reçu, 20 minutes avant la deuxième perfusion de piribédil, 20 mg de dompéridone n'ont pas manifesté d'abaissement tensionnel.

 
DISCUSSION

Sicuteri a avancé le rôle possible de la dopamine dans le mécanisme de la migraine: il a exprimé la notion d'une hypersensibilité des récepteurs dopaminergiques post-synaptiques chez les céphalalgiques (Idiopathic Headache). Cette hypersensibilité se manifeste notamment par l'effet émétisant beaucoup plus marqué de l'apomorphine chez les céphalalgiques idiopathiques, en comparaison avec le sujet non céphalalgique. La bromocriptine donnée per os entraîne une hypotension orthostatique chez les migraineux dans les heures suivant la prise, à la différence de ce qu'on observe chez les sujets indemnes (Fanciullacci et coll.). Sicuteri émet l'hypothèse selon laquelle l'hypersensibilité dopaminergique post-synaptique serait la conséquence d'une déficience en dopamine. Ce manque de dopamine, considérée comme un médiateur du système nociceptif serait à l'origine d'une transmission centrale anormalement intense des stimuli douloureux (dysnociception).

C'est ce qui nous a incité à utiliser comme agoniste dopaminergique le piribédil, qui traverse la barrière hémato-encéphalique. MeCulloch et Edvinsson avaient montré que le piribédil en perfusion entraînait chez le babouin, à la dose de 0, 1 mgikg de poids, une augmentation importante du D. S. C. pouvant atteindre 40 %. Nous avons mis en évidence le même phénomène chez l'homme. Le piribédil, à la dose de 0,2 mgtkg entraîne une augmentation significative du D. S. C. chez le sujet normal, alors qu'à la dose de 0,1 mg/kg l'effet sur le D. S. C. est statistiquement nul. C'est donc cette dose seuil que nous avons choisie pour l'exploration des sujets migraineux. L'augmentation du débit sanguin cérébral pour une dose modérée de 0,1 mg/kg ne s'observe que chez les migraineux et est en moyenne de 18,5 %, avec une valeur maximale de plus de 39 %. Aucune élévation de ce paramètre n'a été observée à cette dose dans le groupe témoin des non céphalalgiques. Il nous semble qu'on peut conclure chez les migraineux à une hypersensibilité doparninergique au niveau cérébral.

L'hypersensibilité dopaminergique chez les migraineux n'est pas limitée à la circulation cérébrale. Nous avons vu chez ces malades, l'importance des nausées et des vomissements sous l'action de l'agoniste dopaminergique et l'existence d'une chute tensionnelle qui ne s'observe pas chez les sujets indemnes. Or, ces troubles disparaissent lorsque le sujet est protégé par l'administration préalable de dompéridone, qui est un bloqueur des sites dopaminergiques périphériques. Il a été établi que, aux doses administrées, ce produit ne traverse pas la barrière hémo-cérébrale; on conçoit donc que le dompéridone ne puisse empêcher la stimulation de la circulation cérébrale par la piribédil. Il serait bien sûr intéressant et complémentaire de savoir si l'action d'un neuroplégique type halopéridol empêche l'augmentation du D. S. C. du fait que les récepteurs dopaminergiques cérébraux seraient cette fois-ci bloqués.

Nous pensons que le test au piribédil est susceptible d'apporter une aide au diagnostic de migraine. Ce dernier est, on le sait, pûrement clinique pour l'instant. En fait, il dépend beaucoup des conceptions du clinicien sur le cadre et les limites de l'affection. Certains en ont une conception très restrictive, n'admettant comme migraine que les tableaux caractérisés par un ensemble de troubles classiques. Pour d'autres, il n'y a pas de limites franches entre la migraine et le vaste groupe de céphalalgiques idiopathiques, souffrant périodiquement de la tête. Cette conception nous paraît trop extensive, car on est amené à englober notamment les nombreuses céphalées psychogènes, pour ne citer que cette catégorie. Un critère objectif serait particulièrement bienvenu, pour aider à un clivage qui n'est pas purement spéculatif, loin s'en faut : l'attitude thérapeutique en dépend. L'hypersensibilité dopaminergique sous l'action d'un agoniste dopaminergique maniable nous paraît remplir cet office. La perfusion de piribédil, à la dose proposée, est un test rapide, suffisamment anodin et sans réels inconvénients : les effets provoqués, nausées et baisse de tension s'effaçant très rapidement dès l'arrêt de la perfusion. Bien entendu, la mesure du D.S.C. qui demande un appareillage particulier n'est pas nécessaire. Il suffit d'enregistrer l'apparition des nausées et de suivre l'évolution des chiffres tensionnels.

Dans notre expérience actuelle, tous les migraineux caractérisés ont manifesté cette hypersensibilité dopaminergique. Il reste à vérifier, comme nos premiers résultats semblent l'indiquer, si le test en question peut réellement cliver deux populations dans le vaste groupe des céphalalgiques idiopathiques.

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