Hypersensibilité
dopaminergique dans la migraine: un test
diagnostique ?
A. Bès, G. Géraud, A.
Güell, M.C. Arné-Bès
Service de Neurologie, CHU
Rangueil, F 31054 Toulouse Cedex
Pharmacologistes et cliniciens entrevoient
depuis plusieurs années que les vaisseaux
cérébraux des migraineux
répondent différemment de ceux du
sujet normal à différents stimuli
en particulier aux amines vaso-actives.
Edvinsson et MacKenzie, Harper et McCulloch ont
montré parmi les premiers que
l'artère isolée du migraineux
manifestait une contractilité
différente de celle du sujet indemne
à la noradrénaline et à la
doparnine.
C'est dans cette voie que nous avons
dirigé notre recherche, en ayant recours
in vivo à la mesure du débit
sanguin cérébral (D. S. C.), comme
critère d'activité vaso-motrice
des amines étudiées, comptant
observer chez les migraineux une réponse
de la circulation cérébrale
différente de ce qu'elle est chez le
sujet normal.
MALADES ET METHODES
L'agoniste dopaminergique administré
est le piribédil choisi parce qu'il
traverse la barrière
hémato-encéphalique ; ses effets
périphériques sont moins
marqués que ceux de l'apomorphine ; il
peut être administré en perfusion,
à doses appropriées, de
manière à n'entraîner que
des troubles légers et normalement
acceptables. Le protocole a été le
suivant : sujet en décubitus,
enregistrement chaque minute de la pression
artérielle par voie non sanglante ;
électrocardiogramme en continu ; mesure
en continu de la pCO2 dans l'air expiré
à l'aide d'un capnographe ; perfusion de
125 ml de sérum glucosé isotonique
en 30 minutes contenant 0J mg par kilo de poids
de piribédil.
Deux types d'observations ont
été pratiquées chez tous
les sujets de la présente
étude
- mesure du débit sanguin
cérébral (D.S.C.), par inhalation
de Xénon 133 (appareillage Inhamatie)
selon la technique d'Obrist et Risberg. Les
valeurs rapportées ici sont celles de Fl
(débit cortical); le D.S.C. est
mesuré avant la perfusion et 10 minutes
après l'arrêt de celle-ci ;
- appréciation de l'abaissement
tensionnel et des troubles
végétatifs, nausées et
éventuellement vomissements. La survenue
de ces manifestations entraîne
habituellement l'arrêt de la perfusion
dont la durée est notée.
Dix sujets normaux, exempts de toute
céphalée, même
épisodique, ont été
explorés et constituent le groupe
témoin.
Vingt migraineux ont été
parallèlement étudiés ;
leur moyenne d'âge est comparable à
celle du groupe témoin. Ils
présentéint les signes
fondamentaux de la migraine, de telle sorte
qu'aucune hésitation clinique ne soit
possible. A cet effet, une échelle
fondée sur l'interrogatoire a
été appliquée, le score
maximum étant de 14. Les sujets retenus
atteignent un total se situant autour de 12.
Chez 5 sujets migraineux, ayant
présenté des effets secondaires
marqués, un bloqueur dopaminergique
périphérique a été
administré (dompéridone), et le
test au piribédil a été de
nouveau pratiqué.
RESULTATS
Action sur le débit sanguin
cérébral Chez les sujets
témoins, la perfusion de piribédil
n'entraîne pas d'augmentation
significative du D. S. C. à la dose de 0,
1 mgikg en 30 minutes. Dans ce groupe, la valeur
moyenne du débit sanguin cortical est de
81, 8 ± 8,8 ml/100 gimn avant la perfusion,
et de 80,8 ± 9,1 ml/100 gimn après
l'administration du produit, les valeurs de la
pCO2 étant superposables.
Chez les migraineux en revanche, la valeur
moyenne du D. S. C. passe de 75,6 ± 10
ml/100 gimn à 89,2 ± 7,8 ml/100 gimn
soit une augmentation moyenne de 18,5 % (fig. 1
et 2). Cette augmentation est présente
dans 18 cas sur 20 (valeurs extrêmes de +
10,3 % à + 39 %) alors qu'aucun sujet
témoin n'a présenté
d'augmentation appréciable du D.S.C. Deux
sujets migraineux, pourtant aussi
caractérisés cliniquement que les
autres, n'ont toutefois pas manifesté cet
accroisement; : dans 1 cas, le D. S. C. reste
identique, dans le deuxième cas, il
diminue de 14 %.
Les 5 sujets migraineux chez lesquels le test
au piribédil a été refait
après administration de
dompéridone ont continué d'accuser
la même augmentation du D. S. C. (20 % en
moyenne).
Actions périphériques Si
l'on administre le piribédil en perfusion
chez des si~et;s non migraineux à la dose
de 0,2 mgikg de poids en 30 minutes, on observe
habituellement des nausées entre la 20e
et la 30e minute, voire des vomissements, sans
que l'on se trouve dans l'obligation
d'interrompre la perfusion. A la dose de 0,1
mg/kg de poids, la perfusion est bien
supportée, les sujets témoins ont
subi l'administration de la totalité de
la dose avec rarement de légères
nausées en fin de perfusion. C'est cette
dose que nous avons choisie pour la pratique du
test.
Chez les migraineux, la même dose de
0,1 mg/kg est beaucoup moins bien
supportée. Les nausées obligent
habituellement à interrompre la perfusion
autour de la 17e minute en moyenne. Certains
malades n'ont toléré la perfusion
que 8 à 10 minutes, 2 sujets sur 20
seulement ont pu recevoir
l'intégralité de la dose
prévue.
L'abaissement tensionnel est l'autre signe
végétatif important chez les
migraineux. Chez les sujets témoins,
aucune modification tensionnelle n'est
enregistrée. La valeur moyenne de la
pression artérielle moyenne (P. A. M.)
est de 9,2 cmHg avant la perfusion, de 9,1 cmHg
en fin de perfusion. Chez les migraineux en
revanche, l'abaissement tensionnel est
évident et suit de près les
nausées, ou bien même s'installe
progressivement dès le début de la
perfusion. La valeur moyenne de la P. A. M. est
de 6,9 emHg en fin de perfusion contre 10 cmHg
avant, ce qui représente une diminution
moyenne de 32 %. Aucun sujet migraineux n'a
conservé de valeurs normales de pression
artérielle pendant le test.
Les cinq sujets qui ont reçu, 20
minutes avant la deuxième perfusion de
piribédil, 20 mg de dompéridone
n'ont pas manifesté d'abaissement
tensionnel.
DISCUSSION
Sicuteri a avancé le rôle
possible de la dopamine dans le mécanisme
de la migraine: il a exprimé la notion
d'une hypersensibilité des
récepteurs dopaminergiques
post-synaptiques chez les céphalalgiques
(Idiopathic Headache). Cette
hypersensibilité se manifeste notamment
par l'effet émétisant beaucoup
plus marqué de l'apomorphine chez les
céphalalgiques idiopathiques, en
comparaison avec le sujet non
céphalalgique. La bromocriptine
donnée per os entraîne une
hypotension orthostatique chez les migraineux
dans les heures suivant la prise, à la
différence de ce qu'on observe chez les
sujets indemnes (Fanciullacci et coll.).
Sicuteri émet l'hypothèse selon
laquelle l'hypersensibilité
dopaminergique post-synaptique serait la
conséquence d'une déficience en
dopamine. Ce manque de dopamine,
considérée comme un
médiateur du système nociceptif
serait à l'origine d'une transmission
centrale anormalement intense des stimuli
douloureux (dysnociception).
C'est ce qui nous a incité à
utiliser comme agoniste dopaminergique le
piribédil, qui traverse la
barrière
hémato-encéphalique. MeCulloch et
Edvinsson avaient montré que le
piribédil en perfusion entraînait
chez le babouin, à la dose de 0, 1 mgikg
de poids, une augmentation importante du D. S.
C. pouvant atteindre 40 %. Nous avons mis en
évidence le même
phénomène chez l'homme. Le
piribédil, à la dose de 0,2 mgtkg
entraîne une augmentation significative du
D. S. C. chez le sujet normal, alors qu'à
la dose de 0,1 mg/kg l'effet sur le D. S. C. est
statistiquement nul. C'est donc cette dose seuil
que nous avons choisie pour l'exploration des
sujets migraineux. L'augmentation du
débit sanguin cérébral pour
une dose modérée de 0,1 mg/kg ne
s'observe que chez les migraineux et est en
moyenne de 18,5 %, avec une valeur maximale de
plus de 39 %. Aucune élévation de
ce paramètre n'a été
observée à cette dose dans le
groupe témoin des non
céphalalgiques. Il nous semble qu'on peut
conclure chez les migraineux à une
hypersensibilité doparninergique au
niveau cérébral.
L'hypersensibilité dopaminergique chez
les migraineux n'est pas limitée à
la circulation cérébrale. Nous
avons vu chez ces malades, l'importance des
nausées et des vomissements sous l'action
de l'agoniste dopaminergique et l'existence
d'une chute tensionnelle qui ne s'observe pas
chez les sujets indemnes. Or, ces troubles
disparaissent lorsque le sujet est
protégé par l'administration
préalable de dompéridone, qui est
un bloqueur des sites dopaminergiques
périphériques. Il a
été établi que, aux doses
administrées, ce produit ne traverse pas
la barrière
hémo-cérébrale; on
conçoit donc que le dompéridone ne
puisse empêcher la stimulation de la
circulation cérébrale par la
piribédil. Il serait bien sûr
intéressant et complémentaire de
savoir si l'action d'un neuroplégique
type halopéridol empêche
l'augmentation du D. S. C. du fait que les
récepteurs dopaminergiques
cérébraux seraient cette fois-ci
bloqués.
Nous pensons que le test au piribédil
est susceptible d'apporter une aide au
diagnostic de migraine. Ce dernier est, on le
sait, pûrement clinique pour l'instant. En
fait, il dépend beaucoup des conceptions
du clinicien sur le cadre et les limites de
l'affection. Certains en ont une conception
très restrictive, n'admettant comme
migraine que les tableaux
caractérisés par un ensemble de
troubles classiques. Pour d'autres, il n'y a pas
de limites franches entre la migraine et le
vaste groupe de céphalalgiques
idiopathiques, souffrant périodiquement
de la tête. Cette conception nous
paraît trop extensive, car on est
amené à englober notamment les
nombreuses céphalées
psychogènes, pour ne citer que cette
catégorie. Un critère objectif
serait particulièrement bienvenu, pour
aider à un clivage qui n'est pas purement
spéculatif, loin s'en faut : l'attitude
thérapeutique en dépend.
L'hypersensibilité dopaminergique sous
l'action d'un agoniste dopaminergique maniable
nous paraît remplir cet office. La
perfusion de piribédil, à la dose
proposée, est un test rapide,
suffisamment anodin et sans réels
inconvénients : les effets
provoqués, nausées et baisse de
tension s'effaçant très rapidement
dès l'arrêt de la perfusion. Bien
entendu, la mesure du D.S.C. qui demande un
appareillage particulier n'est pas
nécessaire. Il suffit d'enregistrer
l'apparition des nausées et de suivre
l'évolution des chiffres tensionnels.
Dans notre expérience actuelle, tous
les migraineux caractérisés ont
manifesté cette hypersensibilité
dopaminergique. Il reste à
vérifier, comme nos premiers
résultats semblent l'indiquer, si le test
en question peut réellement cliver deux
populations dans le vaste groupe des
céphalalgiques idiopathiques.
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