La classification établie par la
Ligue
Internationale contre l'Épilepsie
(ILAE) distingue l'épilepsie
mésiale (interne) et l'épilepsie
néocorticale (externe) du lobe temporal
(1). Les crises épileptiques temporales
mésiales ont leur origine dans
l'hippocampe, l'amygdale et le gyrus
hippocampique (2). La présence de
sensations épigastriques angoissantes,
à la phase initiale de la crise, la
présence d'automatismes oro-mandibulaires
et d'autres automatismes gestuels impliquant les
membres supérieurs et le visage, le
regard vague, la durée prolongée
de la crise, une certaine forme d'absence et
l'inexistence de généralisation
secondaire ont été associés
aux crises de la région mésiale
temporale (3). La revue de la littérature
permet d'identifier, quelques publications,
assez succintes, décrivant des
bâillements contemporains de crises
d'épilepsie, tant chez des rongeurs que
chez l'homme (4,5), en particulier des crises
d'origine temporale (6,7).
Le bâillement est un acte
réflexe, très banal,
observé chez de nombreux
vertébrés. Depuis
l'antiquité, il a suscité la
curiosité et intéressé de
nombreux philosophes et physiologistes. Les
mécanismes physiologiques qui
président à son
déclenchement et les structures
anatomiques qui en coordonnent le
déroulement sont divers et actuellement
encore partiellement méconnus. Chez
l'Homme, le bâillement apparaît
physiologiquement au réveil, lors de la
somnolence, quand la fatigue, l'ennui, la faim
perdurent et, parfois, à l'occasion de
réactions émotionnelles
(sexualité ?). Des bâillements
anormalement fréquents et
répétés ont
été associés à
diverses pathologies neurologiques (9) : tumeurs
du lobe frontal ou du tronc
cérébral, des accidents
vasculaires cérébraux, des
encéphalites, des céphalées
(migraine), l'intoxication alcoolique, la
sclérose en plaques, la paralysie
supra-nucléaire, la sclérose
latérale amyotrophique, après
thalamotomie (10,11,12).
Nous décrivons, ici, le cas d'une
patiente atteinte de crises d'épilepsie
partielle temporale dont chaque crise
débute par des salves de
bâillements irrépressibles.
Cette femme de 61 ans a pour
antécédents une dysthymie
bipolaire, des migraines, et une polyarthrose.
Elle présente, depuis plus de deux ans
des épisodes
stéréotypés, d'apparition
brusque, qui débutent par une sensation
de gêne épigastrique ascendante,
suivie de bâillements
irrépressibles, d'une transpiration
profuse. Ces bâillements se
répètent pendant une trentaine de
minutes. Secondairement s'installent une
somnolence, une faiblesse et une fatigue
générale durant plusieurs heures.
La fréquence de ces épisodes varie
mais sont récurrents plusieurs fois par
jour, tant pendant la veille que le sommeil. La
malade ne manifeste aucun trouble du sommeil ou
d'autre nature. L'IRM ne visualise aucune
lésion anatomique anormale. Un ECG
standard de veille ne décèle
aucune anomalie électrique. Cette
déficience diagnostique conduit à
enregistrer un vidéo-EEG de veille et de
sommeil.
Après la réalisation d'une
stimulation lumineuse intermittente et deux
périodes d'hyperventilation, alors que la
patiente est au repos et sans aucune
stimulation, débute une crise de
façon abrupte: bâillements en
série, à une fréquence de 3
à 4 par minute, durant chacun de 15
à 20 secondes. L'épisode va durer
cliniquement 46 minutes. Progressivement, la
fréquence des bâillements se
réduit pour cesser avec la crise. Ces
bâillements sont constamment
accompagnés d'automatismes moteurs
à type de frottements du nez avec la main
et de vocalisations associées à
quelques mots répétés
(connotation plaintive). L'EEG enregistré
simultanément à cette crise montre
un rythme de base ralenti, au niveau duquel
s'intercale une abondante activité
électomyographique propre aux mouvements
des bâillements. Il n'est pas noté
d'onde spécifique ni d'activité
paroxystique particulière tout au long de
cet épisode. Pendant la période
post-critique immédiate, la patiente
s'endort en sommeil lent (non REM I) pendant 5
minutes, puis manifeste un micro-éveil.
La phase de sommeil non-REM II, qui suit, permet
d'enregistrer une activité paroxystique,
à type de pointe-onde, au niveau temporal
gauche, sans diffusion aux aires homologues
controlatérales, ni
généralisation. A son
réveil, la patiente est amnésique
de sa crise, des bâillements et des
automatismes moteurs et vocaux qui les
accompagnaient.
Le diagnostic de crise épileptique
temporale complexe mésiale a conduit
à mettre en route un traitement par
oxycarbamazépine à la dose de 300
mg toutes les 12 heures. Les crises ont
progressivement disparu en deux semaines. La
malade demeure depuis totalement
asymptomatique.
Les symptômes cliniques
stéréotypés,
associés aux données
électroencéphalographiques
post-critiques, caractérisent une
épilepsie partielle complexe d'origine
temporale mésiale: angoisse
épigastrique initiale, perte
différée du contact avec
l'environnement, automatismes moteurs focaux (en
particulier les frottements digito-nasaux),
automatismes verbaux, l'absence de
généralisation secondaire. Bien
que les enregistrements
électroencéphalographiques
per-critiques n'aient pas permis de mettre en
évidence une altération
caractéristique du tracé, la
symptomatologie répétitive et
stéréotypée, le
contrôle complet par le traitement
anti-comitial, la présence de
pointes-ondes, en sommeil profond,
localisées au lobe temporal gauche
suggèrent, avec prégnance, une
origine comitiale aux manifestations cliniques.
La présence de bâillements
répétés et
incontrôlés, comme chez notre
patiente, a été rarement
décrite au cours de l'épilepsie
mésiale (2,3).
Bien que les bâillements puissent
être une forme de crise épileptique
chez les rongeurs comme chez l'Homme, les
données de la littérature sont
rares (4,5). La neurophysiologie du
bâillement comprend différents
neuromédiateurs tels la dopamine, l'oxyde
nitrique, le glutamate, l'ACTH, le GABA, la
sérotonine, les hormones sexuelles et les
opiacés. Le cycle veille-sommeil semble
en moduler la fonction au niveau du tronc
cérébral (formation
réticulée) et du
diencéphale. Le contrôle cortical
est sans doute possible chez l'homme adulte. La
dopamine stimule la libération
d'ocytocine au niveau du noyau paraventriculaire
de l'hypothalamus, qui active une voie
cholinergique vers l'hippocampe. Les
opiacés inhibent les bâillements
induits par la dopamine ou l'ocytocine. Il
semble que les bâillements, les cycles
veille-sommeil et l'épilepsie temporale
partagent des circuits neuroanatomiques et des
neuromédiateurs communs.
Les mécanismes mis en jeu en fin de
crise sont mal cernés mais les
expérimentations animales plaident pour
l'intervention des opiacés
endogènes comme le suggèrent la
réduction tant en durée qu'en
symptômes de la période post-ictale
après injection de
morphinomimétiques et leur majoration
après injection de naloxone (14). La
phénytoïne, active au moins
partiellement dans l'épilepsie temporale,
agirait comme inducteur de la libération
d'opiacés endogènes (15). Les
opioïdes endogènes pourraient faire
partie d'un système "protecteur",
inhibiteur de la crise, au travers du
déclenchement des bâillements (7,9)
ce qui permettrait d'inférer que le
bâillement est l'expression
comportementale d'une induction opiacée
inhibitrice de la récurrence des crises
d'épilepsie temporale. Toutefois, une
hypothèse plus simple serait que les
bâillements participent de la crise
épileptique par une implication du lobe
temporale qui reste à identifier.
V. Medrano a, F. Selles-Galiana b, S.
Fernández-Izquierdo a, J.
Mallada-Frechín a, F.
Díaz-González c, L.
Piqueras-Rodríguez a.
a Servicio de Neurología.
Hospital General de Elda.
b Servicio de Neurofisiología.
Hospital General de Alicante.
15. Jackson
HC, Nutt DJ. Investigation of the
involvement of opioid receptors in the action of
anticonvulsants. Psychopharmacology 1993; 111:
486-90.
-Specchio
N, Carotenuto A et al. Ictal yawning in a
patient with drug-resistant focal epilepsy:
Video/EEG documentation and review of literature
reports.Epilepsy Behav
2011
Patiente ayant une DNET
temporale droite externe et présentant
des crises de sémiologie temporale
interne. Exploration par une électrode
latéro-lésionnelle (LL), une
électrode occipito-temporale interne (OT)
et l'EEG de surface. Tracé de sommeil
paradoxal (noter les mouvements oculaires
rapides en A). Début de la crise sur
l'électrode OT en B. Au bout de
25 secondes, activité rythmique en
surface sur la région temporale (C). La
patiente se réveille en fin de crise et
rapportera a posteriori avoir eu un
rêve.